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26.juin.201526.6.2015 // Les Crises

UberPOP : pourquoi taxis, VTC et internautes doivent s’unir contre Uber

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Bon papier de Numerama.

Je préciserais cependant que, si les violences sont inacceptables, la pusillanimité du politique l’est encore plus…

Cette histoire de taxis est une caricature montrant à quel point on n’arrive plus à résoudre le moindre problème… Il semble pourtant clair :

  • qu’il faut en finir avec ces histoires de licence (donc que l’État les rachète aux taxis, moyennant une taxe sur 10 ou 20 ans – taxe qui existe déjà de facto sous forme privée pour le client, pour financer les licences ; donc les prix baisseront seulement dans 10 ou 20 ans) et laisser la liberté d’installation pour doubler ou tripler l’offre comme dans les autres capitales, il y a plein d’emplois possibles ;
  • qu’il faut revoir les tarifs pour augmenter l’offre dans Paris plutôt que dans les aéroports
  • que cette profession doit rester réglementée mais qu’il faut clairement augmenter la qualité de service en contrepartie…

Mais je pense qu’on ne fera rien, comme d’hab…

Lorsque taxis, VTC ou prestataires UberPOP se font la guerre, Uber regarde ceux qui s’affrontent comme autant de proies qu’il entend abattre les unes après les autres. Plus qu’un conflit entre des professionnels, c’est un symptôme d’une société malade, qui doit choisir sa voie. Le capitalisme décomplexé qui fait de certaines plateformes les nouveaux seigneurs d’un monde féodal moderne, ou un autre modèle de société à inventer, en restant uni ?

Si l’on en croit les indiscrétions de Business Insider traditionnellement reprises dans la presse, Uber pourrait réaliser cette année un chiffre d’affaires d’environ 10 milliards de dollars. Sur ces 10 milliards, l’entreprise de VTC reverse 8 milliards de dollars à ses chauffeurs, qu’il s’agisse des traditionnels chauffeurs VTC professionnels de l’offre UberX, ou des chauffeurs occasionnels de l’offre UberPOP. Aucun d’entre eux n’est salarié, tout le modèle d’affaires de l’entreprise consistant à offrir une plateforme de mise en relation entre les clients et les chauffeurs, lesquels travaillent officiellement pour leur propre compte.

Le risque d’une baisse d’activité ou d’un changement de réglementation est donc assumé d’abord et avant tout par les chauffeurs, qui ne bénéficient pas d’une couverture chômage (sauf si UberPOP ne constitue pour eux qu’une activité secondaire), et ne toucheront aucune indemnité de départ. Si ce n’est quelques dizaines d’emplois par pays dans lesquels il s’implante, Uber reste fondamentalement une structure légère, qui prélève auprès des travailleurs un « impôt » de 20 % pour la mise en relation avec la clientèle.

Plus Uber gagne en notoriété et en nombre de chauffeurs, plus la plateforme donne l’impression au client final d’être incontournable, et donc plus la dîme devient elle-même obligatoire de fait pour les professionnels qui dépendent de ses services pour vivre. C’est une nouvelle féodalité créée par un libéralisme débridé par internet, qui a accentué les effets de la mondialisation sur l’autel d’une dérégulation. Sur Internet plus qu’ailleurs, sur les plateformes d’intermédiation plus encore, « The Winner Takes All« .

Comme l’avaient analysé les économistes Robert Frank et Philip Cook il y a vingt ans, en observant la société américaine, « de plus en plus de gens se concurrencent pour des prix toujours moins nombreux et plus gros« , entraînant une accentuation de la pauvreté et des inégalités. Pour toutes les qualités innombrables qu’on lui connaît, il faut savoir reconnaître qu’Internet a le défaut d’avoir accéléré et globalisé l’importation de cette politique libérale dont le jusqu’au-boutisme n’est pas indifférent à la panne de croissance. Combien d’entre vous (nous en sommes trop souvent) ont le réflexe de rechercher LA boutique en ligne qui proposera le prix le moins cher, lorsqu’ils commandent un produit qui sera fabriqué, emballé, stocké et expédié par des femmes et des hommes qui aimeraient eux aussi être mieux payé ?

Il est plus facile que jamais de mettre la planète entière en concurrence, et de trouver des travailleurs pauvres qui accepteront toujours de travailler pour moins cher encore que le travailleur pauvre voisin, et puisque le droit du travail est un obstacle, il est même possible désormais de convaincre des travailleurs de s’inscrire avec le sourire sur des plateformes pour y proposer leur travail sans avoir à signer de contrat de travail. Ca vaut pour Uber, mais ça vaut aussi pour bien d’autres plateformes d’intermédiation. Google Play et l’App Store comptent chacun environ 1,5 millions d’applications. Mais combien de best-sellers parmi elles ? Dans la course aux mines d’or, celui qui fait fortune est toujours le vendeur de pioches et de tamis, jamais ou très rarement ceux qui font la course.

LES VTC UBER CONTRE LES TAXIS. UBERPOP CONTRE LES VTC UBER. UBERBOT CONTRE UBERPOP…

Dans ce monde moderne, les taxis et leur corporatisme font tâche. Il est vrai qu’ils n’acceptent pas la concurrence et qu’ils sont chers. Depuis un siècle le modèle économique des taxis français repose pour partie sur l’absence de concurrence, par l’organisation d’un contingent restreint de licences, et des prix fixés par l’administration. Il est vrai que certains ne sont pas toujours accueillants, et même qu’il leur arrive, parfois plus souvent que rarement, de refuser des courses qui ne les arrangent pas. Il leur arrive même de refuser la monnaie électronique et de se faire payer en liquide, pour des raisons qui ont bien plus trait à la fiscalité qu’au souci de protéger la vie privée de leurs clients. Parfois même certains puent, parlent trop, ou pas assez. Ils ont le défaut d’être humain dans un monde où l’on voudrait que l’homme se comporte comme un logiciel à l’interface soignée, parfaitement débuggé.

Mais qu’ils souhaitent conserver leur monde qui n’est pas celui de l’hyper-concurrence doit s’entendre. Peut-être même cela doit-il s’envier. Et si c’était les taxis et les corporations qui, au fond, avaient raison ?

Que fait Uber des 2 milliards de dollars de recettes (20 % de commission) qu’il prélève sur les courses de ses chauffeurs ? Des sommes colossales sont immédiatement réinvesties pour mettre au chômageceux qui les génèrent aujourd’hui, et ainsi permettre à Uber de ne plus prendre 20 % d’une course, mais 100 %. L’entreprise a de l’ambition, et une vision à 5, 10 ou 20 ans. Elle a pour elle le temps, et l’argent. Depuis de nombreux mois Uber dépense des millions de dollars pour recruter certains des meilleurs roboticiens et spécialistes de l’intelligence artificielle du monde, et développer les voitures robotisées de 2020, 2025 ou 2050, qui viendront chercher le client à son domicile et le conduiront où il voudra aller, sans qu’Uber n’ait à payer qui que ce soit.

La question qui se posera alors, qui se pose plus généralement avec le développement de la robotique et de l’IA (dans des proportions beaucoup trop insoupçonnées par excès de naïveté ou d’aveuglement), est celle de la propriété privée et des inégalités. A quoi ressemblera un monde où ce sont des millions de robots détenus par Uber ou quelques grandes firmes internationales qui transporteront des individus qui ne pourront que les louer ? Comment se fera l’équilibre économique et social de ce monde là ? Bien sûr, il faudra toujours des hommes et des femmes pour concevoir les robots, et (quoique) pour fabriquer les voitures automatisées dans les usines. Mais il en faudra énormément moins qu’il faut actuellement de taxis ou de VTC pour conduire les voitures.

C’est à ce monde là qu’il faut réfléchir, et peut-être contre celui-ci qu’il faut s’unir. C’est ce libéralisme là qu’il faut commencer dès aujourd’hui à réguler, sans entraver pour autant la modernité, mais en le pensant en terme de libertés et d’égalités. Interdire ici les VTC, déréguler là le marché des taxis, n’est que pansements sur une jambe de bois. Le progrès est à nos portes, mais encore faut-il qu’il ne soit pas privatisé.

Source : Guillaume Champeau, pour Numerama, le 24 juin 2015.

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Kiwixar // 26.06.2015 à 06h56

On notera au passage (ça peut servir) que les taxis connaissent la manière de faire plier le gouvernement :
– manifs sans déclaration en préfecture (efficacité de Bastille-Nation : zéro, cause toujours)
– manifs en voiture (pas à pied, facile à taper et à gazer)
– blocage des routes
– si besoin : menace de bloquer les raffineries (en voiture)… les supermarchés ont 3 jours de stocks qui sont vidés en 3h

155 réactions et commentaires - Page 2

  • Greg // 27.06.2015 à 10h26

    Donc si je résume, on a le choix entre :
    1/ une corporation qui s’est tirée elle-même une balle dans le pied en organisant et entretenant un trafic illégal de licences
    2/ une entreprise privée qui se fait du fric sur le dos de non-salariés assujettis à la convention collective des clochards.

    Sympa, l’alternative.

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    • Wilmotte Karim // 28.06.2015 à 18h22

      Il y a peut-être d’autres approche possible, allez savoir!

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  • ponsov // 27.06.2015 à 12h07

    Sur cette affaire qui semblent interresser beaucoup de monde ce qui a de sur c’est que UBER ne paie pas un centime d’euro d’impôt à l’Etat contrairement aux chauffeurs de taxis et il me semble que le gouvernement a tergiversé une fois de plus pour proposer des demi-mesures qui ne satisfont ni les uns ni les autres, Quand à l’utilisation de la violence, en Bretagne elle a fonctionné contre l’écotaxe, au barrage de Sevran pareil, je ne voie pas pourquoi les chauffeurs de taxi ne feraient pas la même chose il n’y à que cela qui fonctionne ( malheureusement).

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  • loki // 27.06.2015 à 12h29

    La relation à un monde robotisé devrait sans doute nous amener à revoir les modèles économiques habituels.

    Toutefois une idée apparemment idiote serait que l’homme développe des échanges monétaires avec les robots. Le robot perçoit un salaire pour son travail lequel est intégralement consommé pour son entretien et son fonctionnement et réinjecté ainsi dans l’économie. Ce salaire est soumis à charges patronales puisque celui de l’humain aussi et on peut creuser autant que vous voulez cette idée débile, très débile et subordonnée à la définition de ce qu’est un robot. Si on lit l’abondante littérature d’Asimov, la définition du robot n’est pas évidente et sans pour autant que ces machines aient déjà un cerveau positronique !

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  • Jacques // 27.06.2015 à 14h39

    Bonjour

    Il faut avoir à l’esprit qu’avec le grand marché transatlantique (GMT, TAFTA) pour lequel la France a donné mandat à l’UE de négocier, la France ne pourrait pas s’opposer à des « UBERPOP » sans risquer d’être lourdement condamnée pour entrave à la concurrence. Après Bolkenstein, GMT. Annoncer; s’indigner c’est bien. Réagir c’est mieux ! Merci à tous (et surtout à chacun) par avance.

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  • Boyington // 27.06.2015 à 15h55

    Chauffeur de taxi, une profession qui disparaîtra sans doute dans 20-30 ans (avec celle des assureurs automobiles) avec la généralisation des voitures sans chauffeur.

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  • Jacques F. // 29.06.2015 à 10h31

    Bonjour,

    Je ne suis pas d’accord avec cette remarque :
    {quote}
    que l’État rachète les licences aux taxis
    {quote}

    Les taxis ont créé eux même ce système de spéculation sur les licences.
    Même si, effectivement, c’est une des seules solutions pour régler cette histoire avec le minimum de violence, je trouve que c’est un peu « injuste ». Tous les gens qui font de la spéculation sur des choses non régulées ne sont pas remboursées dans le cas où ils se sont planté.

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