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Les Démocrates continuent à restaurer l’union avec les néoconservateurs, par Glenn Greenwald

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Avec leur nouveau groupe d’action politique à Washington, les Démocrates continuent à restaurer l’union avec les néoconservateurs de l’époque de Bush, par Glenn Greenwald

Source : The Intercept, Glenn Greenwald, le 17-07-2017

Photo: David Royal/Monterey County Herald/AP

Le rapprochement entre le Parti démocrate et les néoconservateurs les plus extrêmes et les plus discrédités du pays constitue l’une des évolutions du paysage politique américain dont on parle le moins en dépit de son importance. Certes la progression de Donald Trump que les néoconservateurs honnissent a précipité cette redistribution des cartes, mais celle-ci a commencé bien avant l’ascension de Trump et elle est la conséquence plus de l’adhésion aux idées bien plus communes que du mépris éprouvé envers le nouveau président.

Un nouveau groupe de défense de la sécurité nationale, généreusement subventionné semble-t-il et consacré à promouvoir des politiques américaines plus bellicistes contre la Russie et leurs autres adversaires, fournit la preuve la plus éclatante jusqu’à présent de cette alliance. Se faisant appeler l’Alliance for Securing Democracy (l’alliance pour assurer la démocratie), le groupe se décrit comme « une initiative transatlantique bipartite » qui « développera des stratégies de grande ampleur pour se défendre contre les efforts de la Russie et d’autres acteurs étatiques visant à saper la démocratie et les institutions démocratiques, pour les dissuader et en alourdir leurs responsabilités » et aussi « qui travaillera à publiquement documenter et dévoiler ainsi les efforts permanents de Vladimir Poutine visant à subvertir la démocratie aux États-Unis et en Europe. »

C’est, en fait, l’union la plus achevée des responsables de la politique étrangère mainstream des Démocrates et des néoconservateurs les plus militants et les plus militaristes. Ce groupe est dirigé par deux responsables chevronnés de la politique étrangère de Washington : l’une vient de l’aile démocrate de l’establishment et l’autre est un personnage clé issu du cercle des néoconservateurs les plus en vue du Parti républicain.

La Démocrate, Laura Rosenberger, a été la conseillère en politique étrangère de la campagne présidentielle de Hillary Clinton en 2016 et également chef de cabinet de deux responsables à la sécurité nationale d’Obama. Le Républicain, Jamie Fly, a été ces quatre dernières années conseiller aux affaires de sécurité étrangère et nationale de l’un des membres les plus bellicistes du Sénat, Marco Rubio, après avoir travaillé à des titres divers au Pentagone et au Conseil national de sécurité à l’époque de Bush.

Le pedigree néoconservateur de Fly est effectivement impressionnant. Pendant les années Obama, il a écrit des dizaines d’articles pour le Weekly Standard – certains en collaboration avec Bill Kristol en personne – attaquant Obama sur son manque d’agressivité envers l’Iran et les terroristes en général, déclarant Obama « de plus en plus mal adapté au monde auquel il doit faire face en tant que président » en raison de son prétendu refus d’utiliser suffisamment souvent la force militaire (Obama a bombardé sept pays à prédominance musulmane au cours de ses mandats, avec une moyenne de 72 bombes lâchées par jour pour la seule année 2016 ).

Le nouveau partenaire des Démocrates Jamie Fly a passé 2010 à travailler en tandem avec Bill Kristol, exhortant à l’action militaire – c.-à-d. une guerre d’agression – contre l’Iran. Dans un article de 2010 du Weekly Standard coécrit avec Kristol, Fly soutient que « la clé pour changer [la position de l’Iran sur son programme nucléaire] est un débat sérieux quant à l’option militaire » et ajoute : « Il est temps pour le Congrès de considérer sérieusement une Autorisation de la Force Militaire pour mettre un terme au programme nucléaire iranien ».

Fly est ensuite passé par le circuit des think tank de D.C., sous le prétexte d’encourager les « débats », épousant la nécessité de l’utilisation de la force militaire contre l’Iran, énonçant des insinuations typiques des néoconservateurs telles que « nous devons être prudents quant aux intentions de l’administration Obama » envers l’Iran. Il s’est moqué des représentants d’Obama, et de ceux de Bush avant eux, pour leur « obsession de l’option diplomatique » afin de résoudre les tensions avec l’Iran à moins d’une guerre. Le duo Kristol/Fly est revenu en 2012 pour déclarer plus explicitement : « N’est-il pas temps pour le président de demander au Congrès une Autorisation de la Force Militaire contre le programme nucléaire de l’Iran ? ».

En plus de son travail comme conseiller des Affaires étrangères de Rubio, Fly était le directeur exécutif de « l’ Initiative de Politique étrangère », un groupe fondé par Kristol, aux côtés de deux autres dirigeants néoconservateurs, Robert Kagan et Dan Senor, qui était auparavant le principal porte-parole de l’Autorité provisoire de la coalition en Irak. Ce groupe est dévoué à la propagande habituelle des néoconservateurs, demandant « un engagement renouvelé des dirigeants américains » au motif que « les États-Unis restent la nation indispensable au monde ». En résumé, comme l’a dit le journaliste de Vox Dylan Matthews pendant la campagne de 2016, « Si vous voulez un conseiller des Affaires étrangères fortement lié au monde néoconservateur, il est difficile de trouver mieux que Fly. »

S’agissant de ce nouveau groupe, l’alliance des Démocrates avec les éléments néoconservateurs les plus extrêmes est visible au-delà de l’équipe de la direction du parti. Son comité consultatif est composé à la fois de dirigeants Démocrates experts en politique étrangère et de néoconservateurs les plus extrémistes de la nation.

Ainsi, aux côtés de Jake Sullivan (conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden et de la campagne de Clinton), Mike Morrell (directeur par intérim de la CIA sous Obama) et Mike McFaul (ambassadeur en Russie sous Obama) sont présents des dirigeants néoconservateurs tels que Mike Chertoff (secrétaire à la sécurité intérieure de Bush), Mike Rogers (ancien membre du Congrès d’extrême droite, extrêmement belliciste, qui anime aujourd’hui une émission de radio de droite) ; et Bill Kristol lui-même.

En résumé – et cela valait tout autant pendant la première Guerre froide, quand les néoconservateurs ont fait leur nid au sein des combattants de la guerre froide au Parti démocrate – quand il s’agit des controverses clés de politique étrangère, il n’y a maintenant que peu voire pas du tout de divergences entre les principaux gourous de la politique étrangère du Parti démocrate et les néoconservateurs de l’ère Bush qui s’étaient couverts de honte après la débâcle de l’Irak et plus généralement, avec les dérives de la guerre au terrorisme. C’est pour cette raison qu’il leur est si aisé de s’unir ainsi pour soutenir leurs objectifs et croyances communs en matière de politique étrangère.

LES DÉMOCRATES JUSTIFIENT SOUVENT cette union comme un simple mariage d’intérêt : une alliance pragmatique, temporaire, motivée par l’objectif limité de barrer la route à Trump. Mais pour beaucoup de raisons, c’est un prétexte évident , on ne peut moins convaincant. Cette réunion Démocrates/Néoconservateurs se développait bien avant que quiconque ne croie que Donald Trump puisse accéder au pouvoir, et cette alliance s’étend à des perspectives, des politiques et des buts communs qui ont peu à voir avec l’actuel Président.

Il est vrai que les néoconservateurs faisaient partie des adversaires républicains les plus anciens et les plus bruyants de Trump. C’est parce qu’ils le considéraient comme une menace idéologique pour leurs orthodoxies (par exemple, lorsqu’il a préconisé la « neutralité » des États-Unis sur le conflit israélo-palestinien et qu’il a critiqué le bien-fondé des guerres en Irak et en Libye.) Mais ils craignaient également que sa personnalité frustre et offensante ne devienne embarrassante pour les États-Unis et n’affaiblisse ainsi la « puissance souple» nécessaire à l’hégémonie impériale. Même si Trump pouvait s’aligner sur l’orthodoxie néoconservatrice, ce qui s’est produit en grande partie, son ineptie et son instabilité représentaient une menace pour leurs projets.

Mais les Démocrates et les néoconservateurs partagent bien plus que de la répulsion pour Trump ; surtout une fois que Hillary Clinton est devenue porte-parole du parti, elle partageait les mêmes croyances fondamentales quant au rôle des États-Unis dans le monde et sur la manière d’affirmer le pouvoir des États-Unis. En d’autres termes, cette alliance s’explique par bien plus que l’antipathie envers Trump.

En effet, la probabilité d’une union néoconservateurs-Démocrates est bien antérieure à Trump. Revenons à l’été 2014 – presque un an avant que Trump n’ait annoncé son intention de se présenter à la présidentielle – Jacob Heilbrunn, observateur des néoconservateurs de longue date, prédisait dans le New York Times « qu’il se peut que les néoconservateurs préparent un exploit plus audacieux : s’aligner sur Hillary Rodham Clinton et sa campagne présidentielle naissante, dans le but de retrouver le contrôle de la politique étrangère américaine. »

Notant les décennies d’implication dans la Guerre froide du Parti démocrate, avec l’agressivité qui caractérise les néoconservateurs – de Truman et Kennedy à Johnson et Scoop Jackson – Heilbrunn a documenté les néoconservateurs éminents qui, tout au long du mandat de Clinton comme secrétaire d’État, n’ont pas tari d’éloges et se sont alignés sur elle. Heilbrunn expliquait l’affinité idéologique naturelle entre les néoconservateurs et l’establishment démocrate : « Et en réalité, ces néoconservateurs n’ont pas tort », a-t-il écrit. « Madame Clinton a voté pour la guerre en Irak ; elle a soutenu l’envoi d’armes aux rebelles syriens ; elle a comparé le président de la Russie, Vladimir V. Poutine, à Adolf Hitler ; elle soutient sans réserve Israël ; et elle souligne l’importance de promouvoir la démocratie. »

On trouve la preuve de cette alliance bien avant l’émergence de Trump. Victoria Nuland, par exemple, a fait partie des principaux conseillers en politique étrangère de Dick Cheney pendant les années Bush. Mariée à l’un des néoconservateurs les plus influents, Robert Kagan, Nuland est ensuite passée sans interruption dans le département d’État d’Obama et est ainsi devenue une principale conseillère en politique étrangère pour la campagne de Clinton.

Alors que le sentiment pacifiste augmentait au sein de certaines circonscriptions du mouvement républicain — comme en témoigne le succès des candidatures de Ron Paul de 2008 et 2012, et avec ensuite la posture anticipée de Trump en tant qu’opposant des interventions américaines — les néoconservateurs ont commencé à conclure que leur agenda, qui n’a jamais changé, avancerait mieux avec un réalignement sur le Parti démocrate. Dans The Nation au début de 2016, Matt Duss a expliqué comment la mentalité néoconservatrice perdait de l’influence au sein des Républicains et il prédisait :

Il est aussi possible que les néoconservateurs commencent à revenir vers le Parti démocrate, qu’ils avaient quitté dans les années 70, en réponse à l’anti-interventionnisme inspiré par le Vietnam. C’est ce qui a d’abord valu à leur faction le préfixe « néo ». Comme l’a récemment observé le contributeur de The Nation James Carden, il y a des signes selon lesquels des néoconservateurs très en vue ont commencé à graviter autour de la campagne de Hillary Clinton. Mais la question est, maintenant qu’ils se sont révélés comme n’ayant pas de vrais hommes de terrain à fournir, et que leur électorat réel se résume presque entièrement à une poignée de donateurs subventionnant quelques dizaines de membres de think tanks, de journalistes et de têtes d’affiche, pourquoi les Démocrates voudraient-ils les reprendre ?

La réponse à cette question : « pourquoi les Démocrates voudraient-ils les voir revenir ? » est claire : parce que comme le démontre ce nouveau groupe, lorsqu’il s’agit de politique étrangère, les Démocrates partagent beaucoup de points communs avec les néoconservateurs.

Les néoconservateurs migrent peut-être vers le Parti démocrate dont l’establishment les accueille à bras ouverts, mais leur retour ne se fera pas sans heurts : Duss, par exemple, est maintenant le principal conseiller en politique étrangère du sénateur Bernie Sanders. Après avoir dépensé bien peu d’énergie pour les Affaires étrangères comme candidat, le fait que Sanders ait embauché Duss démontre qu’il considère le rejet de l’interventionnisme comme l’influence de la faction populiste du parti.

Il aura des alliés là-bas venant de ce qui reste de la faction au sein de l’administration Obama qui a été éreintée volontiers par l’establishment de la politique étrangère au sujet de son manque d’agressivité envers la Russie ou d’autres considérés comme ennemis. Le sénateur Chris Murphy, par exemple, a dit haut et fort son opposition à l’armement des Saoudiens alors qu’ils attaquent sauvagement le Yémen. Mais maintenant que la rhétorique des faucons et les politiques belligérantes ont intégré les Démocrates, il reste à voir ce qui subsistera de cet anti-interventionnisme.

Pendant de nombreuses années — bien avant les élections de 2016 — l’un des points centraux de la politique des néoconservateurs était que la Russie et Poutine représentaient une menace majeure pour l’Occident, et qu’Obama était bien trop faible et respectueux pour résister à cette menace. Dès le début de la présidence d’Obama, le Weekly Standard avertissait qu’Obama ne comprenait pas les dangers représentés par Moscou et refusait de les affronter. De l’Ukraine à la Syrie, les néoconservateurs ont constamment accusé Obama d’avoir laissé Poutine lui marcher sur les pieds.

Le fait qu’Obama ait été faible face à la Russie et n’ait pas réussi à résister à Poutine, a été un thème d’attaque majeur pour les sénateurs républicains les plus faucons comme Rubio et John McCain. Dans le National Review en 2015, Rubio prévenait que Poutine agissait agressivement sur plusieurs théâtres d’opérations, mais « à mesure que les preuves de l’échec apparaissent, le président Obama ne semble toujours pas comprendre les objectifs de Vladimir Poutine ». Rubio insistait sur le fait que l’échec d’Obama (et de Clinton) à tenir tête à Poutine mettait en danger l’Occident :

En somme, nous devons remplacer une politique de faiblesse par une politique de force. Nous devons restaurer le commandement américain et préciser à nos adversaires qu’ils paieront un prix important pour toute agression. Les politiques de retrait et de retranchement du président Obama rendent le monde plus dangereux. La politique russe d’Obama-Clinton a déjà sapé la sécurité européenne. Nous ne pouvons pas laisser Poutine causer encore plus de dégâts au Moyen-Orient.

En 2015, Obama a rencontré Poutine à l’Assemblée générale de l’ONU et des Républicains en vue l’ont violemment critiqué pour cela. Obama « a, en fait, renforcé la poigne de Poutine », a déclaré Rubio. McCain a publié une déclaration dénonçant Obama pour avoir rencontré le tyran russe, l’accusant de ne pas savoir tenir tête à Poutine aux yeux du monde entier.

Le fait que Poutine soit une menace grave, et Obama trop faible face à lui, était également un thème principal de la campagne présidentielle de Jeb Bush :

(Obama confère à la Russie et à l’Iran plus influence en Syrie et en Irak. Pas bon pour les États-Unis, Israël ou nos partenaires musulmans modérés.)

— Jeb Bush (@JebBush) September 27, 2015

Et même en 2012, Mitt Romney a accusé à maintes reprises Obama d’être insuffisamment ferme contre Poutine, suscitant ainsi la pique désormais célèbre d’Obama et les railleries des Démocrates en général, qui se sont moqués de la russophobie de Romney en la qualifiant de vieille relique de la guerre froide. En effet, avant l’émergence de Trump, le noyau dur des néoconservateurs pro-républicains prévoyait de faire campagne contre Hillary Clinton en la reliant au Kremlin et avertissant que sa victoire donnerait le pouvoir à Moscou :

Même au cours de la campagne de 2016, McCain et Rubio n’ont eu de cesse d’attaquer Obama sur son échec à prendre suffisamment au sérieux le piratage informatique russe et à exercer des représailles. Et pendant des années auparavant, la Russie a été, pour les néoconservateurs, une obsession fondamentale, et ce, à partir du moment où ce pays est entré en guerre contre la Géorgie dont, d’ailleurs, les néoconservateurs appréciaient beaucoup le Président à l’époque, et même avant cela.

Ainsi, quand est venu le moment pour les Démocrates de faire de Poutine et de la Russie un thème crucial de la campagne de 2016, et maintenant que leur bellicisme envers Moscou est leur arme de référence pour attaquer Trump, les néoconservateurs sont devenus leurs alliés idéologiques naturels.

Les paroles de la chanson que les Démocrates chantent actuellement au sujet de la Russie et de Poutine ont été écrites, il y a de nombreuses années, par les néoconservateurs et toutes les tactiques rhétoriques qui l’accompagnent – comme accuser ceux qui cherchent de meilleures relations avec Moscou d’être des hommes de paille de Poutine, de manquer de patriotisme et d’être d’une loyauté suspecte et ainsi de suite – sont celles qui sont au centre des campagnes de dénigrement des néoconservateurs depuis des dizaines d’années.

L’union des Démocrates et des néoconservateurs est beaucoup plus qu’un mariage de raison éphémère visant à provoquer la perte d’un ennemi commun. Comme en témoigne ce nouveau groupe d’action politique, cette union a pour base un large accord idéologique à propos de nombreux problèmes de politique étrangère : depuis Israël jusqu’à la Syrie, jusqu’aux États du Golfe, en passant par l’Ukraine, jusqu’à la Russie. Et les différences ténues entre les deux groupes, au sujet du bien-fondé de l’accord avec l’Iran, de la grandeur de la guerre d’Irak, de la légitimité de la torture, sont plus des reliques de problèmes passés que des controverses actuelles. Ces deux groupes ont trouvé cause commune parce que hormis des exceptions rares et limitées, ils partagent les mêmes convictions d’action politique et les mêmes vues sur la politique étrangère.

Les implications de cette réunion sont nombreuses et se feront sentir sur le long terme. Les néoconservateurs ont davantage nui aux États-Unis et au monde que tout autre groupe – et de loin. Ils ont été les organisateurs de l’invasion de l’Irak et des mensonges qui l’ont accompagnée, du régime de torture institutionnalisée à l’échelle mondiale institué après le 11-septembre et du climat politique ambiant qui assimile désaccord à trahison.

Dans le contexte du total discrédit qui a frappé la présidence de Bush et de son effondrement, ces néoconservateurs bellicistes se sont trouvés marginalisés sans électorat dans aucun des deux partis. Ils étaient des pestiférés, ne pouvant s’exprimer que dans des conférences extrémistes et ne trouvant de travail que dans des organisations marginales.

Mais tout cela a changé, grâce à l’enthousiasme des Démocrates de les accueillir en leur sein, de former des alliances avec eux, et ainsi de réhabiliter leurs réputations et de ressusciter leur pouvoir et leur influence. Quand les responsables de politique étrangère du Parti démocrate acceptent de former de nouveaux groupes militants dans le microcosme de Washington en collaborant avec Bill Kristol, Mike Rogers et Mike Chertoff et souhaitent s’allier avec ceux qui ont causé l’invasion de l’Irak et essayé de lancer une campagne de bombardement contre Téhéran, cette attitude a des répercussions qui sûrement seront encore là après la présidence de Trump.

Peut-être ce qu’il y a de plus remarquable dans l’attitude actuelle de l’establishment du Parti démocrate, c’est que l’un de leurs experts préférés, adoré et abondamment cité, est le même néoconservateur qui a écrit les discours despotiques, brutaux et de mauvaise foi de George W. Bush en 2002 et 2003 à propos de l’Irak et de la guerre contre la terreur et qui a produit en abondance la rhétorique la plus haineuse et incendiaire des dix dernières années au sujet des Palestiniens, des immigrants et des musulmans. Ce propagandiste de Bush, David Frum, est régulièrement célébré dans les émissions libérales de MSNBC, travaille pour The Atlantic où il prodigue des avertissements à propos de l’autoritarisme alors qu’il n’est apte qu’à écrire des manuels pour sa mise en pratique, et c’est cet homme que les organes dirigeants du Parti démocrate traitent comme une figure politique sage et honorée.

(C’était vraiment un grand événement pour nous à @CAPAction avec @davidfrum @joanwalsh and Ruy Teixeira présent en février.)

On voit se répéter le même processus avec de nombreux autres néoconservateurs comptant parmi les plus militaristes et les plus bellicistes du monde. Ainsi les Démocrates ont-ils pratiquement canonisé Max Boot, surtout après sa récente dissension avec Tucker Carlson sur la Russie. Or Max Boot a applaudi, au sens littéral du terme, toutes les guerres qui ont eu lieu lors des deux denières décennies et, en 2013, il a écrit un article intitulé « Nous n’avons pas à nous repentir pour la guerre d’Irak ». Il est maintenant courant de voir des experts et des responsables de haut niveau du Parti démocrate aller jusqu’à citer favorablement Bill Kristol lui-même et en faire l’éloge.

Il n’y a, certes, rien de mal à se mettre d’accord discrètement à propos d’un problème particulier avec quelqu’un d’un parti ou d’une idéologie différents; et on doit encourager ce type d’attitude. Toutefois ce qui se passe ici maintenant va bien, bien plus loin.

Ce que nous voyons ici, ce sont d’importants experts en politique étrangère du Parti démocrate qui s’allient avec les pires néoconservateurs du monde pour former de nouveaux groupes d’action politique militants sur une large base qui visent à refonder la politique étrangère des États-Unis pour la rendre plus hostile, belliciste et agressive. Nous voyons ici non pas des accords isolés avec les néoconservateurs opposés à Trump ou au sujet de problèmes isolés, mais une approbation totale de ces gens, qui va leur redonner leur place, encourager leurs pires éléments et les réintégrer dans la structure du pouvoir du Parti démocrate.

Que Bill Kristol et Mike Chertoff puissent maintenant siéger avec des conseillers importants de Clinton et d’Obama, comme ils le font, est la marque d’un accord beaucoup plus profond qu’un mariage de raison qui viserait à se débarrasser d’un président autoritaire et imprudent. Cette situation démontre un accord largement répandu sur une vaste gamme de problèmes et, de façon plus significative, que les néoconservateurs ont redoré leur blason « washingtonien », profitant jusqu’au bout de l’establishment du Parti démocrate si enthousiaste et si reconnaissant .

Photo du haut : William Kristol, à droite, répond à une question sous les yeux de Leon Panetta et James Carville lors d’un forum titré « The Budget Blame Game » [le jeu des reproches du budget] à l’institut Panetta de la California South University de Monterey Bay à Seaside, en Californie le lundi 6 mai 2013.

Source : The Intercept, Glenn Greenwald, le 17-07-2017

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Commentaire recommandé

Fritz // 03.09.2017 à 06h38

Merci, M. Greenwald : il est bon de connaître l’organisation des fous furieux qui nous entraînent vers le pire. Dans son papier de promotion, cette prometteuse Alliance for Securing Democracy se dit hébergée par le German Marshall Fund. Notre petite province hexagonale dirigée par les Young Leaders devrait s’intéresser davantage à cette prestigieuse organisation transatlantique :

https://fr.wikipedia.org/wiki/German_Marshall_Fund_of_the_United_States

USA-RFA : « partners in leadership », comme disait Bush senior à Mayence, le 31 mai 1989.

14 réactions et commentaires

  • Fritz // 03.09.2017 à 06h38

    Merci, M. Greenwald : il est bon de connaître l’organisation des fous furieux qui nous entraînent vers le pire. Dans son papier de promotion, cette prometteuse Alliance for Securing Democracy se dit hébergée par le German Marshall Fund. Notre petite province hexagonale dirigée par les Young Leaders devrait s’intéresser davantage à cette prestigieuse organisation transatlantique :

    https://fr.wikipedia.org/wiki/German_Marshall_Fund_of_the_United_States

    USA-RFA : « partners in leadership », comme disait Bush senior à Mayence, le 31 mai 1989.

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  • Libraire // 03.09.2017 à 09h38

    (alliance pour assurer la démocratie), le groupe se décrit comme « une initiative transatlantique bipartite » qui « développera des stratégies de grande ampleur pour se défendre contre les efforts de la Russie et d’autres acteurs étatiques visant à saper la démocratie et les institutions démocratiques, pour les dissuader et en alourdir leurs responsabilités » et aussi « qui travaillera à publiquement documenter et dévoiler ainsi les efforts permanents de Vladimir Poutine visant à subvertir la démocratie aux États-Unis et en Europe. »
    Là je suis mort de rire avant d’aller plus loin.
    Sachant que l’existence même de cette nouvelle institution suffit par elle même à subvertir les état occidentaux, le meilleur jeu de Poutine est de ne rien faire et d’observer cette lutte contre une projection fantomatique (de type paranoïde) qui ne peu que conduire à la folie du passage à l’acte. Et donc d’anticiper les tentatives de passage à l’acte de ces pseudos persécutés…Autrement dit un ramassis de malades mentaux qui cherchera à s’auto-persuader de l’existence d’un ennemi extérieur, occultant toute forme de dangers intérieurs, notamment économiques
    Bon je reprend la lecture

      +12

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  • LS // 03.09.2017 à 10h08

    Ce rapprochement entre l’aile « capitaliste » (si quelqu’un à un meilleurs nom, je suis preneur) des démocrates et les néo-cons est inquiétant. On confirme se retrouver avec un système à partie unique. Bonjour la démocratie libérale.

    Bernie, revient ! Ils sont devenus fous.

    Ceci dit, lorsque je discute autours de moi de cette dérive « impériale » de notre système politique, y compris en France mais surtout en UE, c’est moi qui est pris pour un fou.
    Ah la la, il faudra vraiment être éclaté contre le mur pour que les gens songent à réagir.

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    • Louis Robert // 04.09.2017 à 01h12

      « Quand l’homme inférieur entend parler du Tao
      Il éclate de rire
      S’il n’éclatait pas de rire, ce ne serait pas le Tao »

      – Lao Tse, « Tao Te Ching »

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  • Duracuir // 03.09.2017 à 12h06

    De toute manière, depuis l »élection de Trump, le roi est nu. On voit bien, avec cet acharnement insensé, totalement insensé des médias et de l’establishment US contre le POTUS, avec ces inventions délirantes de maccarthysme, que les USA ne sont plus ou n’ont même jamais été une démocratie.
    Certes, on savait déjà que Wallace, vrai homme de gauche avait été scandaleusement évincé de la primaire démocrate à la suite d’un véritable coup d’état interne en 45. On savait certes que le complexe militaro-industriel avait, en même temps, créé, en plein désarmement massif de 48, et la CIA, et le Maccarthysme et le « terrible ennemi soviétique qui fait rien qu’à en vouloir à notre freedom ». On savait qu’Eisenhower, pas précisemment gauchiste avait alerté du danger vital de ce fameux complexe. On savait pour Kennedy, JF et Bob. Et aussi que 20% des citoyens n’ont obtenu une égalité légale qu’il y a 50 ans à peine. On savait que Nixon a été sacrifié suite à des fuites d’un « deepthroat » issu des agences et d’un journaleux officier du renseignement de Marine quelques mois plus tôt. Alors Dem ou Rep… sans char?

      +13

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    • Alfred // 03.09.2017 à 13h36

      Effectivement c’est.un peu l’événement majeur de l’époque: les voiles se déchirent. C’est totalement effrayant. Ce qui est glaçant ce n’est pas de voir le monstre que l’on soupçonnait qui se dévoile et qui apparaît bien concrètement. Ce qui est effrayant c’est de voir la réaction du public devant ce dévoilement. Il n’est ni stupéfait ni en en colère. Ni bouche bée ni tout rouge et grimaçant. Il a l’oeil terne du quotidien voir pire que ça il se focalise exagérément sur les détails d’un vase pour ne pas voir l’éléphant dans le magasin de porcelaine.
      Pour prendre une autre image c’est comme si vous assistiez à un horrible meurtre dans une rue passante et que personne ne remarquait rien et vacquait surtout à ses occupations pour pouvoir ne pas être dérangé et ne rien faire. Nous sommes face à une énorme dissonance cognitive et à une immense lâcheté générale. La conséquence c’est que quand le déni ne sera plus possible « tout »va ressortir de bien plus loin qu’on le croit à mon avis en une grande violence. C’est un moment que j’appréhende (je préférerais une évolution plus douce pour les miens).

        +19

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      • Owen // 04.09.2017 à 05h07

        Un peu comme la Méduse Gorgone: la dureté des propos entretenus par les neocons est insupportable au sens littéral, inaffrontable avec les moyens démocratiques, alors on fait comme si, ou on noie dans un contexte, ou on évacue en se disant qu’il doit y avoir un fond de vrai.

        Je pense à l’affaire Romand, le faux médecin qui a fini par tuer toutes sa famille. J’imagine sa femme, au lit, constatant année après année une accumulation d’incohérences et bizarreries interrogeant timidement son mari, s’il est vraiment médecin. »Enfin ma chérie, tu entends la question que tu poses ? Depuis 10 ans qu’on vit ensemble, tu demandes si je suis médecin ? »

        Des gens qui disent le simple souhait de détruire des pays, déclencher des guerres, à notre époque atomique, pouvant éradiquer l’espèce humaine, ce sont des Hitler ou des Pol Pot, mais ça ne peut pas être des gens qui vivent parmi nous. Notre société n’est pas faite ainsi et des gens comme cela ne peuvent pas s’y développer.

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  • Louis Robert // 03.09.2017 à 13h50

    Tout tombe en place… parce que tout est mis en place, bien sûr.. Modèle qui se « mondialise », celui du Parti unique « démocratique » de Davos: ni de gauche, ni de droite, ni d’ici ni d’ailleurs… mais bien de partout, comme on disait que « Dieu est partout »… Et son Œil grand ouvert qui nous regarde… En ressentez-vous à tout le moins son aimante présence?

    Lutte terminée, victoire.

    Désormais, il aimait Big Brother, concluait Orwell.

      +13

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  • Le Wallon // 03.09.2017 à 14h05

    Que fait-on, encore, avec les US ? Non mais sans blagues, l’Europe vaut mieux que ça !

      +2

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    • Fritz // 03.09.2017 à 14h07

      L’Europe vaut mieux que ça, mais l’UE a ce qu’elle mérite : une laisse magnifique.

        +14

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  • Pierre Tavernier // 04.09.2017 à 00h45

    Peu de commentaires, mais en règle générale pertinents. Article qui reporte un problème majeur, pour ne pas dire vital. Mais dans l’ère de « post-vérité » (ou post-ce que vous voudrez !), on en finit par ne plus savoir qu’elles sont les priorités. Fin d’un monde (américano-centré, en tout cas). Je ne vais pas pleurer sur son sort, mais plutôt m’angoisser sur les nuisances qu’un empire déclinant peut encore, dans son agonie, déchaîner.

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  • Kami74 // 04.09.2017 à 12h41

    Une question me taraude : d’où vient cette agressivité pathologique des néo-cons, ce besoin d’avoir des ennemis, ce fanatisme qui les conduit pousser leurs compatriotes à la guerre ?

    J’aimerais beaucoup entendre l’avis d’un psychologue, car leur comportement semble complètement irrationnel. S’ils sont malades, il faudrait probablement les soigner, mais surtout les éloigner du pouvoir.

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    • Nobbs // 04.09.2017 à 13h44

      Quelques éléments de réponse décorrélés de l’état psychologique de ces personnes :
      – La vente d’arme
      – La guerre permanente d’Orwell
      – La création d’ennemis extérieurs pour cacher les problèmes de l’intérieur
      – La justification d’interventions extérieures face à la Russie (ou URSS) (Kosovo, Afghanistan) pour aller récolter quelques ressources
      – Une éducation (scolaire et culturelle (Hollywood…)) portée sur les héros de guerre, sur la pseudo-domination des USA dans le monde, sur le capitalisme, et sur la compétition permanente
      – La peur de tout perdre sans récolter de part du gâteau (le poisson qui est en train de mourir sur la berge remue plus que celui qui est dans l’eau ?)

      Ceci étant je serais curieux de connaître l’avis d’un psychologue également 🙂

        +4

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