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7.juillet.20257.7.2025 // Les Crises

L’économie de la dette dévore tout le monde vivant

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Pour les personnes qui n’ont pas accès à la propriété, le principe « Achetez maintenant, payez plus tard » est devenu un moyen de financer leurs dépenses de base, avec des revenus futurs qui peuvent ne jamais se concrétiser. Pendant ce temps, l’administration Trump s’emploie à protéger les prêteurs.

Source : Jacobin, Casey Wetherbee
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Les consommateurs américains contractent de plus en plus de prêts auprès d’entreprises proposant des solutions « Achetez maintenant, payez plus tard » telles que Klarna pour assister à des concerts, commander des plats à emporter et faire leurs courses, et ils sont de plus en plus nombreux à ne pas rembourser ces prêts dans les délais. (Gabby Jones / Bloomberg via Getty Images)

Le mois dernier, Billboard a rapporté qu’environ 60 % des participants au festival de musique Coachella avaient financé leurs billets grâce à un plan de paiement « Achetez maintenant, payez plus tard » (Buy Now, Pay Later). Ces programmes fonctionnent comme des prêts à court terme, permettant aux consommateurs de payer leurs achats en plusieurs versements, souvent à un taux d’intérêt faible ou nul. Si ce chiffre est préoccupant, il n’est pas pour autant alarmant : en théorie, le BNPL offre un accès flexible au crédit à court terme et, tant que chaque versement est effectué à temps, aucun coût supplémentaire n’est engagé.

Mais cette mise en garde s’avère plus qu’hypothétique, car de plus en plus de consommateurs américains ne remboursent pas leurs prêts. Dans son rapport sur les résultats du premier trimestre, Klarna, l’un des plus grands fournisseurs de BNPL, a annoncé une perte nette de 99 millions de dollars, soit une augmentation de plus de 100 % par rapport à l’année précédente. Klarna a également enregistré une augmentation de 17 % des pertes sur créances clients par rapport à l’année précédente, ce qui signifie qu’elle a tiré davantage de revenus des frais de retard que l’année dernière, tant en valeur absolue qu’en pourcentage du total des prêts. Une grande partie de cette croissance est due à l’expansion agressive du secteur du BNPL aux États-Unis, illustrée par le partenariat conclu en mars entre Klarna et DoorDash et l’annonce, il y a quelques jours, d’un partenariat entre Costco et Affirm pour les achats supérieurs à 500 dollars.

En d’autres termes, les consommateurs américains contractent de plus en plus de prêts pour assister à des concerts, commander des plats à emporter et acheter des produits alimentaires, et ils sont de plus en plus nombreux à ne pas rembourser ces prêts à temps. Les données d’enquête montrent que les consommateurs de la génération Z et de la génération Y sont plus enclins à utiliser les programmes BNPL pour financer leurs frais de voyage, en particulier ceux liés à des événements en direct. Au sein de ces groupes démographiques, selon un rapport de la Réserve fédérale datant de décembre 2024, les personnes ayant des cotes de crédit et des indicateurs de bien-être financier global plus faibles sont plus susceptibles d’utiliser les programmes BNPL. Si les personnes disposant d’une situation financière solide peuvent trouver que le BNPL leur offre un moyen pratique d’étaler leurs paiements pour un achat important, tel que des billets d’avion, l’incursion de ce secteur dans les dépenses quotidiennes est préoccupante.

Dans un pays comme les États-Unis, où le risque d’être accablé par des dettes médicales excessives est omniprésent, les dangers d’un nouveau produit de crédit ne doivent pas être sous-estimés.

Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi ces entreprises doivent être davantage réglementées, et non moins : leur modèle économique repose sur le fait que les gens s’endettent, manquent des paiements, puis paient des frais de retard ou des intérêts sur leurs prêts au fournisseur BNPL. En embellissant leurs services avec des mots à la mode et des interfaces utilisateur élégantes, et en exploitant les lacunes réglementaires qui les exemptent des obligations d’information standard, ces entreprises exploitent la peur de passer à côté de quelque chose (FOMO : Fear of missing out ) des gens, les persuadant d’acheter des billets pour Coachella avec de l’argent qu’ils n’ont pas réellement. En fait, l’étude de la Réserve fédérale de 2024 fait référence à des recherches antérieures montrant que les gens dépensent plus lorsque le BNPL est proposé à la caisse, ce qui explique précisément pourquoi les vendeurs s’associent à des entreprises de BNPL. C’est un exemple clair de la manière dont ces entreprises exploitent les biais cognitifs pour tirer profit des dettes des consommateurs.

Les sociétés BNPL ne sont pas les seules à adopter ce modèle commercial. L’ensemble du secteur du crédit a réalisé des bénéfices records ces dernières années en augmentant les taux d’intérêt et les pénalités pour les consommateurs. Il y a quelques années, une start-up appelée Yendo a dévoilé une nouvelle carte de crédit garantie par les titres de propriété des voitures, ciblant les clients à risque qui ne peuvent obtenir de prêts conventionnels. La croissance rapide de sa base d’utilisateurs est le reflet sombre de la précarité financière et de la cupidité des entreprises.

Les tendances inquiétantes liées aux programmes BNPL ne sont qu’un petit symptôme d’un mal économique plus général, exacerbé par l’extrême instabilité des premiers mois du second mandat de Donald Trump. La Banque fédérale de réserve de New York a indiqué que la dette totale des ménages avait augmenté au premier trimestre 2025 pour atteindre 18 200 milliards de dollars, tandis que les taux de défaillance globaux avaient également augmenté, 4,3 % des dettes en cours se trouvant à un stade ou à un autre de défaut de paiement. Une part considérable de ce phénomène est due à la réintégration des prêts étudiants dans les rapports de solvabilité, dans un contexte de répression générale à l’encontre des détenteurs de dettes étudiantes, ce qui aggrave sans aucun doute le poids de la dette sur les familles américaines. Bien sûr, la politique tarifaire de Trump s’accompagne d’une promesse de charge financière qui pèse de manière disproportionnée sur les millions d’Américains qui vivent au jour le jour, et la menace d’une récession plane.

L’administration Trump a clairement montré où allait sa loyauté : aider les ultra-riches à s’enrichir encore plus au détriment de la classe ouvrière.

Dans un pays comme les États-Unis, où le risque d’être accablé à tout moment par des dettes médicales excessives est omniprésent, les dangers d’un nouveau produit de crédit, même s’il est présenté comme flexible et sans intérêt, ne doivent pas être sous-estimés. Comme les prêts BNPL ne sont pas signalés aux agences de crédit, il est difficile de quantifier l’ampleur réelle de cette « dette fantôme ». D’une part, cette opacité signifie que les paiements BNPL manqués n’auront pas d’incidence immédiate sur la cote de crédit d’un consommateur ; d’autre part, elle rend difficile l’établissement d’un tableau complet de la santé financière globale des ménages. Récemment, en réponse au risque accru lié à la prolifération des programmes BNPL, le gouvernement britannique a annoncé de nouvelles réglementations visant à contrôler ce qu’il a qualifié de « far west des emprunts non réglementés » du BNPL. Ces règles fixent des normes pour protéger les consommateurs contre les pièges de l’endettement, alignant le BNPL sur les autres produits de crédit.

Les États-Unis ont toutefois adopté une approche diamétralement opposée. Plutôt que de renforcer la surveillance, le gouvernement fédéral a systématiquement affaibli le Bureau de protection financière des consommateurs (CFPB), laissant les consommateurs américains plus vulnérables aux pratiques prédatrices des entreprises. Il y a un an, le CFPB a publié une règle interprétative qui traite les prêts BNPL comme des dettes de carte de crédit, les soumettant ainsi à la réglementation Z de la loi Truth in Lending Act. L’administration Trump a toutefois repris une stratégie bien rodée consistant à refuser d’appliquer les directives réglementaires existantes, déclarant qu’elle allait déprioriser leur application et qu’elle avait l’intention de les abroger complètement. Le message adressé au secteur des technologies financières est sans équivoque : le gouvernement est de son côté, et non de celui des consommateurs américains.

L’administration Trump a clairement montré où vont ses loyautés : aider les ultra-riches à s’enrichir encore plus au détriment de la classe ouvrière. L’expansion de la dette BNPL n’est qu’une nouvelle étape dans la quête capitaliste visant à marchandiser autant que possible la condition humaine, les entreprises prédatrices continuant à repousser les limites sous un gouvernement qui n’est pas disposé à freiner leurs pratiques contraires à l’éthique. Il n’est pas normal de s’endetter pour commander une pizza ou assister à un concert, mais ces entreprises cherchent précisément à normaliser cette pratique. Le fait que tant de personnes mordent à l’hameçon, en particulier les jeunes générations, témoigne de l’anxiété économique et du désespoir généralisés qui caractérisent notre économie en crise.

*

Casey Wetherbee est écrivain indépendant, il vit à Buenos Aires, en Argentine. Il publie ses essais de fond sur son blog Substack, Meanderings. [mot qui veut dire Méandres, NdT]

Source : Jacobin, Casey Wetherbee, 31-05-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

Pierrot // 08.07.2025 à 12h07

Une meilleure éducation serait certainement utile pour échapper à une forme d’escroquerie qui, dans ce monde capitaliste, n’apparaît pas clairement comme illégale. Mais dans ce monde-là, l’accès à l’éducation a également un prix.
Les raisons pour lesquelles des gens qui n’ont pas d’argent en dépensent n’est pas la question, puisque ceux-là appartiennent majoritairement à des catégories socio-économiques dans lesquelles on dépense principalement pour permettre à sa famille et à soi-même de vivre. Pour eux, l’emprunt est généralement le seul recours pour parvenir se loger, payer les charges et les taxes, manger, se soigner et soutenir un niveau de vie minimum nécessaire à l’exercice d’une activité rémunératrice.
Il faudrait donc plutôt s’interroger sur les raisons de ce surendettement. Or, si l’on peut imaginer que ceux qui n’ont d’autre alternative que de vivre au jour le jour dans l’espoir d’un avenir meilleur seraient susceptibles de l’accepter en connaissance de cause, ce dont on parle ici est l’exploitation de biais cognitifs, ce qui me semble suffire à caractériser une tromperie. Qu’importe que cette forme d’escroquerie soit répandue et légalisée, ce n’est pas chez qui en sont les victimes qu’il faut chercher l’origine de la création d’une dette dont le consentement leur a été arraché ; d’autant moins quand leur solvabilité est censée avoir été vérifiée par ceux qui fournissent ces prêts.
Le problème de fond me semble donc plutôt résider dans la légalité ou l’impunité de ces pratiques commerciales trompeuses, et dans l’idéologie politique qui les autorise.

4 réactions et commentaires

  • Laurent // 07.07.2025 à 14h08

    La question à se poser est pourquoi des personnes dépensent de l’argent qu’ils n’ont pas et n’auront pas dans un futur proche. L’article parle d’exploitation de biais cognitifs, mais c’est ce que fait toute forme de publicité depuis toujours.
    Le problème de fond ne serait-il pas plutôt lié à l’éducation qu’à la réglementation.

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    • Tartampion-Duchmol // 08.07.2025 à 12h07

      « plutôt lié à l’éducation qu’à la réglementation » –> l’éducation, c’est ce que l’on reçoit individuellement, la réglementation, c’est ce que l’on subit collectivement. Je constate que vous mettez les explications au niveau de l’individu, comme bcp d’autres le font aussi, en particulier la droite, l’extrême-droite et les néolibéraux, et donc que la dimension collective, ou globale des phénomènes vous échappe, alors qu’elle est considérée comme fondamentale par la gauche.

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    • Pierrot // 08.07.2025 à 12h07

      Une meilleure éducation serait certainement utile pour échapper à une forme d’escroquerie qui, dans ce monde capitaliste, n’apparaît pas clairement comme illégale. Mais dans ce monde-là, l’accès à l’éducation a également un prix.
      Les raisons pour lesquelles des gens qui n’ont pas d’argent en dépensent n’est pas la question, puisque ceux-là appartiennent majoritairement à des catégories socio-économiques dans lesquelles on dépense principalement pour permettre à sa famille et à soi-même de vivre. Pour eux, l’emprunt est généralement le seul recours pour parvenir se loger, payer les charges et les taxes, manger, se soigner et soutenir un niveau de vie minimum nécessaire à l’exercice d’une activité rémunératrice.
      Il faudrait donc plutôt s’interroger sur les raisons de ce surendettement. Or, si l’on peut imaginer que ceux qui n’ont d’autre alternative que de vivre au jour le jour dans l’espoir d’un avenir meilleur seraient susceptibles de l’accepter en connaissance de cause, ce dont on parle ici est l’exploitation de biais cognitifs, ce qui me semble suffire à caractériser une tromperie. Qu’importe que cette forme d’escroquerie soit répandue et légalisée, ce n’est pas chez qui en sont les victimes qu’il faut chercher l’origine de la création d’une dette dont le consentement leur a été arraché ; d’autant moins quand leur solvabilité est censée avoir été vérifiée par ceux qui fournissent ces prêts.
      Le problème de fond me semble donc plutôt résider dans la légalité ou l’impunité de ces pratiques commerciales trompeuses, et dans l’idéologie politique qui les autorise.

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  • Savonarole // 08.07.2025 à 10h03

    Le mot « consequences » éxiste en Anglais , mais j’ai comme l’impression que plus beaucoup ne savent encore ce qu’il signifie.

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