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3.avril.20213.4.2021 // Les Crises

Pentagone : Pourquoi Joe Biden ne réduira pas le budget de la Défense

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Source : Responsible Statecraft, Mark Perry

Traduit par les lecteurs du site Les Crises

Vice-président, Joe Biden est accueilli par la direction de la 174e Escadre d’attaque de la Garde nationale aérienne de New York le 20 octobre 2014. (Photo de la Garde nationale aérienne de New York par le sergent technique Jeremy Call / libérés)

Il semble que l’armée américaine ait évité de prendre une balle. Des responsables de la Défense ont indiqué la semaine dernière que, plutôt que de réduire le budget du Pentagone, la Maison-Blanche de Joe Biden allait « stabiliser » les dépenses militaires, repoussant ainsi la révision des priorités en matière de dépenses de défense.

Un haut responsable du Pentagone confirme l’information, d’abord mise en avant dans Breaking Defense, en me disant que le budget de la défense de Biden (qui doit être publié le 3 mai), s’élèvera à un peu plus de 696 milliards de dollars (le total des dépenses de sécurité nationale, y compris celles du département de l’Energie, pourrait atteindre plus de 735 milliards de dollars), un chiffre comparable au financement de base attribué au Pentagone en 2021.

En d’autres termes, la nouvelle administration Biden maintiendra au même niveau les dépenses extravagantes pour la défense qui ont marqué les années Trump – une décision susceptible de susciter des hurlements de protestation de la part des partisans progressistes de Biden.

L’annonce d’un nouveau budget de la Défense de Biden qui ressemble beaucoup à l’ancien a fait pousser des soupirs de soulagement aux faucons de la défense qui ont passé les deux dernières années à se préparer à des coupes sombres dans les dépenses militaires, reflétant l’effondrement économique qui a accompagné la pandémie mondiale ainsi que le malaise croissant suscité par la « bosse Trump », qui a vu les dépenses de défense augmenter de 100 milliards de dollars en trois ans.

« Avec une faible majorité démocrate à la Chambre comme au Sénat et une résistance des Démocrates modérés à réduire significativement la défense, une réduction majeure du budget est peu probable » a récemment pointé un document du Center for Strategic and International Studies (Centre pour les études stratégiques et internationales, NdT).

Le haut fonctionnaire du Pentagone qui s’est entretenu avec (le think tank, NdT) Responsible Statecraft est d’accord. « Si vous m’aviez demandé il y a seulement six mois, j’aurais dit qu’il allait y avoir des réductions, et peut-être même de grosses réductions, dans les dépenses de défense, » a déclaré le responsable. « Mais pas plus. C’est de la politique. Biden ne veut pas mettre en péril son programme national, ce qui signifie qu’il ne va pas se battre pour les crédits de la défense. »

« Tout cela a été décidé dans le bureau ovale, nous a dit un ancien haut fonctionnaire du budget qui connaît bien le processus budgétaire de Biden. Je peux imaginer la réunion : il y avait Biden, Harris, Ron Klain [le chef de cabinet de Biden], peut-être Susan Rice [la responsable du Conseil de politique intérieure] et Brian Deese [le directeur du Conseil économique national] et c’est à peu près tout. C’est l’une des rares fois, au début d’une nouvelle administration, où le budget de la Défense n’est pas décidé au Pentagone. Et je parie que Biden a donné les ordres : Ne rien faire en matière de défense ne nous coûte rien. Ça a probablement été une réunion assez courte. »

En fait, la Maison Blanche semble prête à faire valoir que même de modestes réductions des dépenses de défense compromettent les plans de l’administration Biden pour une reprise économique post-pandémie, car les réductions des dépenses de défense se traduiront par des réductions des emplois dans le secteur de la défense – un moteur important de la croissance économique.

Par ailleurs, les responsables de la Maison Blanche (et l’équipe de Biden au Pentagone) sont prêts à faire valoir que toute réduction budgétaire significative devra attendre une refonte de la stratégie de défense nationale de l’administration Trump et une révision de la posture globale du Pentagone, ainsi que des évaluations internes sur la modernisation nucléaire et les plans de construction navale – l’équivalent au Pentagone d’un coup d’épée dans l’eau.

Enfin, la Maison Blanche est apparemment préoccupée par le fait que la pression en faveur d’une réduction des dépenses de défense risque d’éroder le soutien crucial des Républicains du Sénat et des Démocrates modérés aux initiatives législatives de Biden sur l’immigration, les infrastructures et le changement climatique. Le refus de réduire les dépenses de défense ne permettra pas d’obtenir ces votes, mais les gardera dans son jeu.

Le sursis proposé pour les réductions des dépenses de défense n’est pas passé inaperçu parmi les faucons de la défense, qui sont prêts à faire valoir que même un budget stable est un obstacle au maintien de la sécurité de l’Amérique – une position qui a été annoncée lors de la récente Conservative Political Action Conference, où Biden a été critiqué pour sa mollesse vis-à-vis de la Chine.

Les faucons de la défense au Congrès sont également prêts à faire valoir que même un budget stable n’est pas en phase avec le rythme du renforcement militaire de la Chine ou de l’inflation – ni avec la liste de souhaits des pro-défense d’augmenter tous les ans de 3 à 5 %.

En d’autres termes, les détracteurs conservateurs de Biden diront probablement que la décision de la nouvelle administration de ne pas augmenter le budget de la défense signifie en fait une réduction des dépenses du Pentagone, un argument que le public américain entendra dans les mois à venir. Lorsque l’information sur la proposition probable de Biden au Pentagone a circulé à Washington à la fin de la semaine dernière, les officiers supérieurs de l’armée ont pris le train en marche, réitérant leurs appels en faveur d’une marine plus puissante, de la production à plein régime du controversé F-35, qui succède au chasseur F-16, et d’un financement accru de l’Initiative de dissuasion du Pacifique.

Bien que les plans budgétaires de Biden pour le Pentagone n’aient pas encore été entièrement dévoilés, tout ce qui ressemble à une proposition qui pérenniserait les dépenses de l’administration précédente suscitera la controverse parmi les progressistes du Congrès. Cela est particulièrement vrai pour ceux qui étaient convaincus que l’armée avait accepté la nécessité économique de faire des coupes. Le président des chefs d’état-major interarmées, Mark Milley, l’a dit en décembre, lors d’une téléconférence avec Michael O’Hanlon, chargé de mission à l’Institut Brookings. Milley a déclaré à O’Hanlon qu’il s’attendait non seulement à ce que le budget du Pentagone « puisse diminuer de manière significative » mais qu’une telle diminution pourrait être une bonne nouvelle.

« Cela ne signifie pas que le monde va s’écrouler pour nous, a déclaré Milley. Ce que cela signifie, c’est que nous devons nous resserrer et examiner de plus près les priorités et l’affectation des fonds que nous recevons. »

Milley a réaffirmé son point de vue le lendemain, lors d’une présentation devant le Navy Institute : « Alors, écoutez, je suis un gars de l’armée, et j’aime l’armée… » Milley a déclaré, « mais la défense fondamentale des États-Unis et la capacité de projeter sa puissance vers l’avant [seront] toujours pour la puissance navale, aérienne et spatiale. »

Il a admis sans ambages que le recentrage de l’Amérique vers l’Asie impliquait un recentrage sur la Marine, qui obtiendrait désormais une plus grande part des fonds de défense – aux dépens des autres armes. En fait, le point de vue de Milley avait été anticipé par un groupe d’experts renommés qui avaient mis en garde contre ce qui, de l’aveu même de Milley, constituerait une « hémorragie » budgétaire, qui toucherait principalement l’armée. Mais le budget de l’armée n’était pas le seul à être menacé.

Dans un article désormais célèbre, le journaliste chargé du Pentagone David Axe a révélé que le chef d’état-major de l’armée de l’air, le général Charles Q. Brown, s’était demandé si son service devait acheter la totalité des 1 763 chasseurs furtifs F-35, qui n’ont pas été à la hauteur de leur réputation de « chasseur le plus létal, le plus capable de survivre et le plus connecté du monde. »

Lors d’une rencontre avec des journalistes, Brown a déclaré qu’il était favorable à la conception d’un nouveau chasseur pour remplacer le F-16, ce qui constitue un quasi vote de défiance à l’égard du F-35 (Brown est revenu sur ses propos par la suite). D’autres services ont également remis en question les achats qu’ils ont effectués ces dernières années : les officiers de la Marine ont fait valoir que le porte-avions de classe Ford présente un profil trop haut [sur l’eau, NdT] dans le cadre d’une compétition avec la Chine, les Marines ont déjà redéfini leur rôle en tant que principale force expéditionnaire de l’Amérique, et un article récent du Modern War Institute de West Point a recommandé que l’armée de Terre réduise sa structure de forces (économisant ainsi 7 milliards de dollars), en se débarrassant de trois équipes de combat de brigade d’infanterie.

Il semble maintenant que rien de tout cela ne se produira. Au contraire, après que le président aura présenté son budget de la défense en mai, le débat au sein du Pentagone ne portera pas sur la manière de faire avec moins d’argent, mais sur la manière de distribuer plus d’argent que nécessaire. Compte tenu des récentes initiatives du président en matière de politique étrangère (frappes aériennes en Syrie, refus d’agir de manière décisive contre Mohammed bin Salman, retard dans le renouvellement du JCPOA, et maintenant, son recul sur le budget de la Défense), les progressistes se demandent si l’homme qu’ils ont soutenu en novembre est aussi progressiste qu’ils l’espéraient, ou si (au moins en matière de politique étrangère et d’armée) il est simplement un Trump sans les tweets.

« Les progressistes sont entrés dans un cycle de déception » déclare Gordon Adams, l’ancien directeur associé des programmes de sécurité nationale au Bureau de la gestion et du budget. « Mais peut-être ne devraient-ils pas être surpris. Dans un certain sens, c’était prévisible. Ce que nous allons voir le 3 mai, c’est un président qui se concentre sur les questions intérieures avec un programme intérieur. Il n’est tout simplement pas disposé à mettre cela en danger. »

« Joe Biden doit décider s’il veut être un président transformationnel, ou un président transactionnel, » ajoute Lawrence J. Korb, ancien secrétaire adjoint à la défense. « Et je pense que nous voyons maintenant quelle est sa décision. Ce n’est peut-être pas un problème pour les conservateurs et ce n’est certainement pas un problème pour les services armés. Mais c’est un problème pour sa base. Ils attendaient beaucoup plus de lui lorsqu’ils ont appuyé sur ce levier. »

En fait, comme le laissent entendre Adams et Korb, ce à quoi les progressistes sont confrontés est sans précédent. C’est la première fois dans l’histoire américaine que l’armée a signalé qu’elle était prête à réduire son propre budget – et la première fois dans notre histoire qu’un président a dit « Non. »

Source : Responsible Statecraft, Mark Perry, 05-03-2021

Traduit par les lecteurs du site Les Crises

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LibEgaFra // 03.04.2021 à 10h01

« ou si (au moins en matière de politique étrangère et d’armée) il est simplement un Trump sans les tweets. »

Ce n’est pas le président qui décide en matière de politique étrangère, mais le lobby néoconservateur.

Les USA ne font pas une guerre au terrorisme, ils font des guerres terroristes.

12 réactions et commentaires

  • James Whitney // 03.04.2021 à 08h19

    C’est impressionnant comme le sens des mots a évolué au fil des ans.

    « Avec une faible majorité démocrate à la Chambre comme au Sénat et une résistance des Démocrates modérés …

    Dans ce contexte les « modérés » sont ceux qui veulent augmenter des dépenses militaires pour les raisons bien connues.

    Et en France certains disent que Hollande et son premier ministre Valls et son ministre de l’économie Macron sont des hommes de gauche.

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  • LibEgaFra // 03.04.2021 à 10h01

    « ou si (au moins en matière de politique étrangère et d’armée) il est simplement un Trump sans les tweets. »

    Ce n’est pas le président qui décide en matière de politique étrangère, mais le lobby néoconservateur.

    Les USA ne font pas une guerre au terrorisme, ils font des guerres terroristes.

      +22

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    • Logique // 03.04.2021 à 17h45

      « Le lobby néoconservateur n’existe pas. »

      Bien sûr, bien sûr. Cela devient très intéressant quand un néoconservateur nous dit que le lobby néoconservateur n’existe pas.

      A la réflexion, vous avez raison. Ce n’est pas un « lobby » c’est le cœur même du pouvoir à Washington.

      Nous allons peut-être apprendre aussi que le complexe militaro-industriel n’existe pas.

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  • manuel // 03.04.2021 à 11h03

    « les progressistes se demandent si l’homme qu’ils ont soutenu en novembre est aussi progressiste qu’ils l’espéraient » Les progressistes qui ont pu croire à Biden sont des naïfs pas des progressistes. Tout dans son parcours Obama montraient ce qu’il soutenait et je ne parle même pas des positions décrites dans l’article sur les lanceurs d’alerte https://www.les-crises.fr/lanceurs-d-alerte-en-1981-joe-biden-a-voulu-faire-incarcerer-philip-agee-apres-ses-revelations-sur-la-cia/ qu’éventuellement seul les plus de 60 ans pouvaient connaître.

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    • Patrick // 03.04.2021 à 13h04

      Les « progressistes » vont se rendre compte qu’ils se sont faits arnaquer 😁
      Ils ont juste servi à ramener des voix ou à mettre le b..l dans les centres villes. Avec un peu de chance ça laisse presager d’encore plus d’émeutes dans les villes Democrates.

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    • jammrek // 03.04.2021 à 16h37

      Les progressistes ont voté aux primaires démocrates pour Sanders mais ont perdu. Puis, à la présidentielle, contre Trump, donc pour un Biden sur lequel ils n’avaient pas la moindre illusion.

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  • tchoo // 03.04.2021 à 18h53

    La fabrique d’armes est le moteur de l’économie américaine, alors m^me sans velléité hégémonique et agressive, il n’est pas possible pour Biden de réduire quoique ce soit sans accentuer les problèmes économiques de son pays

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  • Ernesto // 03.04.2021 à 22h22

    « Le lobby néoconservateur n’existe pas » : celle-là, c’est la meilleure de l’année, il faut l’encadrer ! Ici comme ailleurs, les politiciens néolibéraux ne sont que les fondés de pouvoir des mastodontes capitalistes que sont le complexe militaro-industriel, les grandes banques, la sphère financière, les industries de pointe (ce qui n’empêche pas les infrastructures routes, ponts, etc, d’être à l’abandon).

    Aucune chance d’être élu si on ne fait pas partie du sérail. Si Biden avait été « progressiste », il n’aurait jamais été élu ; Sanders a été éliminé parce qu’il est progressiste. Le jour où le social deviendra l’aspiration majoritaire dans la hiérarchie des valeurs et qu’il sera exigé par le peuple, les choses commenceront à bouger.

    Evidemment, on ne peut compter que sur la jeunesse pour porter cette volonté (Sanders est l’exception qui confirme la règle), et pas sur les vieux apparatchiks du système qu’ils pérennisent pour leurs maîtres, qu’ils soient républicains ou démocrates.

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  • Ernesto // 04.04.2021 à 18h17

    Je plains sincèrement Maurice d’admirer un pays pour de si mauvaises raisons (la suprématie industrielle, technologique, militaire mise au service de l’impérialisme guerrier). Le jour où les USA seront à la pointe du progrès social, qu’ils militeront activement pour la paix, la sécurité collective, la coopération dans l’intérêt mutuel, je jure de joindre ma voix à la sienne pour célébrer la gloire de la « grande Amérique » devenue pour de bon le phare du monde civilisé.

    Rêve insensé ? Folle utopie ? Que nenni ! L’impossible est tout simplement ce qui n’est pas encore arrivé !

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  • Ernesto // 04.04.2021 à 18h49

    Les Etats-Unis sont un pays souverain qui doit décider de son destin comme il l’entend. Je demande seulement qu’ils respectent les mêmes exigences pour les autres nations, ce qu’ils ne font pas en voulant imposer leur loi (au prix de millions de morts) au reste de la planète.

    L’Amérique que j’aime c’est celle de « peace and love » et de la jeunesse mobilisée contre la guerre du Vietnam. Vous voyez qu’en cherchant un peu on trouve des raisons d’espérer! Ne vous en déplaise, votre dernière phrase ( « Sanders n’avait aucune chance d’être élu, Trump n’a pas été élu par hasard »), confirme mon analyse.

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  • Myrkur34 // 06.04.2021 à 18h36

    « (Au moins en matière de politique étrangère et d’armée) il est simplement un Trump sans les tweets. »

    « C’est la première fois dans l’histoire américaine que l’armée a signalé qu’elle était prête à réduire son propre budget – et la première fois dans notre histoire qu’un président a dit « Non. » »

    Ces deux extraits valent leur pesant de cacahuètes.
    C’est quand même bien d’apprendre que des gens réfléchissent et se posent des questions dans l’armée américaine plutôt que le sempiternel, « Du moment que la boutique tourne et que je touche mon salaire… »

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