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22.septembre.202522.9.2025 // Les Crises

Pour rétablir la paix en Ukraine, la Russie a aussi besoin de « garanties de sécurité »

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Pour mettre véritablement et durablement fin à ce conflit, les États-Unis et l’Europe doivent élargir leur réflexion au-delà de la simple protection de Kiev.

Source : Responsible Statecraft, Nicolai Petro
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

À mon avis, l’échec de la réunion de cette semaine à Washington à faire avancer le processus de paix tient au fait que les participants n’ont pas bien compris le dilemme sécuritaire auquel ils sont confrontés.

Au lieu de rechercher la sécurité pour tous, l’Europe continue de rechercher une sécurité partielle, uniquement pour l’Ukraine. Cette vision à court terme découle de la volonté de punir la Russie, qui affirme ne faire que défendre ses intérêts nationaux.

Il est révélateur que vers la fin de leur conférence de presse conjointe, Poutine ait déclaré qu’il était d’accord avec l’affirmation de Trump selon laquelle cette guerre aurait pu être évitée si Trump avait été président. Beaucoup ont vu cela comme une remarque insignifiante destinée à s’attirer les faveurs de Trump, mais je pense que Poutine soulignait à quel point l’approche de Trump vis-à-vis du conflit diffère de celle de son prédécesseur. Alors que Biden considérait l’OTAN comme une force incontestablement bénéfique, Trump semble comprendre qu’elle peut également être perçue comme une menace, en particulier par ceux qui en ont été exclus.

Les arguments en faveur de l’élargissement de l’OTAN portent tous sur la façon dont le monde « devrait » être. Cependant, pour comprendre pourquoi l’OTAN peut être considérée comme une menace, nous devons faire la distinction entre ce qui « devrait » être et ce qui « est. »

Dans le monde idéaliste de « ce qui devrait être », l’élargissement de l’OTAN est toujours bénéfique, car ses membres sont des démocraties. S’opposer à l’élargissement de l’OTAN revient donc à s’opposer à l’expansion de la démocratie. L’OTAN devient ainsi l’instrument de la démocratie, considérée comme le summum bonum.

C’est pourquoi l’expansion incessante de l’OTAN a toujours été une question de sécurité fondamentale pour la Russie. Quoi qu’elle puisse être d’autre, l’OTAN reste avant tout une alliance militaire, qui devrait désormais se préparer, selon le chef du Comité militaire de l’OTAN, à un « scénario de guerre. »

La fonction militaire de l’OTAN, accompagnée de l’exclusion de longue date de la Russie d’une éventuelle adhésion, alors même que celle-ci a demandé à être prise en considération à au moins quatre reprises, fait de son expansion une menace. Et il en serait de même pour tout pays dont l’environnement sécuritaire est aussi radicalement modifié.

Ainsi, lorsque Poutine affirme qu’un véritable accord de paix doit s’attaquer aux « causes profondes » du conflit, il ne parle pas seulement de griefs spécifiques. Il fait également référence au sentiment profond de supériorité morale de l’Occident qui sous-tend ces griefs.

Il est essentiel de comprendre cela, car cela signifie qu’il ne peut y avoir de paix véritable et durable en Europe tant que les différentes moralités n’auront pas appris à coexister. Une étape importante dans cette direction serait que la Russie et l’Ukraine s’intègrent dans un cadre de sécurité paneuropéen plus large.

Pour la Russie, cela signifie que l’Occident devrait renoncer à l’idée que la sécurité peut être assurée en renforçant ses défenses contre tous ses ennemis présumés, et accepter au contraire que la paix ne peut être obtenue qu’en partenariat avec ses ennemis présumés, par le dialogue. À certains moments, l’Occident a semblé adhérer à ce principe (lors du sommet d’Istanbul en 1999 et du sommet d’Astana en 2010), mais dans la pratique, il revient souvent à la coercition et à la force brute pour obtenir des résultats qui servent mieux ses intérêts.

Un tel dialogue était l’ambition de Mikhaïl Gorbatchev, avant même l’effondrement de l’Union soviétique. La décision prise par Bill Clinton au début des années 1990 d’élargir l’OTAN tout en excluant la Russie de cette organisation est la principale raison pour laquelle la Guerre froide n’a jamais vraiment pris fin et a désormais dégénéré en conflit armé. À l’époque, Boris Eltsine avait déclaré à Clinton que l’élargissement de l’OTAN ne posait pas de problème, mais que « la Russie devait être le premier pays à rejoindre l’OTAN. »

La solution à ce dilemme sécuritaire est aussi évidente aujourd’hui qu’elle l’était alors : un cadre de sécurité paneuropéen qui englobe la Russie et ses voisins, plutôt que d’en exclure certains. La réticence des dirigeants européens à en discuter ouvertement suggère qu’ils envisagent toujours de contenir la Russie, conformément à la vision de John Foster Dulles [secrétaire d’Etat de 1953 à 1959 sous administration Eisenhower, son frère Allen Dulles est alors le directeur de la CIA, NdT] dans les années 1950.

Ils ont oublié que ce ne sont pas le refoulement [concept de rollback selon J. F. Dulles, NdT] et la libération qui ont conduit à la fin du communisme, mais la détente, le rapprochement et le processus d’Helsinki des années 1970. Les dirigeants occidentaux n’ont toutefois pris conscience de la nécessité de la coexistence qu’après la crise des missiles de Cuba. Avons-nous vraiment besoin d’une nouvelle crise de ce type aujourd’hui pour nous le rappeler ?

Il peut sembler naïf d’envisager aujourd’hui un cadre de sécurité européen qui inclurait à la fois la Russie et l’Ukraine. Mais si l’on veut à la fois mettre fin à la guerre et garantir une paix durable en Europe, c’est la seule option réaliste.

*

Nicolai N. Petro est professeur de sciences politiques à l’université de Rhode Island et auteur de l’ouvrage The Tragedy of Ukraine: What Classical Greek Tragedy Can Teach Us About Conflict Resolution (Berlin et Boston : De Gruyter, 2023) [Tragédie en Ukraine : ce que la tragédie grecque classique peut nous apprendre sur la résolution d’un conflit, NdT). Il est également chercheur influent à l’Institute for Peace & Diplomacy à Washington.

Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.

Source : Responsible Statecraft, Nicolai Petro, 22-08-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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