Pour mettre véritablement et durablement fin à ce conflit, les États-Unis et l’Europe doivent élargir leur réflexion au-delà de la simple protection de Kiev.
Source : Responsible Statecraft, Nicolai Petro
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
À mon avis, l’échec de la réunion de cette semaine à Washington à faire avancer le processus de paix tient au fait que les participants n’ont pas bien compris le dilemme sécuritaire auquel ils sont confrontés.
Au lieu de rechercher la sécurité pour tous, l’Europe continue de rechercher une sécurité partielle, uniquement pour l’Ukraine. Cette vision à court terme découle de la volonté de punir la Russie, qui affirme ne faire que défendre ses intérêts nationaux.
Il est révélateur que vers la fin de leur conférence de presse conjointe, Poutine ait déclaré qu’il était d’accord avec l’affirmation de Trump selon laquelle cette guerre aurait pu être évitée si Trump avait été président. Beaucoup ont vu cela comme une remarque insignifiante destinée à s’attirer les faveurs de Trump, mais je pense que Poutine soulignait à quel point l’approche de Trump vis-à-vis du conflit diffère de celle de son prédécesseur. Alors que Biden considérait l’OTAN comme une force incontestablement bénéfique, Trump semble comprendre qu’elle peut également être perçue comme une menace, en particulier par ceux qui en ont été exclus.
Les arguments en faveur de l’élargissement de l’OTAN portent tous sur la façon dont le monde « devrait » être. Cependant, pour comprendre pourquoi l’OTAN peut être considérée comme une menace, nous devons faire la distinction entre ce qui « devrait » être et ce qui « est. »
Dans le monde idéaliste de « ce qui devrait être », l’élargissement de l’OTAN est toujours bénéfique, car ses membres sont des démocraties. S’opposer à l’élargissement de l’OTAN revient donc à s’opposer à l’expansion de la démocratie. L’OTAN devient ainsi l’instrument de la démocratie, considérée comme le summum bonum.
C’est pourquoi l’expansion incessante de l’OTAN a toujours été une question de sécurité fondamentale pour la Russie. Quoi qu’elle puisse être d’autre, l’OTAN reste avant tout une alliance militaire, qui devrait désormais se préparer, selon le chef du Comité militaire de l’OTAN, à un « scénario de guerre. »
La fonction militaire de l’OTAN, accompagnée de l’exclusion de longue date de la Russie d’une éventuelle adhésion, alors même que celle-ci a demandé à être prise en considération à au moins quatre reprises, fait de son expansion une menace. Et il en serait de même pour tout pays dont l’environnement sécuritaire est aussi radicalement modifié.
Ainsi, lorsque Poutine affirme qu’un véritable accord de paix doit s’attaquer aux « causes profondes » du conflit, il ne parle pas seulement de griefs spécifiques. Il fait également référence au sentiment profond de supériorité morale de l’Occident qui sous-tend ces griefs.
Il est essentiel de comprendre cela, car cela signifie qu’il ne peut y avoir de paix véritable et durable en Europe tant que les différentes moralités n’auront pas appris à coexister. Une étape importante dans cette direction serait que la Russie et l’Ukraine s’intègrent dans un cadre de sécurité paneuropéen plus large.
Pour la Russie, cela signifie que l’Occident devrait renoncer à l’idée que la sécurité peut être assurée en renforçant ses défenses contre tous ses ennemis présumés, et accepter au contraire que la paix ne peut être obtenue qu’en partenariat avec ses ennemis présumés, par le dialogue. À certains moments, l’Occident a semblé adhérer à ce principe (lors du sommet d’Istanbul en 1999 et du sommet d’Astana en 2010), mais dans la pratique, il revient souvent à la coercition et à la force brute pour obtenir des résultats qui servent mieux ses intérêts.
Un tel dialogue était l’ambition de Mikhaïl Gorbatchev, avant même l’effondrement de l’Union soviétique. La décision prise par Bill Clinton au début des années 1990 d’élargir l’OTAN tout en excluant la Russie de cette organisation est la principale raison pour laquelle la Guerre froide n’a jamais vraiment pris fin et a désormais dégénéré en conflit armé. À l’époque, Boris Eltsine avait déclaré à Clinton que l’élargissement de l’OTAN ne posait pas de problème, mais que « la Russie devait être le premier pays à rejoindre l’OTAN. »
La solution à ce dilemme sécuritaire est aussi évidente aujourd’hui qu’elle l’était alors : un cadre de sécurité paneuropéen qui englobe la Russie et ses voisins, plutôt que d’en exclure certains. La réticence des dirigeants européens à en discuter ouvertement suggère qu’ils envisagent toujours de contenir la Russie, conformément à la vision de John Foster Dulles [secrétaire d’Etat de 1953 à 1959 sous administration Eisenhower, son frère Allen Dulles est alors le directeur de la CIA, NdT] dans les années 1950.
Ils ont oublié que ce ne sont pas le refoulement [concept de rollback selon J. F. Dulles, NdT] et la libération qui ont conduit à la fin du communisme, mais la détente, le rapprochement et le processus d’Helsinki des années 1970. Les dirigeants occidentaux n’ont toutefois pris conscience de la nécessité de la coexistence qu’après la crise des missiles de Cuba. Avons-nous vraiment besoin d’une nouvelle crise de ce type aujourd’hui pour nous le rappeler ?
Il peut sembler naïf d’envisager aujourd’hui un cadre de sécurité européen qui inclurait à la fois la Russie et l’Ukraine. Mais si l’on veut à la fois mettre fin à la guerre et garantir une paix durable en Europe, c’est la seule option réaliste.
*
Nicolai N. Petro est professeur de sciences politiques à l’université de Rhode Island et auteur de l’ouvrage The Tragedy of Ukraine: What Classical Greek Tragedy Can Teach Us About Conflict Resolution (Berlin et Boston : De Gruyter, 2023) [Tragédie en Ukraine : ce que la tragédie grecque classique peut nous apprendre sur la résolution d’un conflit, NdT). Il est également chercheur influent à l’Institute for Peace & Diplomacy à Washington.
Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.
Source : Responsible Statecraft, Nicolai Petro, 22-08-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Commentaire recommandé
Tu prends une situation à un moment donné et en fait quelque chose de statique.
Ça fait au moins deux décennies que la Russie cherche à discuter de sa sécurité avec les pays de l’Otan et que ses demandes sont dedaignées. Ce n’est que depuis peu que la Russie a les moyens de se défendre (voire d’attaquer). Et ce n’est que depuis quelques mois qu’elle ne craint plus trop l’Otan dont le Présifent des USA s’est éloignée.
Mais dans l’histoire récente, elle avait de sérieuses raison de s’inquiéter, vu les objectifs affichés par de nombreuses personnalités, think tanks et hommes politiques Étasuniens.
Quant à son agressivité, c’est peut-être une réponse aux incessantes provocations de l’Occident contre elle (même le caramel mou Hollande a signé les accords de Minsk dans le seul but, a-t-il avoué, d’armer l’Ukraine).
Et si l’Occident tentait plutôt la coopération , histoire de voir ce que ça donne ?
12 réactions et commentaires
« Les arguments en faveur de l’élargissement de l’OTAN portent tous sur la façon dont le monde « devrait » être. »
c’est bizarre, c’est la même façon de penser de Delphine Ernotte, du service public, sur la France, « comme elle voudrait qu’elle soit »
+7
AlerterAu final, leur garanties de sécurité , ils vont se les faire eux même.
« Démilitariser , dénazifier » ça ressemble de plus en plus à laisser un champ de tombes entre eux et l’occident. La paix des cimetières ça coute un bras mais au final on est à peu près certain de l’efficacité du résultat.
Trump il a encore un peu plus de trois ans à faire et qui sait quel malade mental viendra après ? Même lui qui se met à suivre la politique de « pivot vers l’Asie » , il n’est pas rassurant pour les Russes qui sont partie à l’architecture de sécurité colléctive Asiatique. J’ose pas parler des Chinois …
Bref , le problême n’est pas tant « les ennemis » que l’occident se choisit mais son incapacité pathologique à choisir un autre moyen de coexistance que le rapport de force et la lutte (sur)armée. Il s’agirait de grandir …
+10
AlerterHmmm…l’OTAN n’est pas tant militaire que DEFENSIVE il me semble…et de surcroit, l’article 5 n’est même pas contraignant.
Donc cet article compare un pays souverain et ouvertement agressif à une alliance hétéroclite à peine capable de se motiver alors qu’une guerre fait rage depuis 3 ans à ses portes. L’asymétrie me parait bien établie et qu’un pays quelconque se sente « agressé » par le fait que cette alliance s’étende n’est pas très un bon indicateur quant au pacifisme et aux intentions dudit pays.
+3
AlerterTu prends une situation à un moment donné et en fait quelque chose de statique.
Ça fait au moins deux décennies que la Russie cherche à discuter de sa sécurité avec les pays de l’Otan et que ses demandes sont dedaignées. Ce n’est que depuis peu que la Russie a les moyens de se défendre (voire d’attaquer). Et ce n’est que depuis quelques mois qu’elle ne craint plus trop l’Otan dont le Présifent des USA s’est éloignée.
Mais dans l’histoire récente, elle avait de sérieuses raison de s’inquiéter, vu les objectifs affichés par de nombreuses personnalités, think tanks et hommes politiques Étasuniens.
Quant à son agressivité, c’est peut-être une réponse aux incessantes provocations de l’Occident contre elle (même le caramel mou Hollande a signé les accords de Minsk dans le seul but, a-t-il avoué, d’armer l’Ukraine).
Et si l’Occident tentait plutôt la coopération , histoire de voir ce que ça donne ?
+17
AlerterImpossible. Les USA ont besoin de guerres pour faire fonctionner leur industrie et continuer d’endoctriner leurs citoyens. Les pays de l’UE, et leurs élites arrogantes, ont besoin de matières premières pour continuer à vivre comme par le passer.
+8
AlerterCurieuse inversion: donc pour sa sécurité et éviter qu’une alliance DEFENSIVE (je le rappelle) ne s’installe en Ukraine, la Russie a attaqué…et vous préconisez la coopération ?? Ca fait un peu Chamberlain quand même, non ?
Je suis d’accord que « Si vis pacem para bellum » mais par contre des invasions/occupations « préventives » sont difficiement justifiables!
De quelles « incessantes provocations » et « sérieuses raisons » parlons-nous ici, aussi ?
Je rappelle aussi que l’OTAN était déclarée en « etat de mort cérébrale » il y a quelques années…
La Russie ne semble avoir fait par ses exactions que:
– relancer la machine de guerre dans toute l’Europe;
– démontrer qu’elle n’était vraiment pas la 2eme ou 3eme armée du monde, comme cru jusqu’alors;
– assurer l’extension de l’OTAN (très beau fail).
Et je viens de réaliser une autre énormité que vous avancez: « Ce n’est que depuis peu que la Russie a les moyens de se défendre »…je rêve ou vous affirmez que le pays à l’origine de la création de l’Otan était un faible poussinet sans défense, susceptible d’être harcelé par la moindre état-voyou qui passe…on parle bien du 2eme pays nucléaire qui a encore des milliers de têtes ??
+0
AlerterIl ne suffit pas d’écrire qu’elle est défensive pour qu’elle le soit. L’alliance atlantique a été fondée pour faire contrepoids à la puissance de l’URSS au sortir de la Seconde guerre mondiale. URSS qui n’existe plus depuis décembre 1991. On aurait pu penser que cette alliance « défensive » se serait auto-dissoute suite à la disparition de son ennemi héréditaire. Mais elle s’est au contraire étendue vers son ancien ennemi jusqu’à être présente à ses frontières même, trahissant des velléités offensives. Défiée, la Russie réagit en conséquence.
On peut rappeler que le membre de loin le plus puissant et influent de l’alliance sont les Etats-Unis, qui s’affranchissent très régulièrement du droit international. Pourquoi la Russie respecterait des règles que son grand rival foule aux pieds ?
+6
AlerterJe vois du procès d’intention à tous les étapes là…
1) Jusqu’à preuve du contraire c’est une alliance défensive et il suffit de l’écrire en effet pour qu’elle le soit. Nombre de pays attaqués par l’Otan: 0 (même si on compte 9/11, réaction défensive)
2) « auto-dissoute suite à la disparition de son ennemi héréditaire »: l’URSS a disparu et quelques années plus tard la Fédération de Russie est apparue, couvrant un très gros morceau de l’ex-URSS…et possédant l’arme nucléaire
3) « jusqu’à être présente à ses frontières même »: l’Otan était déjà aux frontières de l’ex-URSS en de nombreux endroit, justification douteuse;
4) « Défiée, la Russie réagit en conséquence »..en attaquant un pays de l’ex-URSS qui voulait rentrer dans l’Otan depuis 1991 mais en avait été justement empêché pour éviter la provocation…on peut parler d’une prophétie auto-réalisatrice ici: « je ne veux pas que l’Otan s’étende donc j’attaque » provoquant l’adhésion des pays nordiques & baltes et l’agrandissement des points de contacts Otan-Fédération de + de 2000km;
5) On rappelle aussi quand même que la Fédé de Russie avait signé un accord (+Ukr+USA+autres), échangeant les armes nucléaires présentes en Ukraine contre la garantie de son indépendance/défense;
6) Le dernier paragraphe…nécessite des exemples comparables, sinon c’est une justification moisie de la loi du plus fort.
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Alerter« Nombre de pays attaqués par l’Otan: 0 » …
Mort de rire …
Vous semblez juste « oublier » les chaos installés en Yougoslavie, en
Irak, en Libye, en Syrie, en Afghanistan (depuis la fin des années 70, ça fait long), en Ukraine et ailleurs…
Excusez-moi, si de tels massacres ont été « offerts » à la population civile de ces pays, c’était pour les « libérer » du joug de leurs « dictateurs sanguinaires » et leur apporter la « démocrassie » bien sûr…
Même si souvent l’Otan n’était pas « officiellement » impliqué dans ces boucheries, il ne fait aucun doute qu’il était bel et bien derrière à peine caché) pour préserver les intérêts des oligarques occidentaux…
La meilleure preuve de l’enfumage, tous ces conflits ont tous bel et bien été « vendus » par les propagandistes « humanistes » occidentaux (BHL en tête de gondole bien sûr, rendons-lui sa couronne de roi de l’arnaque).
Que vaut la vie de quelques « gueux » par rapport aux souhaits des dirigeants du « camp du Bien Absolu » d’apporter la « liberté » à des peuples qui n’ont rien demandé d’autre qu’on leur foute la paix ?
L’Otan n’est rien d’autre que le fruit de la « tradition ancestrale » de la colonisation brutale des temps passés, et quelques « gentils génocides » d’amérindiens et autres esclavagismes de masse pour les remplacer sont toujours à l’ordre du jour…
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Alerter« Je rappelle aussi que l’OTAN était déclarée en « etat de mort cérébrale » il y a quelques années… »
Oui, mais tout le monde sait que la vérité est toujours l’inverse de ce que dit macron !
Pardon de manquer de sérieux, mais l’humour est la seule réponse de circonstance que je trouve.
Petite précision quand-même : On est d’accord que l’Opé. militaire de Poutine n’est pas la meilleure idée du monde.
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AlerterAlors je vous rassure ; l’OTAN est toujours en « état de mort cérébrale ». On est entre « the walking deads » et « World War Z » et la seule certitude qu’il me reste est que la moindre fraction de mole d’activité cognitive a quitté le corps il y a déjà une paye … Encore un de ces states « Zombi » de la religion si cher à Todd.
Issonkons .. issonkons ; laissons les donc boire le calice jusqu’à la lie, c’est pas comme si ils pouvaient faire autrement de toutes façons.
« L’opération militaire spéciale » restera comme une réussite militaire coûteuse basée sur une foirade diplomatique plus chère encore. C’est pas le genre d’exemple qu’on aime voir, encore moins vivre et là dessus on sera d’accord, mais force m’est de constater qu’en l’espèce , l’exemplarité aura peut-être repris sa valeur intrinsèque.
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