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29.janvier.201529.1.2015 // Les Crises

[Reprise] Mes élèves, un drame et des mots

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Reprise d’un joli billet d’une enseignante qui adore l’Inde

[Ce billet n’a pas été simple à écrire. Il rassemble à la fois mes interrogations, celles de mes élèves, ce que j’en comprends et ce que j’en ai tiré comme réflexions. Pas de conseils ici, mon expérience seulement.]

Marche Charlie Hebdo
Place de la République, Marche du 11 Janvier 2015.

Que leur dire…

Le prof, c’est un être humain qui gère de l’humain, et l’histoire de chacun donne une coloration à la manière dont nous dialoguons à chaud avec nos élèves sur des événements tragiques comme ceux survenus en cette semaine de rentrée. J’ai un bagage, et je savais jeudi dernier qu’il allait me falloir compter avec, quand bien même je devais « être prof ».

Mon histoire, c’est la sidération pendant les trois jours qu’ont duré les attentats de Bombay en 2008 [OB : Vous pensez que vous n’avez même jamais entendu parler de cet attentat à 173 morts ? C’est ici pour le rappel – qui en dit long sur notre vision nombriliste du monde #ParisCapitaleDuMonde], qui ont laissé la ville groggy pendant des mois ; ceux aussi de 2011 qui ont tué à quelques centaines de mètres de chez moi. Le fait en tant qu’Occidentale d’être cible potentielle s’est ajouté à mon histoire parisienne et de voyageuse, d’avoir conscience que cela peut sauter n’importe où, n’importe quand. De savoir par mon histoire familiale que cela peut VRAIMENT dériver n’importe quand. J’ai retenu de cela le besoin de se réunir, de se serrer, de parler encore et encore, et d’accepter les regards qui se croisent et s’embuent : l’élan viscéral de se sentir humain, solidaires, de partager la peine et l’angoisse. C’est avec cette idée que je suis entrée dans une salle des profs bouleversée.

Mon histoire, ce sont aussi les cris « Vive Al-Qaeda, vive Ben Laden ! » proférés par des 4è devant les attentats de Madrid au début de ma carrière : colère, indignation, incompréhension, et l’absence de réponse institutionnelle à cela. Mes élèves n’avaient-ils donc pas d’empathie ? de retenue ? étaient-ils tous des militants potentiels de l’intégrisme armé ?

Un peu plus d’expérience m’a appris qu’ils étaient surtout des adolescents ; qui plus est, des ados élevés au pied d’un HLM du Val-d’Oise, enfermés dans un microcosme dont ils savaient déjà pertinemment qu’ils ne sortiraient jamais. Les vacances, c’était avec un sourire éclatant aller voir leur tante à Villiers-le-Bel. Des ados dont l’univers était pour nombre d’entre eux marqué par un non-dit absolu sur l’histoire familiale, le pourquoi de l’émigration (et je le vérifie encore aujourd’hui), si ce n’est « la guerre ». L’enfermement, géographique, corporel, intellectuel, culturel et historique.

Voici les élèves auxquels j’allais m’adresser.

Mes élèves.

Alors eux d’abord

J’ai commencé chacun de mes cours en leur disant : « il s’est passé quelque chose de grave, qui touche de nombreuses personnes et qui touche à plein de choses. Quelqu’un peut raconter ce qui s’est passé ? ». J’ai refusé d’encadrer leur pensée, de recourir au bouclier des programmes : faire rentrer le réel dans des définitions et des cases érudites créées par des adultes pour des adultes. J’ai refusé de partir du principe que j’allais contrer frontalement, du haut de ma position d’adulte et de prof, les éventuels dérapages : quand il faut lutter pied à pied contre des thèses fallacieuses, des idées dangereuses, il faut laisser les ados s’exprimer librement plutôt que de se protéger en réduisant immédiatement leur lecture à « liberté d’expression », « liberté de la presse », « laïcité ». Les grands concepts viendront après, peut-être, selon ce qu’ils diront.

Il s’est avéré que presque tous avaient suivi avec attention le déroulement des événements. Ils avaient retenu les noms, les lieux, les hypothèses déjà avancées par les médias. Ils avaient pour certains une lecture bien arrêtée, oscillant entre le « ouaisCharlie Hebdo est allé trop loin mais en même temps ça ne se fait pas de tuer » et le « c’est n’importe quoi, c’est pas des musulmans ça » et « en même temps, hein, la classe d’avoir une kalach ! » . Le travestissement de l’émotion, les mots et les provocations de purs ados. Mais ils étaient en demande de clarification, tout autant que nous.

Et ça, chercher le pourquoi, c’était déjà une victoire.

La disproportion

Dans l’attentat contre Charlie Hebdo, l’inadéquation entre l’insulte et la riposte n’est pas du tout venue à l’esprit de la plupart de mes élèves. Il faut dire que ces derniers se battent jusqu’à casser des nez, avoir la bouche en sang, se faire fracturer un tibia, pour une insulte : pour des mots proférés dans une classe, un couloir ou une cour de récréation. Juste des mots. Réellement du sang, réellement des plâtres. Dans une large proportion, ce sont aussi des élèves qui connaissent les coups comme réponse à des notes scolaires, des paroles, des soucis familiaux. Et quand ils s’intéressent d’eux-mêmes à la géopolitique, c’est uniquement au conflit israélo-palestinien, vu au prisme encore de la disproportion : de pauvres hères dépenaillés et affamés dans les ruines de Gaza face à la mécanique huilée et ultra-puissante d’Israël. La disproportion est constitutive de leur vision du monde, elle est naturelle et fait loi. Je soupçonne même qu’il y ait un peu de Schadenfreude dans l’attitude de certains, si les coups tombent sur quelqu’un d’autre, c’est qu’ils ne tombent pas sur moi.

Alors là, j’ai repris la parole. J’ai comparé, donné des exemples simples. J’ai fait appel à leur sens de l’équité, très éveillé à cet âge-là le plus souvent. Où se trouve la gloire à frapper plus fragile que soi ? Où se trouve l’héroïsme dans la kalachnikov qui anéantit le crayon ?

La compassion variable

Dans leur description des faits connus, leur compassion était quasi nulle il faut bien l’admettre. Tout d’abord parce que Charlie Hebdo ne signifie absolument rien pour eux : par leur âge, leurs centres d’intérêt, leur milieu social, ils ne le lisaient pas, n’en connaissaient pas les dessinateurs et il n’y a aucune raison pour que des gamins nés entre 2000 et 2004 aient eu ce journal entre les mains. Et l’empathie quand on est ado, elle est d’abord pour son nombril, j’en veux pour preuve les hurlements de rire quand un élève tombe de sa chaise. Charlie Hebdo leur évoquait aussi une polémique sur la représentation de Mahomet parce que, uniquement, les médias l’avaient rappelée dès mercredi.

La compassion variable est un trait humain pointé du doigt à chaque catastrophe aérienne ou géologique : l’empathie est créée par la proximité réelle ou supposée avec les victimes, et nous pensons le monde en terme de proximité géographique (ce qui arrivait en Inde m’émouvait encore plus quand j’y vivais), religieuse (les églises brûlées et les chrétiens massacrés dans l’Est de l’Inde ou en Birmanie, avec les musulmans au passage, par les hindous et les bouddhistes touchent profondément des catholiques de mon entourage), ethnique pour certains (cela ne fait pas partie de mes cadres mais je le conçois).

Comme mes élèves ne sont pas moins humains que les autres, leur émotion s’est dévoilée quand ils ont entendus les noms de Ahmed Merabet, de Mustafa Ourrad, quand ils ont vu la couleur de peau et le nom de Clarissa Jean-Philippe. La proximité culturelle, ethnique. Et étrangement, l’âge a fait mouche aussi : ils se sont indignés en prenant conscience que certains des dessinateurs étaient des « papys ». Des papys armés d’un crayon, face à des kalachnikovs tenues par des trentenaires.

« Ah ouais, là, c’est abuser quand même…»

Il n’y a pas de fumée sans feu

Mais dans un univers fait de sanctions et de coups, lorsqu’il arrive quelque chose c’est qu’on l’a un peu cherché, non ? C’est sans doute l’argument qui revient le plus de la part des élèves, avec en ligne la polémique originelle, les caricatures de Mahomet, et la Une un peu trop fine pour qui veut ne trouver que de l’insulte partout dessinée par Cabu. Je n’ai pas eu besoin de leur projeter quoi que ce soit : apparemment, tous les avaient vues ou faisaient semblant de les connaître. Et de surenchérir sur le fait qu’ils avaient aussi regardé la vidéo où Ahmed Merabet se fait exécuter, ainsi que celles des journalistes régulièrement assassinés par Daesh.

Horreur… ou bien peut-être les rodomontades et roulements de mécanique d’adolescents…

Toujours est-il que le journal l’avait bien cherché, et donc avait mérité la punition. On rejoint là les réflexions qui surgissent souvent pendant l’année témoignant selon moi du besoin de justifier la terreur : si les nazis ont voulu exterminer les Juifs, si « tout le monde » déteste les Juifs, c’est que quelque part… ils ont fait quelque chose pour le mériter. L’enfant comme l’adolescent a besoin d’une explication à l’horreur, et quand bien même la peine est disproportionnée, ils établissent une réciproque immonde mais « logique » : si tu fais quelque chose, tu es puni ; si tu es puni, c’est que tu as fait quelque chose. Alors les dessinateurs de Charlie Hebdo l’avaient nécessairement cherché. Sinon, c’est que le monde ne tourne pas rond…

Que mes élèves n’aient aucune idée de ce que contenait et contient le reste du journal, les caricatures vitriolesques de Le Pen, du pape, de Dieudonné, de Sarkozy, d’imams et de rabbins, de tout le monde en fait n’a aucune importance. Charlie dans leur imaginaire est le journal d’une seule chose, qui aurait touché leur âme et leur conscience, la représentation du Prophète. « Sérieux, ça ne se fait pas, ça, c’est de l’irrespect Madame ! » .

Alors parlons un peu de respect.

L’oukaze du respect

Cette notion, on en a badigeonné mes élèves depuis leur plus tendre enfance. Elle est devenue depuis une vingtaine d’année le quatrième mot à ajouter à la devise de la République, en banlieue pauvre en tout cas : le Respect, ce sera le cadre de pensée qui empêchera un peu la marmite d’exploser. Comme le mot « tolérer » (quel mépris : tolérer, c’est accepter de subir !), le respect a tellement été vidé de sens qu’il s’applique à tout indifféremment : on doit « respecter » les autres, accepter leur couleur de peau tout en cédant la place aux personnes âgées, ne pas cracher par terre et écouter l’opinion des autres, ne pas couper la parole aux professeurs et ne pas insulter les élèves. Ce respect-là, tel qu’il a été enseigné, cela s’appelle la politesse.

La loi elle ne s’occupe pas de politesse, mais ça mes élèves ne le savent pas. Pour eux, Charlie et tout le monde est contraint par la loi d’être poli et précautionneux : ne pas insulter la religion des autres, ne pas moquer les convictions des autres puisqu’il est écrit que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses » . Inquiéter, embêter, moquer, respecter : c’est du pareil au même. De plus, la loi de 1905 reconnaissant toutes les religions et leur pratique, comme la pratique de l’Islam implique de ne pas représenter Mahomet il est imposé à tous de ne pas insulter les croyants musulmans en représentant Mahomet… Raccourcis, contre-vérités, mésinterprétations, raisonnements erronés : là, on le sait, il y a du boulot et ce n’est pas avec la portion congrue d’heures de cours que l’histoire-géographie-éducation civique reçoit avec des programmes pantagruéliques qu’on en arrivera à bout.

La relativité des lois

Et puis, il faut revenir à Antigone.

Expliquer encore et encore à des esprits pétris de religieux, et pas seulement d’Islam mais aussi de christianisme évangélique, que la religion est une conviction personnelle, qu’elle n’est pas au-dessus de la loi quand bien même elle importe à notre esprit, notre coeur, nos traditions. Qu’il ne peut pas y avoir blasphème dans un journal français, puisque les dessinateurs n’étaient pas musulmans, qu’ils n’ont pas obligé les musulmans à dessiner des images du Prophète, qu’ils ne les ont pas obligés à les regarder ou à acheter le journal. Et parce que tout simplement, le délit de blasphème n’existe pas en France.

Ils comprennent très bien que chaque pays a ses lois, mais leur inexpérience leur empêche de savoir qu’une personne qui se déplace est soumise aux lois du pays où elle se trouve. Je leur ai raconté la déférence absolue due au roi de Thaïlande et à ses photos quelle que soit notre nationalité, je leur ai dit l’interdiction pour moi, femme, de conduire en Arabie Saoudite alors que j’ai le permis, de me rendre et me déplacer sur le territoire si je ne suis pas accompagnée d’un tuteur, père, frère, mari ou fils, alors que je suis indépendante. Parce que c’est la loi, quand bien même elle offense mes convictions personnelles et éventuellement religieuses. La loi humaine est au-dessus des lois divines. Sauf dans les pays où il est clairement dit que c’est la loi religieuse qui fait loi. Mais ce n’est pas le cas en France. Il y a là une nécessité de hiérarchiser, de séculariser la pensée, avec des élèves qui ont du mal à faire la part des choses.

Expliquer enfin qu’une tradition religieuse ne concerne que les croyants de cette religion, pas les pratiquants d’autres religions ou les non-croyants. Ce qui est évidence pour moi, adulte et athée, ne l’est pas du tout pour eux. Je n’ai pas, habitant avec toi, à exclure le porc de mon assiette si ta religion implique de ne pas en manger : il en va de la politesse que lorsque je cuisine, je te propose un plat sans porc, mais qu’il en va aussi de la politesse que tu ne m’imposes pas de manger sans porc (tiens, ça me rappelle mon billet sur le végétarisme ça…). Tu ne m’imposes pas tes contraintes, je ne t’impose pas les miennes : c’est ça, la politesse, le « respect ».

Compliqué. Il faudra y revenir, encore et encore.

L’art du professeur.

Le « deux poids deux mesures »

Progressivement apparaît en dialoguant avec les élèves un sentiment sous-jacent qui parcourt bien des cours d’histoire. Le sentiment de ne pas être écoutés, de ne pas être entendus surtout.

Evidemment c’est en grande partie lié à cet âge où l’on rit et crie fort dans les rues pour se faire remarquer, l’âge où l’on surjoue l’agressivité en pensant que c’est de la personnalité, l’âge où pour s’affirmer soi on s’affirme avant tout contre tous. Mais il y a aussi, notamment pour mes élèves d’origine algérienne, une mémoire occultée faite de confusions, de non-dits et de sang : bien souvent à l’origine de la migration de leurs parents, et non de leurs grands-parents, la Guerre d’Algérie est un point de cristallisation. Mes élèves confondent en toute candeur la guerre d’indépendance et la guerre civile, en font un récit manichéen…

Mais si vous saviez. La demande pressante, presqu’une supplique, chaque début d’année dès la 6è : « Madame, on parlera de la Guerre d’Algérie cette année ? » . Si vous saviez le poids mémoriel, le travail énormissime qu’il y a à faire pour rendre droit de cité à une mémoire qui empoisonne ces gamins et nous avec, un désir de vengeance fondé sur rien, un besoin que soit reconnue une souffrance endossée par chaque génération. Pas un mea culpa mais un véritable travail d’historien et de pédagogie pour donner des pistes, un cadre de réflexion, une place réelle dans les mémoires et pas un cours-croupion, qui permettrait à ces élèves et à ces jeunes d’accéder à une reconnaissance après laquelle ils désespèrent.

L’étape suivante ? Comme ces ados ont souvent l’âge émotionnel d’un enfant de 3 ans, pire que de ne pas être écouté, c’est avoir le sentiment que d’autres sont plus écoutés que nous.

Le sentiment d’injustice est alors décuplé.

Se rendre intéressant

La dieudonnisation fonctionnant bien, la question des Juifs et de la Shoah est de temps à autre soulevée par un élève plus provocateur ou plus volubile que les autres. Cela prend la forme du « on parle trop des Juifs et pas assez de « nous » » , « on peut blaguer sur les Arabes mais pas sur les Juifs » . Si l’on enlève les mots qui heurtent et que l’on écoute le ton, on entend effectivement « moi, moi, moi » .

J’ai au début de ma carrière été désemparée de devoir expliciter ce qui relève de l’empathie, de l’humain, de la finesse, ou peut-être d’une éducation. Mais j’explique. Rire de la mort de 6 millions de personnes, femmes et enfants compris, dans des circonstances d’une cruauté infinie est aussi peu adéquat, drôle et pertinent que de faire de l’humour sur les tortures en Algérie ou les conditions et les conséquences de la traite négrière. Que faire de l’humour, c’est pointer une contradiction (du type : « t’es une fille, t’as pas de shampooing ?« … nan, désolée, c’est pour me détendre un peu…) et la mettre à distance pour faire passer un message, ou détendre l’atmosphère sur un sujet sensible ou douloureux. Voyez le Charlie Hebdo d’aujourd’hui en la matière…

S’ajoute parfois l’argument que si les synagogues et les écoles juives sont protégées, c’est parce qu’ « il n’y en a que pour les Juifs et qu’ils veulent se rendre intéressants » . Il y a l’idée qu’être protégé c’est être faible, ou bien auréolé de prestige : comme une star ou un footballeur, on est quelqu’un d’important. Donc si les Juifs sont protégés… c’est qu’ils sont plus importants que les autres ?

Lutter pied à pied, doucement, ne pas tomber dans le panneau de la confrontation, opposer des faits, des faits, des faits. Rappeler que des Juifs ont été tués à Toulouse, dans une école, récemment et uniquement parce qu’ils étaient juifs. Et que l’HyperCasher n’était pas une épicerie choisie au hasard mais parce que juive et fréquentée par des Juifs. La menace est réelle et concrète. Il y a des morts au bout.

Et puis raisonner un peu par l’absurde. Leur demander s’ils désirent donc que des musulmans soient tués dans un attentat contre une mosquée pour enfin « avoir la chance et le privilège » de vivre une vie surveillée ? D’aller à l’école coranique accompagnés par des policiers ? Leur demander aussi s’ils pensent que les gamins de Peshawar trouvent ça drôle d’avoir gagné le privilège d’aller à l’école protégés…

La spécificité de l’antisémitisme

Mais le plus intéressant dans tout cela, c’est de revenir aux mots.

Une des questions qui hérisse mes élèves, c’est de savoir… pourquoi on a besoin d’un mot différent dans la loi et dans le vocabulaire quotidien pour qualifier la haine des Juifs ? Leur interrogation est sincère et récurrente, parce qu’elle introduit encore cette idée que « pour les Juifs, c’est toujours différent » .

Le racisme est un des autres sujets transversaux de la scolarité de mes élèves, on l’aborde par les programmes, on l’aborde par les projets dès le primaire. Le racisme opère sur des critères d’ethnie, de religion, d’origine géographique etc. Dans leur idée, l’antisémitisme devrait être intégré sous le concept de racisme. Et c’est peut-être ce qui m’a demandé le plus de temps à clarifier pour moi-même… pourquoi le racisme est-il distinct de l’antisémitisme… que recouvre donc cette notion d’antisémitisme…

… rien. Rien de concret. Ce n’est pas une question de pratique religieuse ou de concurrence. Ce n’est pas une question de couleur de peau. Ce n’est pas une question d’origine géographique. Ce n’est rien de physique, de culturel, de politique, ce n’est rien de tout cela. Peut-être la réflexion la plus édifiante à cet égard a été celle d’une élève me disant « Madame, quand on va dans le quartier des Juifs, ils nous regardent bizarrement » .

Voilà. Le rien absolu. Et tout ce qui s’engouffre dedans : les fantasmes et les rumeurs, tout peut avoir un sens puisque de toute manière, l’antisémitisme ne repose sur aucun critère concret. Tout peut donc venir l’alimenter : un peuple différent (rare), l’argent (toujours), la puissance occulte (moins à leur âge), la manipulation (plus). Le fantasme qui perdure depuis les débuts du christianisme, avec ses couches qui s’ajoutent à chaque crise de l’histoire : les rites sanguinaires du Moyen Âge, le critère du sang introduit par les rois espagnols, l’âpreté au gain des grands argentiers du roi et de l’industrie etc.

« Alors Madame, pourquoi leur tape-t-on dessus s’ils n’ont rien fait ? » . Pharmakos, le bouc émissaire, El Fennec me rappelant très justement ce proverbe shadok :

Proverbe Shadok

Alors ?

Un prof est sous le feu nourri de mille questions à la fois. Le dialogue est possible mais le débat serein ne l’est pas tant nous sommes tous face à nos limites quand ce qui nous semble évident, moralement et socialement, est mis en cause. Nous sommes en première ligne d’une lutte pour laquelle nous n’avons que trop peu de moyens, humains et horaires. Pas besoin de textes pétris de bonnes intentions, pas besoin de liens vers des séquences sur la liberté d’expression, pas besoin d’émission sur « comment parler des attentats avec les élèves » : donnez-nous des médecins scolaires, des assistantes sociales, des COP, des assistants d’éducation, des éducateurs, des profs payés et traités correctement. Donnez-nous des heures pour aider à réfléchir, interroger et comprendre le monde dans lequel nos élèves vivent et sont amenés à prendre part. Tout simplement.

Les propos de certains de mes élèves, rares pour les provocateurs, plus nombreux pour les « testeurs », paraissent outranciers ? Ecoutons-les. Que nous disent-ils d’eux, de notre société, de nous ? Ces élèves tâtonnent. Questionnent. Répètent. Provoquent. Essaient d’interpréter à partir des seuls cadres de pensée dont ils disposent. Ce sont des adolescents qui sont en train de se former. A les contrer en ridiculisant leurs vues que nous jugeons étriquées, passéistes et dangereuses, nous perdrons à chaque fois. Ce sont des ados et nous sommes des adultes. Ecoutons-les avant de les qualifier de « graine d’islamistes »…

Note : la véritable marche républicaine commence maintenant. La question de l’Ecole certes, mais de tout le reste aussi. Les services sociaux, le milieu carcéral, la prise en charge psychiatrique : tout cela relève de notre engagement de citoyen. Jusqu’où et comment sommes-nous prêts à nous engager ?

Source : Chouyo, pour Chouyo’s World

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Commentaire recommandé

visiteur // 29.01.2015 à 02h26

Cette phrase a particulièrement retenu mon attention :

« La disproportion est constitutive de leur vision du monde. »

J’ai bien peur que tous les efforts de cette enseignante pour ramener des adolescents un peu déboussolés à une appréciation plus équilibrée du monde risque de dérailler lorsqu’ils seront de plus en plus confrontés à cette disproportion qui surgit de toute part :

Pourquoi certains (les fameux 1%) se remplissent-ils (de plus en plus) les poches alors que d’autres triment en crevant (de plus en plus) la dalle ?

Pourquoi les PDG catastrophe dévastant les entreprises dont ils ont la charge sont remerciés avec des parachutes dorés alors que la moindre bourde du simple quidam est punie sans merci ?

Pourquoi trouve-t-on des millers de milliards pour sauver des banques qui ont ruiné les épargnants en spéculant sur du vent, et rien pour rénover les écoles ?

Etc, etc.

Comme la société se dirige (en termes d’inégalité ou de restrictions sécuritaires) vers des disproportions accrues, il est probable qu’une frange significative de cette nouvelle génération en vienne, malgré tous les efforts pédagogiques, à considérer l’état de disproportion comme normal, et à agir en conséquence — de façon disproportionnée. Et cela est inquiétant.

35 réactions et commentaires

  • jp // 29.01.2015 à 01h43

    merci d’avoir mis ce texte que j’avais lu sur son site,

    Je retiens qu’effectivement la guerre d’Algérie hante les esprits en France (celui de zemmour par ex : on y sent l’aigreur des rapatriés d’Algérie) et je pense que le racisme contre les Arabes/musulmans vient de cette ignorance de l’Histoire.

    En attendant, la chasse aux gamins prend des proportions délirantes :

    le Figaro
    Un enfant de 8 ans entendu pour apologie du terrorisme

    Par Marie-Estelle Pech le 28/01/2015

    Le 8 janvier, Ahmed, élève de CE2 à Nice, aurait affirmé en classe : « Je ne suis pas Charlie, je suis avec les terroristes ». Il a été convoqué mercredi dans un commissariat avec ses parents.

    Inscrit en classe de CE2, à Nice, Ahmed a été convoqué mercredi après-midi avec ses parents dans un commissariat en audition libre. Il est accusé d’avoir défendu les terroristes auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier. Selon son avocat, Me Sefen Guez Guez, proche du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), le directeur de l’école a porté plainte contre le père d’Ahmed. De son côté, le ministère de l’Éducation nationale a précisé mercredi au Figaro que l’enfant avait également fait l’objet d’un signalement par son directeur d’établissement auprès de la protection de l’enfance.

    Deux heures d’audition

    Le 8 janvier dernier, au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo, Ahmed aurait affirmé en classe: «Je ne suis pas Charlie, je suis avec les terroristes». Convoqué avec ses parents mercredi en début d’après-midi, le jeune garçon a quitté le commissariat après environ deux heures d’audition. Me Sefen Guez Guez dénonce une affaire «insensée» en raison de l’âge de l’enfant. Devant l’officier de police judiciaire, l’élève a nié avoir dit que «les journalistes méritaient la mort». Il n’a pas non plus su définir ce que signifiait le mot «terrorisme». Le père et la mère auraient de leur côté fermement condamné les propos de leur fils.
     »
    http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/01/28/01016-20150128ARTFIG00475-un-enfant-de-huit-ans-entendu-pour-apologie-du-terrorisme.php

      +2

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    • georges glise // 01.02.2015 à 19h51

      je suis inspecteur de l’éducation nationale retraité. ce texte est ce que j’ai lu de plus pertinent, de plus sensé depuis le drame de charlie et de l’hyper casher. merci madame; vos propos mériteraient d’être communiqués à mme vallaud-belkacem qui me paraît confote en sa béatitude.

        +2

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  • Gérard Lambert // 29.01.2015 à 02h14

    d’une grande profondeur et d’un grand amour des ados et du métier

      +11

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  • visiteur // 29.01.2015 à 02h26

    Cette phrase a particulièrement retenu mon attention :

    « La disproportion est constitutive de leur vision du monde. »

    J’ai bien peur que tous les efforts de cette enseignante pour ramener des adolescents un peu déboussolés à une appréciation plus équilibrée du monde risque de dérailler lorsqu’ils seront de plus en plus confrontés à cette disproportion qui surgit de toute part :

    Pourquoi certains (les fameux 1%) se remplissent-ils (de plus en plus) les poches alors que d’autres triment en crevant (de plus en plus) la dalle ?

    Pourquoi les PDG catastrophe dévastant les entreprises dont ils ont la charge sont remerciés avec des parachutes dorés alors que la moindre bourde du simple quidam est punie sans merci ?

    Pourquoi trouve-t-on des millers de milliards pour sauver des banques qui ont ruiné les épargnants en spéculant sur du vent, et rien pour rénover les écoles ?

    Etc, etc.

    Comme la société se dirige (en termes d’inégalité ou de restrictions sécuritaires) vers des disproportions accrues, il est probable qu’une frange significative de cette nouvelle génération en vienne, malgré tous les efforts pédagogiques, à considérer l’état de disproportion comme normal, et à agir en conséquence — de façon disproportionnée. Et cela est inquiétant.

      +34

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    • lili 2b // 29.01.2015 à 06h47

      @ visiteur,

      je suis entièrement d’accord avec vous Comment avoir une vision plus équilibrée dans un monde totalement déséquilibré, d’autant plus que comme le dit cette enseignante, ce sont des éponges à « injustices » a ces âges-là. Et ils doivent bien sentir que ces « injustices les concernent aussi, car ils n’auront pas les mêmes possibilités que nous ( économiques, libertés ect…)

        +10

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  • Alexandre // 29.01.2015 à 02h48

    Texte épris d’une belle et grande volonté humaniste; mais qui sonne comme un aveu d’impuissance… La cause est exprimée en une seule phrase : « La loi humaine est au-dessus des lois divines. »
    L’homme est épris d’absolu, car l’essence même de sa vie est Dieu lui-même : toutes les grandes religions l’enseignent. Que l’on y croit ou pas, cela n’en reste pas moins une réalité…
    Alors proposer des valeurs transversales (humanistes) qui pour certaines vont à l’encontre de valeurs transcendantales (divines) ne peut ni combler ce besoin d’éternité auquel tout homme aspire (consciemment ou non), ni apporter de justification cohérente à ce qu’elles ont de transgressif au regard des lois divines.
    Typiquement voltairien cet humanisme sans Dieu… C’est une idéologie en soit d’ailleurs, qui me semble illusoire mais je respecte tout à fait ses adeptes 🙂
    Bref, malgré le bel élan que je crois sincère de ce texte, l’histoire se répète et le déclin de notre civilisation semble inéluctable…

      +14

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    • Vallois // 29.01.2015 à 08h46

      Avez-vous lu la marque du sacré de Jean-Pierre Dupuy ?

        +1

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      • georges glise // 01.02.2015 à 19h56

        avez-vous lu le traité d’athéologie de michel onfray.

          +0

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  • Eleutheria // 29.01.2015 à 03h07

    Le fond du problème, c’est qu’on attend des professeurs qu’ils fassent le travail d’éducation qui revient aux parents, plutôt que d’enseigner les programmes prévus (donc l’histoire et la géographie, en l’occurence).

    C’est évidemment voué à l’échec, avec le désagrément supplémentaire de les empêcher d’accomplir leur première tâche d’enseignement qui, lorsqu’elle est réalisée correctement, est déjà insuffisante.

      +17

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  • boduos // 29.01.2015 à 03h25

    chère prof,continuez d’aimer vos élèves mais en secret car on vous en blâmerait.

    si on revient sur notre drame du 7 courant,qu’il s’agisse de folie,de désespoir meurtrier,d’avertissement d’état à état,de fals flag , nos commentaires en réaction de réactions sont de toute façon très éloignés des préoccupations de nos « élites » qui n’ont vu que l’opportunité de canaliser sur eux la compassion naturelle faisant suite à l’émotion :
    -cote de popularité à peu de frais
    -justification de futures campagnes militaires en invoquant l’ état de guerre.
    -justification de lois liberticides voulant contrôler l’information sur la toile (mais ils rêvent) et pérenniser leurs mandats ….
    …et j’en passe des sous produits que leurs communicants exploitent sur le vif de tels événements.

    pour preuve de leur cynisme ,considérez simplement les marcheurs de la manif du 11.01, chefs d’état totalitaires , pratiquant la censure chez eux venus défendre la liberté d’expression à République
    considérez les massacres tout frais de Libye,ceux de nos allies al nostra,ceux de Tsahal au phosphore blanc ,..ceux de la maison des syndicats d’Odessa.

    continuez d’aimer vos élèves en secret,ils vous en blâmeraient

      +6

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    • francisco // 29.01.2015 à 13h44

      Bonjour
       » continuez d’aimer vos élèves en secret,ils vous en blâmeraient  »
      IL y manque le « sinon » devant  » ils vous en … » (puisque le « ils » de votre phrase se rapporte aux élèves).
      Alors vous aurez absolument et totalement raison.

      https://www.youtube.com/watch?v=1uBR6KpB8j8 (où le » celui que j’aime » n’est jamais identifié)
      Christian

        +1

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  • Serge // 29.01.2015 à 05h23

    Comme si le rôle de l’enseignement était celui-là !
    Illusion sentimentale de vouloir règler des problèmes qui dépassent de loin les acteurs qui sont en première ligne pour les affronter ,car ceux-ci franchissent nuisiblement les portes d’un lieu (l’école) qui devrait demeurer un sanctuaire consacré à l’étude .
    Au risque de me faire modérer ,je dirais que c’est un texte d’une vacuité profonde rempli de » bons sentiments » réglés au diapason de l’idéologie dominante mondialiste ,et qui témoigne de la féminisation des esprits de notre société , surtout dans le mileu enseignant depuis quelques décennies . (en plus je n’aime pas les dessins de Manara,mais c’est un autre sujet.Quoique…).
    Je suis bien heureux de ne plus en faire partie .mais c’est triste et cruel pour mon pays .
    Oui,je pense que nous sommes vraiment foutu .
    Si j’étais plus jeune ,j’irais vivre en Russie où l’air me semble un peu plus respirable qu’ici .

      +9

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    • jp // 29.01.2015 à 07h50

      « la féminisation des esprits » c’est à dire ?

        +2

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      • bourdeaux // 29.01.2015 à 10h31

        Peut-être entend-il par « féminisation » la tendance grandissante à vouloir toujours obtenir l’assentiment de son interlocuteur, à chercher à intégrer l’autre, ne pas le brusquer, ne pas balayer les obstacles mais les contourner, bref, ces traits de tempérament que l’on trouve bien plus souvent chez la femme que chez l’homme, et qui ne peuvent pas dominer dans le corps enseignant sans changer profondément la pratique éducative. L’art d’instruire les enfants a de tous temps inclus une bonne part de contrainte envers l’élève, tâche dont les femmes s’acquittent peut-être moins naturellement que les hommes ?
        C’est une explication, mais serge en a sans doute une autre.

          +4

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      • Serge // 29.01.2015 à 23h13

        Deux éléments de la « féminisation des esprits » : psychologisme et maternage (protection maternelle,donner le sein ).
        Si ce n’est pas équilibré par le versant mâle :aventurier (affronter le danger ),et guerrier ,c’est la catha !

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    • bourdeaux // 29.01.2015 à 10h10

      Si j’ai trouvé certains passages intéressants et des idées bien exprimées dans ce billet, je vous rejoins sur la question du sanctuaire. Le corps enseignant français est en effet farci d’individus parfaitement incapables de tracer une frontière autour de leurs salles de classe. Ma conjointe enseigne en collège et lycée comme remplaçante (donc payée au lance-pierres), et elle me raconte des scènes absolument sidérantes. Par exemple, l’élève paresseux a disparu des conseils de classe, il n’y a plus que des gamins « en échec scolaire », cette fatalité impersonnelle, comme les tempêtes et les inondations, qui accable ceux que le mauvais sort a désigné. Et l’unique explication aux mauvais résultats répétés d’un gamin ne se peut trouver que dans son foyer: « ses parents sont divorcés ?…bla bla bla, non ? HHaaa ! mais je crois que ça se passe mal avec son père, bla bla bli…Il n’a pas accepté la naissance de sa petite sœur, patati…je crois qu’il est dépressif…patata… » Ma femme entend ce genre de sottises à chaque conseil de classe, ce sont des thérapies de groupe ! Et les délégués de classe sont présents !
      Faut-il s’étonner, dans cette pataugeoire de pipelettes, que les profs se soient, une fois de plus jetés dans ce piège à C…, en ouvrant portes et fenêtres au « dialogue » de haute tenue qui se mène sur les chaînes de télé ? A ce rythme-là, les salles de classe seront bientôt agrémentées d’un plan en zinc, avec distributeur de cacahuètes, et les profs serviront l’apéro en commentant les faits divers du jour.

        +11

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  • Ludo // 29.01.2015 à 07h42

    Comme le montre certains billets, je pense qu’il y a du bon sens chez beaucoup de personne, le problème comme toujours, et en y pensant beaucoup de problèmes viennent simplement de là je crois, on ne montre que ceux qui font n’importe quoi ou qui vont trop loin. C’est vraiment très bien ce que vous faites Olivier, vous êtes un des rares à être modéré et équilibré dans votre transmission d’information. Dans ce sens, vous êtes vraiment une perle rare … et très précieuse !

    Déjà, on se fixe sur les collèges ou y’a des problèmes, mais est-ce que le problème est bien celui que l’on pose ? Est-ce que c’est lié à CH ou lié plus généralement à l’établissement ?

    Et est-ce qu’on pense à tout ces collège ou y’a pas de problème ? Proportionnellement, est-ce que le problème est si important qu’on veut nous le faire croire ?

    Bien sur que non, mais comme d’hab, tout est bon pour distraire le citoyens des problèmes réels.

    C’est dur quand on se rend compte très clairement de tout ca et qu’on voit les gens tomber dans le panneau …

      +4

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  • Laetizia // 29.01.2015 à 07h56

    Texte intéressant et sensible, bien observé, qui témoigne d’une pratique pédagogique actuelle « donner la parole aux élèves, les écouter ». C’est là que le bât blesse. Avant que les élèves puissent s’exprimer, que leur parole aie de l’intérêt, de la valeur, ils doivent commencer par apprendre à penser, s’exprimer, en étudiant la langue française, le vocabulaire, des textes de philosophes, romanciers, essayistes, historiens etc. Pourquoi pas en étudiant le latin, discipline qui enseigne la rigueur, la logique, et l’étymologie des mots que nous employons.
    Sans une solide formation préalable, les débats ou temps de paroles avec des ados ne sont que bavardages où s’exprimeront les hormones, le narcissisme, le ressentiment social, des discussions de café du commerce.
    Ces débats ont-ils vocation à servir de soupape pour évacuer la vapeur chaude ? Dans ce cas l’enseignant devient assistante sociale, psy, il sort de son rôle.

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    • Charles // 29.01.2015 à 09h26

      L’élite dont vous parlez, celle qui a appris à penser, qui a lu les auteurs classiques et les a compris, c’est combien de personnes en France ? (Par exemple, qui ne s’arrête pas à l’ultra-rationalisme, à la séparation de l’âme et du corps du cartésianisme idéologique et à quelques formules choc de Descartes ? Qui se tait en reconnaissant n’y connaître rien pour ne s’être pas battu avec les textes eux-mêmes ?) Cent mille personnes à tout casser ?

      Et en plus, avoir cette culture et cette faculté de raisonnement, ça ne vous protège pas de la mauvaise foi.

      Le texte d’Onfray publié ici-même qui retrace « sa » journée des attentats montre à quel point, même quand vous avez tout ce qu’il faut de bagage intellectuel pour y faire face, vous pouvez n’avoir rien d’autre à dire que vos émotions (qui sont les mêmes que celles de ces gamins, mais assorties de mots d’un langage un peu plus soutenu et qui se targuent d’une tout autre autorité que celle d’un simple citoyen – alors que quand il parle sur ce sujet, Onfray n’est qu’un citoyen comme un autre : qu’est-ce qui le qualifie pour parler de ces attentats ?).

      Faire parler ces gosses, ça n’est pas pour en tirer une substantifique moelle philosophique : pourquoi détiendraient-ils plus la vérité que d’autres (ou moins, d’ailleurs) ? La discussion que mène ce professeur, c’est précisément pour leur apprendre à réfléchir, leur faire prendre conscience que leur réaction première cache un monde, un océan de choses diverses et variées qu’il faut aussi prendre en considération pour se prononcer. Là, elle leur apprend à réfléchir, elle clarifie les notions, leur montre que des mots qu’ils pensaient proches ne recouvrent pas du tout la même réalité.

        +9

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      • Laetizia // 29.01.2015 à 10h08

        Certes le prof a fait consciencieusement son travail, et c’est utile.
        Cependant chez les ados, les jeunes il y a de l’arrogance avec un manque d’expérience et de culture. Leur donner la parole sur tout, risque de les conforter dans cette arrogance, cette naïveté. Ca ne les encourage pas à se former, à travailler. Ils emploient leur énergie à s’affirmer par des provocations, au lieu de faire profil bas et travailler ; ce travers adolescent (ça leur passera) est encouragé par l’institution scolaire. Une école d’ados par des ados?

          +5

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        • Pierre // 29.01.2015 à 14h53

          Bof, je ne sais pas si vous avez déjà enseigné, mais j’ai eu bien plus de satisfaction et de résultat à laisser les élèves dire des betises, partir de ces betises et dérouler jusqu’à trouver où ca coince. Apprendre correctement ca n’est pas la fermer et recopier ce que dit le prof comme un certain nombre de gens ont l’air de le penser ici, genre bachotage, moi ca n’est qu’en DEA et encore plus en doctorat que j’ai fini par le comprendre. Apprendre à réfléchir ca suppose de se tromper et de comprendre pourquoi on s’est trompé, histoire de se forger une méthode de réflexion.
          A la limite on peut « conforter les ados dans leur arrogance » si on ne sait pas comment leur répondre et canaliser leur réflexion, mais j’ai envie de dire: si on sait pas faire ca ou pire qu’on n’a pas envie d’apprendre à la faire, est-ce qu’on est vraiment à sa place en tant que prof ?

            +3

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          • Serge // 29.01.2015 à 22h17

            @Pierre
            Qui parle de « bachoter » bêtement ?
            Seulement vous !
            Vous confondez le café du commerce,les émissions « c’est mon choix », »toute une histoire »,qui remplacent plus ou moins désormais à l’école,la vraie réflexion et la vraie connaissance ,qui eux ,passent par l’humilité de l’apprenant vis à vis de ce savoir accumulé par les siècles précédents et les oeuvres qu’elles ont produites tant scientifiques ,littéraires artistiques et philosophiques .
            Après,qu’il existe de jeunes génies précoces ,prodiges et frondeurs comme Evariste Galois pour bousculer le consensus de l’époque,c’est autre chose …
            C’est comme ça aussi qu’avance la science .Mais ces idées nouvelles étaient déjà dans l’air ,il suffisait seulement qu’un individu hardi franchisse un pas de plus.
            Car pour en rester à l’exemple de Galois (mort en duel à 20 ans) ,son génie n’est pas né ex-nihilo :il a eu un excellent professeur ,mr Richard(qui fut aussi celui de Ch.Hermite),à Louis le Grand .il a lu et étudié à la source,les oeuvres de Lagrange,Legendre,de Gauss …Sans ces illustres savants,il n’aurait été rien .
            On doit toujours quelque chose à nos prédécesseurs .
            On ne s’élève qu’en sefforçant de grimper sur leurs épaules,pour voir un peu plus loin ,si c’est possible .
            Vous vous glorifiez d’être enseignant .Y’a pas de quoi ,car moi aussi ..
            Des « pédagogos » modernistes,j’en ai connu des tonnes .Et franchement,je ne leur confierais mes gamins pour rien au monde ,ça c’est juste bon pour les pauvres et donc tous ceux qui sont pas au courant de la catastrophe scolaire actuelle.

              +1

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      • bourdeaux // 29.01.2015 à 10h41

        @ charles
        Ne confondez pas la « discussion » qu’ont eu, en chair et en os ce professeur et ses élèves, avec le compte-rendu posé, réfléchi, qui en est fait dans ce billet. Car je crains qu’entre les deux, il y ait un abîme…

          +3

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  • Charles // 29.01.2015 à 08h57

    Dans les fameux pays nordiques, il y a aussi un sacré racisme. Et des délires racistes, cf. la Norvège avec le massacre perpétré par Breivik.

    On a une vision ultra positive de ces pays. Pa sûr qu’ils soient aussi sympas qu’ils le semblent. Par exemple, en Suède, il y a encore assez peu, on donnait aux enfants des orphelinats du sucre à outrance pour mener des expériences sur les caries. Sous caution de l’État.

      +3

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  • Demoralisateur // 29.01.2015 à 09h58

    On parle ici d’éducation, or comme le raconte très bien Franck Lepage dans sa conférence gesticulée « Inculture »: « L’éducation, on a essayé, ils n’en ont pas voulu »

    L’école n’a pas pour mission d’éduquer les enfants. Il manque cruellement de structure éducative en France.

    Je suis d’accord avec son analyse sur l’importance des mots mais j’ai quand même l’impression que cette dame vit dans un monde illusoire. La disproportion est une réalité (il n’y a qu’a voir sur ce blog même les disproportions de propagande médiatique ou les inégalités de richesses), cela s’appelle les rapports de pouvoir et s’en est l’essence même. L’histoire des Hommes est écrite par des rapports de pouvoir.

      +4

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    • georges glise // 01.02.2015 à 20h03

      la réalité, c’est le crétinisme généralisé entretenu par les médias et par ceux qui démolissent l’école; j’ai l’impression que vous y participez.

        +0

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      • Carabistouille // 01.02.2015 à 20h10

        Georges Glise le terrible, l’indomptable Biterois, le profond compagnon des premiers temps mariannesques. Quel plaisir! mais toutefois, attention Georges, ici, le fond peut être percutant mais le ton se doit d’être d’une parfaite correction. Point de hargne facile et d’emportement malséant cher ami. 🙂

          +0

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  • Alae // 29.01.2015 à 10h22

    « Le prof, c’est un être humain qui gère de l’humain. »

    L’homo economicus « gère » de l’humain comme d’autres un portefeuille d’actions. Il a un « capital-sympathie » à faire fructifier. 🙂

    Blague à part, elle est gentille, madame, mais est-ce qu’elle peut régler les problèmes d’ajustement social de ses élèves en tentant de leur vendre le monde occidental tel qu’il est ? Quid des 1%, quid de l’ascenseur social en panne, de la marginalisation des ados qu’elle a en face, de la soupe au rap et de la sous-culture télé qu’on leur fourgue en manière de tranquillisant, etc ?

    Si elle leur servait plus de Marx et moins d’eau tiède, je suis sûre qu’ils seraient tout ouïe. Mais, n’est-ce pas, ils deviendraient plus lucides, donc moins manipulables. C’est au choix.

      +7

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  • kèsse // 29.01.2015 à 10h33

    La peur de l’autre est interprétée par l’autre comme de la méfiance et peut déclencher une réaction disproportionnée de par et d’autre, alimentant la peur respective des deux mecs qui se regardent en se regardant …

    L’injustice est aussi facteur de violence …

    Les privilèges n’en parlons pas …

    La France est un immense cocktail molotov ! Cocktail, vient de l’américain, molotov, du russe, la guerre froide en somme …

      +3

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  • bourdeaux // 29.01.2015 à 13h30

    Une école n’est pas un forum politique pour atrophiés du bulbe ! Pour vous, la pensée précède le langage ? Pourtant le langage est le véhicule de la pensée ; je vois donc mal comment elle peut le précéder…
    Quant à ma tentative d’explication de l’expression de serge « féminisation », vous me faites une réponse malhonnête. J’ai tenté de calquer ce qui me semble être des traits généraux du tempérament féminin sur l’évolution de la mentalité que l’on observe dans les mots d’ordre de l’éducation nationale. Cela ne signifie pas que ces traits-là soient méprisables, ce que je ne crois pas avoir même insinué, mais seulement qu’ils révèlent un écart croissant entre ce que l’on attend de nos écoles et ce qu’il s’y passe en réalité. Car qu’observons-nous ? Un discours : « vous allez voir ce que vous allez voir, on va remettre la priorité sur les apprentissages fondamentaux, l’illettrisme sera bientôt du passé ; l’école est un sanctuaire, la politique n’y a pas sa place, pas plus que la religion, etc… »
    Des faits : (vous parliez de moutons, en v’là ) embrigadement des gamins pour toutes les « causes nationales », pour les valeurs « de gôche », contre le racisme, l’homophobie, le machisme, les inégalités, et que je leur bourre le mou avec NOS valeurs républicaines (supposées consensuelles alors que vous ne trouverez pas 2 parlementaires qui en aient vraiment la même définition).Pendant ce temps, les gamins s’autogèrent dans le ressassement au lieu d’apprendre. Vous allez sans doute me répondre qu’il faut former des citoyens, vieille tarte à la crème ? L’école n’a pas pour mission de former de citoyens, mais de donner à la jeunesse les outils pour devenir des hommes libres.

      +3

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    • Serge // 29.01.2015 à 22h22

      Rien à ajouter à ce que vous dites là @Bourdeaux .

        +0

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      • georges dubuis // 30.01.2015 à 11h32

        Et moi de même.La république est une nousnous de petit jeje

          +0

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  • Laetizia // 29.01.2015 à 13h32

    Inciter les jeunes à travailler, réfléchir, s’informer et… vivre, avant de s’exprimer, est une attitude plus exigeante mais aussi plus respectueuse envers eux. Il y a démagogie à dire : tout le monde a quelque chose à dire sur tout. Je ne prétends pas que seules les personnes cultivées ont voix au chapitre, car l’expérience de la vie supplée le manque de culture. Quand on n’a ni l’un ni l’autre, on exprime souvent des clichés en les prenant pour des idées personnelles.
    Bien sûr les enfants, ados, sont capables de réflexion, d’acuité, avec un esprit critique affûté. Mais ils n’ont pas encore mis en pratique leurs idées dans leur vie, ce ne sont que des paroles.

      +2

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    • Pierre // 29.01.2015 à 15h08

      Ah bon ? Etre exigeant c’est en effet etre plus respectueux, on est d’accord là-dessus, mais ca dispenserait donc d’écouter quelqu’un ? On a la vague impression qu’écouter un ado ou un enfant c’est finalement céder, personnellement je ne vois pas le rapport. Par contre j’ai déjà vu pas mal de gens courir au devant de problèmes en ne voulant pas écouter ce que leur disent leurs enfants.
      Au risque d’etre crucifié par ceux qui pensent qu’il suffit simplement de se la jouer maitre d’école des années 50, ca n’est pas une bonne méthode éducative, au pire un paliatif quand on ne sait pas faire mieux. De la meme manière qu’effectivement, une bonne fessé ca n’est pas nécessaire, c’est juste mieux que de laisser votre enfant vous dominer, ca reste quand meme raz des paquerettes si vous me le permettez. Eduquer un individu c’est un travail PARTICULIEREMENT difficile, ce qui ne justifie pas de le faire au lance-roquette.

      A part ca je trouve que le commentaire de Marianne équilibre un peu ici, le parallèle avec la situation internationale et les prises de position sur ce blog ne sont pas inintéressantes.

        +0

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  • philou // 29.01.2015 à 14h35

    il manque peut-être à cette analyse le concept de « bouc émissaire » tel que développé par René Girard.
    Je pense qu’il pourrait être exposé à des élèves par le biais d’exemples choisis dans l’Histoire et aussi dans le quotidien des différents groupes d’élèves.
    Ainsi ces derniers pourraient se rendre compte,qu’à leur niveau,ils participent à la fureur du monde.
    Et ensuite leur demander comment ils peuvent ,personnellement,éviter de tomber dans ce piège.
    Vaste programme…!

      +1

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