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22.mai.201822.5.2018 // Les Crises

Corée-Iran : 2 bombes, 2 mesures, par Guillaume Berlat

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Source : Proche & Moyen-Orient, Guillaume Berlat, 07-05-2018

« Le vrai miracle n’est pas de marcher sur les eaux ni de voler dans les airs : il est de marcher sur la terre » (Houeï Neng). Il est de jours ordinaires qui cachent des moments extraordinaires de l’histoire des relations internationales. Moments qui peuvent s’apparenter à des miracles diplomatiques. Le vendredi 27 avril 2018 en est un pour celui qui souhaite aller au-delà de l’écume des jours et des commentaires superficiels de médias enkystés dans leur routine. À la fin de l’année 2017, Donald Trump nous promettait de nous rejouer « Apocalypse Now » en écrasant le dictateur nord-coréen, Kim Jong-un qu’il affublait du qualificatif de « Little Rocketman ». En ce printemps 2018, le ton a changé. Ce serait plutôt du genre « Embrassons-nous Folleville ! », la paix est pour demain après la rencontre entre les deux présidents coréens le 27 avril 2018 à Panmunjon. Elle en annonce en principe, une autre aussi historique, entre Donald Trump et Kim Jong-un dans les semaines à venir. Cette « Success Story » doit également s’apprécier à la lumière des derniers développements du dossier nucléaire iranien. Elle démontre l’effacement total de l’Union européenne derrière les États-Unis dans ces deux affaires particulièrement sensibles.

LA DÉCLARATION DE PANMUNJON : UN PARFUM EXTRÊME-ORIENTAL

Les résultats de la rencontre historique du 27 avril 2018 doivent s’apprécier à l’aune des canons des relations internationales et de la diplomatie.

De l’incertitude dans les relations internationales

Qui aurait pu imaginer, prévoir, il y a un an encore, que les deux présidents coréens se rencontreraient, le 27 avril 2018, sur la ligne de démarcation créée après l’armistice de 1953 pour enterrer la hache de guerre ?1 Qui aurait pu imaginer, qu’après les sommets de 2000 et de 2007 peu productifs, une déclaration conjointe serait conclue entre les deux protagonistes du drame coréen, scellant ainsi l’engagement des deux pays à conclure un traité de paix et à dénucléariser la péninsule ? Ce texte envisage d’appeler à des rencontres au plus haut niveau entre les signataires de l’armistice de 1953 (Chine, États-Unis, Corée du nord) qui mettait fin à une guerre de trois ans. Les plus pessimistes – souvent adeptes de la diplomatie de la canonnière – notent que l’accord ne comporte ni définition concrète du concept de « dénucléarisation complète », ni mécanisme de vérification précis et détaillé pas plus que de calendrier contraignant. Ils oublient de préciser que Rome ne s’est pas faite en un jour. Le temps historique des relations internationales n’est pas le temps médiatique des perroquets à carte de presse. Utile rappel à l’ordre pour commentateurs à la petite semaine ! La diplomatie ne connaît pas les coups de baguette magique pas plus que les coups médiatiques. Elle travaille exclusivement sur les réalités, préférant laisser le soin de galoper sur les nuages aux poètes et autres philosophes qualifiés de visiteurs du soir.

De la rationalité matérielle de la diplomatie

Dans la négociation diplomatique comme dans la construction immobilière, on ne pose pas le toit d’une maison avant d’avoir jeté les bases de l’édifice. Dans le cas contraire, c’est ce que l’on appelle mettre la charrue avant les bœufs et l’on se promet des lendemains difficiles. Il aura fallu un exercice de diplomatie sportive avec les Jeux Olympiques d’hiver de Pyeongchang (février 2018)2 pour mettre enfin le train sur les bons rails, permettre des rencontres d’experts de haut niveau pour pouvoir déboucher sur cette rencontre au niveau des chefs d’État.

Même si la route est longue et parsemée d’embûches, elle est prometteuse d’un renouveau sur la péninsule3. Contrairement à la démarche court-termiste des médias, la diplomatie doit toujours s’envisager sur le long terme. La rencontre du 27 avril 2018 – même aussi symbolique et historique qu’elle soit – est une étape parmi d’autres sur le chemin difficile de la paix4. Il pourra y avoir des avancées mais aussi des reculs avant de parvenir au but ultime : dénucléarisation de la péninsule, paix (avec ou sans présence de troupes résiduelles américaines ?), établissement de relations diplomatiques, réunification (un jour proche ou lointain ?), traité de non-agression entre Washington et Pyongyang …5

De la rationalité opérationnelle de la diplomatie

Dans la négociation diplomatique comme dans le domaine de la chimie, il faut nécessairement disposer des composants indispensables mais aussi du catalyseur qui permet à la réaction de se faire. Les meilleurs accords sont ceux qui sont conclus entre les parties intéressées. Comme l’a déclaré le président Moon Jae-in en 2017 : « les problèmes de la Corée doivent être réglés par la Corée ».

Ce sommet intercoréen intervient avant celui entre États-Unis et Corée du nord, histoire au passage de préempter le débat6. Vraisemblablement poussé au compromis par la Chine7 et fragilisé par le poids des sanctions, Kim Jong-un a estimé le moment opportun pour négocier en raison de la position de force dans laquelle il se trouvait compte tenu de la sophistication avancée de son programme nucléaire et de son programme balistique.

Il est clair qu’il ne lâchera pas la proie pour l’ombre. Si au surplus, il obtenait une reconnaissance officielle du locataire de la Maison Blanche (Cf. sa rencontre prochaine avec Donald Trump qui rêve déjà à un prix Nobel de la paix pour sa contribution au règlement de la crise nord-coréenne8) et un traité de non-agression avec les États-Unis9, l’accord ne serait pas trop défavorable pour lui. En dernière analyse, il estime vraisemblablement que l’accord final sera pour lui un accord gagnant-gagnant.

C’est un pari risqué mais il estime que le jeu en vaut la chandelle et que le moment est venu de sauter le pas. Une sorte de saut dans l’inconnu. Il change même de fuseau horaire pour aligner son heure sur celle de Séoul afin de démontrer sa bonne volonté dans cette affaire.

Du volontarisme et de l’optimisme dans la diplomatie

Comme le souligne justement l’ancien ambassadeur, François Nicoullaud : « Mais je crois que c’est vraiment le président sud-coréen Moon Jae-in qui peut s’attribuer le mérite de cette rencontre et de l’avancée historique qui a été faite tout à l’heure, avec la déclaration de Panmunjom. Il a déployé d’intenses efforts, depuis son arrivée au pouvoir, pour renouer le dialogue avec son tonitruant homologue nord-coréen. Quitte à se froisser avec les équipes de Trump lors de la visite du vice-président américain, qui s’est révélée chaotique. Aujourd’hui, les efforts de Moon Jae-in sont récompensés, et les annonces faites vont au-delà de ce que l’on pouvait espérer… Je crois qu’il faut toujours être optimiste, lorsque l’on fait de la diplomatie »10.

Le 29 avril 2018, nous apprenons par ailleurs que le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un aurait promis de fermer son site d’essais nucléaires en mai et d’inviter des experts sud-coréens et américains à y assister. D’après Séoul, le numéro un nord-coréen a fait cette promesse lors de son sommet historique avec le président sud-coréen Moon Jae-in.

Il faut vouloir pour obtenir le résultat escompté. En dépit de sa conception verticale du pouvoir, Jupiter est absent du règlement de ce conflit11. Beaucoup d’agitation pour rien, y compris celle du médiocre Jean-Yves Le Drian lors de sa participation remarquée aux JO d’hiver en Corée du sud. Hier à Washington, demain à Canberra, notre divin vibrion n’a rien à proposer pour régler toutes ces crises, hormis ces propos de bonimenteurs de foire…

Nous sommes dans la diplomatie du tournis ; dans la diplomatie de l’essuie-glaces, un sujet en effaçant un autre ; dans la diplomatie médiatique, l’annonce étant plus importante que le résultat concret de la rencontre. Amusant mais surtout dramatique pour un jeune freluquet qui croit réintroduire la France dans le jeu diplomatique.

Mais, il faut élargir la focale de notre appareil pour observer ce qui se passe du côté de Washington et de Téhéran.

LA DÉCLARATION DE PANMUNJON : UN PARFUM ORIENTAL

Pour mieux comprendre la portée de cet événement historique, il importe de l’appréhender dans un contexte de globalité des relations internationales, de crédibilité du droit international, de manque de sérieux des Européens et du poids de l’atome dans le monde de ce début du XXIe siècle.

La globalité des relations internationales

Tout est dans tout et vice-versa nous rappelle fort à propos Alphonse Allais, journaliste, écrivain et humoriste français prolixe de la seconde moitié du XIXe siècle. C’est qu’aujourd’hui, alors que la date butoir du 12 mai 2018 approche à grands pas, le problème coréen ne peut être appréhendé in abstracto en dehors du contexte international de grandes tensions entre les grands et des avatars les plus récents du dossier nucléaire iranien. Existe, qu’on le veuille ou non, une interaction entre ces deux dossiers nucléaires emblématiques, une sorte de lien de connexité tellement le traitement de l’un impressionne celui de l’autre.

L’échec du règlement du dossier iranien, en raison des exigences extravagantes américaines, ne peut que jeter une lumière crue sur le dossier nord-coréen. « Ses interlocuteurs nord-coréens peuvent douter de la crédibilité de la parole donnée par les États-Unis s’ils s’engagent dans un processus alors qu’ils remettent en cause l’accord avec l’Iran »12. Quelles garanties pourrait alors disposer le président nord-coréen que la renonciation à son programme nucléaire – sorte d’assurance tout risque de la survie de son régime – ne lui vaudra pas quelques demandes reconventionnelles étrangères au dossier strictement nucléaire dans les mois ou dans les semaines à venir ? La confiance est le meilleur ciment de la paix et de la sécurité internationales que l’on ait inventé depuis la nuit des temps. Sans elle, rien de durable ne peut être envisagé. Il faut s’appeler Donald Trump pour penser que le renoncement unilatéral sur le dossier iranien aurait une vertu, celle d’adresser un « bon signal à la Corée du nord »13. Quelle candeur digne d’un authentique de bateleur de foires !

La crédibilité du droit international

Sur le dossier nucléaire iranien. C’est que les relations internationales sont régies par un ensemble de normes juridiques dont la quintessence se trouve dans la Charte de l’ONU adoptée en 1945. Elle a pour objectif essentiel de régler les différends de manière pacifique et de rendre la guerre plus difficile, voire impossible. Elle repose sur le principe du respect des accords conclus qui se résume par la formule latine Pacta sunt servanda. Or, qu’on le veuille ou non, en conditionnant la levée des sanctions imposées au régime iranien, en réponse à sa violation du traité de non- prolifération (TNP), à des conditions draconiennes non expressément contenues dans l’accord du 14 juillet 2015 (programme balistique, présence militaire en Syrie, appui au Hezbollah libanais), les Américains se mettent de facto, si ce n’est de jure « hors-la-loi ». Porter ainsi un coup de canif aussi déloyal à un accord conclu de bonne foi et mis en œuvre intégralement par les Iraniens selon les rapports successifs de l’AIEA ne peut que mettre à mal le système global de gouvernance internationale mis en place en 1945 (contrairement à ce que prétend le premier ministre israélien dans un numéro de communication bien réglé).

C’est ce que l’on appelle jouer les pyromanes en prétendant dans le même temps se ranger dans la catégorie des pompiers de l’incendie planétaire14. Duplicité éternelle de la diplomatie et de ceux, en particulier, qui sont censés donner le bon exemple ! Il ne faudra pas s’étonner, si après une rebuffade américaine le 12 mai 2018, Téhéran reprenne ses programmes nucléaire et balistique tout en se rapprochant de Moscou qui renforce sa présence en Syrie et de Pékin qui en fait de même dans le Pacifique15 tout en déroulant patiemment ses « nouvelles routes de la soie ». On mesure ainsi que tout est dans tout. Le manque de stratégie et de prévision des Occidentaux aura des conséquences négatives sur le climat général des relations internationales dans un avenir proche. Ils seront bien mal placés pour feindre la sidération et pousser des cris d’orfraie.

Sur le dossier chimique syrien. Comment, dans ces conditions, croire un seul instant à la bonne foi d’Emmanuel Macron et de Theresa May sur les armes chimiques, autres armes de destruction massive ? Les deux dirigeants ont appelé, le 29 mars 2018, la communauté internationale à renforcer l’interdiction des armes chimiques (on ne sait pas ce que cela veut dire concrètement16), à l’occasion du 21ᵉ anniversaire de la Convention les proscrivant. « À l’occasion du 21ᵉ anniversaire de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques, et après les événements de Douma et Salisbury, Theresa May et moi appelons la communauté internationale à renforcer avec nous l’interdiction de ces armes de destruction massive », écrit Jupiter sur Twitter, le nouveau vecteur de la diplomatie française. « Il y a 21 ans, la Convention sur l’interdiction des armes chimiques a banni l’usage, le développement, la production et le stockage de ces armes terribles. Emmanuel Macron et moi réaffirmons notre attachement à cet accord, et appelons les autres nations à se joindre à notre position ferme : nous ne devrions jamais revenir en arrière », tweete le 10 Downing Street. La Convention est entrée en vigueur le 29 avril 1997.

L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) chargée de la mettre en œuvre rassemble 192 pays et siège à La Haye. Comment croire au sérieux de nos dirigeants alors même qu’ils n’ont pas attendu l’arrivée des inspecteurs de l’OIAC en Syrie avant de lancer leurs frappes « légitimes et proportionnées » sans la moindre preuve ? Drôle de manière de crédibiliser le droit international en général et de l’OIAC, en particulier ! Le temps est révolu où ladite organisation avait un directeur général indépendant qui refusait d’obéir aux Diktats d’un certain John Bolton. On sait ce qui lui en a coûté au début de l’année 2003 au moment où les Américains avaient décidé de remettre de l’ordre en Irak, motif pris de la présence d’armes de destruction massive dans le pays que l’on n’a du reste jamais trouvées. Il s’agissait d’un diplomate brésilien de talent, polyglotte, savant, cultivé du nom de José Bustani dont nous avons, à plusieurs reprises, évoqué le chemin de croix.

La morale de sa triste histoire devrait être méditée par les prétendus multilatéralistes de tout poil. Mais, tout ceci est balayé, oublié comme le chantait en son temps, Edith Piaf !

Le manque de sérieux des Européens

Durs sur le strict respect de l’accord conclu le 14 juillet 2015 à Vienne en début d’année 2018, les dirigeants européens sont soudainement devenus mous sous les amicales pressions du maître de Washington au printemps de cette même année. Nous pensons tout particulièrement à la débandade en rase campagne d’Emmanuel Macron lors de sa récente visite à Washington sur le dossier iranien17. Sans parler des propos accommodants d’Angela Merkel tenus deux jours plus tard dans le bureau ovale. Il suffit que le maître américain se raidisse pour que le caniche européen obéisse immédiatement au doigt et à l’œil, oubliant les valeurs et l’état de droit dont il se gargarise à longueur de temps. Quelle triste image le couple franco-allemand, et par voie de conséquence, les 27/28 donnent-ils de leur indépendance réelle et de la crédibilité de l’Union européenne dans le concert des nations !

Plus que le spectacle de l’Union européenne, c’est celui de la désunion européenne qu’offrent les États membres à la face du monde. Russes et Chinois rient sous cape en assistant à pareil vaudeville mais en moins amusant. La servitude volontaire fonctionne à plein régime à l’Ouest. Rien de nouveau, pourrait-on dire… Les alliés de l’Amérique ne sont en réalité que de vulgaires alignés. Mais, la danseuse européenne avec sa kyrielle de fonctionnaires inutiles (Cf. son Service européen d’action extérieure ou SEAE, sorte d’appareil diplomatique creux et vide à la fois) pèse lourd sur le budget européen. Quand Jupiter proposera-t-il à ses homologues de dégraisser le mammouth bruxellois comme il veut le faire en France en réduisant la représentation de l’assemblée nationale et du sénat ? L’Europe ne marchait pas si mal à l’époque lointaine de la coopération politique européenne (CPE). L’Europe des nations avait ses vertus que l’Europe des technocrates que l’on veut nous faire avaler à l’insu de notre plein gré. Nos dirigeants seraient bien inspirés de s’en souvenir au moment où Jupiter s’époumone à vouloir transformer l’Europe contre ses pairs.

Le poids important de l’atome

Il faut que tout change pour que rien ne change. Vouloir mettre à mal le régime de non-prolifération nucléaire comme le fait Washington avec la complicité plus ou moins passive de ses idiots utiles d’alliés, c’est s’engager sur une voie dangereuse. Si le président nord-coréen peut négocier en position de force, c’est que l’arme nucléaire lui confère un avantage comparatif non négligeable qui lui permet de parler d’égal à égal avec Donald Trump. Il va sans dire que, sans la possession d’une telle arme, il y a belle lurette que la Corée du nord aurait été ensevelie sous un tapis de bombes intelligentes américaines. Il ne faut pas de faire d’illusion car ceci a été annoncé publiquement, si le président iranien était soumis à de nouvelles sanctions américaines, il reprendrait aussitôt ses activités d’enrichissement de l’uranium.

Il inquiéterait Saoudiens et autres Israéliens au Proche et au Moyen-Orient et ferait monter la tension d’un cran dans la région, y relancerait la course aux armements (y compris les armes de destruction massive), ce dont elle n’a surtout pas besoin. Les relations internationales sont encore dépendantes des rapports de force. Au moment où la France peine à boucler son budget des armées, elle serait bien inspirée de sanctuariser sa force de dissuasion nucléaire qui constitue sa garantie ultime de conserver son statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, de peser plus que son poids intrinsèque le lui permettrait sur la scène internationale ! Petites causes, grands effets ! Tout ceci prête à réflexion stratégique et sur le long terme et non à d’inutiles coups de menton médiatiques sans lendemain. Nous en sommes encore loin après un an de présidence jupitérienne18.

« On ne fait pas de politique autrement que sur des réalités. Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l’Europe ! L’Europe ! mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien. Je le répète, il faut prendre les choses comme elles sont » disait le général de Gaulle, 14 décembre 1965. En 2018, quel constat pouvons-nous dresser sur le monde ? L’ordre mondial que nous – les Occidentaux – prétendons porter sur les fonts baptismaux n’est en fait qu’une illusion, un leurre, une chimère. À la faveur de la crise coréenne mais surtout iranienne, l’Union européenne apparait comme un organisme affaibli, miné de l’intérieur par ses divisions. Quant à ses membres, ils devraient redécouvrir que « la politique étrangère ne consiste pas à ne fréquenter que ceux qui sont d’accord avec nous ou à convertir à le monde à nos valeurs comme des missionnaires… mais à traiter avec lui, au mieux de nos intérêts et de nos valeurs »19. Prenons garde que l’enchaînement des crises conduise inexorablement, par contamination et réactions successives, au chaos généralisé20.

Rappelons que c’est Dominique de Villepin et son collègue allemand qui ont lancé en 2002 l’initiative diplomatique qui a abouti à l’accord de 2015 avec l’Iran. Il s’agissait, à l’époque, d’éviter d’entrer dans une spirale de la violence. L’irrespect amène l’irrespect. La violence incite à la violence. Si tel devait être le cas, le moins que nous puissions dire, est que nous l’aurions bien cherché. Au cours de ces cent derniers jours en Corée, nous avons, heureusement, assisté à un vol de colombes, conséquence de l’esprit de sacrifice21 des principaux protagonistes régionaux de la crise. Un remake de L’homme à la colombe, version Romain Gary !22

Guillaume Berlat
7 mai 2018

1 Philippe Mesmer, Retrouvailles historiques entre les deux Corées, Le Monde, 28 avril 2018, pp. 1 et 4.
2 Guillaume Berlat, Corée (s) ou la diplomatie du Kimchi, www.prochetmoyen-orient.ch , 5 mars 2018.
3 Éditorial, Corées : la longue route du rapprochement, Le Monde, 29-30 avril 2018, p. 24.
4 Philippe Mesmer/Philippe Pons, Les deux Corées passent un cap vers la paix, Le Monde, 29-30 avril 2018, p .2.
5 François Godement, En Corée, la paix n’est pas encore pour demain, Le Monde, 3 mai 2018, p. 23.
6 Antoine Perraud, En attendant Trump, les deux Corées se rapprochent, www.mediapart.fr , 26 avril 2018.
7 Brice Pedroletti, La Chine souhaite avoir son mot à dire dans la détente en Corée, le Monde, 4 mai 2018, p. 3.
8 Sylvie Kauffmann, En attendant le Nobel de Trump, Le Monde, 3 mai 2018, p. 24.
9 Philippe Mesmer, Kim Jong-un promet de fermer son site d’essais nucléaires dès mai. Le dirigeant nord-coréen exige un traité de non-agression avec les États-Unis, Le Monde, 2 mai 2018, p. 5.
10 François Nicoullaud (entretien avec Paul Sugy), Sommet intercoréen : « Il faut laisser sa chance à la paix », www.lefigaro.fr , 27 avril 2018.
11 Ellen Salvi, Emmanuel Macron ou la verticale du pouvoir, www.mediapart.fr , 29 avril 2018.
12 Mohammad-Reza Djalili, « L’Iran est forcé de se lier davantage à Pékin et Moscou », Le Monde, 2 mai 2018, p. 18.
13 Gilles Paris/Piotr Smolar/Marc Semo, Nétanyaouh veut torpiller l’accord nucléaire iranien, Le Monde, 3 mai 2018, pp. 1-2-3.
14 Alain Dejammet, L’incendie planétaire. Que fait l’ONU ?, éditions du Cerf, 2015.
15 Isabelle Dellerba/ Harold Thibault, Les Occidentaux s’inquiètent de l’influence chinoise dans le Pacifique, Le Monde, 2 mai 2018, p. 5.
16 Les experts de la chose multilatérale savent que la mise en œuvre d’une convention donne lieu, à intervalles réguliers (le plus souvent de 5 ans) à la réunion d’une conférence d’examen à l’occasion de laquelle est étudié le passé (comment le texte a-t-il été appliqué ou contourné ?) et, surtout, le futur en proposant des dispositifs plus ou moins sophistiqués d’amélioration du fonctionnement de l’accord international. À titre d’exemple, on peut citer l’exemple de la déclaration sur les principes et objectifs adoptés en 1995 lors de la conférence d’examen du traité de non-prolifération (TNP) qui envisageait la conclusion d’un traité d’interdiction des essais nucléaires (TICEN adopté en 1996) et celle d’un traité d’interdiction de la production des matières fissiles à des fins militaires (TIPMF toujours dans les cartons). Pourquoi la France ne présente-t-elle pas des propositions de renforcement à ces occasions tout en sachant que toutes ces modifications ou ajouts doivent être adoptés par consensus.
17 René Backmann, Nucléaire iranien : la reculade de Macron face à Trump, www.mediapart.fr , 28 avril 2018.
18 Ivan Rioufol, An I, Macron se trompe de route, Le Figaro, 4 mai 2018, p. 15.
19 Hubert Védrine, Sauver l’Europe !, Liana Levi, 2016, p. 67.
20 Didier Le Bret, L’homme au défi des crises, Robert Laffont, 2017, p. 14.
21 Dominique de Villepin, Les Cent-Jours ou l’esprit de sacrifice, Perrin, 2001.
22 Fosco Sinibaldi (Romain Gary), L’homme à la colombe, Gallimard, 1958.

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Source : Proche & Moyen-Orient, Guillaume Berlat, 07-05-2018

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Commentaire recommandé

Michel B. // 22.05.2018 à 08h55

« On ne fait pas de politique autrement que sur des réalités. Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l’Europe ! L’Europe ! mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien. Je le répète, il faut prendre les choses comme elles sont »

Cette citation de de Gaulle illustre à merveille la transition en cours dans les relations internationales, provoquée par l’élection de Trump et l’accession au trône de MbS en Arabie Saoudite.

Depuis des années on nous raconte des histoires, on nous embellit des accords internationaux, on nous vend la paix en vendant plus d’armes que jamais, etc. C’est dans l’écart entre la réalité et les discours que Trump s’est engouffré pour tenter de remettre à plat ce foutraque. Voir l’état de panique stratégique dans lequel il plonge ainsi ses adversaires et partenaires politiques montre à quel point il vise juste.

On parle des bombes et des guerres, il y a aussi le commerce : les USA sont en passe de signer un accord avec les Chinois pour « acheter autant que les fermiers US pourront produire » (https://twitter.com/realDonaldTrump/status/998553122179084290). Une réalité concrète un peu plus parlante que les accords à sigles barbares qui permettent aux élites de faire des affaires juteuses (voir les familles Biden et Kerry avec la Chine : https://nypost.com/2018/03/15/inside-the-shady-private-equity-firm-run-by-kerry-and-bidens-kids/).

Il est temps que l’Europe se réveille et arrête de se raconter des histoires.

4 réactions et commentaires

  • Seraphim // 22.05.2018 à 08h51

    En tout état de cause, le cas de la Corée (Corée du nord ayant la bombe et pas l’énergie nucléaire, Corée du sud ayant l’énergie nucléaire et pas la bombe) et celui de l’Iran (énergie nucléaire civile, pas de bombe) montre bien le découplage total de ces deux projets « nucléaires », l’un civil l’autre militaire. Malgré les déclarations stupides de générations de dirigeants incultes américains, dont Al Gore en tête le 18 septembre 2006: »durant mes 8 années à la maison blanche, toutes les questions de prolifération d’armes nucléaires que nous avons eu à traiter étaient liées à un programme nucléaire civil ». Aussi clairvoyant que l’arrêt du gulf stream et la montée des mers de 6 mètres en 50 ans?

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  • Michel B. // 22.05.2018 à 08h55

    « On ne fait pas de politique autrement que sur des réalités. Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l’Europe ! L’Europe ! mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien. Je le répète, il faut prendre les choses comme elles sont »

    Cette citation de de Gaulle illustre à merveille la transition en cours dans les relations internationales, provoquée par l’élection de Trump et l’accession au trône de MbS en Arabie Saoudite.

    Depuis des années on nous raconte des histoires, on nous embellit des accords internationaux, on nous vend la paix en vendant plus d’armes que jamais, etc. C’est dans l’écart entre la réalité et les discours que Trump s’est engouffré pour tenter de remettre à plat ce foutraque. Voir l’état de panique stratégique dans lequel il plonge ainsi ses adversaires et partenaires politiques montre à quel point il vise juste.

    On parle des bombes et des guerres, il y a aussi le commerce : les USA sont en passe de signer un accord avec les Chinois pour « acheter autant que les fermiers US pourront produire » (https://twitter.com/realDonaldTrump/status/998553122179084290). Une réalité concrète un peu plus parlante que les accords à sigles barbares qui permettent aux élites de faire des affaires juteuses (voir les familles Biden et Kerry avec la Chine : https://nypost.com/2018/03/15/inside-the-shady-private-equity-firm-run-by-kerry-and-bidens-kids/).

    Il est temps que l’Europe se réveille et arrête de se raconter des histoires.

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  • moshedayan // 22.05.2018 à 21h15

    Il est temps que l’Europe se réveille, dites-vous Michel B mais quelle Europe, ? Je n’entends pas celle de l’Atlantique à l’Oural, celle qui sait être le cap de l’Eurasie comme le disait Paul Valery. Sans cette intime conviction, rien ne sera possible face aux Etats-Unis, selon moi (je peux me tromper d’ailleurs, puisque tous vos dirigeants sont convaincus qu’être la « tête de pont » de la civilisation euro-américaine est votre avenir depuis 1944 (comme « l’arche d’alliance »). Si c’est ça, pourquoi évoquer en France des réponses aux « injonctions » américaines, puisque la France est « dans le monde américain ». Le chemin qui reste à faire : l’UE fédérale 52e et 53e Etats des USA après tout il y a bien Porto Rico.
    Jacques Sapir a raison de développer le thème de « rupture totale » et différente des schémas classiques. Cela signifierait : sortir de l’OTAN, rompre des coopérations … la France en souffrirait mais elle en sortirait – c’est un prix cher à payer. L’Histoire en mouvement dira ce qu’il adviendra;

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    • Michel B. // 22.05.2018 à 23h23

      Bonsoir Moshedayan, en parlant d’Europe je ne pensais pas institutions, mais peuples. Sortir les néo-libéraux par les urnes ou par la rue parait un chemin moins incertain que d’espérer voir le monstre se réformer de lui-même.

      De toutes façons il n’y a pas le choix, quoiqu’en pensent les instances européennes, le changement international est en route, et c’est clairement Trump qui impose l’agenda. Les secousses ont commencé avec l’accord iranien, elles vont se poursuivre sur le commerce, sans parler des intrusions britanniques dans la campagne présidentielle (à ce sujet la phase judiciaire semble s’ouvrir aux USA).

      Autant Trump déroule une démarche préparée et planifiée de longue date, autant les ronds de cuir de Bruxelles récupérant entre deux gueuletons ont dû, comme les Démocrates US, ne jamais imaginer autre chose qu’une victoire de Clinton. Pour eux, le réveil est brutal.

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