« Il n’y aura pas de Canossa iranien », estime également le ministre de la Culture, dans un entretien à « L’OLJ ».
OLJ / Par Propos recueillis par Anthony SAMRANI, le 20 juin 2025 à 23h00
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Alors que le Moyen-Orient, et l’ensemble de la scène internationale, assistent médusés à la guerre déclenchée par Israël contre l’Iran, dont le dénouement reste en partie suspendu à la décision du président américain Donald Trump d’intervenir directement dans le conflit, le ministre de la Culture et ancien négociateur de l’ONU en Irak et en Libye, Ghassan Salamé, explore les différents scénarios ouverts par l’entreprise d’un État hébreu qui n’en finit plus de céder à la Tentation de Mars (Fayard, 2024).
En octobre 2024, lors d’un précédent entretien, vous aviez dit : « Pour qu’il y ait un remodelage du Moyen-Orient, il faudrait que les Israéliens songent à quelque chose de plus grand que le Liban, qu’ils commencent à essayer d’être plus influents en Syrie et en Irak, et peut-être d’attaquer l’Iran. » Nous y sommes ?
Nous sommes en plein. Mais cette attaque contre l’Iran doit être déconstruite comme toute action de cette ampleur. Il y a trois aspects très différents : d’abord, le dossier nucléaire, qui est un dossier spécifique ; ensuite, la puissance de feu conventionnelle du régime iranien, notamment balistique ; enfin la solidité du régime. Ce sont trois objectifs qu’il ne faut pas confondre. Il faudra qu’Israël ait un succès spectaculaire dans un de ces trois chapitres pour que, sans doute, il commence à songer à un cessez-le-feu.
Commençons par le nucléaire alors…
Dans ce domaine, l’occasion était trop belle… Mais il demeure un doute sur l’objectif exact de l’attaque israélienne à ce niveau-là : les Israéliens ont-ils voulu détruire le programme nucléaire iranien, une décision prise depuis 2007 et enfin mise à exécution ? Ou bien sont-ils allés détruire un accord sur le point d’être signé par les Américains et les Iraniens ?
Toujours est-il que jusqu’ici, les experts estiment que le programme nucléaire n’a pas été fatalement touché. S’agissant du site de Natanz, c’est la structure en surface qui a été visée, mais pas celle souterraine. Le réacteur d’Arak est pour sa part arrêté depuis longtemps, donc qu’on le détruise ou non, ça n’a pas beaucoup d’importance. La destruction de l’usine d’Ispahan, qui sert à la gazéification de l’uranium et ensuite sa re-solidification, nécessaire à l’arsenalisation, peut quant à elle retarder de quelques mois le programme nucléaire.
Aussi, pour le moment, Israël et ses alliés occidentaux ne peuvent pas crier victoire. Ils pourront le faire uniquement s’ils détruisent toutes les usines de gazéification, et surtout s’ils détruisent les fameuses 3 000 centrifugeuses de Fordo – ce qui suppose soit un travail de fourmi pendant 15 à 20 jours, soit que les Américains interviennent avec leurs B2 et B52 et les fameuses bombes GBU-57. Voilà ce qui serait un scénario idéal pour Israël sur le dossier nucléaire. Et sans un succès à ce niveau-là, je ne vois pas la guerre s’arrêter.
Mais en admettant qu’ils parviennent à détruire le programme nucléaire iranien, vont-ils se contenter de cela ?
Cela nous amène aux deux autres objectifs. Mais je voudrais terminer la question nucléaire sur un point important : le nucléaire et les objectifs conventionnels produisent des effets contradictoires. Il y a un attachement très large de la population iranienne, toutes tendances confondues, au programme nucléaire, qui a commencé sous le règne du chah. Donc une éventuelle destruction de Fordo provoquerait une blessure nationaliste qui ira bien au-delà du régime actuel et que les Israéliens et les Américains auront à gérer dans les années qui viennent. Et je crois que c’est une question qu’ils ne prennent pas en considération.
Passons au deuxième objectif, le balistique…
Il y a peut-être 400 missiles qui ont été lancés, donc déjà utilisés. Il y en a 400 qui ont peut-être été détruits sur place. Tout cela n’est pas rien. Mais si la guerre s’arrêtait aujourd’hui, les Iraniens auraient les moyens de rétablir les usines qui ont été détruites et de recommencer à produire des missiles. D’autant qu’ils ont déjà réussi, notamment avec l’aide de la Corée du Nord et un peu de la Chine, à développer une industrie balistique extrêmement importante sous le régime de sanctions le plus lourd au monde. Ce sont des points qui ont été marqués, mais ce n’est pas une victoire qui a été remportée.
Pour cela, il faudrait qu’il y ait une destruction beaucoup plus massive des capacités conventionnelles et balistiques. Or ils ne bénéficient plus de l’effet de surprise. Et s’ils s’embarquent dans une guerre longue, l’aviation israélienne a beau être la troisième aviation mondiale et constituer la carte maîtresse de la domination militaire israélienne sur cette région – encore plus que l’intelligence artificielle ou l’espionnage –, mais elle a des limites. Il faut des journées d’entretien pour chaque avion après un usage aussi massif. Pour continuer de mener une guerre de cette intensité, Israël a besoin d’entraîner Washington dans le conflit.
Reste le troisième objectif…
Là aussi il doit être déconstruit, notamment à travers le parallèle avec l’intervention américaine en Irak en 2003. L’objectif à l’époque était de décapiter le régime et de le changer. Aujourd’hui, c’est une logique différente qui est à l’œuvre. L’idée est que si les deux premiers objectifs sont atteints, il n’y aura pas à faire grand-chose pour que le troisième se réalise tout seul. Donc, il y a une espèce d’espoir qui fait ressembler la guerre actuelle plus à l’intervention contre l’Irak de Saddam en 1990 qu’à celle de 2003. Parce que l’objectif de George H. Bush était d’infliger une défaite militaire telle à Saddam Hussein qu’elle puisse faire tomber le régime. Mais quand il y a eu une insurrection, il a regardé de l’autre côté, ce qui a donné de la matière aux néoconservateurs pour faire leur guerre plus d’une décennie plus tard. L’objectif aujourd’hui n’est pas la décapitation du régime, mais une guerre où le changement de régime reste l’espoir secret.
Pensez-vous que ce sera le cas ? Que si les deux premiers objectifs sont atteints, le régime tombera ?
Sa légitimité sera sérieusement entamée. Et lorsqu’un régime ne survit que par la répression, il a une espérance de vie plus limitée. Mais le régime conserve une dose de légitimité et aucune alternative crédible n’existe pour le moment. Je ne pense pas un seul instant que le fils du chah fasse rêver les Iraniens…
Le régime peut donc survivre à cette guerre mais probablement avec un autre centre de pouvoir. Le scénario le plus probable à mes yeux est une militarisation extrême du régime. Ce qui ne serait pas un signe de survie mais plutôt de repli pour éviter le pire. Et cela pourrait arriver après la mort de Khamenei, naturelle ou non, ou même sous son règne, en dépolitisant le processus de décision et en empêchant son fils de lui succéder. Il y a mille façons de prendre le pouvoir sans passer par l’élimination physique.
A-t-il une autre option pour survivre ?
L’atout dont dispose Khamenei, c’est la versatilité de Donald Trump. Mais son problème, c’est que le président américain s’est lui-même coincé dans une position extrême qui exige une « capitulation totale ». Khamenei peut faire des concessions certainement plus importantes que celles qu’il avait faites à Barack Obama en 2015, mais il n’y aura pas de « Canossa » iranien, c’est-à-dire un abandon de son droit à enrichir de l’uranium. Il peut y avoir une défaite iranienne ou une dévastation de son territoire mais il n’y aura pas un responsable iranien qui ira à Mascate ou ailleurs signer un accord de capitulation. Parce que cela signifierait que la peur de mourir le pousse au suicide.
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OLJ / Par Propos recueillis par Anthony SAMRANI, le 20 juin 2025 à 23h00
5 réactions et commentaires
L’analyse vraiment « experte »du diplomate / politologue /politique / historien de Ghassan Salamé ( que l’on échangerait volontiers contre sa fille mais nous n’en avons plus les moyens) Ministre d’un pays fragile et au premier rang dans le chaos étendu, peu de langue de bois, des arguments objectifs et « inside job » Pourquoi nos MDM ( Médias de Masse. Ou médias de milliardaires ) peu cultivés et fabricants exclusivement de l’émotion ne reprennent ils pas au moins ce genre de doc tout fait ? Le pluralisme a le droit de se défendre
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AlerterQuand la force USA/ISRAÉL est déployée à ce point le retour à la paix semble bien compromis. Car si l’Etat d’Iran est à genoux, une guerre « non officielle » larvée, faite de sanctions, pressions, terrorismes et autres ingérences peut se mettre en place. La force pour préserver ses acquis doit nécessairement perdurer. Le moyen Orient n’est pas prêt de vivre en paix. Une seule note « positive » si la guerre profite aux industries de l’armement de part le monde, elle est source d’instabilité est mauvaise pour le commerce international.
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AlerterCette agression aura fini par convaincre l’Iran d’avoir un arsenal nucléaire ce qui n’a jamais été le cas, une fatwa de Khomeini. L’ironie de cette situation c’est deux états qui ne respectent aucun ordre international ni celui de la non prolifération de l’arme nucléaire, surtout Israël, qui prétend être obligée de mener une guerre existentielle. Ok ! Mais qui défendra, sauf les états soumis : Arabie saoudite, le Qatar, émirats arabes unis(?),Bahrein, le Koweït, les autres états voisins qui n’ont pas subventionné al Qaida, Daesh, Isis?
Et pour conclure, cette guerre éclipse pour un temps la sauvagerie de Gaza menée avec l’aide de nervis protégés comme le fut le Hamas; une création à la frankenchtein.
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AlerterLa véritable arme de dissuasion de l’Iran est le contrôle sur le détroit d’Ormuz, dès que les pétroliers ont commencé à faire demi-tour , l’escalade a pris fin.
Par contre, il y a bien eut des « armes de destructions massives » mise hors d’état de nuire lors de ces « 12 jours » : l’IIRB a été fortement endomagé. Ça n’est pas rassurant du tout.
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Alertertant que l’Iran ne disposera pas de l’arme nucléaire avec de nombreux vecteurs de lancement, il n’ y aura pas de paix au Moyen Orient !
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