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20.septembre.202520.9.2025 // Les Crises

Guerre avec l’Iran : 4 scénarios aux implications profondes pour la sécurité mondiale

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Le conflit de 12 jours qui s’est déroulé en juin a mis en évidence au grand jour le caractère limité du pouvoir de pression des États-Unis, obligeant Washington à prendre une décision quant à ses véritables intentions.

Source : Responsible Statecraft, Sina Toossi
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

La guerre de 12 jours entre Israël et l’Iran en 2025 a fait voler en éclats des hypothèses bien ancrées, précipitant les relations entre les États-Unis et l’Iran en territoire inconnu. Ce conflit, qui a marqué une escalade dramatique des tensions vieilles de plusieurs décennies, a laissé le Moyen-Orient chancelant et au bord d’une instabilité plus généralisée. Alors que la poussière retombe, les États-Unis se trouvent à un tournant décisif dans leur approche de l’Iran, qui pourrait redéfinir la région pour les décennies à venir.

Quatre scénarios plausibles se profilent, chacun ayant des implications profondes pour la sécurité mondiale, la stabilité régionale et la politique étrangère américaine.

Une escalade sans fin

Le premier scénario est celui d’une escalade réciproque sans fin : un cycle instable de frappes, de sabotages et de sanctions qui caractérise depuis longtemps les relations entre les États-Unis et l’Iran et qui a atteint un nouveau sommet lors de la récente guerre. Dans cette hypothèse, l’Iran reconstruit ses capacités nucléaires et militaires, refusant de suspendre ses activités d’enrichissement mais s’abstenant de se doter de l’arme nucléaire. Washington et Jérusalem, jugeant cela intolérable, réagissent par de nouvelles sanctions, des opérations secrètes, voire même une nouvelle frappe majeure.

Cette approche permet aux dirigeants des trois capitales d’éviter tout compromis et de faire preuve de fermeté. Elle est toutefois semée d’embûches. Des erreurs de calcul, déjà manifestes lors du récent conflit, pourraient déclencher une guerre régionale à grande échelle, impliquant des acteurs depuis le Liban jusqu’au golfe Persique. L’escalade offre l’illusion du contrôle tout en flirtant avec le désastre.

Un accord si quelqu’un cède

Une autre possibilité serait de reprendre des négociations sérieuses, mais cela nécessiterait qu’une des parties fasse des concessions sur la question centrale : l’enrichissement de l’uranium.

Dans le cadre de l’accord nucléaire de 2015, l’Iran était autorisé à mener un programme d’enrichissement symbolique soumis à des contraintes strictes et au régime d’inspections le plus intrusif jamais mis en place dans un État non doté d’armes nucléaires. L’accord a été validé à plusieurs reprises par l’AIEA et les services de renseignement américains.

Au début de cette année, l’envoyé de Trump, Steve Witkoff, semblait ouvert à un cadre similaire. Mais sous la pression d’Israël – et sous l’impulsion de Trump, qui voulait surpasser Obama – l’administration est revenue à l’exigence maximaliste d’un enrichissement nul, une ligne rouge que l’Iran a refusé d’accepter tout au long des deux décennies de bras de fer nucléaire.

Malgré tout, la diplomatie n’était pas totalement morte. Une proposition novatrice était en discussion et prévoyait la création d’un « consortium » régional d’enrichissement comptant l’Iran et les partenaires des États Unis dans le golfe Persique, celui-ci aurait été chargé de gérer et surveiller conjointement l’enrichissement. Une sixième série de négociations avait été programmée, mais l’attaque israélienne contre l’Iran a fait capoter le processus, mettant fin à ce qui, selon les rapports, aurait pu être une avancée décisive.

Toutefois, des obstacles structurels persistent. La politique américaine reste dictée par les faucons pro-israéliens et les idéologues partisans d’un changement de régime qui considèrent la diplomatie comme un dérivatif et non comme une solution. En effet, même si l’Iran suspendait ses activités d’enrichissement, Netanyahou aurait probablement reporté le débat sur les missiles ou les conflits régionaux afin de perpétuer l’hostilité.

Pour les dirigeants actuels d’Israël, les tensions persistantes entre les États-Unis et l’Iran ont servi un objectif stratégique plus large depuis la fin de la Guerre froide : justifier la présence militaire américaine dans la région, garantir le soutien inconditionnel des États-Unis, mettre de côté la question palestinienne et faire avancer un programme de « Grand Israël » fondé sur la conquête de Gaza, de la Cisjordanie et d’autres pays voisins. Dans ce calcul, l’Iran reste le bouc émissaire indispensable.

Cette posture pourrait-elle changer ? Les analystes Ali Vaez et Danny Citrinowicz ont proposé un pacte de non-agression audacieux entre l’Iran et Israël, visant à contrer leurs perceptions mutuelles de la menace. En théorie, Trump, impatient de conclure un « accord historique », pourrait y voir une bonne occasion. Cependant, entre Khamenei, qui se méfie de Washington et considère Israël comme irrémédiablement hostile, et Netanyahou, qui exploite la menace iranienne pour faire avancer ses ambitions politiques et idéologiques, cela reste peu plausible. Risqué ? Certainement. Possible ? Peu probable sans un changement politique radical.

La course iranienne vers le nucléaire

Un troisième scénario voit l’Iran, acculé par une pression incessante, se précipiter vers l’arme nucléaire comme moyen de dissuasion ultime. La tentation est évidente pour un État confronté à des menaces existentielles de la part d’Israël et des États-Unis. Mais les risques sont immenses.

Même si l’Iran réussissait à se doter d’un arsenal nucléaire, il serait confronté à un isolement accru, à une course aux armements régionale potentielle et à une guerre larvée permanente.

L’expérience de la Russie est une mise en garde : les armes nucléaires ne l’ont pas protégée des tensions économiques ni des conflits internes. Pour l’Iran, une bombe ne résoudrait pas ses difficultés économiques, ne lèverait pas les sanctions et ne dissuaderait pas le sabotage. Si la tentation de franchir le seuil nucléaire peut croître, cela reste une décision risquée et probablement contre-productive.

Patience stratégique et pivot vers l’Est

Le quatrième scénario est celui de la patience stratégique. L’Iran maintient le statu quo, s’engageant dans une diplomatie tactique sans espérer de percées. Il reconstruit ses systèmes de missiles et de défense aérienne, renforce ses liens militaires et économiques avec la Chine et la Russie, et renonce complètement à tout espoir de rapprochement avec les États-Unis et l’Europe. Cette option traduit le calcul à long terme du guide suprême Khamenei : survivre, consolider et attendre que l’équilibre mondial des pouvoirs change, à mesure que les États-Unis détournent inévitablement leur attention vers d’autres régions.

À la différence du premier scénario et de sa volatilité, il s’agit ici d’une stratégie d’endurance. L’Iran évite les mesures radicales et préfère jouer sur le long terme : il essuie les sanctions, absorbe les frappes et mise sur le temps et la persévérance pour survivre à la pression américaine. Cette option est de plus en plus attrayante, d’autant que la technologie militaire chinoise a fait preuve de capacités impressionnantes lors de la récente guerre entre le Pakistan et l’Inde. Pour Téhéran, qui a désespérément besoin de technologies de défense plus avancées, l’émergence de Pékin en tant que fournisseur fiable de systèmes de pointe rend le pivot vers l’Est encore plus tentant.

Cette stratégie n’est toutefois pas sans coûts. Elle renforce l’isolement de l’Iran par rapport aux marchés américains et européens et risque d’entraîner une dépendance excessive vis-à-vis de la Chine et de la Russie. Elle reste néanmoins conforme à l’éthique postrévolutionnaire de défiance et d’autonomie de la République islamique, permettant à l’Iran de survivre, de se consolider et de parier qu’un monde multipolaire finira par affaiblir l’emprise américaine sur le Moyen-Orient.

La vraie question

La question à laquelle doivent répondre les décideurs politiques américains et européens est simple : quel choix réel est-il proposé à l’Iran ? Si la stratégie reste celle d’un changement de régime déguisé en « pression maximale », alors il faut être honnête quant aux conséquences. La République islamique ne disparaîtra pas en un souffle sous le poids des sanctions ou des frappes aériennes. Pas plus qu’elle ne s’effondrera pour laisser place à une démocratie de type occidental.

Le résultat le plus plausible est bien plus sombre : instabilité, éclatement et spectre de la guerre civile dans un pays de 90 millions d’habitants au cœur du Moyen-Orient. Un Iran déchiré ne resterait pas circonscrit à ses frontières. Il enverrait des ondes de choc qui traverseraient le golfe Persique, l’Irak, l’Asie centrale et le Caucase, déstabilisant une région déjà instable et créant des crises bien pires que le programme nucléaire lui-même.

C’est pourquoi le défi aujourd’hui ne consiste pas simplement à mettre un terme aux progrès nucléaires de l’Iran. Il s’agit de déterminer à quoi Washington et Jérusalem se préparent réellement, et s’ils sont prêts à en assumer les conséquences.

*

Sina Toossi est chercheur non résident au Center for International Politics. Auparavant, il était analyste de recherche principal au National Iranian American Council et chercheur spécialisé à la Woodrow Wilson School of Public and International Affairs de l’université de Princeton.

Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.

Source : Responsible Statecraft, Sina Toossi, 21-08-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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