Le Royaume-Uni et le Canada ont assorti leur reconnaissance d’un État palestinien de conditions, sans toutefois imposer d’embargo sur les armes.
Source : Schuyler Mitchell, Truthout
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
- Un homme brandit les drapeaux algérien (à gauche), libanais (en haut) et palestinien lors d’une manifestation pro-palestinienne contre les agissements d’Israël et pour dénoncer la famine qui sévit dans la bande de Gaza, ainsi que pour accueillir les militants libérés du navire Handala de la flottille de la liberté, place de la République à Paris, France, le 29 juillet 2025. BERTRAND GUAY / AFP via Getty Images
L’annonce par le Premier ministre britannique Keir Starmer, le 29 juillet, de la reconnaissance officielle par le Royaume-Uni d’un État palestinien a été un moment d’une stupéfiante limpidité, mais pas sur le plan moral. Cette déclaration était en effet assortie d’une réserve de taille : le Royaume-Uni ne donnera suite à son initiative qu’en septembre et seulement si Israël ne parvient pas à conclure un cessez-le-feu avec le Hamas. Peu importe que les Palestiniens réclament le droit à l’autodétermination depuis des décennies ; il a fallu qu’Israël commette un génocide et provoque une crise alimentaire à Gaza pour que le Royaume-Uni reconnaisse que, peut-être, les Palestiniens méritent eux aussi un siège aux Nations unies. Comment mieux illustrer la nature arbitraire des frontières – et l’héritage d’Israël en tant que projet colonial britannique – qu’une puissance occidentale brandissant la promesse d’un État comme monnaie d’échange politique ?
L’annonce de Starmer intervient dans la foulée de la promesse plus franche de la France de reconnaître l’État palestinien, ce qui en ferait la première nation du G7 à le faire. « Cette reconnaissance, décision majeure de la France, est aussi un signal », a déclaré Jean-Noël Barrot, ministre français des affaires étrangères, lors d’un sommet des Nations unies le 28 juillet. « C’est un appel au gouvernement israélien. Ecoutez l’indignation qui monte dans le monde. Saisissez la main qui vous est tendue pour sortir de cette impasse. Ouvrez les yeux sur les aspirations de vos voisins à vivre en paix et en sécurité à vos côtés. Proclamez un cessez-le-feu. Levez le blocus humanitaire imposé à Gaza. » À la différence du choix du Royaume-Uni, celui de la France ne dépend pas de négociations avec Israël.
Puis, le 31 juillet, le Canada a annoncé qu’il se joindrait au Royaume-Uni et à la France pour reconnaître un État palestinien indépendant, mais seulement si l’Autorité palestinienne s’engageait à procéder à certaines réformes et si le Hamas libèrait tous les otages israéliens et acceptait de « ne jouer aucun rôle dans la future gouvernance de la Palestine ». Le Canada a également déclaré que tout futur État palestinien devrait être démilitarisé, alors même que le pays continue à livrer des armes à Israël.
Cette vague d’annonces de la part de trois pays du G7 marque une rupture majeure avec la position américaine sur la Palestine et un tournant vers un consensus international : la plupart des membres de l’ONU – 147 pays sur 193 – ont déjà reconnu la souveraineté palestinienne. Le 31 juillet, Barrot a publié une déclaration, signée par les ministres des affaires étrangères de 14 autres pays, appelant d’autres nations à reconnaître officiellement la Palestine.
Ces efforts diplomatiques croissants sont bien insuffisants et bien trop tardifs. Le parlement israélien est déterminé à annexer la Cisjordanie occupée, là même où les colons israéliens ont intensifié leur campagne de violence ciblée contre les Palestiniens. Une reconnaissance accrue aux Nations unies ne mettra pas fin au génocide israélien à Gaza et ne fera pas revivre les plus de 60 000 Palestiniens tués depuis le 7 octobre 2023 – un bilan officiel qui est probablement largement sous-estimé. Et pourtant, Israël continue de s’opposer farouchement à cette proposition, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou affirmant que la reconnaissance d’un État palestinien « récompense le terrorisme monstrueux du Hamas ». (Il convient de rappeler que le Hamas n’est pas présent en Cisjordanie).
Offrir un statut d’État assorti de conditions revient à bafouer le droit fondamental des Palestiniens à l’autodétermination en vertu du droit international – une moquerie qui dure depuis des décennies. En 1916, pendant la Première Guerre mondiale, le Royaume-Uni et la France se sont mis d’accord pour se répartir les territoires de l’Empire ottoman au Moyen-Orient, en attribuant des sphères d’influence distinctes à leurs puissances impériales respectives par le biais de l’accord Sykes-Picot. Six années plus tard, la Société des Nations, précurseure de l’ONU, a octroyé au Royaume-Uni un mandat sur la Palestine, lui conférant ainsi le contrôle des territoires qui constituent aujourd’hui Israël, la Cisjordanie et Gaza. En 1947, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution appelant à la partitions des territoires administrés par le Royaume-Uni en un « État juif » et un « État arabe ». À l’expiration du mandat britannique l’année suivante, les milices sionistes ont commencé à expulser violemment plus de 750 000 Palestiniens de leur patrie, dans le cadre de ce qu’on appelle la Nakba, ou « catastrophe » en arabe.
Il ne s’agit là que d’un survol sommaire de nombreuses années de violence et d’injustice. Mais je relate ces événements aujourd’hui, car ils sont au cœur du génocide actuel et des tentatives peu convaincantes des nations occidentales pour y mettre fin. Israël et les États-Unis ne cessent de présenter l’histoire comme commençant le 7 octobre 2023, lorsque les militants du Hamas ont attaqué Israël. En réalité, les puissances impériales occidentales se prennent depuis longtemps pour Dieu quand il s’agit des frontières internationales, faisant preuve d’une arrogance totalement déconnectée des réalités du terrain et visant toujours à préserver leur propre pouvoir géopolitique. La promesse non tenue de l’ONU d’une solution à deux États en 1947 était insuffisante à l’époque, et elle est encore moins réalisable politiquement aujourd’hui. Comme l’a écrit dans Foreign Affairs en 2019, Yousef Munayyer, chercheur émérite à l’Arab Center Washington, D.C., où il dirige le programme Palestine/Israël : « La seule alternative susceptible d’apporter une paix durable est l’égalité des droits pour les Israéliens et les Palestiniens dans un seul État partagé. »
Alors que le Royaume-Uni, le Canada et la France se prononcent tous les trois en faveur d’une solution à deux États, la poursuite des livraisons d’équipements militaires à Israël par chacun de ces pays sape leur objectif déclaré de paix. Une analyse de Middle East Eye a révélé que, même après que le gouvernement contrôlé par le Parti travailliste a partiellement suspendu les exportations d’armes vers Israël en 2024, le Royaume-Uni a approuvé l’envoi d’équipements militaires à hauteur de 169 millions de dollars en trois mois. Le Royaume-Uni continue également d’interdire le groupe militant Palestine Action en vertu des lois antiterroristes, en dépit d’une forte opposition internationale. « La qualification injustifiée d’un mouvement de protestation politique comme « terroriste » nous préoccupe », ont déclaré les experts de l’ONU le 1er juillet. Selon les normes internationales, les actes de contestation qui endommagent des biens, mais qui ne visent pas à tuer ou blesser des personnes, ne devraient pas être considérés comme du terrorisme. Un juge britannique a autorisé la cofondatrice de Palestine Action à contester l’interdiction du groupe devant les tribunaux, en déclarant : « L’effet dissuasif potentiel de cette interdiction d’un discours politique pourrait causer un préjudice considérable au regard de l’intérêt public. »
Pourtant, et en dépit des mesures répressives prises par le Royaume-Uni pour censurer le soutien à la Palestine, la contestation formelle contre le soutien du Parti travailliste à la guerre menée par Israël ne cesse de croître. Le 24 juillet, Jeremy Corbyn, ancien dirigeant du parti travailliste, et Zarah Sultana, députée indépendante, ont annoncé qu’ils formaient un nouveau parti politique pour « s’attaquer aux riches et aux puissants». Corbyn a exposé le programme du parti dans une récente tribune publiée dans The Guardian : « Le parti travailliste n’a pas réussi à apporter le changement que le peuple britannique réclamait. Refusant de supprimer le plafond des allocations pour deux enfants. Retirant leur soutien aux personnes handicapées. Apportant un soutien politique et militaire à Israël alors que des Palestiniens affamés sont abattus dans la rue. Ce gouvernement, dès son élection, a infligé souffrances et injustices dans le pays et à l’étranger. »
Alors que le parti travailliste ne parvient pas à représenter les intérêts de la classe ouvrière au Royaume-Uni, il se livre à une « politique de gesticulations » vide de sens au Moyen-Orient. La reconnaissance officielle par l’ONU est un strict minimum ; les timides engagements en faveur de la création d’un État palestinien doivent être étayés par des actions concrètes. Faute de mettre un terme à l’approvisionnement en armes d’Israël, les dernières annonces s’inscrivent dans la même stratégie impérialiste que celle que les États-Unis et leurs alliés européens pratiquent depuis longtemps pour limiter la souveraineté des autres pays.
*
Schuyler Mitchell est écrivaine, rédactrice et vérificatrice de faits originaire de Caroline du Nord, actuellement installée à Brooklyn. Son travail a été publié dans The Intercept, The Baffler, Labor Notes, Los Angeles Magazine et ailleurs. Retrouvez-la sur X : @schuy_ler
Source : Schuyler Mitchell, Truthout, 02-08-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]Nous ne sommes nullement engagés par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs - et encore moins par ceux qu'il pourrait tenir dans le futur. Merci cependant de nous signaler par le formulaire de contact toute information concernant l'auteur qui pourrait nuire à sa réputation.