« Le véritable objectif est de rendre impossible le retour des Palestiniens dans ces zones », déclare un coauteur du rapport.
Source : Truthout, Amy Goodman, Juan González, Democracy Now !
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Un nouveau rapport alarmant révèle comment Israël rend systématiquement Gaza invivable. Le média indépendant +972 Magazine a parlé à des soldats israéliens qui décrivent comment ils ont utilisé des bulldozers et des explosifs pour raser intentionnellement la bande de Gaza. Dans la ville méridionale de Rafah, 73 % des bâtiments sont complètement détruits et seulement 4 % des infrastructures sont intactes. « L’objectif réel est de rendre impossible le retour des Palestiniens dans ces zones », déclare Meron Rapoport, co-auteur du rapport de +972 Magazine.
Amy Goodman : Ici Democracy Now !, democracynow.org, The War and Peace Report. Je suis Amy Goodman, avec Juan González.
Nous passons maintenant à un nouveau rapport qui révèle comment Israël tente de rendre Gaza invivable. Il est bien documenté que les frappes aériennes israéliennes font un grand nombre de victimes. Aujourd’hui, le média indépendant +972 Magazine s’est entretenu avec des soldats israéliens qui ont révélé de nouveaux détails sur l’utilisation systématique de bulldozers et d’explosifs pour anéantir la bande de Gaza. Par exemple, le bureau des médias du gouvernement de Gaza affirme que l’armée israélienne a détruit au moins 90 % des quartiers résidentiels de la ville méridionale de Rafah.
Le rapport de +972 présente des vidéos que des soldats israéliens ont partagées en ligne, comme celle d’Avraham Zarviv, qui conduit un bulldozer blindé D9. Son surnom est « l’aplatisseur de Jabalia », la ville de Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza. Dans cette vidéo, il utilise sa caméra pour montrer un paysage aplati à Rafah.
Avraham Zarviv : Très bien, Brigade Givati, très bien. Oui, Rafah. « Rafah, la fin », comme on dit. Il n’y aura plus de bataille à Rafah, parce qu’il n’y aura plus de Rafah. La nation d’Israël vit.
Pour en savoir plus, nous sommes rejoints à Tel Aviv par Meron Rapoport, rédacteur en chef et auteur du site d’information israélien indépendant Local Call et chroniqueur au +972 Magazine, où son nouvel article avec Oren Ziv est intitulé « Rendre inutilisable : La mission israélienne de destruction urbaine totale ».
Meron, bienvenue dans l’émission Democracy Now ! Pourquoi n’exposeriez-vous pas ce que vous avez trouvé et ces… l’accès que vous avez eu, enfin, parce qu’ils les mettent en ligne publiquement, aux comptes-rendus vidéo réels de ces soldats israéliens eux-mêmes sur ce qu’ils font à Gaza ?
Meron Rapoport : Je pense que Gaza est en train d’être détruite, et qu’elle l’est déjà. Ce n’est pas vraiment nouveau. Nous le savons. Nous savons que très peu de bâtiments sont encore debout à Rafah. Ce que nous avons découvert au cours de cette enquête, Oren Ziv et moi-même, c’est qu’il s’agit d’un acte prémédité – que la plupart des actes sont prémédités, qu’il s’agit du travail de routine des soldats aujourd’hui, ou au cours de l’année écoulée, ou peut-être depuis plus d’un an, depuis le début de l’année 2024. Le travail de routine consiste à détruire, c’est ce qu’ils font en tant que service militaire de routine. Ils sortent le matin. Ils accompagnent soit des bulldozers, soit une unité responsable des explosifs. Ils choisissent des bâtiments et les rasent de manière systématique, et l’objectif est tout à fait – on leur dit – bien sûr, ce ne sont pas des ordres officiels venant du quartier général de l’armée israélienne, mais c’est dit très crûment – on leur dit, et ils en sont eux-mêmes très fiers, que le véritable objectif est de rendre impossible le retour des Palestiniens dans ces zones. Nous l’avons vu ces jours-ci à Rafah. À Rafah, on nous dit que 4 % des bâtiments sont indemnes, non endommagés. Seulement 4 %, dans une ville de 210 000, 200 000 habitants avant la guerre. Il s’agit donc d’un phénomène systématique. Ce n’est pas le fait de… ce n’est pas pendant la bataille. Ce n’est même pas le résultat des frappes aériennes, même si, bien sûr, les frappes aériennes sont responsables d’une partie des dégâts. Il s’agit d’une action planifiée. Et en cela, je pense que c’est sans précédent.
Juan Gonzalez : Et, Meron, vous commencez votre article en citant un soldat que vous identifiez seulement comme Y. et il décrit les méthodes de démolition – et je vous cite – vous écrivez, je cite : « J’ai obtenu quatre ou cinq bulldozers [d’une autre unité], (…) ils ont démoli 60 maisons par jour. » Six zéro. « Une maison d’un ou deux étages est démolie en une heure ; une maison de trois ou quatre étages prend un peu plus de temps. (…) La mission officielle était d’ouvrir une voie logistique pour les manœuvres, mais dans la pratique, les bulldozers détruisaient simplement des maisons. » Donc, c’est – pour répéter ce que vous avez dit – ce n’est pas au cours d’une bataille. Ce que font les soldats israéliens est censé se produire après, disons, une bataille ou un conflit. Il s’agit donc d’un nettoyage ethnique total d’un territoire entier, c’est effectivement ce qu’ils font, n’est-ce pas ?
Meron Rapoport : Effectivement, oui. Bien sûr, cela entre dans une zone grise du droit international, ce qu’on appelle le domicide, la destruction de zones urbaines entières. Ce n’est pas officiellement un crime contre l’humanité. Il est certainement contraire aux lois de la guerre de détruire des bâtiments qui n’ont rien à voir avec l’action militaire. Mais, oui, je pense que cela – il n’y a aucun doute que l’intention ici est le nettoyage ethnique. L’intention est de rendre ces villes – Rafah, Jabaliya, le corridor de Netzarim, pour le moment – peut-être verrons-nous quelque chose de nouveau dans les prochains jours – mais de rendre ces zones complètement impossibles. Il sera complètement impossible pour la population de revenir, parce qu’il n’y a plus rien. Et cela est dit très ouvertement par les soldats, par les vidéos qu’ils diffusent eux-mêmes, par les soldats qui nous ont parlé. Il est clair que c’est leur intention.
Les Forces armées israéliennes, dans leur réponse officielle, nous ont dit : « Non, cela fait partie des besoins opérationnels. Il y a des besoins opérationnels qui nécessitent ces démolitions de maisons, et cela n’a à voir qu’avec les besoins opérationnels, les maisons ou les bâtiments où il y avait – ils tirent sur les soldats israélien – où il y avait des explosifs. Le Hamas a placé des explosifs dans ces maisons. » Mais ce que nous voyons est très clair. Et encore une fois, Netanyahou, le Premier ministre Netanyahou lui-même, a déclaré : « Nous détruisons maison par maison pour qu’ils n’aient nulle part où revenir. » Bezalel Smotrich, le ministre des Finances, a déclaré hier que « nous ne laissons pas une seule pierre debout. » Il est donc clair que la réaction de Tsahal n’est pas fondée sur la réalité.
Juan Gonzalez : Et avez-vous découvert des scrupules moraux chez certains des soldats israéliens que vous avez interrogés à propos de cette pratique ?
Meron Rapoport : Oui, bien sûr. Les soldats qui nous ont parlé ne se sentaient pas… ne se sentaient pas bien ou se sentaient très mal dans ce qu’ils faisaient. C’est la raison pour laquelle ils nous ont parlé. Nous en avons parlé avec une dizaine de soldats. Mais ils ont aussi dit que c’était devenu une telle routine pour les soldats israéliens qu’ils n’y prêtaient pas vraiment attention, que la plupart des soldats n’y prêtaient pas attention, parce que c’était la routine. C’est ce qu’ils font. Il y a très peu de combats réels. Un soldat qui a passé trois mois dans le corridor de Netzarim a déclaré qu’il avait eu très, très peu de combats réels au cours de ces trois mois. Le travail de routine consistait, s’il y avait assez d’explosifs, car parfois il n’y en avait pas assez, mais s’il y en avait assez, à aller le matin, à choisir entre cinq et dix maisons à démolir, et c’était le travail de routine. Les soldats étaient donc très habitués. Et, bien sûr, il y avait ces soldats qui étaient politiquement motivés, des soldats de droite, qui se réjouissaient vraiment du fait que ces Palestiniens n’auraient nulle part où retourner. Mais ce n’est pas l’atmosphère principale, je dirais. L’atmosphère est la suivante : « C’est le travail que nous faisons, et nous le faisons simplement. C’est pour cela que nous avons été envoyés. »
Amy Goodman : Meron Rapoport, je voulais vous interroger sur le soutien de Microsoft à Israël. L’Associated Press rapporte que Microsoft a maintenant reconnu, ouvrez les guillemets : « Avoir vendu des services avancés d’intelligence artificielle et d’informatique en cloud à l’armée israélienne pendant la guerre à Gaza et avoir contribué aux efforts de localisation et de sauvetage d’otages israéliens. » Microsoft a confirmé cette information dans un billet de blog non signé. Lundi, un employé de Microsoft, membre de l’association No Azure for Apartheid, a perturbé le discours du PDG de Microsoft, Satya Nadella, lors de l’événement phare de l’entreprise, Build, à Seattle, dans l’État de Washington.
Membre de No Azure for Apartheid : Satya, pourquoi ne pas montrer comment Microsoft tue les Palestiniens ? Et si vous montriez comment les crimes de guerre israéliens sont soutenus par Azure ? En tant que travailleur de Microsoft, je refuse d’être complice de ce génocide !
Amy Goodman : Je voulais, Meron, avoir votre réponse à ces développements et à ce que nous savons du rôle de Microsoft, car vous avez édité des articles de +972 sur Microsoft, dont un en janvier intitulé : « Des documents fuités exposent les liens profonds entre l’armée israélienne et Microsoft », dans un article écrit par Yuval Abraham, qui a gagné l’Oscar pour avoir été co-réalisateur du film No Other Land, Meron.
Meron Rapoport : Oui, il semble que ce soit – bien sûr, il y a eu cet article de Yuval, et puis il y a eu un article précédent citant principalement des sources israéliennes, des sources ouvertes, le chef d’une unité responsable de l’informatique dans l’armée israélienne, qui a dit qu’ils ont reçu une aide essentielle à la machine de guerre israélienne de ces trois grandes sociétés du cloud, Azure et d’autres. Donc, c’est… et nous avions ces documents que nous avons révélés, que Yuval a révélés plus tard. Donc, la relation est certainement très étroite, et il semble que cela crée des problèmes pour Microsoft en interne, et peut-être en externe et en interne. Il faut voir. Nous avons peut-être d’autres sujets à venir. Je pense que cette affaire n’est pas terminée.
Juan Gonzalez : Et, Meron Rapoport, vous avez… les Nations Unies ont rapporté en mars que de mars 2025 au début de 2024, Israël a démoli 463 bâtiments en Cisjordanie dans le cadre de l’activité militaire, et a déplacé près de 40 000 Palestiniens de plusieurs villes de Cisjordanie. Pouvez-vous nous en parler ? Par ailleurs, vous avez rapporté qu’au Liban, Israël a eu recours à des opérations de démolition similaires ?
Meron Rapoport : Il semble que cela fasse désormais partie de la guerre israélienne, de la méthode, du modus operandi de l’armée israélienne : la destruction en tant que telle, pas pendant les combats. Nous l’avons vu au Liban. Notre enquête a révélé qu’un soldat avait été prévenu à l’avance qu’il allait détruire les villages chiites au Liban, avant même d’arriver sur place. Il n’y avait donc aucun lien direct avec les combats. Et il semble que ce…
Amy Goodman : Meron, il nous reste 30 secondes.
Meron Rapoport : …mode d’action, il semble que ce mode d’action soit copié et employé en Cisjordanie également.
Amy Goodman : Je tiens à vous remercier pour votre présence parmi nous, Meron Rapoport, rédacteur en chef et auteur du site d’information israélien indépendant Local Call et chroniqueur au +972 Magazine. Nous allons mettre un lien vers votre nouvel article, « Rendre tout inutilisable : La mission israélienne de destruction urbaine totale. » Meron nous parlait depuis Tel Aviv.
Amy Goodman est l’animatrice et la productrice exécutive de Democracy Now !, un programme d’information national, quotidien, indépendant et primé, diffusé sur plus de 1 100 chaînes de télévision et stations de radio publiques dans le monde entier. Le Time Magazine a nommé Democracy Now ! son « Pick of the Podcasts », aux côtés de Meet the Press de NBC.
Juan González co-anime Democracy Now ! avec Amy Goodman. Il est journaliste professionnel depuis plus de 30 ans et chroniqueur au New York Daily News depuis 1987. Il a reçu deux fois le prix George Polk.
Source : Truthout, Amy Goodman, Juan González, Democracy Now !, 20-05-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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