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21.mai.201821.5.2018 // Les Crises

A qui faire confiance, la question existentielle, par Robert Parry

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Petit hommage à Robert Parry que nous n’oublions pas…

Source : Robert Parry, Consortium News, 02-05-2018

Avec les retombées du dîner des Correspondants de la Maison Blanche encore dans l’air, et alors que nous continuons d’honorer la mémoire de Bob Parry, nous republions un article extraordinaire qu’il avait écrit à propos du dîner de l’année dernière et du carriérisme qui mine la vie professionnelle américaine.

La menace imminente de la Troisième Guerre mondiale, une extermination potentielle pour l’espèce humaine, est devenue plus probable parce que le public mondial ne peut compter sur les experts supposément objectifs pour vérifier et évaluer les faits. Au lieu de cela, le carriérisme est à l’ordre du jour parmi les journalistes, les analystes du renseignement et les observateurs internationaux – signifiant qu’il ne reste presque plus personne sur qui compter pour nous dire la vérité.

La dangereuse réalité est que ce carriérisme, qui souvent s’exprime par une certitude vaniteuse à propos du dogme dominant, n’imprègne pas seulement le monde politique, où les mensonges semblent être monnaie courante, mais aussi le monde du journalisme, du renseignement et du contrôle international, incluant les agences des Nations Unies qui souvent jouissent d’une plus grande crédibilité parce qu’elles sont perçues comme moins redevables à certains gouvernements, mais en réalité elles sont devenues profondément corrompues aussi.

En d’autres termes, beaucoup des professionnels sur qui nous devons compter pour creuser les faits et dire la vérité au pouvoir se sont vendus à ces mêmes intérêts puissants dans le but de conserver des emplois avec des hauts salaires et de ne pas être jetés à la rue. La plupart de ces professionnels de l’auto promotion – pris dans les nombreux accoutrements du succès – ne semblent même pas se rendre compte à quel point ils ont dérivé du professionnalisme fondé sur des principes.

Le comédien Stephen Colbert au dîner de 2006 se produisant devant des journalistes suffisants et carriéristes (et devant Bush aussi). (Getty free image.)

Un bon exemple était le spectacle de samedi soir des journalistes nationaux faisant les beaux dans leurs smokings et robes de soirées au dîner des Correspondants de la Maison Blanche, portant des insignes du Premier Amendement comme s’ils étaient de courageuses victimes d’une persécution. Ils semblaient ne pas se rendre compte de l’énorme distance qui les sépare de l’américain moyen et à quel point il était improbable qu’aucun d’eux puisse risquer sa carrière en remettant en cause un des dogmes favoris de l’ordre établi. Au lieu de cela, ces journalistes nationaux prennent des clichés faciles de l’attitude clownesque de Trump et de ses mensonges en série – et se considèrent eux-mêmes comme des héros mis en danger pour cette initiative.

Faire-valoir pour Trump

Ironiquement cependant, ces pompeux journalistes ont offert à Trump ce qui aura été probablement son meilleur moment de ses 100 premiers jours en servant de faire-valoir pour le président alors qu’il se déplaçait à Harrisburg, en Pennsylvanie, ce samedi, et savourait l’adulation des américains en col bleu qui voient les médias mainstream juste comme un appendice supplémentaire d’une élite dirigeante corrompue.

Rompant avec la tradition en snobant le gala annuel de la presse, Trump a ravi la foule de Harrisburg en disant : « un groupe important de célébrités des médias d’Hollywood et de Washington se réconfortent entre eux dans la salle de bal d’un hôtel », et ajoutant : « je ne pourrais être plus satisfait que d’être à plus de 100 miles du marécage de Washington… avec des gens bien, bien meilleurs ». La foule hua les références à l’élite et applaudit le choix fait par Trump d’être avec les gens ordinaires.

Le rejet du dîner par Trump et ses fréquentes critiques des médias mainstream ont provoqué une réponse défensive de Jeff Mason, président de l’Association des Correspondants de la Maison Blanche, qui s’est plaint : « nous ne sommes pas des fake news. Nous ne décevons pas les organismes de presse. Et nous ne sommes pas l’ennemi du peuple américain ». Ce qui déclencha chez les smoking rassemblés à ses pieds une standing ovation.

Peut être que l’élite des médias rassemblée a oublié que ce sont les médias américains dominants – particulièrement le Washington Post et le New York Times – qui ont popularisé l’expression « fake news » et l’ont dirigée comme un tromblon non seulement sur les quelques sites web qui inventent intentionnellement des histoires pour augmenter leurs clics mais aussi contre des parutions de journalistes indépendants qui ont osé remettre en question le dogme de l’élite au sujet de la guerre, de la paix et de la mondialisation.

La liste noire

Le bâtiment du Washington Post au centre ville de Washington, DC (Photo : Washington Post)

Le scepticisme journalistique professionnel envers les déclarations officielles du gouvernement des États Unis – ce que nous attendons des journalistes – a été combiné avec les « fake news ». Le Post a même fait la Une sur un groupe anonyme appelé PropOrNot qui a publié une liste noire de 200 sites internet, incluant Consortiumnews.com et d’autres sites de journalistes indépendants à éviter.

Mais les vedettes des médias mainstream n’aiment pas quand Trump leur renvoie leur « fake news ». Ainsi, l’insigne du Premier Amendement au veston et une standing ovation pour Jeff Mason vaut répudiation du label « fake news ».

Et pourtant, comme les paillettes du dîner des Correspondants de Maison Blanche l’ont démontré, les journalistes mainstream auront les friandises du prestige et de l’argent quand les vrais diseurs de vérité seront presque toujours épuisés, dépassés, et rejetés du mainstream. En fait, la bande se défait des honnêtes gens qui savent et sont en position d’exposer de déplaisantes vérités subissent souvent les attaques mainstream, parfois pour des faiblesses personnelles sans aucun rapport, d’autres fois juste pour avoir froissé les pouvoirs omnipotents qui ont pris une mauvaise direction.

Peut-être que l’étude de cas la plus claire de cette réalité des récompenses et des punitions est la justification de la guerre en Irak. Presque partout, le système politique et médiatique américain – des analystes du renseignement américain à l’organe délibérant du Sénat américain en passant par les principales agences de presse américaines – n’a pas réussi à établir la vérité et a même contribué activement à diffuser les mensonges sur l’Irak cachant des armes de destruction massive et a même suggéré la mise au point d’armes nucléaires. (On peut soutenir que le fonctionnaire du gouvernement américain de l’époque, le secrétaire d’État Colin Powell, le « plus digne de confiance », a joué un rôle clé en vantant les fausses allégations comme étant la « vérité ».)

Non seulement le prétendu « étalon-or » américain pour évaluer l’information – la structure politique, médiatique et de renseignement des États-Unis – a échoué lamentablement face aux déclarations frauduleuses souvent de figures de l’opposition irakienne intéressées et de leurs partisans américains néoconservateurs, mais les « professionnels » qui n’ont pas réussi à protéger le public des mensonges et des tromperies ont ensuite fait l’objet d’une responsabilité limitée.

Profiter de l’échec

Le flacon de Powell.

En effet, nombre des principaux coupables restent des membres « respectés » de l’establishment journalistique. Par exemple, le correspondant du New York Times au Pentagone, Michael R. Gordon, qui était l’auteur principal de la fameuse histoire des « tubes d’aluminium pour centrifugeuses nucléaires » qui a fait tourner la roue pour la campagne publicitaire de l’administration Bush en septembre 2002, couvre toujours la sécurité nationale pour le Times – et sert toujours de courroie de transmission pour la propagande du gouvernement américain.

Le rédacteur en chef de la page éditoriale du Washington Post, Fred Hiatt, qui a informé à plusieurs reprises les lecteurs du Post que la possession secrète d’ADM par l’Irak était un « fait incontestable », est toujours le rédacteur de la page éditoriale du Post, l’une des positions les plus influentes dans le journalisme américain.

La page éditoriale de Hiatt a mené pendant des années une attaque contre le personnage de l’ancien ambassadeur américain Joseph Wilson pour avoir démystifié l’une des affirmations du président George W. Bush au sujet de l’Irak cherchant à obtenir de l’uranium yellowcake du Niger. Wilson avait alerté la CIA sur la déclaration bidon avant l’invasion de l’Irak et a rendu publique la nouvelle par la suite, mais le Post a traité Wilson comme le véritable coupable, le rejetant comme un « vantard » et minimisant la destruction par l’administration Bush de la carrière de sa femme à la CIA en la discréditant (Valerie Plame) dans le but de disqualifier l’enquête de Wilson sur le Niger.

À la fin de l’atteinte à la réputation de Wilson par le Post et dans le sillage du rôle accessoire du journal dans la destruction de la carrière de Plame, Wilson et Plame ont décampé de Washington au Nouveau-Mexique. Pendant ce temps, Hiatt n’a jamais souffert d’une seule remontrance – et reste aujourd’hui encore une figure médiatique « respectée » de Washington.

Leçon de carriériste

La leçon que tout carriériste tirerait de l’affaire irakienne est qu’il n’y a presque aucun risque négatif à courir avec la meute sur une question de sécurité nationale. Même si vous avez terriblement tort – même si vous contribuez à la mort de quelque 4 500 soldats américains et de centaines de milliers d’Irakiens – votre chèque de paie est presque certainement en sécurité.

Il en va de même si vous travaillez pour une agence internationale responsable de la surveillance de questions telles que les armes chimiques. Encore une fois, l’exemple de l’Irak offre une bonne étude de cas. En avril 2002, alors que le président Bush éliminait les quelques obstacles à ses plans d’invasion de l’Irak, Jose Mauricio Bustani, le chef de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques [OIAC], a cherché à persuader l’Irak d’adhérer à la Convention sur les armes chimiques afin que les inspecteurs puissent vérifier les affirmations de la part de l’Irak qu’il avait bien détruit ses stocks.

Bolton : A arrêté l’inspection chimique en Irak. (Photo : Gage Skidmore)

L’administration Bush a qualifié cette idée « d’initiative irréfléchie » – après tout, elle aurait pu rendre caduque la logique de propagande en faveur de l’invasion si l’OIAC avait vérifié que l’Irak avait détruit ses armes chimiques. Ainsi, le sous-secrétaire d’État à la maîtrise des armements de Bush, John Bolton, partisan néoconservateur de l’invasion de l’Irak, a fait pression pour que Bustani soit destitué. L’administration Bush a menacé de retenir les cotisations à l’OIAC si Bustani, un diplomate brésilien, restait en poste.

Il semble maintenant évident que Bush et Bolton considéraient le véritable crime de Bustani comme une ingérence dans leur plan d’invasion, mais Bustani a finalement été éliminé pour des accusations de mauvaise gestion, alors qu’il n’était seulement en poste que depuis un an sur les cinq de son nouveau mandat réélu à l’unanimité. Les États membres de l’OIAC ont choisi de sacrifier Bustani pour sauver l’organisation de la perte de fonds américains, mais – ce faisant – ils ont compromis son intégrité, faisant d’elle une autre agence qui se plierait à la pression des grandes puissances.

« En me démettant de mes fonctions », a dit M. Bustani, « un précédent international aura été établi, en vertu duquel tout chef dûment élu d’une organisation internationale restera vulnérable à tout moment de son mandat aux caprices d’un ou de quelques gros contributeurs ». Il a ajouté que si les États-Unis réussissaient à l’éliminer, le « multilatéralisme authentique » succomberait à « l’unilatéralisme sous un déguisement multilatéral ».

L’arnaque nucléaire iranienne

Quelque chose de semblable s’est produit au sujet de l’Agence internationale de l’énergie atomique en 2009, lorsque la secrétaire d’État Hillary Clinton et les néoconservateurs voulaient une autre confrontation avec l’Iran au sujet de son prétendu projet de construction d’une bombe nucléaire.

Selon les câbles de l’ambassade des États-Unis depuis Vienne, en Autriche, le site du siège de l’AIEA, les diplomates américains en 2009 encourageaient la perspective que le diplomate japonais Yukiya Amano fasse avancer les intérêts des États-Unis d’une manière que le directeur général sortant de l’AIEA Mohamed El Baradei ne le ferait pas ; Amano a attribué son élection au soutien du gouvernement américain ; Amano a signalé qu’il se rangerait du côté des États-Unis dans sa confrontation avec l’Iran ; et il a tendu la main pour obtenir plus d’argent des États-Unis.

Dans un câble du 9 juillet 2009, le chargé américain Geoffrey Pyatt a déclaré qu’Amano était reconnaissant pour le soutien des États-Unis à son élection. « Amano a attribué son élection au soutien des États-Unis, de l’Australie et de la France, et a cité l’intervention des États-Unis avec l’Argentine comme particulièrement décisive », a déclaré le câble.

Le reconnaissant Amano a informé Pyatt qu’en tant que directeur général de l’AIEA, il adopterait une « approche de l’Iran différente de celle d’El Baradei » et qu’il « voyait son rôle principal dans la mise en œuvre des garanties et résolutions du Conseil du CSNU [Conseil de sécurité des Nations unies] », c’est-à-dire les sanctions et les demandes des États-Unis contre l’Iran.

M. Amano a également discuté de la façon de restructurer les rangs supérieurs de l’AIEA, y compris l’élimination d’un haut fonctionnaire et le maintien en poste d’un autre. « Nous sommes entièrement d’accord avec l’évaluation qu’Amano fait de ces deux conseillers et nous considérons ces décisions comme des premiers signes positifs », a commenté Pyatt.

El Baradei : évincé par les choix américains.

En retour, Pyatt a clairement indiqué qu’Amano pouvait s’attendre à une forte assistance financière des États-Unis, déclarant que « les États-Unis feraient tout leur possible pour soutenir son mandat de directeur général et, à cette fin, il prévoyait que les contributions volontaires des États-Unis à l’AIEA seraient maintenues. Amano a proposé qu’une « augmentation raisonnable » du budget ordinaire serait la bienvenue ».

Ce que Pyatt a clairement indiqué dans son câble, c’est qu’un fonctionnaire de l’AIEA qui n’était pas d’accord avec les exigences américaines avait été congédié tandis qu’un autre qui était à bord gardait son emploi.

Se plier devant Israël

Pyatt a également appris qu’Amano avait consulté l’ambassadeur israélien Israël Michaeli « immédiatement après sa nomination » et que Michaeli « était pleinement confiant sur les questions prioritaires de vérification des accords Amano ». Michaeli a ajouté qu’il a minimisé certaines des remarques publiques d’Amano sur le fait qu’il n’y avait « aucune preuve que l’Iran poursuivait une capacité nucléaire » comme de simples mots qu’Amano estimait devoir dire « pour persuader ceux qui ne l’appuyaient pas sur son « impartialité » ».

En privé, Amano a accepté des « consultations » avec le chef de la Commission israélienne de l’énergie atomique, a rapporté Pyatt. (Il est en effet ironique qu’Amano ait des contacts secrets avec des responsables israéliens au sujet du prétendu programme d’armes nucléaires de l’Iran, qui n’a jamais donné une seule bombe, alors qu’Israël possède un arsenal nucléaire important et non déclaré.)

Dans un câble subséquent daté du 16 octobre 2009, la mission américaine à Vienne a déclaré qu’Amano « s’est donné la peine de souligner son soutien aux objectifs stratégiques des États-Unis pour l’Agence. Amano a rappelé à plusieurs reprises à l’ambassadeur [Glyn Davies] qu’il était fermement aux côté des Américains pour chaque décision stratégique clé, qu’il s’agisse de nominations de personnel de haut niveau ou du traitement du programme d’armes nucléaires présumé de l’Iran ».

« Plus franchement, Amano a noté l’importance de maintenir une certaine « ambiguïté constructive » au sujet de ses plans, du moins jusqu’à ce qu’il prenne la relève du DG El Baradei en décembre » 2009.

En d’autres termes, Amano était un bureaucrate désireux de se plier dans des directions favorisées par les États-Unis et Israël concernant le programme nucléaire iranien. Le comportement d’Amano contrastait certainement avec la façon dont El Baradei, plus indépendant d’esprit, a résisté à certaines allégations clés de Bush concernant le prétendu programme d’armes nucléaires de l’Irak, dénonçant correctement certains documents comme étant des faux.

Amano : Les Américains placent leur homme. (Photo AIEA)

Le public mondial n’a pris connaissance de l’arnaque d’Amano que parce que les câbles de l’ambassade des États-Unis faisaient partie de ceux donnés à WikiLeaks par Bradley (maintenant Chelsea) Manning, pour lequel Manning a reçu une peine de 35 ans de prison (qui a finalement été commuée par le président Obama avant de quitter son poste, Manning devant être libérée en mai, après avoir purgé près de sept ans de prison).

Il est également significatif que Geoffrey Pyatt a été récompensé pour son travail dans l’alignement de l’AIEA derrière la campagne de propagande anti-iranienne en devenant ambassadeur des États-Unis en Ukraine, où il a aidé à organiser le coup d’État du 22 février 2014 qui a renversé le président élu Viktor Ianoukovitch. Pyatt était sur l’appel infâme « fuck the E.U. » avec la secrétaire d’État adjointe aux affaires européennes Victoria Nuland quelques semaines avant le coup d’État, alors que Nuland a trié sur le volet les nouveaux dirigeants ukrainiens et Pyatt s’est interrogée sur la façon de « de faire accoucher cela ».

Récompenses et punitions

Le système actuel de récompenses et de punitions, qui punit ceux qui disent la vérité et récompense ceux qui trompent le public, a laissé derrière lui une structure d’information complètement corrompue aux États-Unis et en Occident, en général.

Dans le courant dominant de la politique et des médias, il n’y a plus les freins et contrepoids qui protègent la démocratie depuis des générations. Ces mesures de protection ont été balayées par le flot du carriérisme.

La situation est d’autant plus dangereuse qu’il existe aussi un cadre en pleine expansion de propagandistes et de praticiens des opérations psychologiques, parfois sous l’égide de « communications stratégiques ». Sous les théories à la mode du « pouvoir intelligent », l’information est devenue simplement une autre arme dans l’arsenal géopolitique, les « communications stratégiques » étant parfois saluées comme l’option préférable à la « puissance dure », c’est-à-dire la force militaire.

On pense que si les États-Unis peuvent renverser un gouvernement gênant en exploitant les ressources des médias/propagande, en déployant des activistes formés et en diffusant des histoires sélectives sur la « corruption » ou d’autres fautes, n’est-ce pas mieux que d’envoyer les Marines ?

Bien que cet argument ait l’attrait superficiel de l’humanitarisme – c’est-à-dire l’évitement des conflits armés – il ignore la corrosivité des mensonges et des calomnies, creusant les fondations de la démocratie, une structure qui repose en fin de compte sur un électorat informé. De plus, l’utilisation intelligente de la propagande pour évincer les gouvernements désapprouvés conduit souvent à la violence et à la guerre, comme nous l’avons vu dans des pays ciblés, comme l’Irak, la Syrie et l’Ukraine.

Guerre plus large

Les conflits régionaux comportent également le risque d’une guerre plus large, un danger aggravé par le fait que l’opinion publique américaine est alimentée par des récits douteux destinés à exaspérer la population et à inciter les politiciens à « faire quelque chose ». Comme ces récits américains s’éloignent souvent d’une réalité bien connue des populations des pays ciblés, les histoires en contradiction rendent presque impossible la recherche d’un terrain d’entente.

Si, par exemple, vous souscrivez au récit occidental selon lequel le président syrien Bachar al-Assad gaze joyeusement de « beaux bébés », vous aurez tendance à soutenir les plans de « changement de régime » des néoconservateurs et des interventionnistes libéraux. Si, cependant, vous rejetez ce discours dominant – et croyez qu’Al-Qaïda et ses puissances régionales amies peuvent organiser des attaques chimiques pour amener les militaires américains à participer à leur projet de « changement de régime » – vous pourriez favoriser un règlement politique qui laisse le sort d’Assad au jugement ultérieur du peuple syrien.

De même, si vous acceptez l’histoire de l’Occident sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie et l’asservissement du peuple de Crimée par la force – tout en abattant le vol 17 de Malaysia Airlines sans raison particulière – vous pourriez soutenir des contre-mesures agressives contre « l’agression russe », même si cela signifie risquer une guerre nucléaire.

Nuland et Pyatt : Encourageant la rébellion à Maidan Nezalezhnosti

Si, d’autre part, vous connaissez le plan de Nuland-Pyatt pour évincer le président élu de l’Ukraine en 2014 et réalisez qu’une grande partie de l’autre récit anti-russe est de la propagande ou de la désinformation – et que MH-17 pourrait bien avoir été abattu par un élément des forces du gouvernement ukrainien et ensuite attribué aux Russes [voir ici et ici] – vous pourriez chercher des moyens d’éviter une nouvelle et dangereuse guerre froide.

À qui faire confiance ?

Mais la question est : à qui faire confiance ? Et il ne s’agit plus d’une question rhétorique ou philosophique sur la possibilité de connaître un jour la vérité complète. C’est maintenant une question très pratique de vie ou de mort, non seulement pour nous en tant qu’individus, mais aussi en tant qu’espèce et en tant que planète.

La question existentielle qui se pose est de savoir si, aveuglés par la propagande et la désinformation, nous tomberons dans un conflit nucléaire entre superpuissances qui pourrait exterminer toute vie sur terre ou peut-être laisser derrière nous la carcasse irradiée d’une planète qui ne conviendrait qu’aux blattes et à d’autres formes de vie résistantes.

Vous pourriez penser qu’avec des enjeux aussi élevés, les personnes en position d’éviter une telle catastrophe se comporteraient de manière plus responsable et professionnelle. Mais il y a aussi des événements comme le dîner des correspondants de la Maison-Blanche de samedi soir avec des vedettes des médias qui se promeuvent eux-mêmes avec leurs insignes du Premier Amendement. Et le président Trump se rend compte qu’en lançant des missiles et en parlant fort, il peut acheter de l’espace politique à l’establishment (même s’il vend des Américains moyens et tue des étrangers innocents). Ces réalités montrent que le sérieux est la chose la plus éloignée de l’esprit des initiés de Washington.

C’est tout simplement trop amusant – et trop rentable à court terme – de continuer à jouer le jeu et à ramasser les récompenses. Si et quand les nuages de champignons apparaîtront, ces carriéristes pourront se tourner vers les caméras et culpabiliser quelqu’un d’autre.

Le journaliste d’investigation Robert Parry a publié de nombreux articles sur Iran-Contra pour l’Associated Press et Newsweek dans les années 1980. Vous pouvez acheter son dernier livre, America’s Stolen Narrative, soit en version imprimée ici, soit en version électronique (Amazon et barnesandnoble.com).

Source : Robert Parry, Consortium News, 02-05-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Commentaire recommandé

Aladin0248 // 21.05.2018 à 07h10

Joli panorama de la cupidité, du narcissisme, de la lâcheté, et de la bêtise chez tous ces gens. On imagine aussi le levier du chantage utilisé par une administration qui sait à peu près tout sur la vie de ses valets. On est certain que le système est vérolé jusqui’à l’os et qu’on ne peut plus lui faire confiance. Ceux qui le louent méritent notre mépris. Concernant le « que faire ? ». Rien. Attendre la chute et rester propre sur soi. L’espoir est qu’il y ait toujours des gens comme Parry au milieu de toute cette fange.

16 réactions et commentaires

  • Aladin0248 // 21.05.2018 à 07h10

    Joli panorama de la cupidité, du narcissisme, de la lâcheté, et de la bêtise chez tous ces gens. On imagine aussi le levier du chantage utilisé par une administration qui sait à peu près tout sur la vie de ses valets. On est certain que le système est vérolé jusqui’à l’os et qu’on ne peut plus lui faire confiance. Ceux qui le louent méritent notre mépris. Concernant le « que faire ? ». Rien. Attendre la chute et rester propre sur soi. L’espoir est qu’il y ait toujours des gens comme Parry au milieu de toute cette fange.

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    • afredo // 21.05.2018 à 10h00

      On peut aussi faire quelque chose en évitant toute forme de respect et toute parole ou action qui donnerait de la légitimité à « ces gens là », au premier rang desquels les politiciens et leurs institutions, et les journalistes et leurs institutions.
      Cela contribue à leur chute.
      Apporter respect et légitimation à ceux là ralentit leur chute.

      Quant aux plus audacieux, ils pourront aller au delà, et de manière plus proactive, par leurs paroles et leurs actions, en ligne ou irl, pratiquer le manque de respect public envers eux, et pratiquer de façon publique aussi ce qui délégitime ceux là et les institutions corrompues qui les protègent.

        +7

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      • Chris // 21.05.2018 à 15h20

        Perso, j’applique cette recette depuis ma lecture du rapport Meadows en 1973.
        Une grande solitude… familiale et sociétale !

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    • rouille // 22.05.2018 à 08h52

      « Concernant le “que faire ?”. Rien. Attendre la chute et rester propre sur soi. »
      Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. Albert Einstein

        +1

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  • vert-de-taire // 21.05.2018 à 08h00

    Bien vu.
    J’ai depuis les années 60-70, la hantise d’une guerre nucléaire, comme Parry ; j’en faisais des cauchemars.
    Et tout me confirme que nos dirigeants se moquent de tout par opportunisme, veulerie …
    Les barrières intellectuelles de ‘la’ classe mondiale dirigeante pour la prévenir s’abaissent continûment face à l’exacerbation voulue des rapports de forces réels, imaginés ou factices.
    Le mensonge, la corruption, la violence, tous les moyens disponibles sont utilisés par la plupart des dirigeants. Les discours sur la démocratie, ententes, paix, … sont des fariboles. Il ne reste que l’errance individuelle opportuniste dans un panier de crabes où le plus fort du moment détruit/extermine les plus faibles et où les autres se prostituent pour survivre – individualisme extrémiste du capitalisme détruisant les solidarités autres que serviles.

    Le panier EST (aujourd’hui) le capitalisme.
    Le modèle capitaliste qui reproduit la loi du plus fort et pourrit la vie de tous.
    Le modèle capitaliste qui renforce le pouvoir par la fortune et ses capacités d’obtenir la servilité pourrit la vie de tous et inclut tout le vivant sur Terre.
    Le modèle capitaliste qui évolue par catastrophes dont l’ampleur augmente avec l’emprise. La mondialisation EST la mondialisation DU capitalisme. La prochaine cata. sera ‘intéressante’ … pour les survivants.

    Il vient de cela que
    l’homo-sapiens mondialisé est en voie probable d’auto-destruction (*), c’est plutôt une chance pour la raison, une tragédie pour une forme de vie sur Terre; ce sera autrement…
    On hésite entre la surpopulation (faim soif maladies tueries massives), les épidémies, l’hiver nucléaire, la Nature dévastée, .. aucune de ces possibilités n’excluant les autres. Quels espoirs d’éviter des effondrements vue l’impossibilité factuelle d’agir ?

    (*) je sais, cette idée vient de très loin et pour l’instant tout va bien, disons pour le presque mieux. Ma question est : est-ce qu’il existe encore des ‘gens raisonnables’ qui auraient le pouvoir d’éviter le pire ? C’est la question COROLLAIRE à ‘À qui faire confiance ?’
    Cela parait naïf voire stupide mais qui peut répondre ?
    Les faits munis de leur chronologie sont têtus.

      +19

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  • Emmanuel // 21.05.2018 à 08h02

    Cri de colère:  » le système actuel a laissé derrière lui une structure d’information complètement corrompue aux US et en occident en général  » . À quand un analyste sérieux qui s’attaquera à ce phénomène grandissant de la corruption dans la politique, les affaires et l’information ?

      +4

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  • Mite54 // 21.05.2018 à 08h19

    « Concernant le “que faire ?”. Rien. Attendre la chute et rester propre sur soi. L’espoir est qu’il y ait toujours des gens comme Parry au milieu de toute cette fange. »

    Oui merci pour ce commentaire. BAisser les bras. NE plus croire dans l' »autre »
    Ici aussi, nous assistons, impuissants, à cette mise en œuvre médiatique. Il faut impérativement afficher un large sourire lorsque nos dirigeants viennent rencontrer le peuple régional et s’assurer un bon matelas de citoyens « sur qui on pourra compter » lors d’échéances… » C’est comme si c’était fait dans notre region de Nancy.

      +6

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  • Alfred // 21.05.2018 à 09h32

    @ Aladin 0248 et @mite54,
    Je suis révolté par votre façon de vous protéger qui consiste à abandonner les derniers lutteurs comme Robert Parry à leur sort au lieu d’être inspiré par eux.
    Vous considérez que des gens comme Robert Parry constituent un espoir et vous abandonnez cet espoir à lui-même sans lui prêter main forte ? C’est odieux. Que peut il arriver ainsi à part la mort solitaire des derniers braves têtus? Ou pire leur découragement inspiré par ce genre d’abandon.
    Nous avons tous besoin de nous protéger mais il nous faut rétablir l’impératif moral de l’entraide et celui de la lutte (même ne serais ce qu’en parole). Sinon nous sommes morts.
    (Peut être sommes nous tous morts déjà mais il y a aussi l’art et la manière de « finir », debout ou couché).
    Remarquez au passage qu’il y a des milliers et des milliers de façon de ne pas « rien faire », de cesser de ne « rien faire » et que cela n’implique pas forcément de « faire quelque chose » (« s’acheter un soustif et se faire une manif » comme dit la chanson).
    La moindre inertie face à un changement mortifère est déjà une façon de « ne pas rien faire ».

      +17

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  • Duracuir // 21.05.2018 à 09h44

    Bien que pas chrétien, j’aime beaucoup la sagesse de certaines sentences de l’Évangile.
    Jésus, à qui les fidèles demandaient comment ils reconnaitraient les faux prophètes après son départ leur répondit:
    « vous reconnaitrez les arbres à leurs fruits ».
    Vous êtes Russe, voyez les fruits de Poutine.
    Vous êtes Chinois, voyez les fruits de Xi
    Vous êtes USain, voyez les fruits de W, Obama, Trump.
    Et quand il s’agit de savoir à qui faire confiance qui n’aurait pas été encore aux affaires, j’en reviens à la phrase d’un bon vieux radica roué ( Auriol?) : « la politique,c’est comme l’andouillette, ça doit puer un peu la m…, mais pas trop ».

      +8

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    • Philou // 21.05.2018 à 13h23

      Cette merveilleuse phrase est de Edouard Herriot, qui s’y entendait en compromissions et grenouillages.

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  • Le Rouméliote // 21.05.2018 à 15h01

    Cet excellent – comme toujours – article de Robert Parry aborde la question essentielle : à qui faire confiance ? Il démontre le carriérisme des journalistes et des politiques. Il faudrait ajouter aussi celui de bien des experts scientifiques et techniques qui sont devenus les justifications de politiques aussi stupides qu’intéressées pour maximiser les profits des grands lobbies et construire un contrôle social de plus en plus contraignant sur les citoyens au bénéfice des dirigeants politiques qui transforment les démocraties en dictatures. Le citoyen doit se contenter d’être un consommateur bêlant de « nouvelles technologies » voyageant en voiture électrique autonome en leasing tout en compulsant son bidulophone pour payer les péages, ses impôts et ses abonnements aux chaînes d’abrutissement de l’entertainment. Avec un peu de soupçon millénariste sur la fin de la planète provoquée par sa seule faute et de détestation obligatoire des méchants garantis sur facture, de Poutine à Netanyahou et de Trump à Maduro ou à Rohani (on a la choix, selon ses convictions…) le tableau est complet et le piège est bien refermé.

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  • lephil // 21.05.2018 à 15h11

    C’est Sun Tsu qui avait dit dans l’art de la guerre que la plus grande des victoires étaient de gagner la guerre sans livrer de batailles…..

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    • Chris // 21.05.2018 à 15h22

      La bataille des esprits est la plus difficile surtout quand elle affronte l’inconnaissance.

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  • Tepavac // 22.05.2018 à 15h24

    A qui faire confiance?

    Et bien au vu de l’énoncé de l’a question, il semblerait que le « quoi » serait plus adapté que le « qui ».
    Le décapage de Wal-Mart, ainsi que du groupe Carrefour sont un indice bien plus parlant que le verbiage médiatique de « nos » esclaves adorateurs du veau d’or.
    Concernant la réponse possible, même si cela est exprimé avec quelques émotions, je partage la conviction d’Alfred.
    Në rien faire, ne pas réagir est un blanc-seing donné aux crapules et au laissé-aller general.
    Inversement, réagir avec trop d’émotion alimente la folie des va-en-guerre.
    L’expérience de la tragédie de 1993 dans les Balkans démontre, que la seule voie envisageable face aux manipulations de toutes sortes, reste la préparation personnelle au pire tout en maintenant le dialogue et les relations avec toutes les autres populations Européennes au niveau particulier. Pour ceux qui ont suivi les billets journaliers du blog, comprennent l’efficacité d’une telle réaction où l’information s’est propagée jusque dans les demeures les plus obscures et à fini par abattre une entreprise de destruction à 5 milliards d’euro puissance.
    Pour l’occasion, merci à Nicolas, Thalie, Vincent Parlier, tant d’autres anonymes et à notre Olivier B, pour nous avoir éclairé sur cette entreprise criminelle.

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  • Bouddha Vert // 23.05.2018 à 00h01

    La démocratie est apparue dans les pays en croissance économique.
    Vu l’état de dévastation écologique de la planète et surtout des ressources qui ne pourront suivre la croissance des populations et de leurs consommations je trouve que ce qui nous arrive est logique, le contraire serait même étonnant (quand on y réfléchi!).

    Encore une fois, quel quidam est prêt à épouser le programme politique qui promet plus de travail, plus de sueurs et un pouvoir d’achat qui baisse? 0,5% de la population?
    Et c’est pourtant une partie de la solution!

    Donc les mecs en qui on devrait avoir confiance, on ne les écoute pas et après on chiale parce que tout va mal.

    Les politiques n’étant pas fou et restant à l’écoute de nos désirs font ce qu’il faut pour les satisfaire, quitte à écraser quelques principes.
    CQFD

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