Les responsables ont reconnu ne pas connaître l’identité des personnes qu’ils tuent et ne pas pouvoir réunir les preuves nécessaires pour poursuivre les survivants.
Source : The Intercept, Nick Turse
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
L’administration Trump a fait une série d’aveux surprenants concernant les personnes qu’elle tue dans le cadre de sa guerre non déclarée contre les trafiquants de drogue présumés dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique. Les responsables de l’administration Trump ont reconnu jeudi, lors de briefings séparés destinés aux législateurs et aux membres du personnel, qu’ils ne connaissaient pas l’identité des victimes de leurs frappes et que le ministère de la Guerre n’était pas en mesure de fournir les preuves nécessaires pour détenir ou juger les survivants de ces attaques. Les victimes qui se retrouvent dans l’eau sont désormais considérées comme des « belligérants non privilégiés », une désignation obscure en droit international humanitaire.
Depuis le 2 septembre, l’armée américaine attaque des bateaux dans les Caraïbes et l’est de l’océan Pacifique, tuant plus de 60 civils. L’administration Trump insiste sur le fait que ces assassinats sont acceptables dans la mesure où les États-Unis sont engagés dans un « conflit armé non international » avec des « organisations désignées comme terroristes » (DTO pour Designated Terrorist Organizations). Deux responsables gouvernementaux ont déclaré à The Intercept que l’administration avait secrètement déclaré un « conflit armé non international » plusieurs semaines, voire plusieurs mois avant la première attaque de ladite campagne.
Dans le cadre d’un War Powers Report [loi fédérale visant à limiter le pouvoir du président américain d’engager les États-Unis dans un conflit armé sans le consentement du Congrès américain, NdT], Trump a justifié ces attaques, en vertu de l’autorité constitutionnelle que lui confère l’article II en tant que commandant en chef des forces armées américaines, et a affirmé agir conformément au droit inhérent des États-Unis à la légitime défense en vertu du droit international. Le bureau du conseiller juridique du ministère de la Justice a également rendu un avis classifié qui confère une couverture juridique à ces frappes meurtrières..
Les experts en droit de la guerre et les membres du Congrès affirment que ces frappes constituent des exécutions extrajudiciaires illégales, l’armée n’est pas autorisée à cibler délibérément des civils, même soupçonnés d’être des criminels, qui ne présentent pas une menace imminente de violence. Ces exécutions sommaires s’écartent considérablement de la pratique habituelle dans la longue guerre menée par les États-Unis contre la drogue, dans le cadre de laquelle les forces de l’ordre arrêtaient les trafiquants présumés.
« Nous ne sommes pas en conflit armé avec ces cartels. Il s’agit donc simplement de meurtres. »
L’administration n’a pas l’intention de demander une autorisation pour pouvoir utiliser une force militaire similaire à l’autorisation d’utilisation de la force armée de 2001, qui autorisait les opérations antiterroristes de l’armée américaine contre les responsables des attentats du 11 Septembre, ont déclaré jeudi des responsables du Pentagone aux législateurs. « Même si le Congrès l’autorisait, cela serait cependant illégal au regard du droit américain et international, car nous ne sommes pas en conflit armé avec ces cartels », a déclaré à The Intercept la représentante Sara Jacobs, Démocrate de Californie et membre de la commission des forces armées de la Chambre des représentants, qui a assisté à la réunion d’information. « Il s’agit donc purement et simplement de meurtres. »
Jacobs a déclaré que les responsables du Pentagone qui l’ont informée jeudi ont admis que l’administration ne connaissait pas l’identité de tous les individus tués lors des frappes. « Ils ont dit qu’ils n’avaient pas besoin d’identifier formellement les gens se trouvant sur les navires pour conduire les frappes », a déclaré Jacobs à The Intercept. « Il leur suffit de montrer qu’il y a un lien avec un réseau de trafic de drogue ou une organisation affiliée. »
On sait que trois personnes ont survécu aux attaques américaines : deux lors d’une frappe le 16 octobre et une lors d’une série d’attaques le 27 octobre. Mais aucune n’a été poursuivie pour le trafic de drogue présumé pour lequel Trump revendique le droit de les tuer sommairement. « Ils ont déclaré qu’ils ne pouvaient pas détenir ou juger les personnes qui avaient survécu à l’une des attaques, ni dans notre pays ni dans l’un des pays de rapatriement, car ils ne pouvaient pas satisfaire à la charge de la preuve », a déclaré Jacobs. « Cela a conduit certains à émettre l’hypothèse que la détention d’une personne nécessite un niveau de preuve plus élevé que son meurtre, ce qui pose problème. »
L’attachée de presse du Pentagone, Kingsley Wilson, n’a pas répondu aux questions sur les raisons pour lesquelles le ministère de la Guerre refuse d’identifier formellement les personnes qu’il tue et ne peut satisfaire à la charge de la preuve nécessaire pour détenir ou poursuivre les suspects.
Brian Finucane, ancien avocat du département d’État spécialisé dans les questions de lutte anti-terrorisme et le droit de la guerre, a fait remarquer que l’incapacité de l’administration Trump à identifier les personnes qu’elle tue « compromet indubitablement le fait de qualifier ces individus de narco-terroristes. »
Jacobs et d’autres responsables gouvernementaux qui se sont entretenus avec The Intercept ont émis l’hypothèse que l’administration pourrait ne pas vouloir révéler ses sources et les méthodes qu’elle utilise pour déterminer que les embarcations ciblées transportent de la drogue. « Ces individus n’ont aucune importance dans le grand ordre général. Cela n’en vaut pas la peine. S’il ne s’agit pas du chef du cartel, on ne grille pas ses sources », a déclaré un responsable gouvernemental, faisant référence aux informations dites « top secret » impliquant des sources humaines et des renseignements d’origine satellitaire indispensables aux attaques américaines.
Trois responsables gouvernementaux qui se sont entretenus avec The Intercept ont déclaré que le Pentagone considérait les survivants des frappes en mer comme des « belligérants non privilégiés », un terme désignant ceux qui ne bénéficient d’aucune immunité pour des actes de guerre légitimes et qui ne bénéficient pas du statut de prisonnier de guerre s’ils tombent entre les mains de l’ennemi. Ce terme a été utilisé pour désigner les membres d’un groupe armé non étatique dans un conflit armé non international. Les experts ont noté que cette désignation avait été utilisée pendant la guerre mondiale contre le terrorisme pour Al-Qaïda et les groupes associés.
« Le problème avec le fait que le ministère de la Défense qualifie les cartels « de belligérants non privilégiés » est que les États-Unis ne sont pas en réalité engagés dans un conflit armé non international, terme juridique qui, pour être applicable, nécessite des faits spécifiques qui ne correspondent tout simplement pas à la réalité actuelle, et ne peuvent donc pas légalement recourir à la force létale en premier recours », a déclaré Sarah Harrison, qui travaillait comme conseillère juridique adjointe au bureau du conseiller juridique du Pentagone pour les affaires internationales, et qui a conseillé les chefs militaires en matière d’exécutions extrajudiciaires. « Contrairement à ce que la Maison Blanche essaie de faire croire, les États-Unis ne sont pas en guerre avec ces groupes et les personnes visées par le ministère de la Défense sont des civils qui devraient avoir droit à un procès équitable. »
Wilson, attaché de presse au Pentagone, n’a pas répondu à nos demandes de commentaires concernant les raisons qui ont poussé le département de la Guerre à attribuer le statut de belligérant non privilégié aux survivants des attaques.
La réunion d’information de jeudi à la Chambre était dirigée par le Contre-amiral Brian H. Bennett, officier militaire chargé des opérations spéciales pour l’état-major interarmées du Pentagone, avec l’aide de Richard Tilley, secrétaire adjoint à la guerre par intérim pour les opérations spéciales et les conflits de faible intensité. Des juristes militaires devaient se joindre à eux, mais ils ont été retirés à la dernière minute sur ordre de l’administration Trump, selon deux responsables gouvernementaux qui se sont entretenus avec The Intercept sous couvert d’anonymat. En conséquence, les responsables du Pentagone n’ont pas été en mesure de fournir une explication exhaustive de la base juridique des frappes militaires.
« Leurs justifications pour ce qu’ils font me semblent tellement peu convaincantes que celles invoquées pour la guerre en Irak semblent en comparaison être parfaitement fondées. »
« Lors d’une réunion classifiée de la commission HASC sur les récentes opérations de lutte contre le trafic de drogue dans le Pacifique et les Caraïbes, le Pentagone a retiré de la réunion, sans préavis ses avocats, précisément ceux qui auraient fourni une justification juridique à ces frappes, de la réunion », a expliqué le représentant Seth Moulton, Démocrate du Massachusetts. « Si l’administration Trump estime que ces frappes sont légalement justifiées, le fait de le cacher du Congrès envoie le message contraire. »
« Leurs justifications pour ce qu’ils font me semblent tellement peu convaincantes que celles invoquées pour la guerre en Irak semblent en comparaison être parfaitement fondées. », a-t-il déclaré dans l’émission « Morning Joe » sur MSNBC. « C’était nul à ce point. »
Le Pentagone a dissimulé pendant près de deux mois des informations cruciales sur les attaques ainsi que la liste des organisations terroristes désignées. Lors d’une conférence de presse mercredi, le sénateur Mark Warner de Virginie, membre démocrate influent de la commission sénatoriale du renseignement, a vivement critiqué l’administration Trump pour avoir organisé mercredi une réunion secrète sur les fondements juridiques des frappes à l’intention d’un groupe restreint de sénateurs républicains, alors que le secrétaire d’État Marco Rubio avait assuré à Warner que l’avis du bureau du conseiller juridique du ministère de la Justice serait communiqué.
« Exclure les Démocrates d’une réunion d’information sur les frappes militaires américaines et refuser de communiquer à la moitié du Sénat les justifications juridiques de ces frappes est indéfendable et dangereux. Les décisions relatives à l’utilisation de la force militaire américaine ne relèvent pas de stratégies électorales et ne sont pas la propriété privée de tel ou tel parti politique », a déclaré Warner dans un communiqué. « Cette manœuvre partisane est un camouflet pour les responsabilités du Congrès en matière de pouvoirs de guerre et pour les hommes et les femmes qui servent ce pays. Cela crée également un précédent risqué et profondément inquiétant. L’administration doit immédiatement fournir aux Démocrates le même briefing et l’avis de l’OLC [Le Bureau du conseiller juridique (OLC) est un service du ministère américain de la Justice qui assiste le ministre de la Justice dans son rôle de conseiller juridique auprès du président et de toutes les agences du pouvoir exécutif, NdT] justifiant ces frappes, comme le secrétaire Rubio m’a personnellement promis qu’il le ferait lors d’une rencontre en tête-à-tête au Capitole la semaine dernière. »
Deux responsables gouvernementaux ont déclaré à The Intercept qu’un groupe restreint de législateurs avait pu consulter l’avis de l’OLC et la liste des organisations terroristes désignées dans un cadre confidentiel jeudi, après la conférence de presse de Warner. Le bureau de ce dernier n’a pas répondu à nos demandes de commentaires visant à savoir s’il faisait partie de ces législateurs.
La sénatrice Elissa Slotkin, Démocrate du Michigan, estime qu’il pourrait y avoir « des dizaines » d’organisations désignées. Jacobs partage ce point de vue. « Des dizaines, c’est un ordre de grandeur », a-t-elle déclaré à The Intercept.
Bien qu’elle siège à la sous-commission du renseignement et des opérations spéciales, Jacobs n’a encore pris connaissance ni de l’avis du ministère de la Justice ni de la liste des organisations terroristes désignées. « Ils nous ont dit qu’ils s’efforçaient de nous transmettre la note de l’OLC, la liste des organisations désignées et un ou deux autres éléments que nous avions demandés, mais qu’ils ne pouvaient pas nous fixer de délai », a-t-elle déclaré.
Source : The Intercept, Nick Turse, 31-10-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]Nous ne sommes nullement engagés par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs - et encore moins par ceux qu'il pourrait tenir dans le futur. Merci cependant de nous signaler par le formulaire de contact toute information concernant l'auteur qui pourrait nuire à sa réputation.








Commentaire recommandé
Oui oui. Curieusement, quand le pourvoyeur est américain (société Purdue et ses 500 000 morts estimés depuis 1999 « grâce » à l’OxyContin), personne n’estime nécessaire d’en carboniser les dirigeants en pleine mer.
C’est bien plus le « deux poids, deux mesures » que le laxisme qui menace la survie de la démocratie.
9 réactions et commentaires
Drill, baby ! Drill ! C’est le mentra des allumés de Washington D.C. Il ne faut pas chercher plus loin et n’importe quel prétexte sera le bienvenu pour déclencher un nouvel Irak en Amérique latine. Ils s’apprêtent à passer du désert aride de Mésopotamie à l’enfer vert de la jungle de l’Amazonie. Quelle pitié ! Notez : une fois que l’Argentine sera débarrassée du mongolien et qu’une certaine unité sud-américaine sera faîte, je ne donne pas cher de la peau des Gringos.
+5
AlerterAh bon ? Parce que vous vous posiez réellement la question ?
+2
AlerterC’est sans doute un paradoxe que ce qui subsiste encore de démocratie dans les pays occidentaux en arrive (ou vont devoir en arriver) à devoir utiliser des méthodes fortes pour combattre tous les acteurs délétères qui par leur présence et actions l’amenuisent de jour en jour et ont pour but précis d’utiliser toutes ses faiblesses pour la démembrer aussi chaque jour un peu plus… Le laxisme induit par la démocratie est le propre poison qui menace sa survie. C’est le serpent qui se mange la queue…et comme il n’y a probablement pas trente six solutions…
+3
AlerterOui oui. Curieusement, quand le pourvoyeur est américain (société Purdue et ses 500 000 morts estimés depuis 1999 « grâce » à l’OxyContin), personne n’estime nécessaire d’en carboniser les dirigeants en pleine mer.
C’est bien plus le « deux poids, deux mesures » que le laxisme qui menace la survie de la démocratie.
+18
AlerterLe Laxisme n’existe-t-il pas plutôt du fait de l’absence de Démocratie ? Et ceux qui sont aujourd’hui en position d’utiliser « des méthodes fortes » ne sont pas du tout des partisans de la démocratie. Nous vivons dans une ploutocratie libérale.
+4
AlerterLe problême n’est pas lié à la forme du régime mais à l’absence de contre-pouvoirs efficients.
Un vieux dictateur avec ses généraux en embuscade se comporte sans doute moins mal qu’un Président qui n’a presque plus d’échéances éléctorales et quasi aucun risque d’impeachment.
Pas besoin de voyager bien loin pour constater que le shema est applicable aussi ailleurs… l’impunité c’est quand il n’y a jamais de conséquences :).
+5
AlerterCe qu’il y a de terrible c’est que si nous respections nos voisins , je ne vois pas comment ça pourrait mal se passer . Oui , nous serions moins riche financièrement , mais ça pourrait tellement apporter en coopérations .Est ce que l’on se rend compte de tout ce que ça pourrait apporter de bienfaits .Le problème , c’est qu’on a été trop loin , et qu’on a suscité un réflexe de revanche . On a vraiment déconné et on s’en rend compte maintenant que tout risque de nous échapper .
+0
AlerterDe toute façon, les USA ne sont pas signataires de la CPI, ils sont militairement beaucoup plus puissants que n’importe qui et ils ont des pouvirs de rétorsion économiques énormes. Donc, comme disent les voyous : « Tu vas faire kwô ? »
+8
AlerterAlors que Trump nous annonce que l’espace aérien au-dessus du Venezuela est fermé par son décrêt universel, on devrait se demander pourquoi les US ont besoin de tuer des gens de façon indiscriminée, en punition collective des actes répréhensibles de certains, plutôt que d’avoir eux-mêmes des politiques visant à résuire la vente et la consommation (par ex. offrir une meilleure éducation et des boulots!)
Mais puisque les grands médias nous offrent le modèle ultra-libéral comme seule panacée, pourquoi ne pas proposer que les US appliquent la « méthode de Singapour », qui condamne la vente et la consommation de drogue par la peine capitale? Après tout les US ont déjà la peine de mort donc, un petit pas et hop?
Et nous dans tout ça? Macron et l’EU qui font le service après-vente de toutes les guerres US… ou du modèle économique singapourien? Jamais questionnés sur leur éthique?
+1
AlerterLes commentaires sont fermés.