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29.octobre.202529.10.2025 // Les Crises

La condamnation de Bolsonaro pour complot contre l’État porte un coup dur à l’extrême droite mondiale

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En obligeant l’ancien président à rendre des comptes, le système judiciaire brésilien a remporté une victoire historique pour la démocratie.

Source : Michael Fox, Truthout
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

L’ancien président brésilien Jair Bolsonaro quitte l’hôpital DF Star après avoir subi une intervention le 14 septembre 2025, à Brasilia, au Brésil.
Ton Molina / Getty Images

La décision de la Cour suprême brésilienne de reconnaître Jair Bolsonaro coupable de complot en vue de mener un coup d’État militaire a été accueillie par des manifestations de joie dans tout le pays, mais aussi par la consternation des partisans de l’ancien président.

Le jugement rendu le 11 septembre concernait la tentative de Bolsonaro de faire annuler sa défaite électorale de 2022 et d’assassiner l’actuel président Luiz Inacio Lula da Silva et deux autres hauts responsables du gouvernement brésilien. Les cinq juges de la Cour suprême ont voté à 4 contre 1 pour condamner Bolsonaro à 27 ans et trois mois de prison.

Les Brésiliens ont célébré cette décision dans les rues des villes partout dans le pays. Les informations ont montré des foules rassemblées, dansant et jouant de la musique comme s’il s’agissait du carnaval.

« C’est un jour historique », a déclaré à l’AFP un homme lors d’une célébration à Rio de Janeiro : « Car dans peu de pays au monde, on a vu un ancien président et des hauts responsables militaires condamnés pour quelque chose de ce style. Et à plus de 20 ans de prison. »

Dans son arrêt, la Cour suprême du Brésil a déclaré Bolsonaro coupable d’avoir mené le complot visant à renverser l’ordre démocratique brésilien, lequel a conduit à l’invasion du Capitole par ses partisans le 8 janvier 2023, elle-même inspirée par l’attaque du Capitole américain à Washington, le 6 janvier 2020.

L’ancien président a été reconnu coupable de cinq crimes : organisation d’un coup d’État, participation à une organisation criminelle armée, tentative d’abolition de la démocratie et dégradation de biens publics et culturels.

Il lui est également interdit de se présenter à des fonctions publiques jusqu’en 2060, année où il aura 105 ans.

Bolsonaro n’est pas la seule personne à avoir été condamnée à une peine de prison pour avoir participé au complot. Sept hauts responsables de la police et de l’armée ont également été condamnés lors du procès, se voyant condamnés à des peines allant de 2 à 24 ans pour leur rôle dans la tentative de coup d’État.

« Peut-être plus importante encore que la condamnation de Bolsonaro a été la condamnation simultanée de trois généraux et d’un amiral également impliqués dans le complot de 2022 », a déclaré Bruno P. W. Reis, président de l’Association brésilienne de science politique, à Truthout. « C’est là quelque chose qui revêt une importance énorme pour les gens de ma génération, nés dans les années 1960. Nous espérons tous que ce sera un moment charnière. »

Le passé du Brésil, comme celui d’une grande partie de l’Amérique latine, est en effet marqué par de multiples tentatives de coups d’État militaires, dont certains réussis, qui ont abouti au coup d’État de 1964 qui a plongé le pays dans une dictature longue de 21 ans..

Mais jusqu’à présent, personne n’avait été tenu pour responsable.

« Compte tenu de l’histoire des coups d’État soutenus par les États-Unis en Amérique latine et au Brésil, et de l’impunité dont ont traditionnellement bénéficié les putschistes de haut rang au Brésil, il s’agit d’une victoire importante pour l’autonomie démocratique au Brésil », a déclaré à Truthout Sean T. Mitchell, professeur associé d’anthropologie à l’université Rutgers.

« N’oubliez pas que c’est la première fois que des gens, en particulier des chefs militaires, impliqués dans une tentative de coup d’État sont traduits en justice [au Brésil]. Donc, d’une certaine manière, cela pourrait être considéré comme allant au-delà d’un procès concernant ce coup d’État particulier, il s’agit aussi d’une réflexion sur la valeur intrinsèque de la démocratie en général, une chose que le Brésil est encore en train d’apprendre », a déclaré à Truthout Rafael R. Ioris, professeur associé brésilien d’histoire latino-américaine à l’université de Denver. « Je dirais même que cela pourrait être considéré comme refermant définitivement le chapitre de la dictature et de sa tragique histoire d’amnistie pour les actions politiques illégales et la violence. »

Mais pour l’extrême droite internationale, cette condamnation est une parodie de justice. Le président américain Donald Trump a qualifié le procès contre Bolsonaro de « chasse aux sorcières. »

Trump est un allié de longue date de Bolsonaro, qu’il a félicité lorsque les deux hommes se sont rencontrés à plusieurs reprises au cours du premier mandat de Trump.

« Je pensais qu’il était un bon président du Brésil et je suis très surpris que cela ait pu arriver », a déclaré Trump à la presse après la condamnation de Bolsonaro. « C’est très similaire à ce qu’ils ont essayé de faire avec moi, mais ils n’ont pas réussi. »

En juillet, Trump a imposé des droits de douane de 50 % sur les produits brésiliens en représailles au procès intenté contre Bolsonaro. Il a sanctionné le juge Alexandre de Moraes, de la Cour suprême brésilienne, qui a conduit le procès contre Bolsonaro, et a révoqué les visas américains des juges de la Cour suprême brésilienne que les États-Unis jugeaient susceptibles de condamner Bolsonaro.

Le gouvernement Trump devrait prendre d’autres mesures en réponse à la condamnation prononcée la semaine dernière.

« Les États-Unis réagiront en conséquence à cette chasse aux sorcières », a déclaré le secrétaire d’État américain Marco Rubio sur X après la condamnation de Bolsonaro.

« Nous pouvons nous attendre à une nouvelle vague de représailles tarifaires et, à terme, à une nouvelle vague de représailles contre les autorités brésiliennes, à des suspensions de visas, fermetures de comptes bancaires, etc. », a déclaré à Truthout Clarissa Franzoi Dri, professeure de relations internationales à l’université fédérale de Santa Catarina.

Les partisans de Bolsonaro ont salué le soutien indéfectible de Trump à Bolsonaro et ses tentatives d’influencer le pouvoir judiciaire brésilien. Le 7 septembre, jour de la fête nationale brésilienne, des dizaines de milliers de partisans de Bolsonaro ont défilé dans les villes brésiliennes. Beaucoup dans la foule brandissaient des drapeaux américains.

Une grande banderole, lors d’un rassemblement à São Paulo, montrait les drapeaux brésilien et américain en superposition. Les mots, écrits en anglais, disaient « IN GOD, BOLSONARO N’ TRUMP WE TRUST » (Nous avons foi en Dieu, Bolsonaro et Trump) [Reprise modifiée de la devise nationale des Etats Unis : In God We Trust. Nous avons foi en Dieu, NdT] .

On ignore encore quel sera l’impact de la condamnation de Bolsonaro sur sa base électorale et l’extrême droite brésilienne.

« Aujourd’hui, il s’agit d’un mouvement international, organisé et bien financé », a déclaré le politologue Reis à Truthout. « Même si Bolsonaro quitte définitivement la scène politique, on peut s’attendre à ce que le pays continue d’adopter, dans sa politique intérieure, une rhétorique similaire et le même programme de prédation institutionnelle qui constitue le programme de l’extrême droite occidentale. »

Bolsonaro bénéficie toujours d’un soutien important au Brésil. Un sondage Datafolha publié samedi a montré que 50 % des personnes interrogées soutenaient sa condamnation, tandis que 43 % s’y opposaient.

Dans de nombreuses vidéos et reportages, ses partisans ont ouvertement pleuré après avoir appris la condamnation de leur ancien président. Dans un groupe de discussion WhatsApp suivi par Truthout, les partisans de Bolsonaro ont déploré à la fois la condamnation de Bolsonaro et le meurtre de Charlie Kirk la veille.

« Malheureusement, nous sommes en guerre contre le communisme et cela ne date pas d’aujourd’hui », a écrit une personne dans le chat, en portugais. « Aujourd’hui plus que jamais, nous devons sévir contre ces bons à rien de communistes. »

Les alliés de Bolsonaro au Congrès espèrent faire adopter une loi qui accorderait l’amnistie aux personnes impliquées dans l’invasion du Capitole à Brasilia le 8 janvier 2023. En théorie, elle concernerait aussi Bolsonaro. Mais le processus est très lent et il n’est pas certain qu’ils aient le soutien nécessaire pour passer outre le veto du président Lula. Par ailleurs, la loi devrait probablement être examinée aussi par la Cour suprême.

Le président Lula a fermement soutenu le procès et la condamnation de Bolsonaro.

« Si le président Trump vivait au Brésil et avait fait ce qu’il a fait au Capitole, il serait également jugé ici », a déclaré Lula la semaine dernière, « car ici, la loi s’applique à tout le monde. »

Le procès et la condamnation constituent clairement un revers pour l’extrême droite brésilienne.

« La condamnation affaiblit la droite brésilienne » a déclaré Mitchell. « Cette dernière est divisée en interne quant à la stratégie et au leadership à adopter à l’avenir, et les révélations sur le complot de coup d’État ont nui à sa légitimité auprès d’une grande partie de l’opinion publique. »

C’est une bonne nouvelle pour les progressistes au Brésil, à seulement un an de l’élection présidentielle. La cote de popularité de Lula a également grimpé ces derniers mois en réponse aux droits de douane imposés par Trump au Brésil. Selon un sondage publié la semaine dernière, Lula battrait n’importe quel adversaire, y compris Bolsonaro, si l’élection de 2026 avait lieu aujourd’hui.

« Historique » est peut-être le meilleur adjectif, répété à maintes reprises ces derniers jours, pour décrire cette condamnation. De nombreux Brésiliens espèrent qu’elle marquera un tournant dans l’histoire du pays et dans sa capacité à tracer sa propre voie dans une région qui voit l’administration Trump chercher de plus en plus à exercer son influence.

« Plus qu’une condamnation symbolique et historique en défense de la démocratie brésilienne, cette décision de la Cour suprême représente une affirmation de notre souveraineté » a déclaré à Truthout Bia Barbosa, membre de l’organisation DiraCom (Droit à la communication et à la démocratie). « Surtout dans un contexte où le président Trump et le gouvernement américain ont menacé et même adopté des sanctions économiques contre le Brésil pour tenter d’interférer dans le déroulement de ce processus judiciaire démocratique. »

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Michael Fox est ancien rédacteur en chef du NACLA Report on the Americas et animateur des podcasts Brazil on Fire et Stories of Resistance. Vous pouvez découvrir ses autres travaux sur www.patreon.com/mfox

Source : Michael Fox, Truthout, 15-09-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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