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11.février.201911.2.2019 // Les Crises

Nous avons rencontré Marcel Gauchet. Par Pierre Ramond et Uriel Gadessaud

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Source : Le Grand Continent, Pierre Ramond et Uriel Gadessaud, 06-02-2019

Rédacteur en chef de la revue Le Débat, le philosophe Marcel Gauchet est l’auteur d’ouvrages majeurs de la pensée contemporaine: Le Désenchantement du monde, L’Avènement de la démocratie ou plus récemment, Robespierre, l’homme qui nous divise le plus.

Dans cet entretien, il dresse le constat d’une Union européenne qui, faute de stratégie politique, se montre incapable de répondre à la déstabilisation identitaire engendrée par la mondialisation et par l’émergence de nouveaux rapports de force à l’échelle mondiale.

Hans Holbein le Jeune, Les Ambassadeurs, 1533 : globe terrestre posé à l’envers sur l’étagère, orienté sur l’Europe

Le Grand Continent : Vous portez un discours assez critique vis-à-vis de l’Union européenne. Que lui reprochez-vous ? Pensez-vous qu’elle affaiblit les États nations ?

Marcel Gauchet : Je crois que c’est une mauvaise manière de prendre le problème que de se focaliser sur l’affaiblissement des États-nations. Il faut parler du résultat global du processus. S’il y avait affaiblissement des États-nations au profit de la collectivité des États-nations réunis dans l’Union européenne, il s’agirait d’un indéniable succès politique.

La bonne question est celle de l’efficacité globale du processus européen. La construction européenne promettait une efficacité supérieure à celle des États-nations, or, tel qu’elle fonctionne aujourd’hui, l’Union européenne affaiblit la créativité européenne en général, plus encore qu’elle n’affaiblit les États-nations en tant que tels. Qu’est-ce que l’Europe ? Le continent de l’invention de la modernité – politique, intellectuelle et scientifique, économique et technique (1) . Je sais que c’est pécher par « eurocentrisme » que de le rappeler, mais je n’ai pas de complexe à braver cette fatwa grotesque. Le problème fondamental de l’Europe est celui de sa capacité à continuer de contribuer à cette invention devenue désormais un bien commun planétaire, au-delà des catastrophes suicidaires du XXe siècle Or il me semble que l’Union européenne, loin de relever ce défi, a anesthésié ce qui a été le ressort de cette créativité, à savoir la dialectique de la coopération et de la concurrence entre les nations qui la composent. Voilà la critique majeure qu’on peut lui faire.

Le vice fondamental de l’Union européenne est d’avoir construit une entité apolitique et a-stratégique.

Le problème de l’Union européenne est l’inversion de l’idée selon laquelle l’union fait la force. Or je dirais, dans le cas précis : l’union fait la faiblesse. Et ce sur tous les plans.

Le vice fondamental de l’Union européenne est d’avoir construit une entité apolitique et a-stratégique, qui ne permet pas aux Européens de se situer dans le monde. Je précise que la dimension stratégique n’implique pas nécessairement une dimension militaire. La puissance aujourd’hui n’a plus primordialement un sens militaire. La puissance militaire des États-Unis ne lui sert pas à grand chose, on pourrait même soutenir qu’elle est devenue contre-productive, en revanche les dépenses militaires américaines servent à fabriquer une industrie très puissante. Le keynésianisme militaire américain est très efficace ! Cela éclaire une autre erreur stratégique des Européens, qui se sont empressés d’empocher après 1991 les dividendes de la paix, en sacrifiant leurs dépenses militaires. Pendant ce temps, on voit que les dépenses militaires américaines, avec leurs ramifications multiples, ont servi à fabriquer une industrie numérique, qui est aujourd’hui le vrai secret de la puissance américaine. En la matière, les européens ont complètement raté le coche, faute d’une réflexion stratégique, et c’est une des raisons de leur affaiblissement durable.

L’un des échecs de l’Union européenne est justement d’avoir été incapable, au moment de l’effondrement de l’URSS, de définir une stratégie vis-à-vis de l’Europe de l’Est.

Dans cette perspective, que pensez-vous du projet d’armée européenne défendu par Emmanuel Macron ?

C’est une erreur politique grossière, en plus d’un vœu inconsistant ! Aujourd’hui, l’affichage de cette volonté de créer une armée européenne revient à entrer dans le jeu américain, qui consiste à faire de Poutine le repoussoir qui justifie des dépenses militaires servant à tout autre chose qu’à des buts militaires. Certes, dans l’abstrait, on ne peut que soutenir l’idée que les européens doivent être capables de se défendre par leurs propres moyens . Mais en pratique à quoi servirait cette armée européenne ? Nous ne sommes pas menacés par la Turquie ou par les pays du Maghreb ! Le seul adversaire sérieux serait éventuellement la Russie, mais est-il réaliste de la regarder comme une menace militaire directe ?

L’un des échecs de l’Union européenne est justement d’avoir été incapable, au moment de l’effondrement de l’URSS, de définir une stratégie vis-à-vis de l’Europe de l’Est. On a laissé faire les Américains, qui ont multiplié les erreurs, alors qu’il s’agissait de notre voisinage vital vis-à-vis duquel nous devions arrêter une ligne de conduite claire. Les États-Unis sont et doivent demeurer des alliés, mais cela ne doit pas empêcher les Européens de développer une réflexion indépendante sur leur environnement et leurs priorités, et de faire valoir leurs conclusions auprès de leur grand allié. Au lieu de quoi les Européens se laissent passivement mener par les États-Unis, qui poursuivent des buts qui leurs sont propres.

« Ce n’est pas l’Europe qui a bâti la paix, mais l’inverse : l’Europe s’est bâtie grâce à la paix assurée par la Guerre froide » écrivez-vous dans Comprendre le malheur français. Vous semblez ainsi remettre en question l’idée, chère aux europhiles, selon laquelle l’Union serait un rempart contre les conflits armés.

Cette idée est une vulgate propagandiste d’une telle absurdité historique que sa longévité me stupéfie. Soyons sérieux : une possible guerre européenne aurait concerné trois pays : la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Or de 1945 à 1948, aucune de ces trois nations n’était en mesure de mener une guerre quelconque, avec une armée américaine omniprésente et une armée rouge stationnant à trois cents kilomètres de Strasbourg.

Je ne suis pas sûr que sans la Guerre froide l’impératif de la construction européenne aurait eu la même vigueur.

Avec la guerre froide, cette pression s’est encore accentuée. Même en imaginant un retour sur le devant de la scène politique de bellicistes, qui n’étaient pas au rendez-vous, et pour cause, comment auraient-ils pu mener une guerre ? Le projet européen est d’abord bâti comme un moyen de résister à l’URSS en renforçant la cohésion de l’Ouest. Un des points trop souvent oubliés est le rôle majeur des États-Unis dans la construction européenne. Le plan Marshall n’était pas un geste philanthropique et désintéressé des Américains. Il avait une finalité très précise : renforcer l’Europe de l’Ouest à un moment où elle semblait menacée. La paix s’imposait donc aux Européens. Dans l’ensemble, ils étaient alignés sur les États-Unis, et il était parfaitement raisonnable de l’être. Il y avait une évidence stratégique du renforcement de l’Union à l’intérieur de l’OTAN.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la politique gaullienne ; Elle fut une tentative de desserrer l’étreinte que représentait la Guerre froide. Elle fut rendue possible seulement par les débuts de la Détente.

Je ne suis pas sûr que sans la Guerre froide l’impératif de la construction européenne aurait eu la même vigueur. Il n’aurait pas eu de ressort suffisant pour rompre avec les politiques institutionnelles propres à chaque pays.

Les nouveaux mouvements néo-nationalistes européens peuvent être définis comme des nationalistes internationalistes en ce qu’ils n’ont pas de visées expansionnistes, mais bien plutôt tissent des alliances avec leurs voisins. Pour ce faire, des pays comme la Hongrie s’appuient de plus en plus sur une rhétorique imprégnée de références eschatologiques. Quel regard portez-vous sur le renouveau de la spiritualité en politique ?

Premièrement, il y a une grande difficulté à définir une nébuleuse, elle-même très confuse. C’est une grande différence avec les totalitarismes du vingtième siècle, qui avaient une dimension idéologique très marquée, notamment le communisme.

Les « néo-nationalistes » appartiennent à des mouvements plus affectivo-identitaires que politiques […] Ils sont à peine politiques, au sens où ils sont plus réactifs que programmatiques.

Que dire sur le discours d’Orban ? C’est un potage démagogique qui agite classiquement des motivations très fortes : le sentiment d’un danger et la nécessité d’un pouvoir fort pour s’en défendre. C’est un discours décourageant sur le plan de l’analyse idéologique, mais qui met le doigt là où ça fait mal ! Il ne réussit pas par hasard. De manière générale, vos « néo-nationalistes » appartiennent à des mouvements plus affectivo-identitaires que politiques, au sens classique du terme, avec des programmes et des visées bien identifiables.

Deuxièmement, l’élément religieux que vous pointez existe effectivement à l’échelle globale, mais il concerne essentiellement le continent américain, avec l’électorat évangéliste. Quand Trump déplace l’ambassade américaine à Jérusalem, c’est pour plaire à une fraction bien déterminée de l’électorat. Plus largement, l’eschatologie est inscrite dans l’identité américaine avec l’idée de Destinée manifeste (2). Ce qui est nouveau, c’est la percée de l’eschatologie au sud du continent américain. Cette dimension pourrait jouer un rôle très important pour la suite, je n’en disconviens pas.

Le christianisme d’Orban me semble beaucoup moins eschatologique qu’identitaire.

En revanche, quand Orban parle de la Hongrie chrétienne, son christianisme me semble beaucoup moins eschatologique qu’identitaire. La perspective qu’il mobilise, c’est la défense de la culture chrétienne contre la culture musulmane. Tous les électeurs comprennent que quand on parle de culture chrétienne, on parle d’une culture sans-les-musulmans ! Si vous parlez d’eschatologie aux électeurs de Salvini, je doute même qu’ils sachent de quoi il est question.

En somme, il me semble que les mouvements « néo-nationalistes » sont à peine politiques, au sens où ils sont plus réactifs que programmatiques. Trump et Bolsonaro n’ont pas de projet, mais réagissent à une situation, la globalisation, avec ses traductions locales particulières.

La déstabilisation identitaire provoquée par la mondialisation est un ressort tout à fait nouveau qui est le vrai cœur des mouvements qualifiés un peu vite de populistes.

La mondialisation constitue un double défi identitaire pour l’ensemble des sociétés du monde, plus ou moins ressenti selon le degré de cohésion identitaire et culturel qu’elles ont. En effet, elle les oblige à se définir par rapport à l’extérieur comme elles n’ont jamais eu à le faire dans le passé. La réponse à la question : « qui sommes-nous ? » passait essentiellement par l’histoire, par l’héritage, par la continuité d’une tradition et dans une moindre mesure par la comparaison avec ses voisins immédiats. Cette réponse classique est balayée par l’inscription obligée dans une géographie globale. Cette exigence de redéfinition interne sous la pression de l’extérieur est un élément qui joue diversement selon le degré où les gens se sentent atteints dans leur définition traditionnelle.

Les ex-puissances coloniales ont une certaine habitude du monde. Pour des Hongrois ou des Polonais, en revanche, il s’agit d’un choc brutal. Même les États-Unis sont concernés, car s’ils jouent un rôle dans le monde depuis un siècle, ils l’ont toujours fait par projection à l’extérieur. Avec le 11 septembre, le monde arrive sur le sol américain. À la limite, au fond de l’Iowa on pouvait pratiquement ignorer qu’il y avait eu des guerres mondiales. En tout cas, si on le savait, cela ne faisait que conforter la définition interne de l’Amérique dans sa vocation providentielle. La nouveauté, c’est cette irruption du monde extérieur avec ce qu’elle appelle de redéfinition en profondeur.

Quand on parle de définition stratégique, cela ne concerne donc plus seulement des diplomates ou des militaires, mais n’importe qui œuvrant, en tant que citoyen, dans un champ culturel et politique. J’ajoute que dans cette mondialisation technico-économique il y a un phénomène d’uniformisation qui ébranle gravement les manières de faire locales. Elle introduit une norme très contraignante à tous les niveaux qui s’impose à tous les acteurs en rupture avec des coutumes, des façons de faire, de penser qui étaient très établies.

La déstabilisation identitaire provoquée par la mondialisation me paraît le grand facteur méconnu par la plupart des analyses politiques. On est là dans un ressort tout à fait nouveau qui est le vrai cœur de ces mouvements qualifiés un peu vite de populistes.

Gabriel Orozco, Samurai Tree (Invariant 3), 2005

Vous parlez de puissances qui ne sont pas habituées au monde et qui vivent un bouleversement identitaire face à la globalisation. Dès lors, il peut sembler étonnant que le Royaume-Uni ait voté majoritairement le Brexit, alors même qu’il s’agit d’une puissance habituée au monde, par son empire passé, et son ouverture économique et culturelle internationale.

Le peuple anglais fait partie des quelques peuples politiques de la planète. Tous les peuples ne sont pas politiques, au sens où ils n’ont pas tous une forme de tradition historique, nourrie par une longue réflexion collective, sur la manière de se conduire à l’égard du monde extérieur. Or en la matière, la tradition anglaise est très déterminée : elle a consisté à tirer les ficelles de la politique continentale tout en se tenant à l’écart. Cette tradition a été ébranlée par les deux guerres mondiales mais elle reste ancrée profondément. Elle a encore présidé à l’entrée dans la communauté européenne, après une expectative prolongée. Elle y a très bien fonctionné, d’ailleurs, jusqu’à ce que l’inertie de la machine ne finisse par la digérer. D’où le réveil brutal le jour où cette absorption est devenue palpable. Le refus de se diluer dans une politique européenne collégiale me paraît le ressort fondamental pour comprendre la diversité des rejets qui se sont coalisés, des déclassés de Birmingham aux conservateurs les mieux nantis, dont on ne voit pas en quoi l’Union a pu les léser en quoi que ce soit !

L’appartenance à l’Union a ébranlé quelque chose de la vision que les Britanniques avaient d’eux-mêmes.

Une des erreurs d’analyse courante est de douter de leur sincérité et d’attribuer leur euroscepticisme à des manœuvres politiciennes. C’est ne pas voir comment l’appartenance à l’Union a fini par ébranler quelque chose de la vision qu’ils avaient d’eux-mêmes, surtout depuis son élargissement. Cette classe dominante avait l’habitude d’un monde qu’elle avait le sentiment de maîtriser et la voilà confrontée à un monde qui lui échappe, même si elle en profite.

Ne peut-on aussi penser que l’accueil des migrants a renforcé la méfiance contre l’Union européenne ?

C’est en effet un facteur qui a joué un rôle important, manifestement, mais pas forcément celui qu’on croit – la simple xénophobie. Il y a là une bizarrerie qui doit faire réfléchir. L’immigration ex coloniale ne posait de problèmes particuliers. Ce qui a posé un problème, ce sont les polonais ! Comment peut-il se faire que l’immigration polonaise, bien que plus proche géographiquement et culturellement que l’immigration pakistanaise ou indienne, ait représenté un défi plus grand pour les Britanniques ? C’est le signe que ce ne sont pas des spécificités culturelles inassimilables qui ont fait la question, mais le mécanisme politique non maîtrisé qui a présidé à cette immigration et la signification que cela lui a donné. Au contraire, quand on bâtit un empire, on conçoit que le contrôle de certaines régions entraîne en retour une certaine immigration.

Ce ne sont pas des spécificités culturelles inassimilables qui ont fait la question migratoire, mais le mécanisme politique non maîtrisé qui a présidé à cette immigration et la signification que cela lui a donné.

Faites-vous la même analyse concernant l’Union européenne ?

De manière générale, oui. Pour ses peuples, l’Union se présente comme un ensemble qui n’a aucun contrôle direct de son environnement direct, au Sud. L’absence de maîtrise de cet environnement est mise en évidence par des flux migratoires incontrôlés.

La population européenne représente 7 % de la population mondiale. Les Européens sont en train de se rendre compte confusément de la petitesse de leur « Grand continent », comme vous dites, à l’échelle globale. Ils sont comparativement très riches, mais leur poids relatif est mince et ils sont faibles. C’est un élément crucial de leur perception d’eux-mêmes et des perspectives que cela dessine quant à leur destin. Ajoutez-y cet élément culturel, qui prend les Européens à contre-pied par rapport à leur propre éloignement de la religion, que constitue l’effervescence de l’Islam et vous n’avez pas de peine à comprendre l’inquiétude qui les travaille. Le problème de l’Union, désormais, c’est qu’elle ne paraît pas faite pour répondre à cette inquiétude.

Pour ses peuples, l’Union se présente comme un ensemble qui n’a aucun contrôle direct de son environnement direct, au Sud.

L’Union s’est absorbée dans un processus interne alors que la demande des peuples, dans le contexte de la mondialisation, est, très logiquement, une demande de réponse à la pression de l’extérieur. Dans ce contexte-là, le libre-échange tel qu’il est conçu à Bruxelles et tel qu’il est pratiqué, apparaît comme un irénisme naïf. Non que des accords de libre-échange ne puissent être une arme stratégique de première importance. Encore faut-il qu’ils s’inscrivent dans un cadre intellectuel solidement pensé comme une manière de défendre et d’affirmer sa position dans le monde.

À terme les mouvements affectivo-identitaires ne risquent-ils pas de gagner sur les positionnements européistes ? Comment renverser la tendance, si ce n’est en développant, comme vous le suggérez, une vision stratégique de ce que doit être l’Union européenne ?

L’histoire est ouverte, mais si on continue sans rien faire, les mouvements affectivo-identitaires l’emporteront – encore qu’ils aient un problème de crédibilité politique évident – ou constitueront un facteur de blocage insurmontable, ce qui n’est pas beaucoup mieux. C’est une course de vitesse à beaucoup d’égards. Tout tient dans la réponse qu’on peut leur apporter. Je vous avoue que je suis tristement sceptique sur cette capacité : nous n’avons pas de dirigeants politiques qui ont une vraie conscience de ces enjeux, je ne vois pas dans la technocratie européenne telle qu’elle fonctionne des gens qui aient des idées sur la question. L’Europe est aussi tragiquement somnambulique en 2019 que ses milieux dirigeants pouvaient l’être en 1914.

Si on continue sans rien faire, les mouvements affectivo-identitaires l’emporteront ou constitueront un facteur de blocage insurmontable.

Je vous recommande le livre de Luuk Van Middelaar : Quand l’Europe improvise (3). C’est un livre passionnant mais accablant par rapport à cet autisme situation bureaucratique. Il le résume en disant en substance : « L’UE ne sait pratiquer qu’une politique de la règle, alors que ce qui lui est demandé est une politique de l’événement ». Ma différence avec lui, qui me rend plus pessimiste, serait que la politique de l’événement ne suffit pas. Elle se contente de faire face à des situations qui s’imposent, alors qu’une politique stratégique est celle qui permet d’anticiper ces événements et de parer à toute éventualité. A ce jour nous n’en avons aucune. Et je ne vois pas par quelles voies le Conseil des chefs d’État qui s’est imposé comme l’instance la moins inadéquate de riposte aux crises, Van Middelaar le montre bien, pourrait en élaborer une.

Ce qui est un peu vivant en Europe, ce sont les mouvements protestataires. Mais sur l’Europe ils sont prisonniers d’une contradiction paralysante. Les politiques redistributives qu’ils préconisent supposent pour être acceptées un cadre politique arrêté et reconnu. Or, leur idéologie universaliste s’oppose à la définition d’un tel cadre. Ce qui fait que c’est le plus petit dénominateur commun qui l’emporte : un petit peu de social, un petit peu d’Europe mais pas trop. Le statu quo l’emporte de tous les côtés.

Il y a eu en Europe l’invention d’un modèle politique, social, intellectuel et culturel préférable à celui qui règne partout ailleurs dans le monde : c’est ce que pense l’immense majorité des Européens, mais ils n’ont pas le droit de le dire !

« On a inventé la modernité », dîtes-vous. Pourquoi ne pas mettre en avant, pour renforcer notre soft power, l’invention de la démocratie libérale, afin de faire (re)naître une forme d’orgueil européen ?

Ce devrait être en effet notre ligne de conduite. Mais cette histoire n’est pas assumée par les Européens, ou du moins par leurs élites. C’est la folie de la situation que nous connaissons. Le discours académique dominant s’emploie en sens inverse à dénoncer l’eurocentrisme et son prolongement pratique, la domination coloniale. Ce n’est pas ce que l’Europe a fait de plus glorieux, c’est évident – mais le visage de notre passé qui en épuise le sens.

Qu’il y ait une invention de la modernité, d’un modèle politique, social, intellectuel et culturel préférable à celui qui règne partout ailleurs dans le monde, c’est ce que pense l’immense majorité des Européens in petto, mais ils n’ont pas le droit de le dire ! Il s’agit pourtant d’un sentiment sur lequel il serait essentiel de s’appuyer, si l’on souhaitait mener une construction européenne vivante. Qui sommes-nous ? Certainement plus les maîtres du monde ! Au fond, tout le monde est très content de ne plus l’être. Personne ne rêve de recommencer la grande aventure impérialiste. Tout cela est derrière nous. Mais il y a un legs de notre histoire qui est tout à fait avouable et dont le sens d’une construction européenne digne de ce nom serait de le porter à un plus grand degré d’achèvement.

Il faut trouver une manière d’assumer cette qualité spécifique de l’invention européenne, dont les Européens n’ont pas à rougir, en commençant par nouer un rapport critique intelligent avec le passé. Ce rapport des Européens à leur histoire, c’est en quelque sorte le vrai défi, car c’est la clef de la réponse à la question « Qui sommes-nous par rapport au reste du monde ? ».

C’est sur cette base là que l’on pourrait, par exemple, développer une vraie politique d’accueil, en sachant ce qu’on veut obtenir dans cet accueil, en ayant à l’esprit des raisons d’accueillir. Ce n’est pas seulement parce que nous disposons d’un niveau de vie par habitant plus élevé que nous devons accueillir des réfugiés. Si l’on commence à réfléchir de la sorte, on est rapidement entraîné à mettre les victimes en concurrence : les défavorisés de chez nous contre les défavorisés de la planète. On ne s’en sort pas ! En revanche, si le sens collectif de l’accueil est déterminé par une fierté civique, pourquoi pas ? Cela change tout : nous savons que c’est un comportement sensé d’avoir envie de venir chez nous et de s’y installer pour contribuer à cette qualité européenne, et pas simplement pour venir profiter des allocations familiales ou d’un cadre économique plus favorable.

Les défenseurs d’une politique d’accueil élargie invoquent régulièrement les droits de l’homme. Or, vous êtes assez critique des droits de l’homme, dès lors qu’on essaie de les ériger en une politique (4). Pouvez-vous développer ce thème ?

Droits de l’homme et politique : toute la question est celle de l’alliance des deux termes et du passage de l’un à l’autre. Je ne suis pas critique à l’égard de l’idée des droits de l’homme en elle-même. La question porte sur les conditions de leur utilisation et de leur application : qu’en fait-on ? J’ai assez écrit sur lesdits droits de l’homme pour qu’on ne me suspecte pas de penser qu’il y a mieux à côté ! Qu’on les aime ou non, il faut faire avec. C’est le principe de légitimité inventé par la modernité et qui est en train de devenir planétaire. J’ai bien dit : en train.

Les droits de l’homme sont le principe de légitimité qui se substitue au principe de légitimité religieux : c’est le cœur de l’invention européenne.

Si j’ai consacré beaucoup de temps à cette problématique des droits de l’homme, c’est d’abord pour identifier ce qu’elle représente et ce qui s’y joue. Le grand problème des droits de l’homme, c’est que ceux qui s’en réclament avec le plus de véhémence ne s’interrogent pas sur ce qu’ils veulent dire, sur ce qu’est leur fonction. Les droits de l’homme sont le principe de légitimité qui se substitue au principe de légitimité religieux : c’est le cœur de l’invention européenne (5).

Puisque les droits de l’homme sont la source du pouvoir au sein des États européens, ne suffit-il pas de les respecter pour mettre en oeuvre une politique cohérente ?

Les droits de l’homme peuvent-ils à eux seuls fournir la clef de construction d’une cité juste ? L’histoire et l’analyse me semblent établir que non, car les droits de l’homme sont faits pour s’appliquer à une matière politique et à une réalité sociale qui leur est hétérogène. Le problème politique de nos régimes, dès lors, réside dans la composition de ces impératifs distincts. C’est là le vrai pluralisme des sociétés modernes. Il y a le principe de légitimité, il y a un cadre politique dont on voit bien qu’il ne répond pas spontanément, de manière nécessaire, aux dits droits de l’homme. S’enfermer dans la politique des droits de l’homme, c’est s’interdire de penser ce qu’il y a en-dehors d’eux, qui conditionne pourtant leur expression.

Peut-on honnêtement espérer retrouver la maîtrise de l’économie par un programme tiré des droits de l’homme ?

L’économie est un élément de cette politique, elle est même devenue son principal objet, puisque l’économie a pris le pas sur la politique. Le problème de la politique est de retrouver la maîtrise sur l’économie. Peut-on honnêtement espérer retrouver la maîtrise de l’économie par un programme tiré des droits de l’homme ? Il définira à la rigueur l’objectif, et encore, mais certainement pas les moyens. Les normes d’efficacité du monde économique sont extrinsèques à la problématique des droits de l’homme. Elles ont leur parfaite justification dans leur ordre, une économie se doit d’être efficace ou elle est dépourvue de sens. Le problème est l’ajustement de ces réalités : comment rendre le salariat compatible avec les droits des individus, qui sont par principe menacés dans la relation salariale. Mais on voit bien qu’il ne peut y avoir d’économie sans organisation hiérarchique au sein des entreprises. Donc il faut trouver les moyens de rendre compatible la structure de commandement que suppose une entreprise avec le respect de la dignité de ses salariés.

Le problème est analogue dans le champ politique avec la structure de commandement qu’est un État, qu’il s’agit d’ajuster avec l’impératif de liberté des citoyens. Or la politique des droits de l’homme escamote ce problème en posant comme postulat que tout doit s’aligner ou découler dans la vie collective de ses normes premières. Certes, elles sont une indispensable source de légitimité mais elles ne définissent pas le cadre politique. Au nom des droits de l’homme, comment voulez-vous justifier la représentation politique ? Si l’on pose au départ des individus également libres, pourquoi certains auraient-ils plus de capacités normatives que d’autres ? C’est insoluble. De la même façon, les droits de l’homme permettent-ils de choisir un système électoral, dont on sait pourtant qu’il est la pièce déterminante d’un régime ? Pourquoi plutôt la proportionnelle ou le scrutin majoritaire ? La réponse est d’un autre ordre.

L’enjeu de la question des droits de l’homme est de circonscrire leur domaine d’application et de comprendre la fonction qu’ils jouent, ce qu’on peut en tirer et comment s’en servir. C’est cette démarche nécessaire que la notion de politique des droits de l’homme escamote complètement.

Propos recueillis par Pierre Ramond et Uriel Gadessaud.

Suite à lire sur : Le Grand Continent, Pierre Ramond et Uriel Gadessaud, 06-02-2019


NOTES

1. Marcel Gauchet définit la modernité européenne comme le passage à la structuration sociale autonome, en fonction du processus de sortie de la religion et de la structuration hétéronome à laquelle elle est associée. Lire « Pourquoi l’avènement de la démocratie ? », Le Débat, n°193 (2017) ↩

2. Dans le contexte de la sécession texane du Mexique puis de son rattachement aux Etats-Unis en 1845, à la fin du mandat de John Tyler, le journaliste John O’Sullivan publie un article dans le Democratic review où il défend l’idée d’une “Destinée manifeste”. Une vingtaine d’années après la doctrine Monroe (1823), il réaffirme le lien unissant les Etats-Unis et le continent américain. Elus par Dieu, les premiers auraient pour mission de s’étendre sur le continent américain pour y implanter leurs institutions.↩

3. Luuke Van Middelaar, Quand l’Europe improvise, Gallimard, 2018. Lire aussi Dieter Grimm « L’Europe par le droit: jusqu’où », Le Débat, n°187 (2015) et Dieter Grimm « Quand le juge dissout l’électeur », Le Monde diplomatique (juillet 2017) ↩

4. Lire « Les Droits de l’homme ne sont pas une politique », Le Débat, n°3 (1980) et « Quand les droits de l’homme deviennent une politique », Le Débat, n°110 (2000) ↩

5. Ici, Marcel Gauchet s’intéresse à la religion non comme croyance individuelle mais comme mode de structuration des communautés humaines fondées sur l’hétéronomie, ou pour ainsi dire, déterminées du dehors. Parler de « fin de la religion » revient alors non à postuler l’avènement d’un monde sans croyant, mais l’émergence de sociétés fonctionnant en dehors du religieux comme principe régulateur, dans un double mouvement d’autonomisation de l’ici-bas et d’internalisation de l’au-delà. Lire « Fin de la religion » , Le Débat, n°28 (1984).↩

 

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Commentaire recommandé

Alfred // 11.02.2019 à 06h55

Merde Marcel. On a pas envie de continuer à lire quand on lit que Macron fait une erreur avec le projet d’armée européenne. Ni que les états unis ont fait des erreurs en définissant la politique de l’UE vers les pays de l’est. Les deux sont des désastres ou des « suicides assistés » mais pas des erreurs. C’est le dernier tabou contemporain (surtout avec la contre offensive « anti complotiste ») mais il faut bien oser sortir le mot qui fâche et qui décrit le fond de ses choses : la trahison. Et la trahison ne relève pas du champ de l’erreur mais de ceux de la duperie et du crime.

34 réactions et commentaires

  • Alfred // 11.02.2019 à 06h55

    Merde Marcel. On a pas envie de continuer à lire quand on lit que Macron fait une erreur avec le projet d’armée européenne. Ni que les états unis ont fait des erreurs en définissant la politique de l’UE vers les pays de l’est. Les deux sont des désastres ou des « suicides assistés » mais pas des erreurs. C’est le dernier tabou contemporain (surtout avec la contre offensive « anti complotiste ») mais il faut bien oser sortir le mot qui fâche et qui décrit le fond de ses choses : la trahison. Et la trahison ne relève pas du champ de l’erreur mais de ceux de la duperie et du crime.

      +56

    Alerter
    • vert-de-taire // 11.02.2019 à 08h48

      Exactement réaction similaire sauf que j’ai réagi avant et que j’ai continué à lire… (à tord, il n’apporte rien sinon son aveuglement ou sa mauvaise foi ?)

      « Le problème fondamental de l’Europe est celui de sa capacité à continuer de contribuer à cette invention devenue désormais un bien commun planétaire, au-delà des catastrophes suicidaires du XXe siècle. »
      * mais NON puisque l’UE s’est donnée comme but de faire du fric, l’invention est oubliée !
      Puisque l’UE fabrique du chaos, de la précarité, des pertes de richesses ..

      « Le vice fondamental de l’Union européenne est d’avoir construit une entité apolitique et a-stratégique »

      * apolitique oui idéologie néolibérale qui INTERDIT la politique : TINA.
      M G se surpasse à enfoncer des portes ouvertes.
      * A-stratégique : mais non très stratégique au contraire : détruire la capacité des états à faire, donc laisser-faire les multinationales.

      « Dans ce contexte-là, le libre-échange tel qu’il est conçu à Bruxelles et tel qu’il est pratiqué, apparaît comme un irénisme naïf. »
      Meuh non, un choix délibéré de mulitnationales, qui est naïf ?

      une pour la fin :
      « J’ajoute que dans cette mondialisation technico-économique il y a un phénomène d’uniformisation qui ébranle gravement les manières de faire locales. »

      Oui l’esclavage capitaliste par mise en concurrence de tout, personnes, entreprises pays normes …
      cela ébranle OUI !! Mais parler de mondialisation technico-économique c’est se tromper. Nous tromper ?

        +31

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      • rolland // 11.02.2019 à 21h41

        Ajoutons :
         » Or il me semble que l’Union européenne, loin de relever ce défi ( contribuer à cette invention devenue désormais un bien commun planétaire : l’invention de la modernité – politique, intellectuelle et scientifique, économique et technique. ndlr : qu’on appelle le PROGRES ), l’UE a anesthésié ce qui a été le ressort de cette créativité, à savoir la dialectique de la coopération et de la concurrence entre les nations qui la composent. Voilà la critique majeure qu’on peut lui faire.

        Là c’est sûr, on va encore ne pas être d’accord, mais alors du tout !

          +2

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    • Jos Le Fur // 11.02.2019 à 08h49

      Merci, Marcel ! Une lecture passionnante de bout en bout par sa lucidité et sa hauteur de vue. Ce qui ne m’empêche pas d’arriver – personnellement et sans l’aide de Marcel – au même jugement que vous : la trahison de Macron.

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      • vert-de-taire // 11.02.2019 à 09h24

        Macron ne trahit rien !
        il a annoncé son système : fuite en avant néolibérale !
        pour esclavagiser les gens.
        Ce n’est pas ses mots mais on comprenait parfaitement.
        améliorer la productivité du capital ..
        on va la chercher où ?

        où suis-je ?

          +23

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        • Dominique65 // 12.02.2019 à 10h44

          « Macron ne trahit rien ! »
          Si ! Il a trahi tous les naïfs qui ont voté pour lui en pensant qu’il allait faire une nouvelle politique. La politique de Macron est archaïque.
          Cela dit, les naïfs en question auraient au minimum dû se poser des questions lorsque le candidat les exhortait à « penser printemps ».

            +1

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    • Milsabord // 11.02.2019 à 10h13

      M Gauchet omet seulement une petite donnée : la corruption fondamentale de la construction européenne. Cette double corruption la fonde comme « société ouverte » (à la Soros) à l’impérialisme américain et à la prédation des multinationales. L’absence de personnel politique européen conscient des enjeux qu’il énumère, ce « somnambulisme », signe la pénétration profonde de la corruption à la racine des mécanismes de formation et de sélection des élites politiques et de la perversion de la démocratie qui en découle. Tout ce système corrompu a dépassé depuis belle lurette le point de non retour. Il n’est plus réformable. Macron ne fait que briser le cercueil de verre des apparences trompeuses. Le peuple, lui aussi somnambule, se réveille. Et on sait que réveiller un somnambule provoque des réactions brutales.

        +23

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      • Bibendum // 11.02.2019 à 19h09

        Et qui sont souvent fatales au somnambule…. Les réactions brutales !!!

        En ce sens le mouvement des GJ est peut être souhaité, voire inspiré….

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  • calal // 11.02.2019 à 08h33

     » Si l’on pose au départ des individus également libres, pourquoi certains auraient-ils plus de capacités normatives que d’autres ?  »

    ben oui,faut donner le droit de vote a tout ceux qui ont dormi une nuit sur le sol europeen…

    Il semble que la loi blanquer va permettre le financement prive d’ecole internationale. Bref,des fonds etrangers vont etre autorise a financer des ecoles par ex franco algerienne qui vont baratiner des enfants des cites.

    A l’heure ou la dissuasion nucleaire garantit aux hommes francais qu’ils n’auront pas a subir une mobilisation generale et a sacrifier leur vie pour defendre le territoire national d’une invasion, on introduit et on favorise l’emergence d’une armee ennemie directement sur le sol national.

    je vote maintenant pour ne pas avoir a me sacrifier demain…

      +7

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  • bhhell // 11.02.2019 à 09h03

    Sacré Gauchet, l’homme qui défendait la recherche d’une troisième voie au début des années 2000 incarnée à l’époque par un certain Tony Blair. Gauchet ou l’explorateur d’alternatives centristes au centrisme, d’alternatives néolibérales au néolibéralisme, pour combattre l’individualisme culturel. Un grand penseur

      +27

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  • Aurélie // 11.02.2019 à 09h04

    Ah bon, « au fond de l’Iowa, on pouvait ignorer qu’il y a eu deux guerres mondiales »? Je trouve ces propos méprisants, comme l’ont été les journalistes au moment du Brexit : c’est forcément à cause des bouseux illettrés, alors qu’à Londres les citoyens sont plus cultivés. Ou après le référendum sur l’indépendance de la Catalogne des journalistes et intellectuels proposaient dans « Courrier international » que Barcelone et Tarragone soient séparés des territoires ruraux parce que là encore les urbains avaient voté non.

      +12

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    • gracques // 11.02.2019 à 19h39

      Aurelie , dans ce texte effectivement plein d’approximation , M Gauche voulait simplement dire que l’investissement humain des USA dans les deux guerres mondiales n’à rien avoir avec celui des pays européens.
      Allez sur wiki pour les chiffres , mais pour donner une idée , pendant la,deuxième guerre mondiale il y a eu autant de morts dans l’armée française que dans l’armée des USA. Et bien sûr l’écran est énorme en ce qui concerne la première ….. alors oui vu depuis’l’Iwioa les deux guerres mondiales ont certes fauchés des hommes , mais n’ont pas marques le,pays (pas comme la guerre civile)

        +4

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  • Jos Le Fur // 11.02.2019 à 09h10

    Merci, Marcel ! Une lecture passionnante de bout en bout par sa lucidité et sa hauteur de vue. Ce qui ne m’empêche pas d’arriver – personnellement et sans l’aide de Marcel – au même jugement que vous : la trahison de Macron.

      +2

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  • Fritz // 11.02.2019 à 09h11

    Bel effort de lucidité, de la part d’un mandarin. Allez Marcel, encore un effort ! Pourquoi lâchez-vous cet aphorisme : « Les États-Unis sont et doivent demeurer des alliés », si ce n’est par conformisme ?

    Et quelle mollesse dans l’expression de votre pensée, quand vous dites : « Le plan Marshall n’était pas un geste philanthropique et désintéressé des Américains. Il avait une finalité très précise : renforcer l’Europe de l’Ouest à un moment où elle semblait menacée. » Disons qu’il servait à amarrer l’Europe occidentale aux États-Unis, à vassaliser des pays affaiblis par la Seconde Guerre mondiale.

      +27

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    • gracques // 11.02.2019 à 19h40

      Oui bon , ‘en même temps’……’ l’alternative ?

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      • Fritz // 11.02.2019 à 21h40

        L’alternative ? La reconstruction dans l’indépendance, la coopération plutôt que la vassalisation, l’amitié entre TOUS les peuples divisés par la Seconde Guerre mondiale.

          +5

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  • Marie // 11.02.2019 à 09h41

    Il s’agit de Marcel Gauchet et le commentaire « recommandé » commence par « Macron »!…C’est une véritable obsession, à penser que c’est le seul personnage digne d’intérêt…

      +1

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    • Alfred // 11.02.2019 à 10h20

      Avez vous lu le texte? On arrive très rapidement sur;
      « Journaliste: Dans cette perspective, que pensez-vous du projet d’armée européenne défendu par Emmanuel Macron ?
      Marcel Gauchet : C’est une erreur politique grossière, en plus d’un vœu inconsistant ! […]  »

      C’est ce que le commentaire commente. C’est à dire les réponses faites par .. Marcel Gauchet. Ce qui est interrogé c’est l’incapacité de Mr Gauchet à formuler certains tabous qui dépassent la personne de notre petit président).
      Je vous invite à réfléchir sur le caractère épidermique de votre propre réaction.

        +12

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    • Bibendum // 11.02.2019 à 19h26

      Allons allons, Marie. Allongez vous, je vous écoute 🙂

      Si le commentaire mis en exergue était de Bibendum et commençait par : »moi je », effectivement il y aurait un problème. D’abord une obsession du modo de service, car en général les commentaires de Bibendum sont sans intérêt ( Je suis contre l’usure 😉 ) et sont effacés. Alors le voir recommander…

      Ensuite, Bibendum n’est pas au centre de tous les postes de télévisions, en une des journaux, au coeur des sujets d’actualité… Bref, Bibendum n’est pas !

      Sinon, que pensez vous de Macron ? Certains le disent beau, d’autres le trouve beau parleur, voire même beau-ni-menteur, mais là j’émets des réserves…

      Quelque part, ce Macron, ce serait-il pas votre droopy ?

      You are happy ?

      Bien à vous et coucou au modo 🙂

        +2

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  • Michel Bergès // 11.02.2019 à 10h28

    Débat passionnant, lucide, bien argumenté. L’Europe n’est ni un État, ni une « Nation ». De plus, elle a subi, de par son américanisation forcée en 1945-1948, ce que l’on pourrait désigner comme le « calvinisme » états-unien (pas seulement « évangéliste ») : à savoir une idéologie religieuse, non « de la Providence » eschatologique et fataliste (luthérienne), mais du volontarisme sur terre (seuls les meilleurs, les plus riches, les plus armés obtiendront « le salut »). Par ailleurs, si l’on conserve la grille lumineuse de Max Weber ou de Maurice Godelier, au sujet du poids des codes religieux dans l’organisation de la politique et des sociétés, on voit que l’Europe est traversée aussi par le catholicisme romain et par le catholicisme orthodoxe, incompatibles. Sans parler d’un islam conquérant, qui, de surcroît a bien intégré la « modernité » issue des grandes révolutions européennes (technique et scientifique, plus que « politique », d’ailleurs). L’UE, empire bureaucratique éloigné de la démocratie des États-Nations, jacobine et technocratique dans sa structure, paralysée par le boulet des « 27 » membres, habit d’arlequin culturel et religieux, ne peut être effectivement une « instance » de décision politique. Ni de décision économique, de par son idéologie « libérale-concurrentielle » autodestructrice.

      +7

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    • Fritz // 11.02.2019 à 10h37

      Par pitié, professeur Bergès, épargnez-nous ces considérations sur le substrat religieux supposé des uns et des autres. Vous savez fort bien que le calvinisme est mieux implanté en Europe (Suisse, France, Pays-Bas, Écosse, Hongrie) qu’aux États-Unis. Quant à votre expression, « seuls les meilleurs, les plus riches, les plus armés obtiendront le salut », je vous défie d’indiquer où elle se trouve dans les écrits de Jean Calvin. Les trois derniers mots, « obtenir le salut » sont à l’opposé de sa théologie.

        +3

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      • Michel Bergès // 11.02.2019 à 11h21

        En matière des faits opposant le luthérianisme (dominant en Europe du Nord, très intégré et fataliste par une conception de la divine providence) et le calvinisme (exportée via l’Angleterre et la Hollande vers les États-Unis au XVIIIe siècle par les « Pères fondateurs »), nous pouvons relire surtout les ouvrages d’Ernst Trœltsch et de Max Weber, notamment. Sans oublier le livre éclairant de Fernand Braudel, « Grammaire des civilisations ».
        Pour comprendre l’Europe, bien au-delà du concept de « culture » (même religieuse) il est utile d’intégrer le concept de « civilisation ». Nous sommes loin, là, vous l’avez compris, du concept de « fin des religions » discuté par Marcel Gauchet.

          +4

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        • calal // 11.02.2019 à 13h28

          Ne manque t il pas une religion dans votre reflexion et celle de gauchet? Sans doute parce qu’elle n’a aucune importance ni influence…

            +4

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          • Michel Bergès // 11.02.2019 à 20h43

            Vous avez raison. Ceci est un oublie en raison du manque de signes disponibles. Il y a encore la religion et la civilisation juives, comme celles aussi de la Grèce et de Rome, dont le christianisme a pu hériter en partie. En sachant qu’une partie du catholicisme comme du protestantisme ont étalé un antisémitisme « théologique », aux conséquences longtemps symptomatiques. J’ai édité dans une collection que j’ai fondée et dirigée (« Théorie politique ») aux Éditions Complexe en 2002, un ouvrage éclairant de Smuhel Noah Eisenstadt, « Le Retour des juifs dans l’histoire ». Dans son analyse, Max Weber a intégré un ouvrage détaillé sur « Le Judaïsme antique », à côté de ceux sur le protestantisme, le bouddhisme, le confucianisme et l’hindouisme. Il a peu écrit sur le christianisme.

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            • Clauzip12 // 12.02.2019 à 20h33

              Énoncer puis compléter,reénoncer toutes les religions conduit selon vous a légitimer les diverses positions spirituuelles des individus.
              Vous faites un oubli majeur,cet oubli n’est que la consequence du respect des citoyens qui d’aucune façon n’imposent ou cherchent a faire valoir des points de vue ou pensees qu’ils ont personnellement adopté.
              Il est,non pas une communauté, ce qui n’est pas republicain mais des individus laïques et libres penseurs dont la spiritualité se porte sur la spiritualite de la Republique,de la nation sans exclusive.
              L’humain et tout ce qui le caracterise est leur source d’interet unique sans esclusive.
              La paix est la consequence finale de cette demarche de pensée et de perspective de Vie heureuse pour tous.

                +0

              Alerter
  • chr bernard // 11.02.2019 à 11h33

     » Les États-Unis sont et doivent demeurer des alliés.. »
    Stop ! tout le monde descend ..
    J’ai arrêté là, en tout cas.

      +15

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  • Frédéric // 11.02.2019 à 11h54

    « Qui sommes-nous par rapport au reste du monde ? »

    – Ceux qui l’ont asservi… Et qui se sont entre-tués. L’Europe occidentale a beau avoir inventé les Droits de l’Homme ils ne lui appartiennent plus. Les USA se sont bâtis dessus, avant de s’essuyer avec, mais l’Inde est la plus grande démocratie du monde après avoir expérimenté ces Droits justement contre une puissance européenne.

    Il faut trouver autre chose que les Droits de l’Homme pour donner un sens à l’Europe. Le Pape? Il y a les Protestants. Les « valeurs chrétiennes »? Elles sont raillées par les libéraux. Non, il faut simplement regarder les Suisses. Ils n’ont pas la même religion, ne parlent pas la même langue, mais on choisi depuis longtemps de vivre en paix entre eux et avec leurs voisins, et ceci avant toute déclaration des Droits de l’Homme. Les Droits du Suisse suffisent.

      +7

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  • Chris // 11.02.2019 à 13h56

    Une belle homélie à la mondialisation que nous sert Gauchet comme incontournable : tina frappe encore.
    Je doute que l’économie l’emporte sur le politique, même si l’on assiste aux victoires à la Pyrrhus qu’est la multiplication des traités de libre-échanges chapeautant les délocalisations. C’est oublié que les humains, à l’instar du monde animal, sont intrinsèquement grégaires.
    On va où là ?
    Nulle part : une dissolution complète que ne soutiendra plus l’hyper consommation des ressources terrestres dans un monde fini. Ce plan, la mondialisation, d’une vacuité suprême est voué à l’échec : il s’éteindra comme passa le commerce des bulbes de tulipes.
    Les individus de l’époque avaient-ils besoin de bulbes de tulipes pour vivre en communauté ? Bien sûr que non. C’est pourquoi elles passèrent.
    Le politique, soit l’aménagement du vivre-ensemble, est le b.a. BA des sociétés humaines. L’économique n’est qu’un auxiliaire, un instrument.
    Faire de l’économie LA religion commune des terriens est une fiction, une foire aux attrape-couillons, une fuite en avant. On observe déjà une régression générale malgré l’endettement colossal : corruptions, inégalités croissantes, précarité et paupérisation, épuisement des ressources, pollutions extrêmes, multiplication des pillages par guerres de basse intensité, répressions des peuples par le bâillonnement de la parole, lois… et BLD !
    Bref, la sauce ne prend pas et pour cause : la marchandisation humaine atteint ses limites. Le grégaire protecteur reprendra le dessus.

      +13

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  • Brigitte // 11.02.2019 à 18h26

    Ah la troisième voie…une Europe copiée sur les USA, alors que ce sont ces derniers, de l’aveu même de Gauchet, qui ont contribué à rendre l’Europe a-politique et a-stratégique pour mieux la vassaliser. Je ne comprendrai jamais pourquoi les états nations sont ringardisés par une majorité d’intellectuels français voire même diabolisés, ne pouvant mener qu’au nationalisme et non à la démocratie. Ce sempiternel discours de la taille critique d’une entité géopolitique pour être à armes égales avec les grands de ce monde ne tient pas non plus la route. Quid de la Suisse, de la Corée, du Japon et de bien d’autres? Quid du Brexit? Les anglais ont gardé des liens avec leurs anciennes colonies qui les mets à l’abri du besoin. Les français n’ont pas réussi. La mondialisation des échanges ne date pas d’aujourd’hui et n’est pas en soi le problème. Chaque pays doit être libre de créer des alliances avec qui bon lui semble. L’Europe est certes un continent mais n’a aucune légitimité pour se substituer sur quelque plan que ce soit, politique, économique ou culturel à l’ensemble des pays qui la compose.

      +6

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  • moshedayan // 11.02.2019 à 20h15

    Je crois n’avoir rien compris ou trop compris à ce discours pseudo-réaliste, biaisé qui omet nombre de vrais faits.
    Je n’ai qu’une réponse si tous ces gentils « européistes » sont si convaincus de leur bonne cause, pourquoi n’ont-ils pas réclamé de façon ferme et constante la fin de toutes les équipes nationales de sport à toutes les compétitions internationales et exigé une seule « couleur » européenne ???
    Si non, pourquoi donc ? Si ce n’est justement parce qu’ils méprisent les peuples, les nations et y voient seulement un « marché mercantile » ou un « piège à cons » (pour les plus méprisants)???. Aidez-moi à trouver la réponse

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  • moshedayan // 11.02.2019 à 20h16

    Je crois n’avoir rien compris ou trop compris à ce discours pseudo-réaliste, biaisé qui omet nombre de vrais faits.
    Je n’ai qu’une réponse si tous ces gentils « européistes » sont si convaincus de leur bonne cause, pourquoi n’ont-ils pas réclamé de façon ferme et constante la fin de toutes les équipes nationales de sport à toutes les compétitions internationales et exigé une seule « couleur » européenne ???
    Si non, pourquoi donc ? Si ce n’est justement parce qu’ils méprisent les peuples, les nations et y voient seulement un « marché mercantile » ou un « piège à cons » (pour les plus méprisants)???. Aidez-moi à trouver la réponse

      +2

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  • rolland // 11.02.2019 à 20h18

    Le discours de Marcel Gauchet est malheureusement conforme à ce dont je m’en attendais.
    Entre langue de bois, déformation de formules dans une quasi-novlangue pour décrire des faits, puis heureusement quelques nouvelles vérités enfin avouées, M.Gauchet reste pour moi à son image quelqu’un vivant dans son époque et qui donc essaye de s’en sortir en se mouvant sur un fil entre honnêteté et lâcheté.
    A quand le même interview avec Alain Badiou, histoire de faire la synthèse de l’idée communiste intellectuelle française de nos jours ?

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  • Jean-Luc // 12.02.2019 à 06h40

    Macron n’a pas d’autre responsabilité dans cela que de transcrire, dans le droit français, les directives de l’UE: loi travail, privatisations/délocalisation, grignotage des services publics, etc.

      +4

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  • Alexandre Maffre // 12.02.2019 à 10h22

    Bonjour,
    Merci pour le Gauchet, j’ai bien ri ! Mouahahahahahaha

    Je cite : « Je précise que la dimension stratégique n’implique pas nécessairement une dimension militaire. La puissance aujourd’hui n’a plus primordialement un sens militaire. La puissance militaire des États-Unis ne lui sert pas à grand chose, on pourrait même soutenir qu’elle est devenue contre-productive, en revanche les dépenses militaires américaines servent à fabriquer une industrie très puissante. Le keynésianisme militaire américain est très efficace ! »
    Le môssieur SE CONTREDIT dans la même phrase, « ne lui sert pas à grand chose …. servent à fabriquer une industrie très puissante. » Et les irakiens en pensent quoi ? Et les syriens en pensent quoi ? Et les palestiniens ? Et les russes ? Les iraniens peut-être ?
    « le philosophe Marcel Gauchet est l’auteur d’ouvrages majeurs de la pensée contemporaine » … c’est bien ça le problème ! Cette « pensée contemporaine » est complètement fabriquée et mensongère, elle s’appelle « libéralisme ». Le « progressisme européen », bouffonerie à laquelle Macron, BHL et consorts croient fermement. Gauchet fait partie des idéologues de la bourgeoisie.
    On pourra faire remarquer au môssieur qu’un peu d’anthropologie ça fait pas de mal, et que la « démocratie européenne » est impossible faute de peuple européen.
    C’est beaucoup plus intéressant de discuter dans les manifestations des gilets jaunes, philosophiquement et politiquement parlant.

    Merci à vous de publier de tout, y compris la propagande officielle, c’est très instructif.

      +7

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