Israël a adopté une vision du monde selon laquelle tout problème doit être résolu par la force, comme on le voit en Iran, et le peuple d’Israël est devenu un collectif qui admire la force et la brutalité tout en méprisant le dialogue et le compromis.
Source : Haaretz, Michael Sfard
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Je ne sais pas si l’Iran avait déjà décidé de construire une bombe nucléaire. Et même si c’était le cas, je n’ai aucune idée du temps qu’il lui faudrait pour en fabriquer une. Je ne sais pas non plus si le seul moyen d’empêcher l’Iran de devenir une puissance nucléaire militaire est de lancer une guerre contre cette ancienne nation. Même après le début de la guerre, je n’ai absolument aucune idée de l’impact de nos frappes sur le programme nucléaire iranien.
Je ne dispose pas des données de base pour me faire une opinion sur la nécessité de la guerre qui menace d’entraîner le Moyen-Orient dans un conflit long et désastreux. Je manque d’informations sur sa justification et sa légalité, ainsi que sur l’adéquation entre ses objectifs et les moyens choisis pour les atteindre. Je ne les ai pas parce que je ne crois pas un mot des porte-parole du gouvernement israélien.
Ils ont prouvé à d’innombrables reprises qu’on ne pouvait pas leur faire confiance. J’en suis arrivé au point où ma méfiance à l’égard de ce que disent le Premier ministre et le porte-parole de Tsahal atteint presque celle que j’éprouve à l’égard des discours du régime des ayatollahs. Peut-être n’y avait-il pas d’autre choix que d’attaquer, peut-être y en avait-il un. Honnêtement, je n’en sais rien.
Mais il y a deux choses que je sais. Je sais, malheureusement, que la plupart des Israéliens ne sont pas préoccupés par ces questions. Qu’il n’y a pratiquement personne à qui parler ici. Que nous sommes sous l’emprise de drogues pleines de slogans fanfarons et que nous flottons dans l’extase militariste.
Des millions d’Israéliens se délectent des infomations sur l’élimination des dirigeants militaires iraniens, des images pixelisées en noir et blanc censées documenter les opérations du Mossad derrière les lignes ennemies (« Comme Netflix ! ») et des détails de la tromperie israélienne à l’égard des Iraniens crédules, dont le point culminant a été la réunion du cabinet interne d’Israël qui a été ostensiblement convoquée pour discuter d’un accord sur les otages mais qui a en fait – waouh, quel coup monté – approuvé le déclenchement de la guerre. (Il est honteux que le Hamas ne soit pas le seul à utiliser les otages comme moyen d’arriver à ses fins. Le gouvernement exploite aussi cyniquement leur existence, tout en jouant une fois de plus avec les sentiments stressés de leurs familles).
Ce voyage militariste est présidé par les studios de télévision. Ils attisent la guerre et glorifient les pilotes. Ils louent les agents du Mossad et le personnel du renseignement militaire – « nos magnifiques héros » – au point de les déifier. Ces médias ne prétendent même pas fournir à leurs téléspectateurs des informations complexes. Ils empêchent délibérément les autres voix, qui ne marchent pas au rythme des tambours militaires, de se faire entendre.
Nous devons admettre que ce phénomène est aussi vieux que l’humanité – un tribalisme masculin violent qui déborde de fierté quant à la capacité de donner le coup de poing le plus fort. Je ne suis pas un pacifiste. Parfois, l’usage de la force est nécessaire. Mais Israël a adopté une vision du monde selon laquelle tout problème doit être résolu par la force, et le peuple d’Israël est devenu un collectif qui admire la force et la brutalité tout en méprisant le dialogue et le compromis.
Et il y a une autre chose que je sais.
Tout comme, sous le vacarme de la guerre à Gaza, un nettoyage ethnique a été perpétré dans de larges pans de la Cisjordanie, il y a maintenant un grand risque que le gouvernement appuie à fond sur la pédale criminelle à Gaza. Alors que tous les regards sont tournés vers la guerre entre la seule puissance nucléaire du Moyen-Orient (selon des sources étrangères) et son deuxième pays le plus peuplé, Israël va se précipiter pour réaliser le fantasme du duo Smotrich–Ben-Gvir d’anéantir ce qu’il reste de la bande de Gaza palestinienne.
Aucune guerre avec l’Iran n’effacera nos crimes à Gaza. Ce week-end, Haaretz a publié un article terrifiant de Nir Hasson, Yarden Michaeli et Avi Scharf sur la destruction de Gaza. Lisez-le. Regardez les photos satellites. C’est nous, le peuple d’Israël du XXIe siècle. Nous effaçons les villes, détruisons les villages.
Il n’y a aucune explication militaire qui puisse justifier cette destruction qui, juridiquement parlant, est un crime flagrant. Et nous n’avons même pas encore mentionné les tactiques de famine et l’armement de l’aide humanitaire pour perpétrer un transfert de population. Des générations d’Israéliens devront vivre avec la marque de Caïn que nous avons apposée sur nous-mêmes par nos actions. Ces actes constituent, dans le meilleur des cas, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre et, dans le pire des cas, ils font naître des soupçons de génocide.
Pardonnez-moi donc si ma plus grande crainte concernant la guerre avec l’Iran est de voir se dissiper le peu d’opposition internationale et nationale qu’il y avait au nettoyage ethnique et aux massacres de Gaza.
Nous ne devons pas détourner notre regard de Gaza.
*
Michael Sfard est un expert en droits humains et en droit de la guerre, et l’auteur du livre en hébreu « Kibush Mehabayit » (« Occupation from Within : A Journey to the Roots of the Constitutional Coup » – L’occupation de l’intérieur : un voyage aux sources du coup d’État constitutionnel).
Source : Haaretz, Michael Sfard, 16-06-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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