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7.décembre.20167.12.2016 // Les Crises

Le parlement de Grande-Bretagne approuve la dévolution de nouveaux pouvoirs de piratage et de surveillance, par Ryan Gallagher

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Source : The Intercept, le 22/11/2016

Ryan Gallagher

Le 22 novembre 2016

Il y a quelques années, il aurait été impensable qu’un gouvernement britannique admette qu’il allait pirater l’ordinateur des gens et collecter des données personnelles à grande échelle. Mais aujourd’hui, ces pratiques controversées sont sur le point d’être autorisées dans une nouvelle loi de surveillance sans précédent.

Le parlement de Grande-Bretagne a approuvé la semaine dernière un projet de loi appelé le Investigatory Powers Bill, surnommé la « charte des fouineurs » par la critique. La loi, qui devrait entrer en vigueur avant la fin de l’année, a été introduite en novembre 2015 à la suite des retombées des révélations du lanceur d’alerte de l’Agence Nationale de Sécurité, Edward Snowden, à propos d’un vaste plan de surveillance des Britanniques. Le Investigatory Powers Bill (projet de loi sur les pouvoirs d’enquête) a pour but essentiel de légaliser rétroactivement le programme d’espionnage électronique dévoilé par les documents de Snowden, mais il permet également d’élargir les pouvoirs de surveillance du gouvernement.

L’aspect le plus controversé de cette nouvelle loi est qu’elle donnera au gouvernement britannique l’autorité de contraindre les fournisseurs d’Internet à fournir leurs services avec « un avis de sauvegarde de données », les obligeant à enregistrer et à stocker l’historique des sites visités par leurs clients sur une période allant jusqu’à douze mois. Les agences de maintien de l’ordre pourront avoir accès à cette base de données sans mandat ou ordre d’une cour. De plus, cette nouvelle loi donnera aux enquêteurs de police et aux investigateurs fiscaux, avec l’aval d’un ministre du gouvernement, la possibilité de pirater des téléphones et des ordinateurs ciblés. La loi permettra aux agences de renseignement de passer au crible « un vaste ensemble de données personnelles » contenant des millions de dossiers sur les appels téléphoniques des gens, leurs habitudes de voyage, leurs activités sur internet ou encore leur transactions financières ; enfin, cela rendra légal pour les espions britanniques d’opérer le piratage à grande échelle d’ordinateurs et de téléphones hors de leurs frontières afin d’identifier de potentielles « cibles d’intérêt. »

« Chaque citoyen aura son activité internet – les applications qu’il utilise, les messages qu’il envoie, et leurs destinataires – enregistré pendant 12 mois, » dit Eric King, un expert de la vie privée et ancien directeur de « Don’t Spy On Us« , une coalition de groupes britanniques de protection des droits de l’Homme faisant campagne contre la surveillance de masse.

« Il n’y a pas une seule démocratie, ou même un autre pays dans le monde, qui fasse cela. »

King affirme que cette nouvelle loi aura un effet dissuasif, se traduisant par une perte de confiance du public quant à la libre communication entre les gens. Il cite une enquête Pew publiée en mars 2015 selon laquelle 30% des adultes américains ont modifié leurs habitudes d’utilisation d’Internet ou de leur téléphone en raison de la surveillance gouvernementale. « Cela va changer la façon dont les gens communiquent et expriment leur pensées, » dit King. « Pour une société censée être progressiste, encourageant les débat ouverts et le dialogue, c’est affreux. »

D’autres défenseurs des libertés individuelles s’inquiètent que cette nouvelle loi soit perçue par les gouvernements à travers le monde comme un feu vert pour lancer des régimes de surveillance similaires. « Le passage du projet de loi aura un impact qui dépassera les frontières du Royaume-Uni, » dit Jim Killock, directeur exécutif du groupe basé à Londres Open Rights Group. « Il est probable que d’autres pays, incluant les régimes autoritaires respectant peu les droits de l’Homme, utiliseront cette loi pour légitimer leurs propres pouvoirs de surveillance intrusive. »

Malgré la large portée du projet de loi sur les pouvoirs d’enquête, il n’a généré que peu de débat au Royaume-Uni, et n’a pas reçu une grande couverture de la part des médias grand public. L’une des raisons à cela est indubitablement le vote choc du Royaume-Uni, en juin, de sortir de l’Union Européenne, communément appelé le Brexit – qui a dominé l’espace médiatique et les discussions ces derniers mois. Cependant, il existe un autre facteur majeur à l’adoption rapide de cette loi, en l’absence de réaction. Le parti travailliste, le parti principal de l’opposition du Royaume-Uni, s’était engagé à combattre « l’espionnage injustifié« , mais a finalement soutenu le gouvernement et voté en faveur de cette nouvelle loi de surveillance. « La faute revient au parti travailliste, » dit Killock. « Ils ont demandé beaucoup trop peu de contreparties et n’étaient pas préparés à contester fortement les principaux dogmes inhérents à ce projet de loi. »

Dans un effort pour apaiser certaines de ces critiques, le gouvernement a accepté de renforcer le contrôle de cette surveillance. Le projet de loi sur les pouvoirs d’enquête introduit pour la première fois un « commissaire judiciaire », probablement un ancien juge, qui pourra examiner les mandats d’espionnage autorisés par un ministre du gouvernement. Il renforce également les dispositions relatives à la façon dont la police et les agences d’espionnage pourront cibler les journalistes afin de tenter d’identifier leurs sources confidentielles. De nouvelles garanties impliquent que les autorités devront demander l’aval du commissaire judiciaire afin d’obtenir les enregistrements téléphoniques ou les emails d’un journaliste ; auparavant ils pouvaient obtenir ces données sans supervision indépendante.

Le syndicat national des journalistes de Grande-Bretagne croit cependant que la loi ne va pas assez loin dans la protection de la liberté de la presse. Le syndicat s’inquiète particulièrement qu’une potentielle surveillance des organisations médiatiques pourrait être gardé totalement secrète, signifiant qu’il n’y aura aucun recours pour contrer les décisions les concernant eux ou leurs sources. « Le projet de loi est une attaque contre la démocratie et le droit du public à l’information, il permet à l’État d’interférer secrètement et de manière illégitime dans la presse, » s’est lamenté le syndicat à travers une déclaration la semaine dernière, ajoutant que « le manque de protection des sources a des répercussions sur les journalistes travaillant dans les zones de guerre ou bien ceux enquêtant sur le crime organisé ou les fautes étatiques.

D’autres problématiques relatives à la façon dont la loi sera appliquée restent obscures. Ainsi, la loi contient une disposition qui permet au gouvernement de délivrer à une société un « avis de capacité technique » pouvant inclure « des obligations relatives à la suppression par un opérateur de la protection électronique appliquée à toutes communications ou données par ou au nom de cet opérateur. » Plus tôt cette année, les géants Apple, Facebook, Google, Microsoft, Twitter et Yahoo ont critiqué ce pouvoir, exprimant leurs inquiétudes quant à l’utilisation de ce dernier par le gouvernement afin de forcer des entreprises à affaiblir ou contourner la technologie de cryptage utilisée pour protéger le secret des communications et des données.

En pratique, si la loi est utilisée pour contrer les bénéfices du cryptage, cela pourrait ne jamais être découvert. Le gouvernement a inclus dans le projet de loi une section qui criminalise « les révélations non-autorisées » de toute information liée à ses ordres de surveillance, ce qui pourrait potentiellement dissuader les lanceurs d’alertes ou les leakers de se manifester. La sentence pour ce type d’infractions peut aller jusqu’à douze mois de prison, une amende, ou bien les deux.

Bien que le projet de loi sur les pouvoirs d’enquête entrera bientôt en vigueur, il est probable de le voir être l’objet de plusieurs poursuites en justice. Il y a d’ores et déjà trois affaires en cours pouvant aboutir à la modification de certaines de ses dispositions. L’une de ces affaires est une contestation sérieuse devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, et pourrait décider de l’illégalité de cette collecte et rétention de données. (Les décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme restent en vigueur au Royaume-Uni, en dépit du Brexit.)

Quoiqu’il arrive, certains ne semblent pas vouloir laisser le soin aux institutions judiciaires de déterminer à quel point le gouvernement peut siphonner leurs données. Une organisation britannique à but non lucratif récemment établie, Brass Horn Communications, dit préparer un nouveau fournisseur d’accès à internet basé sur Tor, un outil pour surfer anonymement sur internet, dans un effort destiné à permettre aux gens de se protéger contre l’espionnage. « Nous devrions pouvoir faire une recherche sur un problème médical embarrassant, ou poser des questions à Google, sans avoir à se soucier que cela soit répertorié dans des archives internet de manière permanente, » dit un porte-parole de l’organisation. « Le gouvernement a décidé que chacun est un suspect, mais vous ne pouvez pas traiter une société entière comme criminelle. »

Source : The Intercept, le 22/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Commentaire recommandé

BEOTIEN // 07.12.2016 à 04h03

Que reste-t-il de nos libertés ? Le plus effrayant étant que personne ne se mobilise alors qu’il est évident que se prépare une société où la parole de chacun sera sous contrôle, et donc plus aucune dicidence ne sera possible.

10 réactions et commentaires

  • BEOTIEN // 07.12.2016 à 04h03

    Que reste-t-il de nos libertés ? Le plus effrayant étant que personne ne se mobilise alors qu’il est évident que se prépare une société où la parole de chacun sera sous contrôle, et donc plus aucune dicidence ne sera possible.

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    • Louis Robert // 07.12.2016 à 09h15

      « Nous sommes à l’aube de l’une des périodes les plus sombres de l’histoire humaine: les vives lumières d’une civilisation clignotent, s’éteignent et nous nous apprêtons à sombrer durant des décennies, sinon des siècles, dans la barbarie. »

      (« We stand on the cusp of one of the bleakest periods in human history when the bright lights of a civilization blink out and we will descend for decades, if not centuries, into barbarity. »)

      Chris Hedges, « Zero Point of Systemic Collapse » (2010)

      http://www.adbusters.org/article/chris-hedges-zero-point-of-systemic-collapse/

        +5

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  • Logic // 07.12.2016 à 08h22

    Encore pire aux USA.
    Le Congrès vient de donner pouvoir au FBI (à partir du 1 déc.) de pirater n’importe quel ordinateur, ou réseau pouvant en inclure un nombre indéterminé, par exemple des millions, quel que soit sa localisation physique de par le monde. Il suffira d’un quelconque mandat d’un juge lambda.

    Dans les faits on assiste à un renversement de la présomption d’innocence à la présomption de culpabilité permettant, en de mauvaises mains, toutes les dérives.
    Espionnage, manipulation, chantage,…

    Big hacking et Big data au service de Big brother.

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  • bebebe // 07.12.2016 à 09h17

    Les GAFA (Google, Facebook, Apple) qui critiquent l’espionnage et la collecte de données en ligne, c’est quand meme un peu gonflé !
    Ils doivent largement depasser les 12 mois de leur côté. De plus, je trouve ça limite plus problématique que cet espionnage vienne d’entreprises privées avec des intérêts parfois un peu flous (mais en tout cas économiques) que du public

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  • Stop // 07.12.2016 à 09h46

    Une guerre totale est déclarée, elle n’est pas nouvelle, mais cela prend des proportions considérables.

    Nous ne sommes plus dans dans la conquête des radios libres dans les années 80. Autres mœurs, autres méthodes.

    Les réseaux ont cassé les médias officiels, entre autres. C’est la mort des agences de com. Elles le savent très bien, c’est leur dernier combat avant explosion de leur système.

    Plus de vingt ans qu’ils n’ont pas voulu entendre le message. Nous avons un outil magistral, merveilleux pour rétablir la République démocratique et non faussée. Ils n’en veulent pas. OK.

    Pendant qu’ils s’excitent sur le changement des protocoles, la destruction avance à grands pas.

    Ce n’est plus l’heure de discuter, mais de constater les dégâts.

    L’informatique a envahi nos sociétés.

    Nos centrales, satellites, et autres joyeusetés technonumériques sont dans le collimateur.

    La technique appartient aux techniciens et aux utilisateurs, surfeurs. Mais comment s’est construit les réseaux ? avec qui et pourquoi ? Et si nous ne sommes plus dans les débuts du World Wide Web, il y aura toujours de multiples facettes pour détourner les protocoles. Voilà pourquoi nos gouvernements ont perdu d’avance, ils misent la sécurité alors que les peuples misent la liberté.

    Il est impossible d’opposer sécurité contre liberté, sans que la vie devienne un enfer. Il n’y aura jamais de sécurité sans liberté.

    Cette guerre nous l’avons comprise dès les années 2000. Entre temps, nous avons le 11/09, puis l’effondrement avec la crise 2007-2008. La prochaine étape, je n’ose même pas l’imaginer tant que les peuples continuent à jouer l’ignorance et l’aveuglement.

    Tournez-vous vers vos FAI et admirez leurs desiderata…L’ ORTF c’est fini. Désolé, les vieux ne vont pas assez vite dans cette course contre la montre et la jugeote n’est pas suffisante pour contrer des outils informatiques qui se calculent en milliers de vies humaines dans leurs développements.

    Quant aux intérêts des dirigeants, si divergents de celui des peuples, ils ne font plus le poids devant les impératifs de la survie humaine. Ils agissent comme si les Snowden et autres Assange n’avaient jamais existé, dévoilant leurs natures profondes devant nos yeux ébahis.

    Le chaos est déjà là, et personne ne peut faire semblant de ne pas s’en apercevoir.

    Tout ceci a été expliquer en long en large et en travers depuis les 2005, remontez le temps avec la longue traîne, si vous vous intéressez à votre avenir, remontez dans le passé, et agissez aux présents.

    Allo-allo, il y a de la merde dans les tuyaux…

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    • Sy1337 // 07.12.2016 à 14h07

      Je dirais meme transformation des agences de com. plutot que leur mort. Depuis des annees ces agences se convertissent dans le digital, qui grace au tracking, permet de mesurer les effets des pubs internet bien plus efficacement que les pubs traditionnelles. Ou encore grace a des applications gratuites qui donnent aux marketeurs des informations sur nos profils pour nous cibler plus aisement. En angleterre, certaines assurances se servent deja de contenus postes par leurs clients sur les reseaux sociaux pour determiner leurs prix.

      Et maintenant les gouvernements se rendent compte des avantages a utiliser des techniques similaires pour traquer et surveiller toute la population au nom de la securite. Je ne suis pas surpris que le royaume uni soit un des pionniers, quand on voit le systeme cctv (cameras de surveillance) en place dans le pays.

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      • Stop // 07.12.2016 à 17h58

        Oui, mais aujourd’hui, ils n’ont peur de rien !!!

        « YouTube and Facebook have started using hashes to automatically remove extremist content. »

        « Web giants YouTube , Facebook , Twitter and Microsoft will step up efforts to remove extremist content from their websites by creating a common database »

        On efface tout et on recommence… circuler, il n’y a rien à cliquer !!!

        http://www.zerohedge.com/news/2016-12-07/purge-we-all-knew-was-coming-shutting-down-extremist-content

        La surenchère a un prix et faillite pour faillite, leur choix est simple…

        Je t’efface,
        Tu m’effaces,
        Il s’efface,
        Nous nous effaçons,
        Vous effacer,
        Ils effacent,

        Je sauvegarde,
        Tu sauvegardes,
        il sauvegarde,
        Nous nous sauvegardons,
        Vous sauvegarder,
        Ils sauvent qui peu.

        Stop ou encore, à nous de choisir.

          +0

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  • Alain // 07.12.2016 à 16h38

    On fout une trouille injustifiée à la population en mettant les militaires dans les rues (ils n’ont jamais empêché un quelconque attentat mais cela crée une atmosphère anxiogène) alors que les risques sont statistiquement au bas des tableaux de morts violentes; et cela permet qu’il n’y ait aucune réaction de la population selon le principe « je suis blanc comme neige donc aucun risque que mes données soient utilisées contre moi ». Très naïf quand on voit la déformation que l’on peut faire de tout

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    • Didier // 07.12.2016 à 20h55

      Oui. L’un des arguments les plus crispants entendu dans la bouche de ceux à qui vous expliquez que leur usage immodéré des téléphones portables, des réseaux sociaux et autres gadgets contemporains sans-lesquels-on-ne-pourrait-plus-vivre (à se demander comment on faisait il y a trente ans…), c’est le fameux « mais je n’ai rien à cacher! »

      Outre que c’est faux à peu près à coup sûr – qui n’héberge aucun cadavre dans son placard ?-, c’est probablement la réflexion qui est venue à l’esprit de ceux qui ont débarqué, un petit matin glacé, sur les quais d’Auschwitz ou de Sobibor.

      Et non, pour le coup je ne réclamerai pas de point Goodwin.

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  • SanKuKai // 08.12.2016 à 14h11

    « La loi permettra aux agences de renseignement de passer au crible “un vaste ensemble de données personnelles” contenant des millions de dossiers sur les appels téléphoniques des gens, leurs habitudes de voyage, leurs activités sur internet ou encore leur transactions financières « .

    WOW: Le gouvernement étant au service de son peuple et de la nation, quel outil fabuleux pour dénicher la fraude fiscale! [*]

    [*]: Ironie inside

      +0

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