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3.janvier.20183.1.2018 // Les Crises

Comment Trump a compromis les relations irano-américaines, par Paul R. Pillar

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Source : Paul R. Pillar, Consortium News, 29-11-2017

En se soumettant aux désirs de l’Arabie Saoudite et d’Israël, le président Trump a anéanti tout espoir d’une détente avec l’Iran et a poussé les Iraniens moyens à soutenir davantage leur gouvernement, explique l’ancien analyste de la CIA Paul R. Pillar.

Une conséquence importante de l’hostilité constante et inconditionnelle envers l’Iran, que Donald Trump a placée au centre de sa politique étrangère est décrite dans un article de Thomas Erdbrink, du New York Times, sur l’impact de cette politique sur le public iranien.

Le président Donald Trump et la Première Dame Melania Trump sont accueillis par des bouquets de fleurs, le 20 mai 2017, à leur arrivée à l’aéroport international King Khalid de Riyad, en Arabie Saoudite. (Photo officielle de la Maison Blanche par Andrea Hanks)

Erdbrink résume l’effet global de cette façon : « En bref, il semble que M. Trump et les Saoudiens ont aidé le gouvernement à réaliser ce que des années de répression n’ont jamais pu accomplir : un soutien public généralisé à l’idée dure selon laquelle les États-Unis et Ryad ne sont pas dignes de confiance et que l’Iran est maintenant un État fort et capable capable de regarder ses ennemis en face ».

Un tel effet n’est pas surprenant. La dynamique sous-jacente n’est pas non plus la seule dynamique propre à l’Iran. Deux processus fondamentaux sont à l’œuvre en Iran pour produire l’effet qu’Erdbrink observe.Tous deux sont préfigurés par de nombreuses expériences antérieures de certains pays qui se sentaient particulièrement menacés par une puissance étrangère.

La première est la tendance des nations à s’unir et à surmonter les différences internes face à une telle menace. C’est le phénomène familier du rassemblement autour du drapeau. Les Iraniens se rassemblent autour de leur drapeau aujourd’hui.

Une variante de ce premier phénomène – encore une fois avec de nombreux exemples à travers l’histoire – est de chercher querelle à des étrangers comme moyen pour un dirigeant de rassembler plus de soutien domestique qu’il n’aurait pu en obtenir autrement. Mohammed ben Salmane, le jeune prince autoritaire qui fait maintenant la politique de l’Arabie saoudite, cherche querelle à l’Iran – l’autre jour, il a comparé le leader suprême iranien Ali Khamenei à Hitler – en partie dans l’espoir de faire réussir son remarquablement audacieux coup de force interne.

Il peut y avoir quelque chose de la même motivation pour Donald Trump, bien que comme avec ses politiques intérieures, il soit plus intéressé par la loyauté d’une base politique étroite que de gagner un soutien plus large.

L’autre processus fondamental est la propension des vues intransigeantes, et de ceux qui les défendent, à l’emporter contre des solutions de rechange plus modérées face à une menace extérieure. Prêcher sur la malveillance et le manque d’honnêteté d’une puissance étrangère est, en Iran comme aux États-Unis et dans d’autres pays, une caractéristique déterminante de la ligne dure.

Prouver la folie de l’Amérique

Erdbrink cite un analyste politique iranien de la ligne dure nommé Hamidreza Taraghi qui dit : « Grâce à ses propos malhonnêtes, fourbes et insensés, Trump a prouvé ce que nous disons depuis longtemps : on ne peut pas faire confiance à l’Amérique. Beaucoup ne nous croyaient pas, mais maintenant ils nous croient. »

Le Président Donald J. Trump et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou à l’Assemblée générale des Nations Unies (Photo officielle de la Maison-Blanche par Shealah Craighead)

Il ne s’agit pas seulement d’une assertion des partisans de la ligne dure. Un metteur en scène libéral de Téhéran observe : « Nous devons comprendre que les États-Unis jouent avec nous depuis le début. Trump prouve que nos partisans de la ligne dure avaient raison toutes ces années, de dire qu’on ne peut pas faire confiance à l’Amérique ».

L’un des effets majeurs de la haine farouche de l’administration Trump envers l’Iran et de la recherche d’affrontement avec ce pays est donc de rendre les Iraniens plus déterminés que jamais à maintenir le cap, avec plus d’unité interne et de soutien politique que jamais auparavant. L’hostilité de l’administration engendre naturellement des sentiments négatifs envers les États-Unis en retour; ce ne serait pas une réaction humaine si ce n’était pas le cas.

Ainsi, le message martelé par l’administration, à savoir que l’Iran est prétendument un ennemi implacable et irrécupérable, est non seulement contre-productif, mais aussi, dans une certaine mesure, auto-réalisateur.

Le sentiment populaire dans les rues et les salons iraniens est bien plus qu’un produit de la propagande du régime. En dépit du fait que Trump qualifie de « dictature » un système politique iranien plus démocratique que la plupart des pays du Moyen-Orient, il est confronté non seulement à un « régime fanatique », mais aussi à une nation qui fait preuve d’un nationalisme très similaire à celui des autres nations, surtout en période de stress imposé par l’extérieur.

Les Iraniens constituent également une nation relativement bien éduquée et peuvent facilement voir à travers des mensonges de Trump, comme l’allégation selon laquelle l’Iran est complice des terroristes sunnites d’Al-Qaïda ou de Daesh, plutôt que de porter la responsabilité d’un combat contre eux. Erdbrink note comment un soldat de la Garde Révolutionnaire qui a été capturé et décapité par Daesh est devenu un héros national.

Le journaliste poursuit en citant un réformiste autoproclamé ayant la trentaine : « Il y en a beaucoup ici, comme moi, qui ne se soucient pas de la République islamique et de ses règles. Mais aujourd’hui, il y a quelque chose de plus important que cela ; l’un d’entre nous a été tué. En même temps, ce président américain nous brise le cœur avec ses discours et ses menaces. Nous devons choisir notre camp. Je choisis celui de mon pays ».

Opportunité ratée

Une grande partie de ce que l’administration Trump et certains autres aux États-Unis qualifient couramment de « comportement malfaisant, malveillant et déstabilisateur » de l’Iran au Moyen-Orient est soutenue par les Iraniens les plus ordinaires, et même une source de fierté pour eux. Il est compréhensible qu’ils voient une grande partie de cette activité iranienne – y compris l’action militaire contre Daesh – comme nécessaire à la défense nationale, et/ou une contribution louable à une plus grande cause de la sécurité internationale.

Hassan Rouhani, Président de la République islamique d’Iran, s’adresse au débat général de la 71e session de l’Assemblée générale. 22 septembre 2016 (UN Photo)

Il en va de même pour le développement des missiles balistiques par l’Iran. Un professeur de sociologie iranien, éminent réformiste, note que de nombreux Iraniens, « même ceux qui sont complètement laïcs » encouragent les essais de missiles parce qu’ils « les font se sentir forts et protégés » face aux menaces croissantes des États-Unis et de l’Arabie Saoudite.

Ce que la politique américaine fait à l’opinion publique iranienne représente une énorme occasion manquée, avec un peuple fier et intelligent qui, autrement, aurait pu être un partenaire volontaire et compétent dans beaucoup de choses que les États-Unis ont espéré accomplir. Cela fait suite à des occasions manquées précédemment, en particulier lorsque l’administration de George W. Bush a claqué la porte à la face d’un Iran qui travaillait efficacement avec les États-Unis contre Al-Qaïda et les talibans afghans.

Aujourd’hui, l’administration Trump, encouragée par les dirigeants d’Israël et d’Arabie saoudite à qui Trump a cédé l’initiative sur la politique pour cette partie du monde, et détruisant plutôt que s’appuyant sur l’accord qui a réussi à restreindre le programme nucléaire iranien, glisse dans une spirale interminable de conflits, d’affrontements et peut-être de guerres.

Paul R. Pillar, au cours de ses 28 ans à la Central Intelligence Agency, est devenu l’un des meilleurs analystes de l’agence.

Source : Paul R. Pillar, Consortium News, 29-11-2017

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Commentaire recommandé

max // 03.01.2018 à 07h12

Grace au boycott des USA contre l’Iran, les relations économiques entre l’Iran et les USA ne dépendent plus du bon vouloir des USA depuis des décennies.
Ses programmes de modernisation de missiles (a mon avis aussi son programme nucléaire) vont en faire une puissance incontournable dans les années qui viennent.
S’appuyer sur Israël et l’Arabie Saoudite est donc un choix compréhensible mais désespéré.
La résilience de la Russie et de la Chine a permit la mise en place d’un jeu de dominos qui permet a de plus en plus d’états de résister, nous n’en sommes qu’au début et c’est une bonne chose.

15 réactions et commentaires

  • atanguy // 03.01.2018 à 06h29

    « l’accord qui a réussi à restreindre le programme nucléaire iranien, glisse dans une spirale interminable de conflits, d’affrontements et peut-être de guerres. »
    Comme avec le désarmement de Sadam et de Kadafi Trump va tanter de profiter de cet accord pour attaquer l’Iran. On comprend des lors les Nord Coreens…
    Heureusement l’Iran pourrait détruire facilement le terminal saoudien de Kharg island. et blocker le détroit d’Hormuz ou passe 70% des flux pétrolier, créant ainsi la prochaine crise économique mondiale. wait and see…

      +14

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    • J // 03.01.2018 à 09h21

      « Heureusement » ? Ca peut être, à terme, une crise mondiale avec des milliards de morts…

        +0

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      • Gaby // 03.01.2018 à 09h46

        Heureusement ou malheureusement, y échappera-t-on ?
        Je pense qu’atanguy se réjouit de la capacité de résistance stratégique de l’Iran face à l’hubris de l’axe Us/Arabie saoudite.

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      • Alfred // 03.01.2018 à 09h59

        « Alors il vaut mieux laisser l’Iran tranquille » serait une réaction pragmatique appréciée du monde entier. Mais les fous sont aux manettes et certainement pas qu’en Iran.

          +10

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    • Weilan // 03.01.2018 à 14h00

      Désolé, mais le terminal pétrolier de Kharg Island est iranien et dépend de la province de Bushir.

        +3

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      • atanguy // 03.01.2018 à 18h03

        Oui,c’est Yanbu Al-Balad terminal du pipeline. en Arabie Saoudite.

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    • Anthony // 03.01.2018 à 15h36

      Bjr, le but de la guerre au Yémen c’est aussi un oléoduc nord-sud, a travers ce pays. ils savent que le détroit sera « encombré » .

        +1

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  • max // 03.01.2018 à 07h12

    Grace au boycott des USA contre l’Iran, les relations économiques entre l’Iran et les USA ne dépendent plus du bon vouloir des USA depuis des décennies.
    Ses programmes de modernisation de missiles (a mon avis aussi son programme nucléaire) vont en faire une puissance incontournable dans les années qui viennent.
    S’appuyer sur Israël et l’Arabie Saoudite est donc un choix compréhensible mais désespéré.
    La résilience de la Russie et de la Chine a permit la mise en place d’un jeu de dominos qui permet a de plus en plus d’états de résister, nous n’en sommes qu’au début et c’est une bonne chose.

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    • Jean-Luc // 04.01.2018 à 17h41

      Me trompé-je ou le premier ministre iranien a dit qu’ils refusent d’avoir l’arme nucléaire pour motif religieux ?
      Ce serait une attitude bien « chrétienne »…

        +0

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  • Homère d’Allore // 03.01.2018 à 08h31

    Et si l’un des buts de Trump était de provoquer une crise pétrolière ? Un baril passant à 120 $ ou même 200 $ en quelques semaines affecterait bien plus l’Union Européenne, le Japon et la Chine que les Etats-Unis, désormais quasi auto-suffisants avec le pétrole de schiste.

    Et sur ce point précis, la Russie pourrait rester d’une neutralité bienveillante en raison des rentrées financières substantielles que provoquerait cette hausse.

    Un détroit d’Ormuz bloqué génerait certes l’Arabie Séoudite mais cette dernière dispose du pipeline débouchant sur la mer Rouge à Yambu. En revanche, pour le Qatar, le Koweit et l’Irak, ce serait catastrophique.

      +7

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    • Pierre Tavernier // 03.01.2018 à 19h41

      « Et si l’un des buts de Trump était de provoquer une crise pétrolière ? Un baril passant à 120 $ ou même 200 $ en quelques semaines affecterait bien plus l’Union Européenne, le Japon et la Chine que les États-Unis, désormais quasi auto-suffisants avec le pétrole de schiste. »
      Cela serait une ânerie monumentale. Dans un monde globalisé, toute crise impacte l’économie dans son ensemble. Cf 2008.
      Mais dans une économie qui ne pense qu’en termes de ressources infinies dans un monde fini, et donc s’appuie sur une dette exponentielle pour créer un simulacre de croissance, une crise financière globale nous pend au nez de toute façon. C’est le message que les éconoclastes en général tentent de faire passer depuis des années.

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  • christian gedeon // 03.01.2018 à 10h36

    Ce n’est pas si simple,en fait. Trump,s’il veut sauver sa peau est obligé de donner des gages…et c’est ce qu’il fait. Regardez bien ce qui se passe avec la Corée du Nord,qui veut négocier avec la Corée du Sud et rétablir le « téléphone rouge « . On peut critiquer les US,et parfois à très juste titre. On peut aussi s’en moquer et voir leur chute prochaine,ce qui me paraît plus discutable.mais on aurait bien tort de sous estimer leur capacité à agir. Ce qui se passe actuellement en Israël et dans les territoires est particulièrement intéressant.,et les derniers propos du ministre libanais des AE Bassil,qui souhaite,sous de grosses conditions,une normalisation avec Israël, sont à cet égard révélateurs…cette région a soif de paix après soixante dix ans d’affrontements ininterrompus. Nous n’avons pas droit de faire,en Occident,par dogmatisme politique,la guerre jusqu’au dernier palestinien ou au dernier israélien,n’est ce pas?

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    • Kelam // 04.01.2018 à 23h20

      le statu quo et la paix sans la justice, ben voilà un plan qu’il est solide !

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  • Christine G // 03.01.2018 à 13h59

    En tous cas, ça n’est pas pire qu’Hillary interviewée pendant sa campagne et disant avec un gros rire « Ouï, si je suis élue, nous attaquerons l’Iran ».

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  • christian gedeon // 04.01.2018 à 15h27

    E voilà que Trump est « banonisé  » si j’ose dire…pas très fair play,Banon. En même temps,comme dit notre Toutatis à nous, Brutus a des raisons sérieuses d’en vouloir à César…Mars se rapproche.

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