Alizée Delpierre est sociologue, spécialiste des inégalités sociales, de la domesticité, et notamment de la domesticité chez les classes supérieures très fortunées. Dans son livre « Servir les Riches » (Ed. La Découverte) elle enquête sur le rapport entre les domestiques et ceux qu’ils servent : les grandes fortunes. Ce rapport domestiques/riches est un lieu d’observation privilégié de la lutte des classes, et interroge sur la nature complexe des rapports de dominations. Le monde des domestiques attire pour sa proximité avec le pouvoir et les rétributions ce cela implique…mais il inquiète aussi par la violence sociale, et les abus qu’il engendre. Dans cette interview par Olivier Berruyer pour Élucid, Alizée Delpierre nous partage les analyses et les expériences incroyables vécues au cours de son enquête….
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Commentaire recommandé
Je vais vous faire un aveu : cette interview est fascinante, riche, instructive, elle me rappelle beaucoup les travaux de Monique Pinson Charlot et du très regretté Michel Pinson. Donc, un grand merci. MAIS, après avoir tenu jusqu’au bout, difficilement… Je suis allée pleurer dans mon coin. Tellement c’est affreux. Tellement elle représente tout ce que je ne veux pas dans mon monde.
18 réactions et commentaires
Je vais vous faire un aveu : cette interview est fascinante, riche, instructive, elle me rappelle beaucoup les travaux de Monique Pinson Charlot et du très regretté Michel Pinson. Donc, un grand merci. MAIS, après avoir tenu jusqu’au bout, difficilement… Je suis allée pleurer dans mon coin. Tellement c’est affreux. Tellement elle représente tout ce que je ne veux pas dans mon monde.
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AlerterMes excuses c’est Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, bien sûr (j’étais vraiment mal après la vidéo………….)
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AlerterJe ne comprends pas bien l’intérêt et les buts de ce type d’étude sociologique qui, dans les propos, n’apporte rien de plus que ce l’on peut déjà connaître par la littérature ou qu’on ne puisse constater soi-même si on a côtoyé ce genre de milieu. Bref, j’ai un gros ressenti d’accumulation de clichés, de préjugés et de faits anecdotiques qui ne conduisent pas à apporter quelque chose qu’on ne saurait pas déjà…
Par contre, j’attends avec impatience que les découvertes faites sur « l’existence du syndrome de domestication » – avec ses spécificités génétiques trouvées sur nos animaux domestiques – soient reproduites pour les humains… « Bizarrement » cette recherche scientifique n’a trouvé aucun financement pour être conduite sur l’homme.
Pourtant cela changerait beaucoup de choses de savoir si les nombreuses expériences de soumission produites par les psychosociologies (qui démontrent entre autres qu’on peut faire faire à peu près n’importe quoi à environ 80 % de la population) ont une base génétique, mais aussi si tous les « dominants » sont « exempts » de ces gènes.
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AlerterSi gène il y a ,il se perd , et on dirait au contraire que le sujet principale des politiques qui se sont succédé ne sont qu’une fuite en avant pour courir après la perte de ce gène …
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AlerterJe ne sais pas si ces supposés gènes se perdent, d’autant que ça n’est qu’une hypothèse calquée sur le monde animal non vérifiée scientifiquement. En l’occurrence, les dominés peuvent aussi changer de maître et ça ne prouverait pas pour autant qu’ils ont perdu les « gènes » de la domestication. Les révolutions qui se sont transformées en cauchemar totalitaire (avec forcément la complicité des populations) sont là pour en témoigner.
Par contre oui, il est clair que depuis toujours le principal problème des dominants est d’éliminer les rebelles et c’est bien ça qui fait que nous aboutissons aujourd’hui à une proportion de 20/80 (à peu près constante dans tous les pays occidentaux) puisque ceux qui refusaient les maîtres ont été tués avant de se reproduire. Mais aujourd’hui dans nos pays, le process de neutralisation des gêneurs est devenu plus subtil : pour les faire taire, on leur offre des places dans le système.
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AlerterUn peu simpliste comme raisonnement. L’explication est plutôt l’ambivalence, la dualité du réel. Même au niveau génétique d’ailleurs, il y a dualité (activation/inhibition). C’est l’épigénétique.
Qui vous dit que les rebelles ne deviennent pas dominants à leur tour? Sur un plan psycho-sociologique, chaque individu se comporte différemment, selon qu’il est riche ou pauvre car il est défini comme tel par rapport au groupe. Mais comme la richesse est toujours relative, les comportements sont adaptables. On peut passer de rebelle à soumis, ou à courtisan, selon le contexte. La révolution de 1789 en est un exemple. Les bourgeois ont remplacé les nobles….etc, etc..
Pour parler d’un sujet que j’affectionne, si j’adapte votre raisonnement à l’homosexualité, en admettant qu’elle ait une composante génétique, ayant été interdite pendant longtemps, le génotype n’a pu se maintenir qu’avec un phénotype réprimé, les homos devant être de bon pères de famille comme les autres. Maintenant que l’homosexualité est libre, ce caractère va avoir tendance à se raréfier voire pourrait disparaitre si les gènes ne sont plus transmis…
Bref, rien n’est simple…
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AlerterQui a dit que c’était simple ? Certainement pas moi qui parle au conditionnel et qui attends, et espère que la science se prononcera un jour tant les conséquences de l’existence de tels gènes pour les humains seraient énormes (notamment pour toutes les idéologies).
Cependant, sans attendre de tels résultats, quelle est la réalité des changements concernant les rapports de domination sociale consécutifs à toutes les révolutions ? Tout ou partie d’une classe sociale en remplace une autre au pouvoir… mais la très grande majorité continue d’obéir et à se soumettre, y compris aux abus les plus délirants et/ou criminels de la nouvelle classe dirigeante. C’est ce qui me fait dire que les dominés peuvent changer de maîtres sans rien modifier à leurs fondamentaux de « soumission »… d’autant que l’épigénétique, c’est loin d’être du on/off en fonction de l’environnement.
Plus généralement, quelle est la réalité du fonctionnement de soumission, mais aussi sa prévalence dans les populations ? De nombreuses expériences de psychosociologie (Milgram et tant d’autres) démontrent qu’environ 80 % des gens obéissent à l’autorité même à des ordres criminels… mais jamais personne n’a apporté d’explications convaincantes à cette quasi constante ; ce qui ne préjuge aucunement d’un déterminisme indépassable, mais dit quelque chose que de nombreux idéologues ne veulent pas savoir.
Mais c’est plus simple d’accuser de simplisme l’autre et de faire des amalgames hors sujet (votre extrapolation sur l’homosexualité) plutôt que d’apporter un point de vue qui fasse avancer la réflexion.
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AlerterVotre questionnement est légitime et j’ai le même, pourquoi cette passivité de la masse face aux dominants? je maintiens que croire à un déterminisme génétique simple qui départagerait la population entre « dominants » et « dominés » n’est pas très original. Bien sur qu’il y a un fond biologique à tout comportement humain, mais doit-on classer les gens sur des bases génétiques « dominants » et « dominés » « intelligents » et « idiots » , « gros » et « maigres », etc.., cela ne fait pas avancer beaucoup la réflexion à mon humble avis.
Il y a une plasticité de comportements que notre génome permet en jouant sur un grand nombre de facteurs environnementaux et sociaux. Ce sont ces facteurs qu’il faut essayer de comprendre pour dépasser le déterminisme….
Dommage que vous n’ayez pas apprécié ma digression sur l’homosexualité….
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AlerterC’est parce que vous ne mesurez pas toutes les conséquences pour les idéologies (et non accessoirement les philosophies) que vous ne trouvez pas très importante cette hypothèse d’une possible origine génétique (forcément partielle) à la soumission.
Il semble que vous ne mesuriez pas plus que si cette hypothèse était prouvée, tous les programmes politiques visant à « changer » ou « améliorer » l’homme deviendrait de facto bien « insuffisants » (comme ils l’ont d’ailleurs déjà démontré dans l’histoire).
Et encore bien au-delà à propos des multiples conséquences, même la démocratie (avec toutes ses différentes formes) deviendrait un système totalement inadapté et à réinventer pour tenir compte des jugements faussés par le besoin de soumission.
Quant à penser que l’environnement, l’éducation et autres actions pourraient modifier ce qui est inscrit dans le génome, combien de générations pour y arriver ? Alors que force est de constater qu’à l’échelle d’un pays tout ce qui a été tenté jusqu’à présent pour modifier ce supposé phénotype a toujours échoué ou pire a débouché sur des cauchemars totalitaires.
Bref, la réponse à la question a une importance stratégique fondamentale, du moins pour ceux qui veulent savoir à quoi ils s’attaquent réellement quand ils ont le désir de changer la société du tout au tout.
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AlerterBonsoir,
Vous dites : « l’épigénétique, c’est loin d’être du on/off en fonction de l’environnement. « …
S’agissant de son influence sur les comportements/décisions, cela revient à une dissonance/déni cognitive évidente, i.e. quelque soit la complexité du cadre, le choix reste binaire ! … Comme le questionnement initial : Dominant ou dominé, pourquoi ?
La réponse demeure d’une complexité inouïe, tant les tenants de cet aboutissement binaire me semblent nombreux et variables.
Quant à user d’une des spécialités de l’approche occidentale du savoir (La science/génétique), on se revoit dans 1000 ans pour les résultats ? (Cf. l’existence des fascias, l’ADN « poubelle »)
Pour comprendre la manipulation des comportements, Beauvois et Joule sont incontournables, et pour les influences physiologiques sur le psychologique, l’alimentation, la composition -individuelle- du microbiome, l’hygiène de vie (taux d’ingestion de perturbateurs hormonaux), ont des effets bien plus francs et instantanés que la simple génétique au vu de la littérature scientifique actuelle vulgarisée sur ARTE.
Et si l’on intègre les méditations qui passent toutes par l’unité spirituelle de l’individu correspondant à une liaison optimale du cognitif conscient et inconscient, le déterminisme de la génétique me semble faible.
La psychologie semble plus redoutable pour dominer, voir ici : https://www.college-de-france.fr/agenda/colloque/sciences-cognitives-et-education/les-stereotypes-de-genre
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AlerterOui, et alors ?… Si ce n’est pas la génétique qui est – entre autres – à l’œuvre, comment expliquez-vous les résultats (quasi constants) des nombreuses expériences de psychosociologie sur la soumission à l’autorité ? Et comment expliquez-vous également que les révolutions n’ont fait que mettre en place de nouveaux dominants avec des populations qui ont chaque fois subi ?
Je vous rappelle en outre que ceux qui tout au long des siècles ont systématiquement été massacrés par tous les pouvoirs sont précisément ceux qui s’opposaient à ce qu’on leur dicte comment ils devaient vivre et quoi penser ; et il ne me paraît pas absurde d’en déduire que seuls ceux qui acceptaient la soumission ont pu majoritairement se reproduire pour arriver aux proportions actuelles de 20 % de « libre-penseurs » pour 80 % de soumis.
Quant à Beauvois et Joule (avec notamment leur théorie de l’engagement), ils ne sont pas très difficiles à déconstruire, tant ils avancent sans jamais définir leurs prémisses et sans jamais interroger le sens des mots qu’ils utilisent. Juste un exemple : comment une soumission pourrait-elle être « LIBREMENT » consentie ? C’est contradictoire par nature, surtout quand ces auteurs nous expliquent longuement comment manipuler les gens pour y arriver. À ce propos, j’exècre au plus haut point l’ingénierie sociale quand elle est utilisée pour de telles fins.
Je préfère de loin l’approche systémique (celle de Palo Alto, mais aussi de la branche italienne) qui se propose d’identifier les noyaux paradoxaux pour faire surgir les constantes des valeurs qui « nous » agissent ; et l’une de ces valeurs pour les groupes sociaux est bien la soumission.
D’ailleurs, Pascal Huguet (néanmoins très intéressant) démontre bien comment il modifie les résultats de ses expériences de psychologie sociale sur les stéréotypes de genre : en utilisant le mécanisme de soumission ; soumission à une injonction « cachée », y compris en modifiant le cadre expérimental. Étonnant, non ?… Bé non, pas du tout, du moins si l’on veut bien prendre la mesure que ces processus de soumission sont centraux chez les humains, et chez la plupart des animaux sociaux aussi d’ailleurs.
C’est ne pas vouloir savoir que nous ne nous comportons pas très différemment des grands singes dans nos rapports sociaux qui est un déni dangereux qui empêche d’avancer, pas de le constater pour arriver un jour à le modifier.
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AlerterJ’encourage les ingénieurs et techniciens qui fabriquent des centrales électriques, des ordinateurs, des réseaux de fibre optique, etc… à tout laisser tomber et à se convertir à la sociologie.
Y’a que comme ça qu’on pourra s’en sortir.
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AlerterJe croyais que cette enquête concernait le journalisme en France… enfin quand je dis journaliste, on devrait plutôt parler de lecteurs de téléprompteurs, d’influenceurs ou de « monsieur Loyal » qui seront bientôt remplacés par une IA qui fera le même job pour moins cher.
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AlerterEntretien fort intéressant de cette sociologue, qui analyse finement les rapports ambivalents entre la très grande bourgeoisie et les domestiques qu’elle emploie. Ça ne donne pas franchement envie de se reconvertir dans ce type de poste… Ça m’a fait penser à un excellent film, Les vestiges du jour. Anthony Hopkins y jouait le majordome d’un lord anglais. Malgré une relation cordiale entre les deux personnages voire même une certaine affection mutuelle, le domestique avait une position bien définie qu’il ne devait jamais quitter. D’où des humiliations qu’il devait subir, des injustices dont il était le témoin et qu’il devait taire, etc. Un sentiment diffus d’oppression parcourait le film.
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Alerterhttps://usbeketrica.com/fr/article/etre-au-service-des-riches-c-est-etre-mobilisable-de-jour-comme-de-nuit?fbclid=IwAR1YOWXwqNayx8iBLAm5hWh4mdP0KLhqVhDrGqme1JQMjvrX5ycWyvylNJU_aem_ARQWOdbn3pOY7JnEIt2ZBhvZTYCkHCOdM6Al2bQ7zTSH1DAr0IS0xM_bw0MwChchNnxMoc9-v5i7wJL2xkBj3oNn2dauxiuV_Zth4guIbTlqUhByUZaiF21N3QjsEZi5xJM
Allez… Encore une petite dose de clichés et d’anecdotes, que dis-je, de détails, avant les domestiques génétiquement modifiés…. et la prochaine livraison de pizza.
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AlerterToujours instructif, intéressant et surtout utile ce genre d’étude. On oublie qu’il y a beaucoup d’argent disponible pour financer des enquêtes et études sociologiques sur les classes les plus pauvres mais très peu pour enquêter sur les très riches (un des arguments des Pinçon pour justifier leur domaine d’étude). Alors que tout le monde me semble-t-il fait partie de la société.
D’ailleurs on réserve le terme cinéma « social » dès lors qu’un film traite également des plus pauvres (Ken Loach par exemple mais pas uniquement), comme si la haute bourgeoisie échappait au champ social…peut être comme suggéré ci-dessus car elle serait génétiquement supérieure (on rigole fort, je n’avais pas encore lu un truc aussi ridicule ici, peut être que Delphine Arnault a pris la tête de Dior pour cette raison. Personnellement j’en connais au moins une autre de raison).
Merci pour le partage en tout cas.
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AlerterEntretien très intéressant. Comme la sociologue A. Delpierre le dit à la fin, les riches sont le miroir grossissant de la société mais aussi déformant (les excès dus à la richesse).
J’ai quand même envie de parler du service à la personne le plus vieux du monde…prostitué(e), qui tend à être accepté par le nouveau féminisme….
Dans les classes moyennes, les services à la personne se développent pour plusieurs raisons: compenser les déficits des services publics, remplacer les femmes au foyer et compenser l’éclatement de la famille traditionnelle. L’ambivalence sociale est évidente. Progrès d’un côté et déclin de l’autre. Il faut bien voir que là où l’on rémunère au smic horaire une femme de ménage, une nounou ou une auxiliaire de vie, il y avait avant le travail gratuit d’une épouse, d’une mère et d’une fille.
Mais comme toujours, les rapports de classes se déplacent mais ne s’effacent pas. On prend d’autres femmes pour faire le même travail. Pour les hommes, c’est différent. Moins de services à la personne (chauffeur, jardinier) et plus de services collectifs, tout autant corvéables (uberistes, livreurs, dépanneurs, etc..).
Les classes moyennes reproduisent le mode de vie des riches à plus petite échelle. Travailler plus pour gagner plus pour se distraire plus et déléguer les tâches subalternes à moins riche que soi.
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AlerterEntièrement d’accord
D’ailleurs il est intéressant de relever dans l’entretien l’incapacité des femmes riches à commander des hommes, jusqu’à travestir ou imaginer les hommes à leur service comme homosexuel (sans doute voient elles les hommes en général comme des menaces, encore plus dans la situation d’intimité). Bref je ne vois pas bien ce qu’elles peuvent transmettre en terme génétique : leur domination ou leur soumission 😁). Elles sont encore plus soumises à ce niveau que la plupart des femmes ordinaires. Déjà au 19e le siècle, les bourgeoises étaient moins libres dans leur vie privée que les femmes du peuple. On aimerait mieux comprendre finement la différence entre les bourgeois et les aristocrates, pour ces questions de normes (de genre, de légitimité, de soumission aux normes et à la rivalité mimétique avec les pairs)… mais peut-être faut-il juste lire le livre!
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