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2.septembre.20162.9.2016 // Les Crises

L’année … vue par la philosophie : Grand entretien avec Régis Debray

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Source : France Culture, le 5 février 2016.

[Note du transcripteur] Par pure reconnaissance, voilà dans quel état d’esprit j’ai été amené à retranscrire la conférence donnée en début d’année par Régis Debray dans le cadre de l’émission de France Inter “Les nouveaux chemins de la connaissance” à la Sorbonne. Pourquoi cette marque de gratitude envers Régis Debray ? Tout simplement parce qu’en l’écoutant évoquer Walter Benjamin et son ouvrage-testament “sur le concept d’histoire”, ce dernier est devenu l’un de mes livres de chevets, un phare poético-philosophico-littéraire pour éviter les zones dangereuses et nous ramener à bon port en ces moments de gros temps civilisationnel !

 

Merci mes amis. Tout l’honneur est pour moi. Excusez le trépied, je suis contrarié du côté droit…je penche du côté gauche et j’essaierai de ne pas être trop contrariant.

Ne croyez pas que je vais botter en touche en réfléchissant à la place que l’on peut faire aujourd’hui à un météore franco-allemand, Walter Benjamin.

Je rappelle les dates: 1892-1940. Un météore qui n’aura de son vivant trouvé aucune place. Ni à Berlin qui l’a chassé, ni à Paris qui l’a snobé ni à Moscou qui l’a déçu ni à Jérusalem où l’attendit en vain son grand ami Ghersom Sholelm, l’exégète mystique de la Kabbale, ni à New-York qu’il a manqué pouvoir rejoindre comme ses amis de l’école de Francfort plus chanceux l’ont fait.

Ce double national sans nationalité, déchu de sa nationalité, multi-identitaire sans papiers d’identité s’est suicidé, à Portbou, le 26 septembre 1940.

Portbou c’est juste en deçà des Pyrénées, du côté espagnol. Il s’est suicidé pour ne pas se voir reconduit de l’autre côté de la frontière où les autorités françaises l’auraient remis dans les mains de la gestapo en sa triple qualité de Juif, de communiste et d’apatride.

Oui, quelle place peut-on faire à ce passant considérable que l’on ne doit pas laisser passer ? Je crois que c’est la place d’un lanceur d’alerte, d’un Edward Snowden métaphysique. Ce n’est pas le précurseur de la psychologie de l’heure ni le critique de la culture que je voudrais évoquer ici. C’est le prévisionniste méconnu. L’auteur énigmatique des dix neuf thèses sur le concept d’histoire. C’est le titre de ce texte qui fut pour ainsi dire son testament et qu’Hannah Harendt a pu par miracle ramener avec elle en Amérique.

Au plus fort de la détresse européenne, au moment du pacte germano-soviétique, au moment où au déshonneur s’ajoutait la guerre, Benjamin a voulu s’expliquer l’étrange défaite. Comment ? En matérialiste, instruit à l’école de Marx et fidèle à la tradition des opprimés. Qu’est-ce que l’on trouve dans cette bouteille à la mer ? Des propos absolument incongrus, des propos absolument dérangeants. Aussi dérangeants que les manuscrits alchimiques de Newton. On y lit quelque chose comme ça : “le matérialisme historique pour continuer d’affronter victorieusement ses adversaires doit s’assurer des services de la théologie”. On y lit que : “les socio-démocrates, ces grands ennemis de la nostalgie et du passéisme doivent s’enlever de la tête l’idée rassurante d’un temps mécanique et prédestiné qui leur serait toujours favorable où le progrès joue gagnant à tous les coups quand seuls d’anciens éclats du temps messianique peuvent remettre du futur dans le présent”.

Walter Benjamin, ce critique d’art que l’on peut bien appeler un poète conceptuel, toujours aux frontières entre la littérature et la philosophie, nous invite à “laisser à d’autres le soin de se dépenser au bordel de l’historicisme en compagnie de la putain “Il était une fois”. Pourquoi ?

Parce que dit-il :”le passé n’est jamais clos et achevé il est inachevable”. Il ne cesse de naître et de renaître, c’est un passé-avenir (ou un passé à venir), un pistolet à plusieurs coups. Et pour citer Benjamin encore une fois: “A l’heure où gisent à terre les politiciens en qui les adversaires du fascisme avaient mis leurs espoirs. A l’heure où ils aggravent leur défaite en trahissant leur propre cause, nous voudrions libérer le siècle des filets dans lesquels ils l’ont entortillé. Le point de départ en est la foi aveugle de ces politiciens dans le progrès. Leur confiance dans le soutien massif de la base et finalement leur adaptation servile à un appareil politique incontrôlable.” Cela n’est pas écrit en 2016 mais en 1940.

Et à l’heure où ce que l’on continue d’appeler, avec une noble persévérance les forces de gauche, s’effritent ou s’effondrent sous nos yeux – on appelait ça la défense élastique en 1940 – on se demande si notre génération déconfite n’est pas toujours entortillée dans ce filet de préjugés qui embrumait les cervelles d’avant-guerre au point de les rendre aveugles à leur propre destin.

Alors notre paresse a des excuses car il en coûte de se défaire d’une vision du temps positiviste, à sens unique, un temps bien linéaire où le passé s’efface au fur et à mesure.

C’est une vision ou c’est un refrain ou c’est une berceuse auquel on s’accroche nous aussi.

C’est le “kampfplatz”, le champ de bataille des esprits simples ou des simples d’esprit.

La boite à rangement des gazettes dans le vent où il y a ou bien, le progressiste, ou bien, le réac. Ou bien ouvert ou bien fermé. Ou bien vif et frais ou bien moisi et scrogneugneu.

C’est en fait une commode art moderne, bien commode, sans tiroirs où l’on peut nicher un matérialiste théologien. Un vengeur des opprimés qui exalte dit-il : “le saut du tigre dans le passé”.

On nous cite toujours Péguy, c’est à la mode. Mais on a beaucoup d’amis européens qui répondent à cette définition, qu’est-ce qu’on va en faire ? Dans quelle case va-t-on ranger par exemple l’inventeur de l’intersectionnisme, le portugais Pessoa, le patriote cosmopolite, polyglotte et indigéniste ? Où va-t-on mettre un socialiste anglais comme Orwell, le combattant internationaliste de la guerre d’Espagne pour qui entendre le God save the King sans se mettre au garde à vous relevait du sacrilège ? Que va-t-on faire d’un traditionaliste subversif comme Passolini, le défenseur des lucioles en perdition et qui en appelait aux forces révolutionnaires du passé ? Et que va-t-on faire d’un homme paradoxe comme Benjamin qui regrettait : “que la classe ouvrière ait désappris à la fois la haine et l’esprit de sacrifice car l’une et l‘autre se nourrissent de l’image d’ancêtres asservis et non d’une descendance affranchie”. Des ancêtres avant des idéaux, avant la descendance.

Voilà, il y a comme ça des inclassables. Des révolutionnaires qui se sentent en dette avec le révolu. Des mondialistes qui honorent leur petit coin de terre. Bref des imprudents qui cumulent les inconvénients et font tâche dans un cadre binaire et bicolore. Ces intempestifs n’ont eu ni de partis ni de maisons d’accueil mais on ne peut s’empêcher de les citer à l’ordre du jour. Ces enquiquineurs qui passaient à chaque fois pour des traîtres à leur propre camp. Une arrière garde aux avants postes, un réactionnaire de progrès ça gêne aux entournures et ça bouleverse nos grilles de lecture.

Oui, il faut réfléchir au pied de nez lancé par les dernières décennies aux annonces canoniques de la modernité. Celles qui nous fixaient le futur ou l’idéal à atteindre. L’homme en marche vers la justice, téléguidé par son point d’arrivée, l’inexorable victoire de la raison sur l’irrationnel, de la victoire des Lumières sur l’obscurité. L’humanité est en marche, oui, mais sur un certain plan en marche arrière. Le symbolique allant au rebours du technique car le progrès technique n’est pas synonyme du progrès de l’humanité. Les partis communistes ou progressistes en 1950 étaient certains de mettre la religion au musée mais dans les années 2000 c’est la religion qui les a mis au musée. Le nombre d’États laïques dans le monde se réduit en peau de chagrin et ceux qui l’ont été à leur fondation, Israël, Turquie, Indonésie, Egypte et d’autres prennent le chemin inverse. Ben Gourion, Kemal Atatürk, Nasser ou Socarno, ces grands modernisateurs devant l’éternel ne reconnaitraient plus leurs pays aujourd’hui.

Et c’est à Bombay, à la pointe de l’informatique, que le fondamentalisme hindou se porte le mieux. Ce sont des facultés des sciences et des techniques et non des facultés des lettres que partout sortent les cadres intégristes. La mondialisation se rêvait heureuse, le doux commerce remplacerait les cartes d’identité par la carte bleue et une gouvernance mondiale pourrait enfin englober et bientôt remplacer par une belle ligne droite tout ce qu’il y a de tordu dans les lignages et les ancrages. L’union européenne effacera bientôt ses mauvais souvenirs, et voilà patatras depuis 20 ans 30000 kilomètres de nouvelles frontières érigées sur la planète et Schengen en capilotade.

Voilà non plus 45 Etats à l’ONU ce qu’il y avait au moment de sa fondation mais 198. Les super structures multilatérales, l’ONU, l’OTAN, l’UE ou l’OMC rendent les armes au tout-à -l’égaux et au ghetto partout. Et l’Europe fédérale de moins en moins fédératrice retourne comme on dit à ses vieux démons. On découvre une nouvelle fois que ceux qui annoncent un au-delà débouche sur l’en delà, l’en deçà, dénoncé.

Au-delà de l’État-nation on nous promettait une gouvernance mondiale et voilà les ethnies, les confessions et les tribus. Au delà de la Marseillaise voilà un salvi regina à Ajaccio et Sarajevo la multiculturelle à nouveau divisée en quartiers ethniquement purifiés. Voilà, des croyances, des langues, des peuples qui relevaient jusqu’ici du folklore ou de l’ethnologie : le Yazidi, les Assyro Chaldéens, les Syriaques, les Malabars mais aussi le Catalan, l’Ecossais ou l’Orthodoxe qui reviennent à l’avant scène.

Et il nous faut réapprendre des mots que l’on croyait enterrés par l’homme instruit avec portables, écrans et Rolex au poignet. Des mots tels que pogrom, bunker, enclave, califat, charnier, esclave, razzia. Il nous faut rouvrir nos atlas d’avant 1914 pour comprendre quelque chose à la planisphère de 2016 où les mémoires longues font éclater toutes les belles constructions politiques.

Alors revenons à Walter Benjamin, ce formidable analyseur d’actualité. Il disait qu’il “existe un rendez-vous tacite entre les générations passées et la nôtre” et il ajoutait que nous avions à tâche de “saisir la constellation que notre propre époque forme avec telle époque antérieure”.

Rappelons l’avertissement du préhistorien Leroy Gourhan : “l’homme du futur est incompréhensible si l’on n’a pas compris l’homme du passé” et Benjamin disait: “sur terre nous avons été attendus”.

Alors on peut le prendre au mot et à nos risques et périls même si la pensée par analogie reste fort mal vue. On peut le prendre au mot et chercher une parenté, une analogie, une correspondance avec quelque chose qui nous attendait.

Et je crois qu’il existe, même si cela va vous choquer, un air de famille entre la sortie du 20ième siècle et la sortie du siècle des Lumières. Disons la même gueule de bois après un abus d’alcool utopique.

Cela n’a pas dû être facile au fond de s’endormir dans une bergerie ou un salon philosophique en 1780 et de se réveiller en 1793 au pied d’un échafaud ou en entonnant le chant de guerre de l’Armée du Rhin dans un grand soulèvement de passion nationale.

Ce n’est pas non plus facile de se coucher un soir avec l’Internationale en musique de fond et de se réveiller au son d’une vétuste liturgie, d’un appel de muezzin ou d’un shofar ou même d’un biniou ou d’une cornemuse.

Les retombées d’espoir c’est comme une déprogrammation. Vous êtes au cinéma, vous avez payé votre billet, vous avez vu la bande annonce et on vient vous annoncer que la projection du film n’aura pas lieu. On se serait dépité à moins.

Oui, je crois que deux périodes de l’esprit humain éminemment optimiste et doctrinaire ont vu leur lumineuse carrière se terminer en queue de poisson, plutôt sombrement. Réfléchissons. Qu’avait de commun un 18ième siècle plus raisonneur qu’activiste épris avec ses mots en “ité” d’euphorie logicielle et de plans sur la comète, où la tête fonctionnait à merveille sans que le corps s’en mêle où on parlait d’opinion mais non de conviction. Un siècle étranger aux orages comme à la mélancolie, avec plus d’esprit que d’âme.

Qu’avait donc en commun ce 18ième siècle avec un 20ième siècle idéologique et militant avec ses mots en “isme” et sa classe délirante, nous les intellectuels, cherchant leur salut dans la formation de blocs et de vastes systèmes intégrateurs ? Qu’est-ce qu’il y avait de commun ?

C’est l’inaptitude au fondu enchaîné. C’est la volonté, comme disait Mirabeau, de recommencer l’histoire humaine à partir de principes applicables à tous les peuples et destinés à refaçonner la face entière des affaires humaines, c’est Tocqueville qui parle.

L’histoire n’est pas notre code lançait un homme de 1789 Rabaud Saint Etienne.

Le 20ième siècle aussi a rêvé de remettre le compteur à zéro tantôt par l’exploit politique tantôt par l’innovation technique avec à l’horizon une table rase. La furieuse énergie des incorporations partidaires ou ethniques n’était pas plus au programme des encyclopédistes joyeusement cosmopolites que celles des religiosités transnationales à l’ère des marxistes ou des libéraux. Et voilà que l’homme nouveau celui de Saint Paul comme celui de Mao a fait faux bond et que le vieil homme exhibe pour ainsi dire un cuir de crocodile.

Ni l’OMC ni l’International n’ont empêché le retour du couteau et de la ceinture d’explosif de l’anathème et du blasphème et réapparaît le barbelé barbare. Avec des combats que l’on avait cru gagnés depuis le siècle des Lumières cet âge, disait Julien Gracq, qui a “tout éclairé et rien deviné”.

N’assiste-t-on pas aujourd’hui à une re féodalisation des Etats-nations avec fiefs et baronnies ? Ne voit-on pas en France la région qui est un legs d’ancien régime remplaçait le département qui est un legs de la révolution ? Le zombie a repris du poil de la bête.

L’Europe moderne vivait la politique comme religion. Résultat, deux guerres mondiales. Alors dans la foulée des Trente Glorieuses elle a adopté l’économie comme religion pour dépasser croyait-elle les étroitesses mortifères du local et des patelins. Et voilà que surgit dans nos quartiers ou à nos portes en Libye, Tunisie, Syrie et France un archipel de gens, jeunes et moins jeunes qui refont de la religion une politique.

Comment remettre nos montres à l’heure sinon en se rappelant que l’économique ne fait pas une politique et encore moins une communion humaine. Et que la politique est toujours une affaire de culture, ce qui est un truisme, mais difficile à avaler si l’on sort d’une business school façon ENA ou HEC. D’où un certain désarroi chez les frileux adeptes d’un petit et non d’un grand rationalisme peu préparés à saisir qu’un excès de coca-cola à l’entrée c’est un excès d’ayatollah à la sortie. Peu préparés à se faire à l’idée que l’élévation des facteurs quantitatifs de progrès induit une élévation qualitative des facteurs de régression. Que la mondialisation technoscientifique des objets à laquelle nous assistons suscite la tribalisation politico-culturelle des sujets humains lesquels manient avec bonheur ces mêmes objets techniques. Nos hackers mondialisés n’étant pas les derniers à vouloir vivre au pays en maurassiens transfrontières. Les tribus numériques c’est pour demain.

Alors ces retours amont qui incitent les voisins de quartier du village global à s’entre égorger créent un décalage dans les temporalités vécues d’où naît entre le premier et le deuxième monde, entre le nord et le sud, une discordance des temps.

Au moment où la Turquie se rappelle qu’elle fût l’Empire ottoman, où l’Iran se rappelle qu’elle fût la Perse, ou l’ex-URSS se rappelle la Russie et où la Chine se rappelle la Chine tout simplement, le petit cap de l’Asie, l’Europe, se déleste de son passé sans étudier d’ailleurs celui des autres, ignorance ou mépris qui valent mains déboires et fiascos aux interventionnistes communicants qui lancent leurs drones et bombardiers sur des contrées dont ils ne savent strictement rien: Libye, Irak, Syrie, Afghanistan etc. Le hiatus des mentalités entre les deux parties du monde, ajoutons aussi notre manque de modestie nous qui érigeons les valeurs du terroir en étalon maître de l’universel, n’est pas sans affecter ce que l’on appelle absurdement la guerre contre le terrorisme, Paris mettant ses pas dans ceux de Washington au temps de Mr Bush.

En vidéo sphère le “voir” prend le pas sur le “savoir” et nuit autant au “revoir” qu’au “prévoir”. Trop de télévision ça ampute la vision ! Les sociétés rétiniennes dévorées par l’actu, émotives et qui ne tiennent pas en place, esclaves de l’instant perdent la perspective de l’Histoire. Les sociétés du croire, c’est bien le drame, sont beaucoup plus patientes, plus endurantes, moins douillettes parce qu’elles misent sur le temps long. Croire c’est toujours espérer, c’est faire crédit, c’est attendre une rémunération d’un sacrifice ou d’une offrande d’aujourd’hui.

L’islamisme se donne le temps. Nous on veut du cash, de l’immédiat, du retour sur investissement avant les prochaines élections. La question est de savoir si notre écrasante supériorité scientifique technologique et militaire est capable de compenser notre fébrilité, notre versatilité notre soumission panique à l’urgence. J’incline à le penser car la force reste toujours à la force encore plus si elle a la loi, mais ce n’est pas sûr.

Ce qui est sûr par contre c’est que la guerre contre le terrorisme sera perdue car elle n’a pas de fin pour la même raison que le terrorisme ne peut pas être vaincu par les moyens de la guerre comme le terrorisme anarchiste des années 1890 et 1900 n’a pas été vaincu par les moyens de la police mais sans doute par le mouvement ouvrier organisé par la révolution bolchévique de 1917.

Le 21ième siècle sera religieux ou ne sera pas. Malraux n’a sans doute pas dit ce qui est devenu un lieu commun. Mais ce que chacun peut constater c’est que même si nous avons nos grands messes onusiennes, écologiques et photographiques (comme le COP 21) réconfortant mais fragile, ce qui est certain c’est que l’avenir ne sera ni œcuménique ni pacifique. Pour maintes raisons, parmi lesquelles chez nous la perte de l’agglutinant symbolique. Mais aussi par les migrations de masse auxquelles nous assistons. Pourquoi ?

Parce que la bombe diasporique met du frottement là où il n’y avait pas ou peu. Là où jusqu’ici une sage surdité psychique permettait à chaque culture de cohabiter plus ou moins bien avec des voisines qu’elle ne fréquentait pas ou rarement. Mais quand l’espace s’unifie en devenant à la fois entremêlé et réactif, le monde entier devient une zone tampon et la ligne de contact une ligne de front. On dit les franges extrémistes et de fait, les bordures sont toujours plus inflammables que les centres. La défense immunitaire du périmètre, allergie quasi physiologique au contact et plus encore à la greffe prend la forme du fanatisme. Tout le drame est là. Les sociétés qui se heurtent de plein fouet au transfert de population et à l’urbanisation accélérée (cela vaut autant pour Lagos que pour Cologne, pour Johannesburg que pour Stockholm) peuvent se fermer les yeux mais ne peuvent pas soustraire leur épiderme au contact. Si le fondamentalisme affecte nos sociétés comme une maladie de peau, le dialogue des civilisations devrait être confié aux dermatologues. Car force est de constater que la circulation accélérée des citoyens du monde si heureuse qu’elle soit à mains égards entraîne avec elle l’inflammation identitaire comme la greffe le rejet. D’où ces cris barbares, ces coups de pistolet dans le concert qu’on entend ici et là. Séparation! Dehors les intrus! Plus de frontières, des murs. Le premier occupant ou qui se croit tel s’estimant en droit de chasser le nouveau venu ou celui qu’il fait passer pour nouveau venu.

Passons sur les exemples historiques et géographiques. Il se trouve qu’avec les portables, internet et Skype, Rome n’est plus seulement dans Rome ni la Mecque à la Mecque ni le haïtien en Haïti, mais qu’il peut pratiquement se sentir chez soi hors de chez soi. Et une communauté de foi qui se délocalise se sanctuarise à sa manière en sortant le drapeau, le turban, la croix ou le voile. Plus le contenu doctrinal s’estompe, plus s’exhibent ses signes distinctifs et le néo-fondamentalisme sectaire comme chacun sait est d’autant plus culturaliste qu’il est inculte.

Le fait est que la déperdition identitaire se rattrape en mettant les bouchées doubles. En se gavant d’origines fantasmatiques et de généalogie retravaillée. Le fait est que la classe des États-nations qui juxtaposaient des territoires souverains aux frontières bien délimitées cède la place à un atlas culturel qui juxtapose des mouvements confessionnels, ethniques ou tribals antérieurs à la constitution des États. La classe géopolitique est moderne, la classe postmoderne est pré-moderne. L’inca fait retour dans la région andine et Sykes-Picot, les frontières de jadis au proche orient, agonisent. En Europe, la ligne de partage Riga-Split tracée par le schisme du filioque qui remonte au 11ième siècle a tout récemment fendu l’Ukraine en deux. Polono-lituanienne d’un côté, Russe-orthodoxe de l’autre. On voit que la nouvelle carte des allégeances ne respecte pas plus les traités diplomatiques que les principes souverainistes de la charte des Nations Unies. Désarroi et consternation des diplomates qui voient le temps long des mémoires se surimposer au temps court des arrangements d’hier ou d’avant-hier. Autrement dit, les grands fédérateurs idéologiques du 20ième siècle: l’État, la nation, la citoyenneté, les partis ou les fédérations s’effacent, s’effritent et remontent à la surface d’obscures solidarités venues des fonds des âges qui auraient dû être balayées en bonne logique par nos cours internationales de justice et nos interdépendances économiques.

Quand l’instance politique fait faillite chacun sait que l’instance religieuse redevient l’organisateur collectif des laissés pour compte, leur ultime assurance-vie. Assurant à la fois sécurité, protection, entre-aide sociale, estime de soi et dignité.

Le néo-destour, le nassérisme, le baas irakien, le pancasila indonésien ont eu à souffrir de cet étrange jeu de bascule, de cette étrange vicariance entre le politique et le religieux auquel les occidentaux dans leur proverbial, colonial et impérial aveuglement n’ont pas peu contribué, de Suez à Kaboul, de Badgad à Triploli. L’Europe de l’ouest est le seul continent où l’expression d’indépendance nationale est proscrite comme ringarde ou suspecte. Partout ailleurs dans les quatre autres continents elle reste et redevient l’axe directeur. Sauf que l’aspiration indépendantiste a changé de monture et de génération. Beaucoup de petits enfants vont à la mosquée ou à la synagogue ou au temple à un âge où leurs grands parents s’en fichaient royalement. Le vingtième siècle, disait Thibaudet le grand critique littéraire, est sinistrogyre, il va vers la gauche, la surenchère dans les idées se faisait toujours par la gauche. La nôtre d’époque serait plutôt dextrogyre, preuve en est que la gauche de droite s’appelle la gauche moderne.

C’était méconnaître le propre de l’animal symbolique qui en toute chose voit double. Qu’une fois envolés les mythes majuscules de l’occident sécularisé: nation, révolution, classe, enrichissement, plein emploi, prospérité etc… nos sociétés allaient enfin quitter les billevesées politiques pour toucher au sol ferme du calcul économique sans valeur ajoutée. Et bien non.

Plus l’activité politique s’est délestée de ses vieux accents messianiques et même de tout grand dessein, plus la promesse religieuse a retrouvé ses vieux appétits politiques.

Est-ce que l’humanité en vieillissant retombe en enfance, comme le font les individus ? On dirait que les névroses infantiles qu’étaient pour Freud les religions, loin de s’atténuer avec l’âge mûr s’incrustent et se renouvellent au bas de la pente.

Alors il y a maintes façons d’analyser la dé-linéarisation de ce temps ferroviaire rêvé par nos positivistes. C’est à dire d’analyser l’émergence dans le temps historique d’une machine à remonter le temps.

Nietzsche en tenait pour l’éternel retour, Marx pour les tragédies qui se répètent inévitablement en comédies, le napolitain Vico évoquait lui le corsi et le recorsi pour s’expliquer la récurrence des choses humaines. Notre contemporain Lyotard avec la notion de postmoderne empruntée à l’architecture a étendu bien au delà du décoratif l’art du bricolage, du détournement ludique, de la citation éclectique d’éléments empruntés à des styles ou des époques antérieurs bref le postmoderne. Le postmoderne dans le lequel le post signifie flashback et feedback et même anamnèse comme dans la cure psychanalytique. Je crois que l’on peut prendre la chose un peu plus au sérieux et que le récessif dans le processus évolutif est un phénomène qui ne se réduit pas aux faux frais de la modernisation ni à un simple décalage entre les rythmes d’évolution ultra rapide des systèmes techniques et le rythme d’évolution infiniment plus poussif des subjectivités collectives que l’on appelle les cultures.

Je crois que ce n’est pas un retard à l’allumage que nous appelons en médiologie un effet diligence qui veut que le nouveau commence toujours par imiter l’ancien, les premiers wagons de chemin de fer avaient un profil de diligence, les premières photos étaient des tableaux, les premiers films des pièces de théâtre etc… C’est beaucoup plus. C’est ce que nous nommons en médiologie l’effet jogging. La déchéance des membres inférieurs était pronostiquée au début du 20ième siècle par certains futurologues qui voyaient les citadins enfermés dans leurs petites boîtes métalliques ambulantes: les voitures. Or depuis que les citadins marchent moins ils courent beaucoup plus. Au lieu de l’atrophie annoncée il y a re musculation. Traduction : la dépersonnalisation techno-économique suscite une re-personnalisation politico-culturelle en sens contraire. Comme si il y avait une sorte de thermostat de l’appartenance c’est à dire un néo quelque chose. Soit un archéo revu et corrigé et le plus souvent aggravé. Il y a une autre lecture du phénomène qui pourrait non pas s’inspirer du sport ou du divan mais de la neuropsychologie.

Les neuropsychiatres savent que la dissolution des fonctions nerveuses chez un individu en crise ou sénescent s’opère en remontant le cours de l’évolution. Les fonctions s’inscrivent et se hiérarchisent par ordre d’apparition mais les plus récentes sont les plus fragiles. Autrement dit, le cortex préfrontal est beaucoup plus vulnérable que le rhinencéphale et c’est le cortex qui se déstructure en cas de malheur. La maladie ne crée pas mais libère des instances affectives et instinctuelles plus ou moins refoulées par des connexions neuronales plus tardives. C’est comme dans la mémoire, les premiers souvenirs à disparaître sont ceux les plus récemment fixés. On perd d’abord la mémoire (faites moi confiance) de ce que l’on a fait hier mais on garde une sensation d’enfance. Les individualités collectives également sont le fruit d’une superposition sédimentaire de strates. Au fond la famille, le clan, la tribu comme marqueur généalogique puis l’inscription religieuse, rituel ou coutumière et enfin par-dessus l’inscription civique ou politique dans un Etat-nation, un empire ou un parti. C’est ce qui est arrivé en dernier lieu à un peuple qui est le premier à s’en aller. Le démantèlement de la maison commune commence par le toit. Alors il faut certainement avoir une vision dynamique du temps mais cette dynamique, pardon Darwin, peut être une involution qui fait remonter en cas d’accident grave, climatique, épidémique ou économique, du plus complexe vers le plus simple. Du citoyen vertueux vers le mammifère à sang chaud. De l’homo politicus à l’homo zoologique. De la morale kantienne aux contraintes animales du territoire, de l’acquisition alimentaire et de la sexualité. Le critère ethno-confessionnel est bien plus ancien que le critère national étatique et les redécoupages territoriaux en cours vont inexorablement se recaler sur lui. Autrement dit, superficielle et friable est la couche moderne et profond et résistant est le tréfonds archaïque. Les démagos de gauche et de droite qui rêvent de pousser les feux de la modernité feraient mieux de faire un peu d’étymologie. L’ arkhè en grec c’est à la fois l’archive et l’archonte, c’est à la fois ce qui commence et ce qui commande. Cette coïncidence n’a rien de réconfortant mais doit inciter plus que jamais à admettre la bête dormante sous observation. En gardant à l’esprit qu’une civilisation est une reconquête de chaque jour sur le barbare, le barbare qui en chaque civilisé ou qui se croit tel ne dort que d’un œil.

Quand Walter Benjamin s’est suicidé il avait sur sa table de nuit une petite aquarelle d’un autre inclassable comme lui mort en 1940, Paul Klee, l’Angelus novus. C’était son icône. Il avalait ses cachets de morphine les yeux fixés sur cette icône. Ce pourrait être d’ailleurs l’icône d’une gauche tragique d’ailleurs. Je laisse Walter Benjamin nous la décrire :

“Angelus Novus représente un ange, qui semble sur le point de s’éloigner de quelques chose qu’il fixe du regard. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. C’est à cela que doit ressembler l’Ange de l’Histoire. Son visage est tourné vers le passé. Là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne voit lui qu’une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si violemment que l’ange ne les peut plus refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. »

Ainsi l’Ange de l’Histoire regarde en arrière pour marcher vers l’avant. Il se pourrait bien que notre rétro phobie nous condamne au surplace appelé présentisme. Car nous voilà à nouveau dans la tempête et un monceau de ruines se profile sous nos yeux effarés. Cette menace de dé civilisation nous met au défi de tenir bon précisément dans la tempête, d’être ferme sur nos deux pieds, lucidité et laïcité. En tout cas, notre bonne vieille modernité ayant glissé du côté des antiquités, l’ordre du jour a changé. Il ne consiste plus comme chacun sait à changer le monde du tout au tout mais à l’empêcher de partir en morceaux. Il faudra bien aborder un jour, soyons un peu hégélien le troisième moment. Après le moment de la composition française chère à Mona Ozouf et celui de la décomposition chère à Alain Finkielkraut et Philippe Muray, il faudra bien aborder celui de la recomposition. Ce genre d’urgence mérite bien une mobilisation générale comme tout ce qui relève de l’instinct de conservation. En tout cas Benjamin fait parti de ceux ou de celles dont l’écho, disait Eluard, ne doit pas faiblir car s’il faiblit nous périrons. Car pour le dire dans les mots de notre prophète manqué qui fut bien la vox clamantis in deserto, la voix clamant dans le désert: “de tout ce qui jamais advint rien ne doit être considéré comme perdu pour l’histoire”.

Alors faire aujourd’hui entendre cette corne de brume, ce SOS, peut nous servir de réveille-matin et nous rendre enfin, chose toujours difficile, contemporain du temps présent.

Je vous remercie.

Source : France Culture, le 5 février 2016.

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  • theuric // 02.09.2016 à 01h44

    Ne faut-il pas savoir reculer pour pouvoir sauter plus loin?
    Eh oui, nos idéologies passées s’effacent, celles d’auparavant reviennent, la religion reprend en main nos destinées futures en celles d’antérieures, ainsi du catholicisme en France et en Europe, tout comme nos vieux penchants pour l’âpreté guerrière, ainsi que les gauloises gaudrioles.
    Effondrement idéologique, rétrogression historique, j’avais déjà, ici même, donné un nom à ce que Monsieur Debray sut si bien décrire, ce que je n’aurais jamais su faire.
    Ce qu’il nous a décrit n’en est qu’à ses débuts, là est sa mise en garde, et de vigilance il s’agit de la nôtre sur nous-mêmes, nous appelant à la conscience de nos passions et de celles collectives, surtout collectives.
    Parce que seule la conscience de ce qui nous anime, de son Soi, en soi-seul, pourrait nous éviter le pire.
    Mais que peut la goutte d’eau dans le fleuve s’écoulant, sinon que de suivre ses voisines dans la pente descendante de l’aval s’allant dans l’océan jetées?

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    • RGT // 02.09.2016 à 18h46

      Je ne me souviens plus du nom du peuple « primitif » qui a une vision totalement opposée à la nôtre sur le défilement du temps.
      Ces hommes (fort sages, c’est indéniable) considèrent non pas qu’on avance dans le temps mais au contraire qu’on recule vers le futur.

      Pour eux, le futur est dans leur dos (donc caché et imprévisible) alors que leur passé est devant eux car ils peuvent l’observer à loisir.

      Cette vision est sans doute à mes yeux la plus précise que l’on puisse avoir au sens philosophique.

      Par contre, combien de philosophes occidentaux se sont-ils penchés sur cette approche ? Personnellement je n’en connais pas.

      C’est normal : Ce peuple est « primitif » et ne peut en aucun cas avoir une conscience aussi aiguë que la nôtre des choses les plus importantes.

      Si l’on adopte leur point de vue, on voit vraiment le monde différemment.

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  • Astro Popote // 02.09.2016 à 02h03

    Merci pour cette transcription.
    J’adore le travail de Régis Debray et la fulgurance de ses expressions.
    De la même veine que Montaigne ou Pascal…

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    • TuYolPol // 02.09.2016 à 21h12

      Quand-même, à chaque fois, j’ai la furieuse et désagréable impression qu’il s’écoute parler et se regarde écrire avec des poses certes élégantes, bien trop élégantes.

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    • TuYolPol // 02.09.2016 à 21h23

      En fait c’est ça : il y a la fulgurance de ses expressions, ça impressionne, mais ça ne suffit pas pour fouiller, expliquer, chercher, démontrer. Et la rigueur ?

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      • Astro Popote // 02.09.2016 à 21h33

        @TuYolPol

        Mais elle est là la rigueur ! C’est justement là dans cette conjonction de rigueur
        et d’images claires que réside pour moi toute la force de son approche.
        Je répète, comme Pascal.. Ou Sloterdjic.

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  • Ailleret // 02.09.2016 à 02h39

    Au secours ! Le passé revient !
    (Rappelez-vous les affiches de 1986…)

    Si l’on n’accepte pas d’avoir un passé, on n’aura pas d’avenir. J’ai beaucoup de respect pour Régis Debray, pour son intelligence, et il a donné de sa personne comme en Bolivie. Mais il appartient à cette génération « progressiste » qui a bien profité de l’après-guerre tout en privant les générations suivantes de leur avenir. M. Debray, vous serez tout à fait convaincant quand vous aurez renoncé à votre nostalgie d’ancien combattant progressiste.

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    • dan21 // 02.09.2016 à 11h58

      En quoi cette génération à privée les générations suivantes de leur avenir ?
      D’abord confusion regrettable : confondre la génération d’avant et de 68 avec la génération post 68 c’est à dire les terribles année 80. Je me souviens d’avoir été trainé plusieurs fois au « palace » et aux » bains douches » et de n’en pas croire mes yeux devant une telle  » m—  » déjà un sentiment de dépossession, de confusion , de manipulation . La suite n’a été que descente aux enfers libéraux, aux enfers américains!
      Eh oui mon coco, le passé est révolutionnaire ! regarde la vidéo de Nasser en conférence de presse qui est mort de rire en réponse à une question sur le voile des femmes, regarde n’importe qu’elle vidéo d’une conférence de presse du Général de Gaulle ! le diagnostique est évident
      Ben oui , il va falloir que tu t-y fasse , on a écrit de la musique et des livres avant ta naissance, C’est désobligeant, on aurait pu t’attendre, je sais bien mais c’est comme ça.
      Laisse donc la  » nouveauté  » aux marchands!

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      • Ailleret // 02.09.2016 à 12h48

        Certes, certes… mais justement, les terribles années 80, n’est-ce pas le triomphe d’un certain mai 68 ? Un mai 68 recomposé, fantasmé, libéral-libertaire…
        Récriture de l’histoire, qui nous a fait oublier que la plus importante manifestation de ce mois révolutionnaire fut celle de la CGT et du PCF, le 29 mai 1968.

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        • dan21 // 02.09.2016 à 15h28

          Je pense que nous sommes d’accord.Je voulais simplement rattaché Regis Debray à la génération précédente celle de l’après guerre , marxiste ou en tout cas très politisée et littéraires avec malgré les apparences des valeurs  » traditionnelles  » quoiqu’ils en aient dit .D’ailleurs il était pas là mais en Bolivie ! voir plutôt les valeurs de la résistance que celle » d’Actuel » Donc ne mélangeons pas tout, Regis Debray n’a pas grand chose à voir avec Mai 68 La preuve regardez la différence avec Cohn – Bendit c’est frappant , le temps ne ment pas. Et pour finir je citerais notre plus grand philosophe français , je veut parler de Michel Audiard: » on ferme les bordels et 10 ans après on a la chienlit dans la rue « !

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  • Kesse // 02.09.2016 à 04h52

    Un etat des lieux lunineux des decombres. Un seul passage tracant les esquisses d’une solution: ‘lucidité et laïcité’; sur la laicite je suis d’accord, sur la lucidite aussi d’ailleurs …
    Et pour moi, il faut savoir epouser son temps, comme le font tous les autre continents. L’Union Europeenne nourrit la rancoeur et la division, a force d’etre l’unique solution au probleme qu’elle genere. L’absence du politique sera un retour en force de la segmentation religieuse. L’union europenne entrainera dans sa chute, tout ceux qui espere en elle, car son ideologie, en tant que devenir, est deja morte. Elle est l’irreformable, la theorie qui se tait et aspire a devenir la norme. Elle n’a pour seule solution a sa survie que la promotion des pires extremismes … technologiques, economiques … Elle est un champs de bataille inegalitaire. Il va falloir faire confiance en l’esprit humain, en un retour du politique. A moins que les gens ne veulent qu’on leur ponde un programme determinant comment vivre heureux.

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  • EchoGMT7 // 02.09.2016 à 06h35

    J’aime passionnément lire, plutôt que d’écouter, Régis Debray.

    Mais…,

    Mais, il me semble que les philosophes gaspillent collectivement leur intellect à nous décrire inlassablement comment nous en sommes arrivés à construire une civilisation « apparemment » sans but. Cela tient probablement à leurs réticences, ou incapacité, à nous soumettre les vraies raisons de cette désespérante, car stérile, évolution.

    Toujours est-il que lorsque je tente de deviner de quoi demain sera fait, mes interrogations portent immanquablement sur les mystérieux silences de la philosophie.

    La philosophie de notre époque refuse obstinément de prendre en compte les buts et les intentions qui sont les moteurs agissants de l’actualité. Le présent détermine aussi le futur, mais c’est une dynamique qui est philosophiquement occultée par d’incessants retours vers le passé.
    Bref, s’il convient de savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on est, il m’apparait aussi important de savoir où l’on veut nous mener.

    Face à cette question, il n’y a qu’un BHL pour répondre clairement avec ses instincts guerriers et dominateurs. Lui abandonner ce terrain serait une grande lâcheté et j’ai été choqué par la réaction des médias à l’égard de Michel Onfray lorsqu’il a osé publiquement dénoncer le comportement criminel de BHL en Libye. On peut ergoter sur le statut de philosophe de certains intellectuels, le fait est que pour de nombreux français il suffit d’en avoir l’étiquette médiatique.

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  • TuYolPol // 02.09.2016 à 08h41

    ”le passé n’est jamais clos et achevé il est inachevable” : l’histoire, plutôt. Il est superflu de se priver du mot « passé » pour désigner celui du modèle cosmologique. Chaque domaine élabore son propre modèle du monde, et la philosophie a le privilège et la responsabilité de les manier tous à la fois, parfois avec des tentations littéraires envahissantes.

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  • theuric // 02.09.2016 à 10h25

    Il en est qui se croient encore 60 ans en arrière, affirmant de gauche ce qu’ils détestent sans savoir ce que c’est.
    Monsieur Debray n’est en rien contre la technologie, il met juste en garde ses amoureux transis qu’en elle-même elle ne peut-être un but.
    J’ai le choix entre rire et pleurer, rire de la sottise de mes contemporains ou pleurer de tant de sottise si bien partagée.
    J’ai ce choix parce que je me suis refusé celui du dédain.
    Mais après tout, ceux qui voudront se suivre du même pas de Sambre-et-Meuse d’une vêture pareille en route pour la gloire et l’héroïsme, pourquoi donc les jugerais-je?
    Mais que personne, ensuite, n’aille pleurer, c’est aujourd’hui que les tombes se creusent des morts de demain!

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  • RGT // 02.09.2016 à 19h04

    Régis Debray est actuellement le seul philosophe vivant qui ait vraiment « mouillé sa chemise » et défendu ses convictions en risquant physiquement sa peau.

    On peut être d’accord avec lui ou bien être totalement opposé à ses positions mais il est bien une chose que l’on ne peut pas lui ôter : Son engagement total pour promouvoir ses idées.

    Je dirais que quand j’étais « djeun » je ne l’appréciais pas trop, mais qu’en vieillissant je le trouve de plus en plus pertinent.

    Sans doute parce que nous avons tous les deux évolué (je ne le connais pas du tout) et que désormais nos analyses et nos pensées se rapprochent.

    La vieillesse est sans doute une longue déchéance mais elle a au moins un avantage : Elle nous donne de la hauteur par rapport aux faits et nous permet de les analyser avec plus de recul.

    Sans doute est-ce le commencement de la sagesse ?

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  • Jeanne L // 02.09.2016 à 20h40

    Merci pour la transcription, quel travail cela doit être …
    Néanmoins je pense qu’il y a une petite erreur:
    Vous écrivez: « Il se trouve qu’avec les portables, internet et Skype, Rome n’est plus seulement dans Rome ni la Mecque à la Mecque ni le haïtien en Haïti, mais qu’il peut pratiquement se sentir chez soi hors de chez soi. »
    Je crois que c’est plutôt le « Tahitien à Tahiti » car c’est une citation presque mot pour mot du « supplément au voyage de Bougainville » de Diderot, très exactement la toute fin.
    Ce livre parle du contact des hommes avec ces grands voyages d’exploration et colonisateurs; parmi les membres du bateau de Bougainville il y a l’aumônier et quand le chef tahitien Orou le prie de satisfaire aux obligations de l’île c’est à dire de coucher avec sa fille qu’il honorerait en partageant l’hospitalité jusqu’au bout, ce prêtre refuse en s’écriant « Mais ma religion! mais mon état (ie ma condition) ! »
    A la fin du dialogue lestement et profondément mené par Diderot, il sacrifiera aux obligations des hôtes en disant « il faut être moine en France et Tahitien à Tahiti ».
    Diderot avec le Montaigne de » l’essai sur les cannibales » et Jean de Léry du « voyage fait en la terre de Brésil » est un des grands penseurs de la » rencontre des peuples ».
    A lire et relire nos classiques !

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    • Franck // 02.09.2016 à 22h46

      Ici le transcripteur…. Très belle remarque que de relever ce point et cette référence qui, au delà de ne pas être audible dans la bouche de R Debray, l’était probablement dans son coeur de lecteur de Diderot…qui sait ?
      Merci
      Franck

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