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17.décembre.202017.12.2020 // Les Crises

ONU : Un déficit de 5,1 milliards de dollars menace les actions de l’organisation

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Source : ConsortiumNews, Thalif Deen
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Thalif Deen fait état d’un important manque de liquidités causé par des retards ou des défauts de paiement dans le cadre de la pandémie de Covid-19.

Siège de l’ONU. (Flickr/Julien Chatelain)

Lorsque les Nations unies ont dû faire face à une crise de liquidités en avril 1996, l’une des nombreuses mesures drastiques prises a été de réduire leur personnel.

Elle a donc pris le même chemin que les entreprises américaines et, paradoxalement, pour une institution à court d’argent, elle a offert un « coup de chapeau en or » – une indemnité de licenciement d’environ 80 000 dollars chacun – à ceux qui quitteraient volontairement l’organisation au bord de la faillite.

Et comme l’immortalise le titre de la comédie hollywoodienne de Woody Allen de 1969 : environ 400 membres du personnel ont décidé de « prendre l’oseille et se tirer. »

Avance rapide jusqu’en octobre 2020.

Dans le contexte actuel, déclare un diplomate asiatique, l’ONU n’est pas en mesure d’offrir des indemnités aussi généreuses, même à certains des plus hauts fonctionnaires – s’ils se portent volontaires pour démissionner.

Une « crise des liquidités » déclenchée par le retard ou le non-paiement des contributions de 61 États membres – soit un manque à gagner ahurissant de 5,1 milliards de dollars – menace aujourd’hui de compromettre à la fois le fonctionnement du mandat et les opérations mondiales.

Le 2 novembre, seuls 132 États membres (sur 193) avaient versé l’intégralité de leurs contributions au budget ordinaire, selon les derniers chiffres des Nations unies.

Les inquiétudes concernant la crise actuelle des liquidités viennent de trois sources : le secrétaire général Antonio Guterres ; le président de l’Assemblée générale Volkan Bozkir ; et le Groupe des 77, qui compte 134 membres et constitue la plus grande coalition de pays en développement de l’organisation mondiale.

Volkan Bozkir (à gauche), président de la 75e Assemblée générale des Nations unies, avec le secrétaire général António Guterres, le 26 octobre 2020. (Photo ONU, Eskinder Debebe)

Lorsqu’il a présenté à la mi-octobre une proposition de programme budgétaire pour 2021, António Guterres a averti que « la crise des liquidités ne s’était pas atténuée et entravait sérieusement la capacité de l’organisation à remplir ses obligations envers les gens que nous aidons. »

« En ce moment crucial pour notre action, il convient de répéter que l’organisation ne peut remplir ses mandats que si les États membres s’acquittent de leurs obligations financières dans leur intégralité et en temps voulu », a-t-il déclaré.

La responsabilité des opérations quotidiennes, actuellement menacée, repose directement sur les épaules d’un personnel global estimé à environ 32 417 personnes, selon les derniers chiffres du Conseil des chefs de secrétariat pour la coordination, alors que le personnel du secrétariat à New York est estimé à plus de 3 000 personnes.

Prisca Chaoui, secrétaire exécutive du Conseil de coordination du personnel de l’Office des Nations Unies à Genève (ONUG), qui compte 3 500 membres, a déclaré à IPS [Inter Press Service, NdT] : « En effet, la direction nous a informés qu’elle n’autorisera pas de reconduction des contrats au-delà de deux ans, alors que les règles actuelles permettent une prolongation jusqu’à cinq ans. »

Ils ont clairement indiqué qu’ils voulaient réduire les engagements de l’organisation, a-t-elle dit, en soulignant qu’il y a actuellement un « gel du recrutement, qui signifie que plus personne ne peut être ni recruté ni promu à cause de la crise de liquidité. »

« Ce que nous savons, c’est qu’il y a une crise de liquidité très grave, personne n’a encore parlé d’une crise financière, mais nous sentons qu’elle arrive », a-t-elle ajouté.

Des turbulences économiques

Tout cela est dû au fait que les Etats membres sont confrontés à des turbulences économiques, et il va sans dire que payer l’ONU ne sera pas leur priorité, a-t-elle estimé.

Elle s’est également plainte : « Nous regrettons que le cycle budgétaire soit passé de deux ans à un an, ce qui oblige l’organisation à négocier le budget sur une base annuelle. Auparavant, nous avions des cycles budgétaires de deux ans, ce qui était plus sûr que la situation actuelle, où le budget doit être négocié chaque année. »

« Si nous comprenons les difficultés auxquelles l’organisation est confrontée, nous ne sommes pas d’accord sur les tentatives de transformer le personnel des Nations unies en employés de société. Cela va à l’encontre des principes de fonctionnement des fonctionnaires indépendants », a déclaré M. Chaoui.

Le secrétaire général António Guterres tient une conférence de presse virtuelle pour promouvoir un rapport sur son appel à un cessez-le-feu mondial lors de l’épidémie de Covid-19, le 3 avril 2020. (Loey Felipe, photo ONU)

Guy Candusso, ancien premier vice-président du Syndicat du personnel des Nations Unies à New York, a déclaré à IPS « avec toute l’incertitude du monde actuel, je ne suis pas optimiste pour le court terme. »

À long terme, a-t-il dit, la crise financière se résoudra très probablement d’elle-même. « En attendant, je pense que tout le personnel souffrira et portera le fardeau des restrictions lorsque l’argent manquera. »

Lorsqu’il a introduit le programme de retraite anticipée buy-out en 1996, Joseph Connor, sous-secrétaire général à l’administration et à la gestion, a déclaré : « il y a trop de gens dans cette organisation qui font le même travail pendant 20 ans. »

Connors a déclaré aux journalistes que les Nations unies avaient mis de côté environ 15 millions de dollars pour le programme de départ, dans le cadre duquel le Secrétariat avait dit au revoir à 400 employés. Avec le départ prévu d’autres employés, a-t-il dit, 15 millions de dollars supplémentaires seront libérés grâce aux économies réalisées dans le budget pour permettre un « départ anticipé. »

Les indemnités de licenciement, d’environ 80 000 dollars chacune en moyenne, étaient fondées essentiellement sur l’ancienneté des employés.

Lorsqu’on lui a demandé s’il craignait que certains des meilleurs employés soient ceux qui acceptent de partir volontairement, M. Connor a répondu que dans de tels cas, le Secrétaire général de l’époque, M. Boutros Boutros-Ghali, ferait usage de son pouvoir discrétionnaire et rejetterait les demandes, comme il l’a fait dans le passé.

Le groupe des 77

S’exprimant au nom du Groupe des 77 et de la Chine, Megayla Austin, du Guyana, a déclaré le mois dernier devant le Comité administratif et budgétaire des Nations unies (également connu sous le nom de Cinquième Commission) que le G-77 remarquait les efforts des États membres pour remplir leurs obligations financières tout en surmontant les difficultés économiques et financières pendant la pandémie de Covid-19.

Toutefois, « le Groupe note également que le montant total des contributions non acquittées et des estimations pour le maintien de la paix dépassent 5,1 milliards de dollars, au début septembre, la majorité provenant d’un seul État membre ».

Ce seul État membre a été identifié comme étant les États-Unis, le plus gros contributeur au budget de l’ONU.

Volkan Bozkir, président de la 75e session de l’Assemblée générale, a déclaré le 28 octobre : « Je ne pouvais pas m’adresser à vous aujourd’hui sans aborder l’importante question de la situation financière de l’ONU. »

Le secrétaire général m’a, « à plusieurs reprises, fait part de ses préoccupations quant à la situation financière de l’ONU et à sa capacité à faire face à ses obligations financières en cours. Je partage ces préoccupations et j’invite instamment tous les États membres à payer leurs cotisations intégralement et dans les délais ».

Au cours de la quinzaine des responsables, a-t-il souligné, le message des dirigeants mondiaux a été clair : « La coopération internationale et une action multilatérale efficace sont essentielles pour faire face à la pandémie. Les Nations unies ont donc besoin d’une base financière prévisible pour y parvenir. »

Outre les opérations quotidiennes, l’ONU peut également manquer de fonds pour la mise en place de ses missions.

Lorsque António Guterres a présenté la proposition de budget 2021, il a déclaré : « pour mettre pleinement en œuvre les mandats qui nous ont été confiés, l’ONU aura besoin d’un total de 2,99 milliards de dollars, ce qui représente une réduction nette de 2,8 % par rapport à l’année dernière, malgré des initiatives et des missions supplémentaires. » Cela comprend une suppression nette de 25 postes.

Richard Ponzio, associé principal et directeur du programme Just Security 2020 du Centre Stimson, a déclaré à IPS que les États membres ont la responsabilité légale de payer leurs cotisations, fixées d’un commun accord, à temps et dans leur intégralité chaque année.

« La grave crise financière que l’organisme mondial a connue ces dernières années entrave son travail urgent et vital, qui n’a fait que s’intensifier avec le début de la pandémie de coronavirus. »

Les États-Unis et les autres pays qui manquent à leurs responsabilités en vertu des traités internationaux ne font pas non plus preuve de leadership au-delà de leurs frontières à un moment où les besoins internationaux sont criants, a-t-il ajouté.

Barbara Adams, présidente du conseil d’administration du Global Policy Forum, a déclaré à IPS : « Comme vous le savez, ce n’est pas la première fois que l’ONU est l’otage d’une dépendance excessive à l’égard d’un seul contributeur. »

Selon elle, un financement durable est essentiel si l’on veut que les autres propositions et les réformes à l’échelle du système soient couronnées de succès. Cependant, les modèles actuels de financement sont insuffisants tant en quantité qu’en qualité.

« Un financement durable est crucial pour la capacité de l’ONU à faire ce pour quoi elle a été créée. Mais plus pertinemment, il est nécessaire de déconnecter et de rompre les schémas actuels qui sont dominés par quelques grands donateurs, et la manière dont ils influencent la prise de décision, l’établissement de l’agenda et la définition des priorités fausse la mise en œuvre dans tout le système », a déclaré M. Adams, ancien directeur associé du Bureau Quaker auprès des Nations unies à New York (1981-1988).

Entre-temps, quatre États membres ont demandé – et obtenu – des dérogations au titre de l’article 19 de la Charte pour incapacité à payer leur cotisation en raison de contraintes financières.

L’Assemblée générale a accepté que les Comores, Sao Tomé-et-Principe et la Somalie soient exemptées du paiement de la totalité du montant minimum nécessaire pour éviter l’application de l’article 19 de la Charte en raison de « conditions indépendantes de leur volonté ». En conséquence, aucun d’entre eux ne sera pénalisé et ils seront autorisés à voter à l’Assemblée générale, jusqu’à la fin de sa 75e session l’année prochaine.

Thalif Deen est directeur et rédacteur en chef du bureau des Nations unies de l’agence de presse Inter Press Service (IPS). Il couvre les Nations unies depuis la fin des années 1970. Il peut être contacté à l’adresse suivante : thalifdeen@aol.com

Source : ConsortiumNews, Thalif Deen, 09-11-2020
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

RGT // 17.12.2020 à 09h10

L’ONU est en faillite ?

Et la cause de cette faillite provient de retards de versements de certains états membres qui ont profité de l’aubaine du covid pour aller plomber une organisation qui ne se soumettait pas à leurs volontés ?

En fait, je m’attendais à ce que cette faillite survienne plus tôt, vers 2003 par exemple.

Plus de « machin », plus de problème.

Et bien sûr ce sont les grouillots qui seront jetés comme de vieilles chaussettes sans la moindre indemnité bien sûr, les z’élites restant en place ou partant avec un parachute doré.

Grouillots qui, comme d’habitude ont des « bullshit jobs », genre réunionite aiguë pour compter les trombones afin d’éviter le gaspillage, uniquement destinés à justifier les rémunérations indécentes des « élites » comme dans toute administration qui se respecte.

Et ces pratiques « efficaces » se propagent désormais dans toutes les grandes entreprises et pour les mêmes raisons.

Qu’elle soit « publique » ou « privée », le seul objectif d’une administration est de croître à l’infini pour justifier les rémunération des « élites », et ensuite on creuse des trous pour reboucher les trous précédents.

Ça s’appelle la loi Bitur-Camembert qui est dénoncée par des personnes dont je ne partage pas les opinions générales mais qui sur ce point précis ont une analyse d’une grande pertinence.

6 réactions et commentaires

  • RGT // 17.12.2020 à 09h10

    L’ONU est en faillite ?

    Et la cause de cette faillite provient de retards de versements de certains états membres qui ont profité de l’aubaine du covid pour aller plomber une organisation qui ne se soumettait pas à leurs volontés ?

    En fait, je m’attendais à ce que cette faillite survienne plus tôt, vers 2003 par exemple.

    Plus de « machin », plus de problème.

    Et bien sûr ce sont les grouillots qui seront jetés comme de vieilles chaussettes sans la moindre indemnité bien sûr, les z’élites restant en place ou partant avec un parachute doré.

    Grouillots qui, comme d’habitude ont des « bullshit jobs », genre réunionite aiguë pour compter les trombones afin d’éviter le gaspillage, uniquement destinés à justifier les rémunérations indécentes des « élites » comme dans toute administration qui se respecte.

    Et ces pratiques « efficaces » se propagent désormais dans toutes les grandes entreprises et pour les mêmes raisons.

    Qu’elle soit « publique » ou « privée », le seul objectif d’une administration est de croître à l’infini pour justifier les rémunération des « élites », et ensuite on creuse des trous pour reboucher les trous précédents.

    Ça s’appelle la loi Bitur-Camembert qui est dénoncée par des personnes dont je ne partage pas les opinions générales mais qui sur ce point précis ont une analyse d’une grande pertinence.

      +13

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  • Patrick // 17.12.2020 à 09h22

    Les rats quittent le navire , c’est bon signe.
    La faillite de cette organisation qui a cru devenir un nouveau gouvernement mondial non élu est une bonne chose.
    Il est grand temps que cela redevienne juste un endroit où discuter avant de se taper dessus , et rien d’autre.
    La globalisation est en faillite partout , ça va être douloureux mais salvateur.

      +12

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  • 78 ans // 17.12.2020 à 12h56

    « Les États-Unis et les autres pays qui manquent à leurs responsabilités en vertu des traités internationaux… »

    ***

    Depuis longtemps, il est de notoriété publique que l’Empire a tout fait et continue de TOUT faire pour affaiblir l’ ONU et réduire son influence à néant. Un dénommé BOLTON s’est du reste illustré par son éloquence et ses interventions en ce sens… Ainsi donc, comme ils disent si bien, ce n’est ici que « business as usual », du pareil au même et du même au pareil.

      +5

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  • step // 17.12.2020 à 13h58

    « En ce moment crucial pour notre action, il convient de répéter que l’organisation ne peut remplir ses mandats que si les États membres s’acquittent de leurs obligations financières dans leur intégralité et en temps voulu », a-t-il déclaré.

    Libre circulation financière + concurrence fiscale
    -> service publics en état de mendicité (hôpitaux, dette d’infrastructure…)
    -> dette publique -> clientélisme -> états non solvables.
    -> états non solvables -> ONU HS.

    Je ne parle pas des states qui eux ayant privilège de monnaie internationale, le financement ne dépend guère d’autre chose que de leur volonté.
    ça y ‘est le système qu’ils ont promu pendant 40 ans vient de tuer les derniers planqués. La boucle est bouclée. Et maintenant ?

      +3

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  • petitjean // 17.12.2020 à 18h58

    A quoi sert l’ONU ?
    combien ça coûte, combien ça rapporte ?
    depuis sa création combien de conflits cette organisation a-t-elle empêché ?
    Depuis 1945 les victimes dans le monde se compte par millions !
    Nous apprenons que cette organisation, magnifique sinécure pour beaucoup, ne sait pas gérer son personnel : gabegie assurée !
    Cette organisation parasite, qui voudrait régenter le monde, doit disparaitre…

      +2

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  • Gutionbleu // 21.12.2020 à 07h21

    Étrange article, qui par sa touffeur ne permet pas de comprendre que le problème vient des Etats-Unis, qui financent 30% du budget des nations unies et utilisent le levier du retard pour mettre le multilatéralisme et ses fonctionnaires au pas. Le parallèle avec les contributions minimales des Comores ou de Sao Tomé est même tellement surprenant qu’il confine à la drôlerie… à moins qu’on veuille justifier le droit des Etats Unis de faire de même ? Enfin, le commentaire sélectionné, qui reprend l’antienne des fonctionnaires feignants, est à la mesure de l’article car éligible aux perles du Figaro. J’en laisse la responsabilité à son auteur, et à sa hargne bien visible de ne pas « en être ».

      +1

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