Selon un expert en politique d’immigration, les nouvelles prisons devraient ressembler aux camps de tentes construits à Fort Bliss.
Source : Truthout, Amy Goodman, DemocracyNow!
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Le gouverneur de l’Illinois, JB Pritzker, demande aux agents fédéraux de suspendre l’application des lois sur l’immigration dans la région de Chicago jusqu’à la fin de la fête d’Halloween, alors que les arrestations violentes et les confrontations avec les habitants sont largement condamnées. Pendant ce temps, la personne qui est au centre de la plupart des mesures de répression de Chicago, le chef de la patrouille frontalière Gregory Bovino, a fait une déposition longue de cinq heures jeudi dans le cadre d’une affaire mettant en cause le traitement réservé par les agents fédéraux aux manifestants, aux journalistes, aux enfants et aux immigrants. Bovino est « responsable des raids à Chicago ». Et cette méthode d’application agressive et militarisée est quelque chose que l’administration Trump adore, car cela plaît beaucoup à leur base électorale », explique Aaron Reichlin-Melnick, agrégé supérieur de recherches à l’American Immigration Council. Il parle également d’augmentation rapide du nombre de détentions d’immigrants, de normalisation du profilage racial par les agents fédéraux, d’arrestations de citoyens américains, etc.
AMY GOODMAN : Le gouverneur de l’Illinois, JB Pritzker, demande aux agents fédéraux de suspendre leurs opérations de contrôle de l’immigration à Chicago jusqu’à la fin des fêtes d’Halloween, alors que les arrestations arbitraires et violentes et les confrontations avec les habitants sont largement condamnées.
GOV. JB PRITZKER : J’ai envoyé une lettre à Kristi Noem et aux responsables du ministère de la sécurité intérieure, leur demandant d’interrompre toutes les opérations des agents fédéraux pendant toute la durée du week-end d’Halloween. Je leur demande de faire preuve d’une décence humaine élémentaire. Je pense que leur réponse sera révélatrice. Ils sèment un véritable chaos depuis plus de deux mois. Il est temps d’accorder une pause aux enfants et aux familles de l’Illinois.
AMY GOODMAN : Le gouverneur Pritzker a également écrit dans sa lettre à Noem, et je cite : « Aucun enfant ne devrait être contraint d’inhaler des gaz lacrymogènes ou d’autres agents chimiques alors qu’il fait sa tournée d’Haloween dans son propre quartier ». Mais jeudi, la secrétaire d’État au ministère de la sécurité intérieure, Noem, a rejeté la demande de Pritzker. Elle s’exprimait depuis Gary, dans l’Indiana.
KRISTI NOEM, SECRÉTAIRE À LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE : Nous ne sommes absolument pas disposés à mettre en pause le travail que nous accomplissons pour assurer la sécurité des communautés. Le fait que le gouverneur Pritzker demande cela est honteux et, je pense de plus qu’il est malheureux qu’il ne reconnaisse pas l’importance du travail que nous faisons pour nous assurer que nous traduisons les criminels en justice et que nous les soustrayons de nos rues.
AMY GOODMAN : Cela intervient alors qu’un juge fédéral a enjoint jeudi à celui-là même qui est au coeur d’une grande partie de l’application de la loi à Chicago, le commandant de la patrouille frontalière Gregory Bovino, de se présenter pour une déposition afin d’expliquer l’utilisation par les agents fédéraux de gaz lacrymogène et d’autres armes moins meurtrières contre les manifestants qui sont descendus dans les rues pour s’opposer à la répression de l’immigration menée par l’administration Trump.
Pendant ce temps, la secrétaire à la sécurité intérieure Kristi Noem remplace les dirigeants de l’ICE dans la moitié des bureaux locaux du pays par des agents de la patrouille frontalière là où le président Trump exige davantage de raids et d’arrestations d’immigrants. Ces dernières semaines, CNN nous a signalé que l’administration Trump prévoyait de construire un nouveau réseau de prisons réservées aux migrations massives, elles pourront accueillir jusqu’à 100 000 prisonniers et seront financées par l’acheminement de milliards de dollars par l’intermédiaire de la Navy afin d’en faciliter la construction.
Aaron Reichlin-Melnick, chargé de mission à l’American Immigration Council, nous rejoint à Washington, pour nous parler de tout cela et de bien d’autres choses encore.
Bienvenue dans l’émission Democracy Now!, Aaron. Commençons par l’appel du gouverneur de l’Illinois, JB Pritzker, demandant de ne pas asperger de gaz lacrymogène les enfants qui font la tournée farces ou bonbons au soir de Halloween, et la réponse de la secrétaire à la Sécurité intérieure.
AARON REICHLIN-MELNICK : Oui, vous voyez, ce que je pense, c’est que la secrétaire Noem veut que ces opérations de déportation de masse se poursuivent, quelles que soient les conséquences, quel que soit le jour, quelles que soient les perturbations qu’elles entraînent pour les communautés américaines. Et ces opérations sont de plus en plus agressives à mesure que les effectifs sont augmentés et que la volonté est de faire de Chicago un exemple pour le pays, afin que les gens comprennent ce qui attend d’autres villes pendant l’administration Trump.
AMY GOODMAN : Parlez de ce qui se passe, par exemple, en ce moment à Chicago, et surtout de ce que signifie le fait que la patrouille aux frontières (Border Patrol) remplace l’ICE dans près de la moitié des bureaux locaux partout aux États-Unis, et comment Bovino, le commandant des patrouilles aux frontières, a été convoqué devant un juge et devra faire face à une nouvelle audience la semaine prochaine.
AARON REICHLIN-MELNICK : Oui, je pense que ce que cela veut dire, c’est que l’administration souhaite que l’application de la loi dans les rues, l’application de la loi sur l’immigration, ressemble davantage à ce qui se passe à Chicago. Le commandant Bovino, ou chef Bovino, était l’homme qui a été responsable des raids de Los Angeles. Il a ensuite été transféré à Chicago, où il est responsable des raids de Chicago.
Et ce style de répression agressive et militarisée est une chose que l’administration Trump adore, parce que cela les sert vraiment auprès de leur base. On voit même qu’ils se font souvent accompagner par des vidéastes lors de ces opérations d’arrestation, lesquels sont eux-mêmes masqués et en tenue de camouflage, afin qu’ils puissent capturer les images et poster ces vidéos sur les médias sociaux. L’administration Trump est persuadée que ce type de mesures coercitives correspond au modèle qu’elle souhaite mettre en oeuvre, car cela lui permet de donner à sa base l’impression que son action est plus agressive que jamais, davantage que n’importe quelle administration précédente, voire que celle de l’ICE elle-même.
AMY GOODMAN : Si vous pouviez nous expliquer en quoi tout cela est inhabituel, alors qu’une juge a tout arrêté pour le moment, du fait que la juge dans l’affaire Bovino a dit qu’elle voulait qu’il se présente devant elle tous les jours ? Ce n’est pas ce qui se passe en ce moment, mais qu’en est-il des caméras bodycam et qu’est-ce qui motive la réaction de la juge Ellis ?
AARON REICHLIN-MELNICK : Oui, la juge Ellis est en charge d’une affaire concernant l’utilisation de munitions antiémeutes, comme les bombes lacrymogènes ou le gaz poivre, les procédures agressives, les munitions agressives qui sont utilisées pour réprimer les troubles civils. Elle a constaté qu’en dépit d’une ordonnance exigeant que l’ICE, le DHS et la patrouille aux frontières, en fait, toute composante de cette opération fédérale, avertissent les gens avant de se servir de munitions antiémeutes, il semble qu’ils ne le fassent pas, ou du moins qu’ils ne respectent pas l’ordonnance de la cour comme elle l’a demandé. Elle a donc convoqué Bovino, puisque c’est lui qui est en charge de cette opération. Elle lui a dit en substance : « Vous devez contrôler vos agents et je veux vous voir tous les jours au tribunal pour discuter de la situation. » La 7e chambre d’appel a temporairement suspendu cette ordonnance, mais elle pourrait entrer en vigueur une fois que l’affaire aura été examinée par la 7e chambre d’appel.
AMY GOODMAN : Je voulais vous interroger sur le rapport de CNN selon lequel le département de la Sécurité intérieure va verser 10 milliards de dollars à la marine afin de construire un vaste réseau de centres de détention pour migrants dans tout le pays. Les États où ces prisons devraient être construites sont les suivants : Louisiane, Géorgie, Pennsylvanie, Indiana, Utah et Kansas. Chacune de ces prisons pour immigrés pourra accueillir jusqu’à 10 000 personnes, soit 100 000 personnes au total, et leur construction doit être accélérée.
AARON REICHLIN-MELNICK : Oui, cela fait partie du financement prévu par la loi Trump, la One Big Beautiful Act [La One Big Beautiful Bill Act, également appelé OBBBA, OBBB ou OB3, est une loi de réconciliation budgétaire présentée au 119e congrès des États-Unis, NdT]. Cette loi a accordé à l’ICE 45 milliards de dollars pour financer la détention des immigrants au cours des quatre prochaines années, ce qui, combiné aux crédits annuels que l’ICE reçoit dans le cadre du cycle budgétaire habituel, pourrait donner à l’ICE environ 15 milliards de dollars par an pour garder les gens en détention. À titre de comparaison, le budget total du Bureau fédéral des prisons est de 8,4 milliards de dollars, ce qui signifie que près de deux fois le budget du Bureau fédéral des prisons seront utilisés uniquement pour la détention des immigrants.
Et pour dépenser cet argent en quatre ans afin de mettre le système en place et de le faire fonctionner le plus rapidement possible, il faut des camps de tentes. Et dans ce domaine, l’armée américaine a une grande expérience. Par exemple, on a pu voir une installation de ce type être érigée à Fort Bliss, El Paso, anciennement connue sous le nom de Camp East Montana. L’administration Trump l’appelle le « Lone Star Lockup. » [Centre de détention une étoile, le Texas est le Lone Star state, en référence à son drapeau à une seule étoile, NdT] Il est prévu pour accueillir 5 000 personnes, et il semblerait que 250 lits supplémentaires soient ajoutés chaque semaine. Il accueille déjà plus de 2 000 personnes, et ce chiffre augmente chaque jour. On peut donc s’attendre à ce qu’un réseau de Camp East Montana soit construit dans tout le pays au cours des deux prochaines années.
AMY GOODMAN : Je voulais vous interroger sur un rapport de ProPublica qui révèle que plus de 170 citoyens américains ont été détenus par l’ICE lors de raids et de manifestations dans tout le pays. Plus de 20 citoyens ont été placés en détention sans pouvoir contacter leurs proches ou un avocat. Les agents de l’ICE ont également arrêté 130 citoyens, dont une douzaine d’élus, pour avoir prétendument interféré avec des agents ou les avoir agressés. Ces affaires ont été abandonnées. La secrétaire à la sécurité intérieure, Kristi Noem, s’est exprimée lors d’une conférence de presse dans l’Indiana.
KRISTI NOEM, SECRÉTAIRE À LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE : Aucun citoyen américain n’a été arrêté ou détenu. Nous nous concentrons sur ceux qui sont ici illégalement. Et tout ce que vous pourriez entendre ou rapporter qui serait différent de cela n’est tout simplement pas vrai et constitue une déclaration mensongère.
AMY GOODMAN : Aaron Reichlin-Melnick, votre réaction ?
AARON REICHLIN-MELNICK : Oui, la secrétaire Noem ignore les faits ou ne dit pas la vérité sur les faits, parce que, bien sûr, des citoyens américains ont été arrêtés et détenus par l’ICE. Parfois, il s’agit d’une arrestation délibérée parce qu’un agent du DHS [ Département de la sécurité intérieure, NdT] estime que la personne gène l’action des agents fédéraux, mais d’autres fois, c’est parce que les agents pensent que la personne est un immigrant sans papiers, en grande partie parce qu’elle est latino. C’est ce que nous avons pu voir à Los Angeles, à Chicago et dans d’autres endroits du pays, maintenant que la Cour suprême a approuvé ces soi-disant arrêts Kavanaugh [autorisation donnée par Kavanaugh, juge à la Cour suprême de garder des personnes en détention pendant des heures ou des jours, menottées ou emmenées dans un autre lieu avant que l’ICE ne confirme leur statut d’immigrant, NdT], qui permettent aux agents de l’ICE et de la patrouille aux frontières d’interroger les gens sur la base de leur appartenance ethnique, de l’endroit où ils se trouvent ou de la langue qu’ils parlent, et on a observé que des citoyens américains sont pris dans cette vague, parfois même lorsqu’ils disposent d’une carte d’identité et sont prêts à la présenter.
AMY GOODMAN : Permettez-moi de vous demander ce qui s’est passé dans le comté de Rockingham, en Virginie. Une nouvelle vidéo montre des agents fédéraux arrêtant avec violence une mère conduisant sa fille à l’école, après qu’elle ait refusé de réciter son numéro de sécurité sociale lors d’un contrôle d’immigration. La vidéo de l’incident montre la fille de Jaykie Funez-Andrade, âgée de 16 ans, voici le son, en train de pleurer alors que les agents plaquent sa mère au sol, appuient sur sa tête, visage contre terre sur le trottoir et la menottent. Avant l’arrestation, il semble que Mme Funez-Andrade ait montré aux agents son permis de travail, sa carte de sécurité sociale, son permis de conduire et la carte grise de sa voiture, mais ils l’ont tout de même arrêtée et emmenée en prison. Quels sont les recours possibles ?
AARON REICHLIN-MELNICK : Oui, je n’ai pas vu la vidéo elle-même, je ne peux donc pas commenter les détails de ce qui s’est passé. Mais cela s’inscrit dans un contexte plus large, les agents ne se soucient guère de vérifier les papiers des personnes ou de discuter avec elles avant de procéder à leur arrestation. Or, si la personne est en situation régulière, si elle a le droit de rester ici, elle peut théoriquement intenter une action en justice contre le gouvernement afin d’obtenir des dommages et intérêts pour arrestation illégale, mais ces actions sont compliquées, difficiles et longues. Et si l’arrestation était en fin de compte légale mais cruelle, il se peut qu’elle ne puisse pas faire grand-chose. Je pense que c’est la raison pour laquelle le soutien de la communauté, l’accès à un avocat, la possibilité pour les gens d’avoir un avocat sont si importants dans un moment comme celui-ci.
AMY GOODMAN : Et permettez-moi de vous interroger sur les demandeurs d’asile et la réduction spectaculaire en ce moment des demandes d’asile autorisées aux États-Unis, l’administration Trump réduisant le nombre de réfugiés admis chaque année de 125 000 à 7 500, la plupart d’entre eux étant des Sud-Africains blancs, Aaron.
AARON REICHLIN-MELNICK : Oui, donc, il est essentiel de préciser qu’il ne s’agit pas de demandeurs d’asile. Ce sont des personnes qui arrivent dans le cadre du programme américain d’admission des réfugiés, ce qui signifie qu’elles ont déjà suivi une procédure légale à l’étranger qui les a reconnues comme réfugiées et leur a permis de venir légalement aux États-Unis avec un statut, en vue d’obtenir une carte verte et, à terme, la citoyenneté. Et depuis 45 ans, le programme américain pour les réfugiés a sauvé des personnes de situations telles que le nettoyage ethnique dans le monde entier.
Mais aujourd’hui, l’administration Trump tente de transformer le programme américain d’admission des réfugiés en un nouveau programme d’immigration destiné aux Afrikaners blancs et aux conservateurs sud-africains qui, selon elle, sont victimes de discrimination en raison de leurs opinions anti-immigrés. Il s’agit là d’un abandon pur et simple du travail humanitaire que les États-Unis ont mené avec tant de succès au fil des ans, et ce au profit d’un programme idéologique visant à faire venir aux États-Unis des conservateurs partageant les mêmes idées, et uniquement des conservateurs partageant les mêmes idées.
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Amy Goodman est l’animatrice et la productrice exécutive de Democracy Now!, un programme d’information national, quotidien, indépendant et primé, diffusé sur plus de 1 100 chaînes de télévision et stations de radio publiques dans le monde entier. Le Time Magazine a nommé Democracy Now! son « Pick of the Podcasts »(Meilleur podcast), au même titre que Meet the Press de NBC.
Source : Truthout, Amy Goodman, DemocracyNow!, 31-10-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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