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9.janvier.20189.1.2018 // Les Crises

Iran : révoltes et réseaux sociaux, par François-Bernard Huyghe

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Source : François-Bernard Huyghe, 02-01-2018

Des morts dans les manifestations en Iran, des photos d’héroïnes qui font le tour du monde, un pouvoir qui s’affole face aux réseaux sociaux , cela ne vous rappelle rien ?
En 2009, après l’élection d’Ahmaninejad (89% des voix !), la « vague verte » avait envahi les rues de Téhéran pour protester contre un scrutin truqué, et il y avait eu aussi des morts.
À l’époque aussi, les médias célébraient la jeunesse protestant contre un régime autoritaire et avaient trouvé leur icône : Neda Agha Soltan, tuée pendant une manifestation ; son image filmée sur un téléphone mobile avait fait le tour du monde. Déjà, on célébrait le pouvoir libérateur des réseaux sociaux : Twitter avait permis de diffuser l’image de la martyre et éveillait la conscience mondiale. « Iran, la révolution Twitter ? » se demandait Libération du 15 Juin 2009 et le New York Times déclarait au même moment« La révolution ne sera pas télévisée (allusion à la Roumanie et à la chute du Mur), elle sera twitérisée ». Le régime iranien, après avoir pratiqué la censure, l’expulsion de correspondants étrangers, agité le spectre du complot des services de renseignement étrangers, après avoir coupé Internet aux moments les plus sensibles, se découvrait incapable de contrôler les télévisions par satellite, les radios sur Internet, les téléphones cellulaires, les fichiers numériques, les réseaux sociaux, les SMS… Il allait tomber.

Il fallut en rabattre : la vague verte a échoué, Neda a été oubliée. Une étude de Sysomos révélait peu après que seulement 0,027 % de la population iranienne était inscrite sur la plate-forme de micro-blogging avant les élections : s’il y avait eu propagation de l’indignation et de la colère, c’était auprès des populations persophones de la Diaspora. Du reste, utilisateurs de smartphones, surtout jeunes, urbains et anglophones, ne représentaient pas toute l’opposition et moins encore toute la population.

Neuf ans plus tard – avec entretemps l’expérience du printemps arabe (baptisé Facebook, Google Révolution ou révolution 2.0 avant que l’on ne réalise qu’il ne suffisait par que les foules puissent s’exprimer en ligne pour provoquer le triomphe de la démocratie) – la question des réseaux sociaux et des révoltes revient au premier plan. Que s’est-il passé entre temps ?

Première remarque : les autotités iraniennes ne sont pas ou ne sont plus dépassées face à la technique 2.0. Elle ont compris l’intérêt de contrôler Internet, non seulement en termes de censure ou de cybersécurité, mais aussi pour submerger sous la contre-propagande. On notera au passage que les ayatollah twittent aussi, y compris en français, que les gardiens de la Révolution diffusent des vidéos pour démontrer le complot étranger. Par ailleurs, l’Iran qui avait promis, il y a quelques années de se doter d’un « internet halal » où ne pénétrerait pas la propagande contraire à la foi, est, en tout cas capable de freiner l’accès à Telegram et Instagram par les téléphones portables (après avoir officiellement interdit You tube, Twitter et Facebook,…, ces dernières années). Mais freiner n’est pas censurer.

Seconde remarque : en sens inverse les protestataires ont aussi modifié leurs techniques. Les messageries cryptée comme Telegramconnaissent un succès spectaculaire dans le pays. Dès fin 2015, il semblerait qu’un quart de la population y était inscrite que la messagerie russe soit devenue un des principaux moyens d’information de la population (sans oublier Instagram et ses vingt millions d’utilisateurs iraniens). Ainsi, la chaîne (ici au sens de chaîne d’abonnement de messagerie sur la plate-forme à l’excellent crytpologie) Amadnews qui comptait 1,4 millions d’abonnés et où se retrouvait toute critique du système. Elle a certes été fermée mais d’autres sont réapparues très vite. On dit aussi que beaucoup d’Iraniens utilisent des VPN (réseaux virtuels privés) pour échapper à la surveillance.

Le jeu du chat et de la souris ne cesse pas et le principe du partage de contenu par des groupes « privés » fonctionne bien (y compris lorsque les autorités ralentissent les débits) en persan et permet d’échanger des documents. À tort ou à raison, les Iraniens (comme d’ailleurs les djihadistes de l’EI ou bien d’autres groupes politiques de toutes tendances dans le monde) sont persuadés de la cryptologie robuste (si on pense à l’activer) de Telegram les met à l’abri. Parallèlement, les autorités essaient de contraindre les responsables de la plate-forme (les frères Durov) de retirer des chaînes de messagerie qui contreviennent à la législation (en donnant la recette des cocktails Molotov, par exemple).

Enfin, l’affrontement politique, en Iran comme ailleurs, se double d’un conflit pour crédibiliser ou décrédibiliser les images qui circulent (comme celles de l’iranienne arrachant son foulard, devenue icônique, sur les réseaux sociaux, mais prise en réalité quelques jours avant les émeutes).

Que conclure ? L’idée naïve défendue pendant les printemps arabe que les dictatures ne pourraient plus rien contrôler sur le Web 2.0 est fausse. Elles progressent dans leurs techniques de contrôle. Mais, il faut rendre à la justice que les démocraties aussi, et qu’elles développent des stratégies de pressions sur les grands du Net pour qu’ils retirent des comptes, dénoncent des fake news et rendent les contenus subversifs plus difficiles à trouver. Mais les techniques du faible s’améliorent aussi. Et entretemps, le véritable pouvoir a glissé entre les mains des opérateurs en ligne – retirer ou pas, filtrer ou pas – et la décision technique détermine l’autorité politique.

Source : François-Bernard Huyghe, 02-01-2018

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Toff de Aix // 09.01.2018 à 10h51

Ça en arrangerait pas mal dans nos contrées démocratiques(interdit de rire) que les mécontentements, révoltes et autres révolutions ne passent plus que par un formulaire en ligne, via Twitter ou je ne sais quel autre piège à clics.

Un peu à la manière de ce site qui propose de petitionner en ligne, de s’indigner contre ci ou ça, au gré de l’actualité, en cliquant sur un simple lien « je signe ». C’est aussi très pratique pour ceux qui ne veulent pas s’investir dans le monde réel, que ça soit en militant, en devenant bénévole, ou mieux en allant manifester « pour de vrai » et risquer, du coup, un malencontreux tir de flashball, ou quelques coups de matraques…

Qui se souvient de la pétition anti loi travail de 2016, qui fit plus d’un million de signatures en ligne ? Jetée aux toilettes par Hollande de la main droite, pendant que de la gauche il signait le maintien de l’état d’urgence et envoyait les crs tabasser des jeunes et moins jeunes, tous manifestants pacifiques.

Puisqu’on vous dit que notre démocratie c’est la meilleure !

21 réactions et commentaires

  • Barbier // 09.01.2018 à 06h37

    Coté cryptologie, un truc tout simple dans la « Jaganda » de Jules Verne, vous prenez une suite de chiffres que vous appliquez à un message en mode décalage. Bien sûr vous pouvez compliquer le système, çà prend du temps mais juste un crayon et une feuille de papier.
    Sinon l’effervescence créatrice et le nombre de la jeunesse diplômée iranienne serait une opportunité de rayonnement fabuleuse pour ce pays si ces dirigeants lâchaient un peu la bride et pensaient en mode 2.0 pour ses aspects novateurs de nouvelle frontière/nouvelle vague et pas uniquement en termes répressifs.
    80 millions d’habitants, du gaz/pétrole à foison, un accès à la mer, une position à mi-parcours entre l’Europe et l’Asie et même une station de ski ! Donc coté développement futur avec une croissance à 2 chiffres, il y a tout ce qu’il faut.

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    • lcibo // 09.01.2018 à 07h01

      Vous décrivez l’environnement de l’Irak, de la Libye ou de la Syrie ?
      Les fabricants d’armes ont bien trop à gagner avec un
      pays solvable qui entre en guerre pour penser qu’en dirigent le pays à la mode occidental tout irait mieux.

        +4

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    • calal // 09.01.2018 à 09h02

      c’est marrant parce que des pays qui ont des richesses extraordinaires dans leur sous sol et qui sont dans une merde noire, y en a plein …

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      • P. Lacroix // 09.01.2018 à 10h17

        Normal, le commerce !
        Armes contre pétrole.

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      • Jean // 10.01.2018 à 03h22

        C’est tellement vrai que l’on parle de la malédiction des ressources naturelles

        https://fr.wikipedia.org/wiki/Mal%C3%A9diction_des_ressources_naturelles

        Ce que Wikipédia, dont-il faut se méfier, ne dit pas, c’est que les pays étrangers qui veulent accaparer ces ressources sont généralement indirectement responsable du moindre développement de ces pays en y favorisant la corruption.

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      • Barbier // 11.01.2018 à 12h02

        Hélas quand il y a un corrupteur, ben il faut aussi des corrompus, çà marche par deux ces histoires-là en général et en particulier. Les exemples sont légions !

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      • Barbier // 11.01.2018 à 12h16

        Ben qu’ils nationalisent les mines dirigées par les multinationales en offrant une vrai indemnisation ou qu’ils se battent des pieds et des mains pour que le ratio bénéfice net/ investissement étranger soit plus favorable à leur pays ou à la région concernée par les puits de pétrole/gaz/terres rares. Sûr que si le pays n’a pas une vrai conscience nationale ou qu’un fantoche remplace l’autre tous les 3/4 ans.çà va être compliqué! Voir ou revoir « Les chiens de guerre » avec Christopher Walken, tout est dit et le film commence à dater un peu. Idem pour « Les oies sauvages ». J’adore la fin des deux films. Peu de moyens, un vraie histoire matinée de géopolitique, de bons acteurs de 1er,2ieme ou 3 ième catégorie….Pas besoin de grand chose pour faire un film qui marque! :o)

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    • torpeur // 10.01.2018 à 01h16

      Pour un quidam, inventer un système de chiffrement est le meilleur moyen pour qu’il soit cassé en moins de deux par quelqu’un du métier. Nombre d’algorithmes de chiffrement conçus par des professionnels ont même déjà subi par crypto-analyse des  » attaques  » (c’est le mot) réduisant considérablement leur complexité, comprenez le temps de calcul requis pour déchiffrer un message sans connaître la clé. Bref, le système fait maison, oubliez-le vite.

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      • Jean // 10.01.2018 à 03h10

        => Bref, le système fait maison, oubliez-le vite.

        Pas forcement à partir du moment où deux quidams détiennent une clef de chiffrement connue d eux seuls. On peut imaginer, par exemple, un message chiffré qui apparaitrait comme une suite de nombre renvoyant à une page et à la place d un mot dans cette page. La clef de chiffrement, connue seulement par ces deux personnes, serait alors le titre d un livre dans une édition bien précise, si possible assez rare pour ne pas avoir été numérisé.

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        • dupontg // 10.01.2018 à 08h11

          Le mieux reste la steganographie avec message noyé dans le bruit de fond de la colorimetrie..

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  • –gilles– // 09.01.2018 à 09h49

    Un des fondateurs de LulzSec ( Mustafa Al-Bassam ) dans une conférence du Chaos Computer Club, le célèbre groupe de hackers allemands démontre que les manifestations en Iran en 2009 étaient amplifiées et guidées par au moins deux services de sécurité britannique, le « The Joint Threat Research Intelligence Group (JTRIG) » et le GCHQ ( Government Communications HeadQuarters ). En particulier les comptes Twitter de soit-disants activistes iraniens n’étaient actifs qu’aux heures de bureau britanniques.

    https://media.ccc.de/v/34c3-9233-uncovering_british_spies_web_of_sockpuppet_social_media_personas

    Cliquer en bas à droite de la vidéo sur le symbole de l’engrenage pour choisir la langue de la vidéo.

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    • Julien // 09.01.2018 à 11h04

      Ces méthodes me rappellent étrangement celles utilisées en Syrie lors du « siège » d’Alep-Est, c’est surement une coïncidence…
      Merci pour le reportage, très instructif !

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  • max // 09.01.2018 à 10h41

    Faire des révolutions via des réseaux du genre facebook/ twiter, je suis septique.
    Ca a déjà été tenté lors des printemps arabes notamment en Egypte et ca a donné les frères musulmans et en Turquie et en Iran aussi pour un résultat similaire.
    Une révolution est un acte réel et non virtuel ou les masses entrent dans l’arène et de spectatrices deviennent actrices de leurs destins, ceux qui détiennent le pouvoir sont ceux qui ont les fusils pas ceux derrière leurs ordinateurs.
    Ceux qui détiennent le pouvoir sont dans le réel et pas dans le virtuel.
    L’Iran à nouveau en est une nouvelle preuve, une révolution n’est pas un jeu vidéo.

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  • Toff de Aix // 09.01.2018 à 10h51

    Ça en arrangerait pas mal dans nos contrées démocratiques(interdit de rire) que les mécontentements, révoltes et autres révolutions ne passent plus que par un formulaire en ligne, via Twitter ou je ne sais quel autre piège à clics.

    Un peu à la manière de ce site qui propose de petitionner en ligne, de s’indigner contre ci ou ça, au gré de l’actualité, en cliquant sur un simple lien « je signe ». C’est aussi très pratique pour ceux qui ne veulent pas s’investir dans le monde réel, que ça soit en militant, en devenant bénévole, ou mieux en allant manifester « pour de vrai » et risquer, du coup, un malencontreux tir de flashball, ou quelques coups de matraques…

    Qui se souvient de la pétition anti loi travail de 2016, qui fit plus d’un million de signatures en ligne ? Jetée aux toilettes par Hollande de la main droite, pendant que de la gauche il signait le maintien de l’état d’urgence et envoyait les crs tabasser des jeunes et moins jeunes, tous manifestants pacifiques.

    Puisqu’on vous dit que notre démocratie c’est la meilleure !

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    • Ellilou // 09.01.2018 à 16h36

      Tout à fait d’accord avec vous. J’ai fait la bêtise de signer cette pétition (la dernière de ma vie, promis, juré) mais j’ai trouvé bien plus utile de participer aux manifestations à la loi travail(le et ferme ta g….e!) où j’ai eu l’infime honneur de faire partie des « moins jeunes » pacifiques tabasser par les CRS 😉

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  • Alfred // 09.01.2018 à 12h51
  • Casimir Ioulianov // 09.01.2018 à 14h03

    Juste pour modifier une coquille « la révolution ne sera pas télévisée » n’est en rien une référence à la révolution en Roumanie (qui a été bien télévisée contrairement à l’intervention US simultanée au Panama).

    La référence est un morceau éponyme de Gil Scott-Heron : « the revolution will not be televised » sorti en 1970, qui , en plus d’etre considéré comme un des premiers « rap » est un texte assez violent contre le silence des média sur les problèmes des noirs américains à cette époque.

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    • Alfred // 09.01.2018 à 18h42

      Je pense que c’est vous qui faites un contresens qui masque plusieurs choses en cascades: l’auteur cite la bonne référence du journal amerloque au sein duquel on s’est cru malin en faisant référence au morceau auquel vous faites allusion comme pour le contredire. Une outrecuidance de petit salaud (probablement blanc ici) qui commentait l’iran en sachant très bien que la « révolution » roumaine avait été à la fois outrageusement télévisée (avec moultes excès et fausses infos « en direct ») et « poussée dans le dos ».
      Un crétin de journaliste du camp des puissants donc qui d’une même formule renvoie le bas peuple à son impuissance (les révolution c’est nous qui les faisons et justement elles sont télévisées) et annonce en même temps une évolution purement technique : on passe de la vielle tévé aux réseaux sociaux. (Mais au fond ceux ci étant utilisés comme on le sait notamment par les services anglais, cela revient au même). La continuité de Rumsfeld qui « créait la réalité.. »

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  • Dominique // 09.01.2018 à 18h41

    télégram n’est pas « la messagerie russe ». Fake new !

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  • RV // 10.01.2018 à 09h22

    Bonjour
    Entendu lors de sa rediffusion le dimanche 07 après-midi sur la radio « Ici et Maintenant », l’intervention d’une personne présentée comme connaissant bien l’Iran. Il parlait de la crise banquaire qui y sévissait, où l’on voyait des millions d’Iraniens ayant vu disparaitre leur économies dans la faillite frauduleuse de beaucoup de banques. Des taux d’intérêts très élevés pour attirer les épargnants avec au final un système de Ponzi. Cela s’ajoutant aux problèmes sociaux et humains générés par un système théocratique. L’émission a du être diffusée en direct le mardi 2 ou le mercredi 3 janvier 2018. Cette radio offre une diffusion de « podcast ». Ce témoignage doit dont pouvoir être retrouvé facilement. En espérant que le peuple Iranien arrive à trouver sa propre voie seul… A suivre!

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  • R // 10.01.2018 à 14h09

    « Par ailleurs, l’Iran qui avait promis, il y a quelques années de se doter d’un « internet halal » où ne pénétrerait pas la propagande contraire à la foi,… »

    Bah c’est en France qu’on prépare un internet halal

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