Plus de 30 délégués venus de différents pays du Sud se sont réunis cette semaine à Bogota, en Colombie, pour dénoncer l’impunité d’Israël. Des États membres tels que la Colombie et l’Afrique du Sud ont ratifié des résolutions visant à interdire les transferts d’armes et à relancer les actions en justice pour mettre fin au génocide.
Source : Jacobin, Carlos Cruz Mosquera
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Alors que les bombes continuent de pleuvoir sur le peuple palestinien et que les dirigeants occidentaux font tout ce qu’ils peuvent pour protéger l’opération militaire israélienne, un bloc de nations s’est constitué pour faire en sorte que ces responsables rendent des comptes.
Les représentants de plus de trente États du Sud se sont réunis à Bogota, en Colombie, cette semaine pour élaborer un plan d’urgence visant à mettre un terme à l’assaut israélien contre la bande de Gaza et la Cisjordanie. Parmi les résolutions ratifiées par le groupe on trouve des mesures visant à bloquer le passage par leurs territoires, d’armes et autres équipements militaires à destination d’Israël, et à faire respecter les mandats relevant de la justice internationale afin que les victimes des crimes commis par Israël en Palestine obtiennent justice.
La conférence était convoquée par le groupe de La Haye, cofondé au début de l’année par des représentants de plusieurs pays du Sud, dont l’Afrique du Sud et la Colombie. Ce groupe cherche à garantir l’application des décisions rendues contre Israël par la Cour pénale internationale (CPI) et la Cour internationale de justice (CIJ).
Cet effort collectif contraste fortement avec la position du Nord global, puisque les États-Unis et les puissances d’Europe occidentale, qui se proclament si souvent les leaders du monde libre et démocratique, non seulement ne soutiennent pas ces mesures, mais s’emploient activement à les saper. Leur obstruction s’est traduite par des sanctions à l’encontre de fonctionnaires de la CPI et de la CIJ (plus récemment à l’encontre de représentants de l’ONU tels que Francesca Albanese), par le refus de coopérer avec les mandats d’arrêt délivrés à l’encontre de responsables israéliens et par la poursuite du soutien militaire à Israël.
L’ancien monde unipolaire vacille aujourd’hui sous le poids du soutien affiché de ces nations au génocide commis par Israël, tandis que les nations du Sud anciennement colonisées – en particulier les États dont les dirigeants progressistes sont soutenus par des mouvements populaires – s’organisent pour créer un nouvel ordre mondial.
Pourquoi la Colombie ?
Organisé par Progressive International, le Groupe de La Haye a été fondé en janvier 2025. « Le groupe de La Haye est né d’une nécessité, a déclaré sa présidente, Varsha Gandikota-Nellutla, lors de la séance inaugurale du groupe. Dans un monde où les nations puissantes agissent en toute impunité, nous devons nous unir pour défendre les principes de justice, d’égalité et de droits humains. »
Bien que le groupe ait adopté le nom de la ville européenne dans laquelle il a été fondé, ses membres et son comité directeur du groupe sont majoritairement des acteurs du Sud, la Colombie et l’Afrique du Sud assurant la coprésidence. Le rôle dominant de l’Afrique du Sud s’explique par le fait que ses représentants, fortement incités par leur propre vécu de l’apartheid, ont été à l’origine des plaintes déposées contre Israël devant la CIJ.
Le rôle clé de la Colombie, qui a notamment accueilli la toute dernière conférence, s’explique par le fait que le gouvernement actuel du pays, dirigé par Gustavo Petro, a souvent été à l’origine de la condamnation internationale des actions d’Israël, en adoptant des mesures tangibles contre cet État voyou.
Ce n’est pas pour rien que la Colombie et les États d’Amérique latine participent activement aux initiatives visant à faire en sorte qu’Israël réponde de ses crimes. La région et ses populations ont toujours été les cibles de violentes agressions coloniales et impérialistes. En fait, dans le contexte de l’interventionnisme de longue date des États-Unis, l’assistance militaire et les armes israéliennes ont joué un rôle important dans la persécution des mouvements révolutionnaires et de gauche ainsi que leurs dirigeants dans toute la région, en particulier en Colombie.
La violence coloniale d’Israël à l’encontre des Palestiniens est un phénomène que les pays du Sud comprennent viscéralement. Qu’il s’agisse des blessures qui ont plus récemment marqué la société dans des pays comme l’Afrique du Sud ou des blessures coloniales profondes même cicatrisées subies par les Latino-Américains – dont l’héritage continue d’inspirer la rébellion dans ces régions – ces blessures servent à les unir dans une lutte commune contre des injustices partagées au cours de l’histoire.
Dans ce contexte, le président Petro affirme que ce que font Israël et ceux qui le soutiennent à Gaza fait partie d’une vaste « expérience menée par les puissances mondiales contre les peuples du Sud. » Cette expérience, écrit-il, « vise à démontrer que la puissance militaire des États-Unis, de l’Europe et d’Israël peut dominer n’importe quelle rébellion des pauvres du monde. »
Une complicité généralisée
Les tentatives visant à mettre un terme à la violence génocidaire exercée sur les Palestiniens coïncident avec les efforts déployés par les nations occidentales pour protéger et soutenir Israël et les responsables de crimes de guerre. Si le soutien militaire inconditionnel des États-Unis reste le plus important pour Israël, une grande partie du monde occidental est également complice.
L’enquête des journalistes d’investigation de Declassified UK a révélé que le gouvernement britannique, qui prétend travailler avec les dirigeants israéliens en vue d’un cessez-le-feu, les a soutenus en effectuant un nombre stupéfiant de cinq cents vols à des fins de renseignement militaire au-dessus de Gaza au cours des vingt et un mois de violence.
De même, l’Allemagne a maintenu qu’elle ne soutenait Israël que par une aide militaire défensive, alors que des rapports démontrent que celle-ci est utilisée pour des systèmes d’armes déployés à Gaza, y compris des drones et des missiles. En fait, l’Allemagne est le deuxième exportateur d’armements conventionnels majeurs vers Israël, après les États-Unis, et elle est responsable d’environ 47 % des importations totales d’Israël dans ce domaine, cela à hauteur d’un considérable montant de 355,3 millions de dollars pour la seule année 2023.
L’Union européenne continue d’exprimer son soutien indéfectible à Israël, limitant ses critiques mollassonnes à la manière dont le pays a géré la distribution de l’aide à Gaza. En outre, des rapports récents montrent que le financement de l’UE, en particulier le fonds Horizon Europe, a été orienté vers des opérations militaires et le développement d’instruments de guerre, même si c’est de manière indirecte.
Le large soutien diplomatique et tangible apporté à Israël au moment même où il se rend coupable du massacre des Palestiniens ne doit pas être perçu comme un échec des dirigeants politiques occidentaux, une erreur de jugement dans une situation de guerre complexe. Bien au contraire, leur détermination à aider et protéger Israël alors que ce dernier commet des crimes de guerre odieux doit être replacée dans le contexte de la longue histoire des crimes coloniaux européens.
Les mesures du groupe de La Haye et ce qu’elles pourraient signifier
Douze des États représentés à la conférence d’urgence du groupe de La Haye – la Bolivie, la Colombie, Cuba, l’Indonésie, l’Irak, la Libye, la Malaisie, la Namibie, le Nicaragua, Oman, Saint-Vincent-et-les-Grenadines et l’Afrique du Sud – se sont engagés à respecter les six mesures votées et adoptées lors de la conférence.
Il s’agit notamment de mettre fin à la vente d’armes et autres équipements militaires à Israël, d’empêcher que les navires militaires puissent transiter par leurs territoires ou y accoster, d’interdire à leurs propres navires nationaux de transporter des équipements militaires ou à double usage, de lancer un examen immédiat des contrats publics susceptibles de soutenir l’occupation des territoires palestiniens, de veiller au respect des obligations de poursuivre les crimes les plus graves au regard du droit international, et de faire respecter les mandats relevant de la justice internationale visant à garantir la mise en place d’une procédure judiciaire pour les victimes des crimes de guerre perpétrés par Israël en Palestine.
Il reste à voir si ces mesures seront couronnées de succès face aux atrocités en cours, et si d’autres les rejoindront. Bien qu’Israël, fortement soutenu par certaines puissances mondiales, continue de posséder la puissance militaire requise pour opprimer et massacrer les Palestiniens, un nombre important de dirigeants du Sud ont fait preuve de la clairvoyance morale – et, de plus en plus, de la volonté politique – nécessaires pour contrer l’impunité d’Israël.
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Carlos Cruz Mosquera est titulaire d’un doctorat en sciences politiques et enseigne à l’université Queen Mary de Londres.
Source : Jacobin, Carlos Cruz Mosquera, 18-07-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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