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30.octobre.202530.10.2025 // Les Crises

États-Unis : le shutdown donne à Trump une nouvelle occasion d’étendre son pouvoir

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L’architecte du projet 2025, Russell Vought, veut profiter du shutdown pour réduire encore les dépenses en procédant à des licenciements massifs au sein de l’administration fédérale. [Depuis le mercredi 1er octobre 2025, l’Administration fédérale est mise à l’arrêt aux États-Unis (shutdown) en raison de l’absence de vote, dans le délai imparti, du budget fédéral par le Congrès. Cette paralysie ne s’était pas produite depuis 2018, NdT].

Source : Sasha Abramsky, Truthout
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le US Capitol Visitor Center, à Washington, est fermé aux visiteurs pendant le shutdown du gouvernement fédéral, ce 1er octobre 2025. Chip Somodevilla / Getty Images

Alors que des services essentiels sont paralysés et que les fonctionnaires fédéraux ne sont pas payés, Donald Trump profite du shutdown pour faire ce qu’il fait le mieux : s’emparer de plus de pouvoir.

La semaine dernière, alors que le shutdown se profilait, Donald Trump s’est réjoui à l’idée que son administration s’en serve comme d’une excuse pour fermer les « agences démocrates », quoi que cela veuille dire. Le grand chef MAGA a décrété qu’il s’agissait d’une « opportunité sans précédent » qui lui était offerte par les « Démocrates de la gauche radicale. » De son côté, Russell Vought, l’un des architectes intellectuels du Projet 2025 et directeur du Bureau de la gestion et du budget (OMB), a clairement indiqué que le shutdown était l’occasion de tailler dans les dépenses approuvées par le Congrès, en particulier si elles impliquaient des fonds qui allaient de manière disproportionnée aux États bleus [démocrates, NdT]. Dans une note envoyée à tous les ministères dans les jours qui ont précédé le shutdown, l’OMB de Vought a donné ordre aux agences de présenter des plans de réduction des effectifs en ce qui concerne les projets, les programmes et les activités qui ne seraient pas « dans la droite ligne des priorités du président. » Avec cette directive, l’OMB conforte la mission de son directeur, partisan de longue date d’une présidence sans entraves, qui consiste à permettre à Trump d’ignorer le Congrès à sa guise.

L’administration a ensuite décidé de retirer 8 milliards de dollars de subventions pour les énergies propres accordées à 16 États démocrates et de suspendre le versement de 18 milliards de dollars destinés à des projets fédéraux d’infrastructures de transport dans la région de New York. L’Agence fédérale de gestion des urgences (FEMA) a également annoncé qu’elle bloquerait des centaines de millions de dollars attribués au titre des programmes d’aide aux États pour la préparation aux catastrophes jusqu’à ce que ceux-ci revoient leurs estimations démographiques afin de tenir compte des récentes expulsions massives menées par l’administration – une manœuvre évidente visant à réduire la population de grands États démocrates comme la Californie, New York et l’Illinois – dans le but probable de réduire le nombre de représentants qui leur sont attribués au Congrès.

Vendredi, alors que le Sénat votait – et ne parvenait pas à adopter – plusieurs projets de loi visant à financer le gouvernement, l’administration a fait savoir, par le biais d’une série d’annonces faites par les porte-parole de la Maison Blanche et leurs représentants dans les médias de droite, que des plans visant à licencier définitivement des milliers d’employés fédéraux supplémentaires entreraient bientôt en vigueur. Le président de la Chambre des représentants, Mike Johnson, toujours aussi docile, a justifié l’abus de pouvoir flagrant de Trump, affirmant qu’avec le shutdown, les Démocrates du Sénat avaient remis « les clés du royaume au président. » Alors que la Maison Blanche évoquait à nouveau de démanteler les agences qui « ne s’alignent pas sur les valeurs de l’administration », Johnson a blâmé les Démocrates, leur attribuant l’échec de l’adoption d’un projet de loi de financement et a déclaré : « Ils ont maintenant de fait mis fin au pouvoir législatif (…) et l’ont confié à l’exécutif » affirmant que les licenciements massifs relevaient de l’autorité de Trump.

Ces licenciements massifs n’ont pour la plupart pas encore eu lieu. Le 1er octobre, premier jour entier de shutdown, le Federal News Network a fait savoir que seul l’US Patent and Trademark Office avait donné suite aux exigences de réduction de sa capacité, en licenciant 1 % de ses employés afin de « se concentrer sur les opérations essentielles à sa mission. » Dans les jours qui ont suivi, aucun autre licenciement collectif n’a eu lieu. Mais la Maison Blanche a souligné que des milliers d’autres emplois étaient susceptibles de passer à la trappe. Compte tenu de la volonté de Trump de réduire les effectifs fédéraux et de liquider les programmes, les agences et les départements entiers qui ne lui plaisent pas, le shutdown semble n’être qu’un excellent prétexte pour mettre en œuvre les coupes sombres que l’administration aurait probablement engagées de toute façon dans les mois à venir.

Le fait qu’ils n’aient pas commencé à tailler dans les effectifs avant le week-end dernier semble refléter les divisions internes dans les rangs du GOP [Parti républicain, NdT], de nombreux membres du Congrès et sénateurs républicains étant extrêmement mal à l’aise avec le type de réductions gouvernementales tous azimuts défendu par Vought. Mais plus le shutdown se prolonge et plus Trump pense pouvoir présenter les réductions comme étant dues à l’intransigeance des Démocrates au cours du combat pour le budget, et plus l’administration pourrait s’appuyer sur la stratégie « pas de quartier » de Vought. En fait, au cours du week-end, Trump a commencé à présenter les licenciements potentiels comme des « licenciements démocrates. »

La liste des agences dont la plupart des employés ont déjà été licenciés, comparée à la liste des services jugés « essentiels » et relevant de la « sécurité nationale », peut donner des indications quant aux domaines sur lesquels l’administration Trump veut faire porter tous ses efforts de réduction des effectifs dans les semaines à venir. La manière dont ces listes sont dressées ne présente pas de caractère inéluctable : en cas de shutdown, l’administration dispose en fin de compte d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer quels sont les employés et agences qu’elle considère comme « essentiels » et qu’elle peut obliger à travailler pendant le shutdown, et quels sont ceux qu’elle considère comme jetables et peut renvoyer à la maison.

Il s’avère, sans surprise, que cette administration accorde de l’importance à ses employés fédéraux dotés d’un pouvoir coercitif : ceux dont le travail implique la contrainte, l’incarcération et la sécurité. Les autres, comme ils l’ont souligné à plusieurs reprises, peuvent être placés « en état de traumatisme », selon l’expression déplaisante mais honnête de Vought, ou du moins être amenés à se sentir en permanence en situation de vulnérabilité.

Avant le shutdown, l’administration a établi des plans prévoyant de ne mettre en congé qu’environ un quart des employés fédéraux, qui seraient renvoyés chez eux pendant le shutdown et ne seraient pas censés reprendre le travail avant la reprise des activités gouvernementales. Cela représente un pourcentage inférieur à celui des shutdowns précédents. La grande majorité des employés fédéraux seraient toujours tenus de se présenter à leur travail et de travailler sans salaire pendant toute la durée du shutdown. Exiger de ces employés qu’ils travaillent sans salaire, tout en faisant peser sur les fonctionnaires fédéraux la menace d’un licenciement collectif, semble être une stratégie visant à les maintenir dans un état d’insécurité permanente. Il leur est ainsi plus difficile de protester contre le fait qu’on leur demande de travailler sans salaire ou qu’ils soient licenciés d’une agence jugée non essentielle au bien-être national, dans la mesure où ils se voient proposer une alternative encore plus inacceptable : si cela ne vous plaît pas, nous pouvons toujours vous licencier si vous préférez. Cela s’apparente quelque peu à une théorie de politique étrangère associée à Richard Nixon, qui pensait que ses adversaires seraient plus enclins à se plier à ses exigences s’ils craignaient qu’il ne réagisse de manière imprévisible.

La grande majorité des employés du ministère du Logement et du Développement urbain, du ministère du Travail, du ministère de l’Éducation et d’autres agences de soft power ont été mis en congé pour la durée du shutdown. Celui-ci a offert à l’administration Trump une solution de contournement bien pratique concernant une récente décision de justice visant à maintenir le fonctionnement de Voice of America et à empêcher le licenciement de 500 employés. Les parcs nationaux ont été fermés aux visiteurs. À l’Agence de protection de l’environnement (EPA), les bureaux travaillant sur les questions liées au changement climatique ont été fermés, tandis que les divisions reconfigurées pour travailler sur l’annulation des réglementations relatives au changement climatique restent ouvertes. Pendant ce temps, les services de l’immigration et des douanes (ICE), les services des douanes et de la protection des frontières, les tribunaux de l’immigration et le reste des agences chargées des expulsions fonctionnent comme si nous étions toujours en septembre 2025. Seuls 5 % du personnel de la sécurité intérieure ont été mis en congé, contre 89 % à l’EPA et 87 % au ministère de l’Education, pourtant en proie à des difficultés. Pendant ce temps, l’ICE a annoncé qu’en raison de l’énorme afflux d’argent qu’elle a reçu dans le cadre de la récente loi de réconciliation budgétaire, elle n’aura aucun problème à poursuivre ses activités pendant le shutdown.

Pour ne rien arranger, de nombreux travailleurs en congé ont signalé, qu’à leur insu, leurs boîtes mails ont commencé à envoyer des réponses automatiques accusant les Démocrates d’être responsables du shutdown et du fait qu’ils ne sont pas devant leur ordinateur et ne peuvent répondre aux questions des gens. Les sites web des agences gouvernementales ont soumis leurs visiteurs à des messages similaires. Quand on ouvre le site du ministère du Logement, on est accueilli par le message suivant, qui s’affiche d’abord en bleu, avec une bannière rouge sur toute la page : « La gauche radicale du Congrès a forcé le gouvernement au shutdown. Le HUD [l’aide humanitaire, NdT] utilisera les ressources disponibles pour aider les Américains dans le besoin. » Si on se rend sur le site du ministère de l’Agriculture, alors on peut lire : « En raison du shutdown du gouvernement par les Démocrates de la gauche radicale, ce site du gouvernement ne sera pas mis à jour pendant la période d’interruption du financement du budget. Le président Trump a clairement indiqué qu’il souhaitait maintenir le gouvernement en fonction afin de soutenir ceux qui se chargent de nourrir, d’approvisionner en carburant et d’habiller le peuple américain. »

Toute cette propagande flagrante constitue une violation manifeste du Hatch Act, qui interdit l’utilisation de la fonction publique à des fins partisanes. Pourtant, plus le shutdown se prolonge, plus on peut s’attendre à ce que cette administration sans foi ni loi multiplie les coups d’éclat politiques, utilisant tous les outils de son arsenal pour faire passer le message qu’elle a à cœur les intérêts du peuple américain, alors que les Démocrates tiennent le pays en otage d’un programme « extrémiste. » Si l’administration en est finalement réduite à commencer de licencier des milliers d’employés fédéraux, il faut s’attendre à ce que cette mesure vindicative soit également présentée comme une réponse malheureuse mais nécessaire face aux efforts de la « gauche radicale » pour supprimer les services gouvernementaux de base.

Et ce, indépendamment du fait que le Parti républicain contrôle la présidence, les deux chambres du Congrès et qu’il est soutenu par une majorité de droite dure à la Cour suprême ; et ce, indépendamment du fait que les Démocrates ont demandé le rétablissement du financement des subventions assurantielles afin que des millions de familles puissent continuer à accéder aux régimes d’assurance maladie dans le cadre de la loi sur les soins abordables (Affordable Care Act), et que c’est l’intransigeance du GOP sur cette question fondamentale qui fait obstacle à un vote sur le financement de l’État.

Il s’agit d’un shutdown que le GOP devrait être contraint d’assumer. Les Démocrates ne sont en rien responsables de la mise à pied des travailleurs, et ils ne le seront certainement pas davantage si Trump décide de licencier des milliers d’employés de plus dans les jours à venir.

*

Sasha Abramsky est journaliste freelance et chargé de cours à temps partiel à l’université de Californie à Davis. Le dernier livre de Sasha Abramsky, American Carnage : How Trump, Musk, and DOGE Butchered the US Government [Carnage américain : comment Trump, Musk et le DOGE ont dépecé le gouvernement américain], est disponible en pré-commande et sera publié en janvier. Son travail a été publié dans de nombreuses publications, notamment The Nation, The Atlantic Monthly, New York Magazine, The Village Voice et Rolling Stone. Il rédige également une chronique politique hebdomadaire. Originaire d’Angleterre, titulaire d’une licence en politique, philosophie et économie de l’université d’Oxford et d’une maîtrise de l’école supérieure de journalisme de l’université de Columbia, il vit aujourd’hui à Sacramento, en Californie.

Source : Sasha Abramsky, Truthout, 06-10-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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1 réactions et commentaires

  • nulnestpropheteensonpays // 30.10.2025 à 09h10

    Que fait wauquiez en Rhône alpes ? Il donne des subventions qu’à ses potes et quand il dégagera ses potes perdront tout , qu’a fait chiappa avec les ronds de Patty ? Elle les a donné à ses potes .Etc etc Ce monde fonctionne comme ça , parce que nous n’avons pas la main sur le pouvoir , et le pouvoir c’est l’argent . Pourquoi vous pensez qu’ils se battent comme ça pour être élu ? C’est pour avoir la clef de la caisse et distribuer à ses potes . Nous sommes bête de penser que nous ne sommes pas capable de prendre leurs places et de nous diriger nous mêmes , c’est monstrueux .Qui sont les seuls qui nous proposent de nous donner le pouvoir ? La France Insoumise , alors votons pour nous !
    Mais nul n’est prophète en son pays .

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