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18.septembre.202518.9.2025 // Les Crises

La guerre sans issue de la France contre la criminalité

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La criminalité en France est en baisse depuis des décennies, en particulier chez les mineurs. Mais un vent de panique morale autour de la jeunesse délinquante alimente une législation visant à emprisonner davantage de jeunes contrevenants.

Source : Jacobin, Harrison Stetler
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, a annoncé la construction d’établissements pénitentiaires de haute sécurité en Guyane. (Ronan Lietar / AFP via Getty Images)

Depuis qu’Emmanuel Macron a convoqué des élections anticipées à l’Assemblée nationale l’été dernier, on ne cesse de déplorer la paralysie de la vie politique française. Pourtant, il existe des exceptions éloquentes à ce prétendu immobilisme, notamment en ce qui concerne la répression de la criminalité.

Parmi les rares réformes qui ont été adoptées par le parlement au cours de l’année écoulée figurent deux lois destinées à renforcer les pouvoirs de l’État pour lutter contre le trafic de drogue et faire face à la « délinquance » juvénile. Globalement, ces lois marquent un durcissement significatif du code pénal, facilitant par exemple le déni d’un procès devant jury pour certains délinquants condamnés pour des infractions liées à la drogue et renforçant la responsabilité des parents pour les comportements délictueux de leurs enfants.

Le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, veut aller encore plus loin. Juste après les victoires législatives de ce printemps, il a annoncé fin juillet une nouvelle initiative pour l’automne, laquelle vise à supprimer la possibilité d’un sursis en cas de récidive et à relancer les peines d’emprisonnement automatiques. En appelant à une nouvelle catégorie de peines courtes, inférieures à un mois, Darmanin a plaidé pour « envoyer un peu plus de gens en prison pour des périodes plus courtes ». La logique sous-jacente, semble-t-il, étant que plus de punition équivaut à plus de sécurité.

Pour ses partisans, la campagne de lutte contre la criminalité vise à répondre aux profondes inquiétudes de la population française. Dans un sondage IPSOS publié en juin, plus de 40 % des personnes interrogées ont cité « la criminalité et la violence » comme leur principale préoccupation. Grâce au flot de faits divers macabres qui occupent régulièrement l’actualité, qu’il s’agisse d’agressions à l’arme blanche entre bandes rivales de lycéens ou de la violence liée au trafic de drogue dans certaines villes, dont Marseille, le Français moyen pourrait bien penser que son pays est sur le point de sombrer dans la criminalité.

Les faits racontent une histoire bien moins spectaculaire. La France se situe bien en deçà des sommets de criminalité atteints au début des années 2000, même si le trafic de drogue touche de plus en plus de territoires autres que les centres urbains traditionnels. Après une hausse des crimes violents entre 2020 et 2022 – une tendance observée dans de nombreux pays – l’augmentation s’est depuis ralentie et pourrait bien reprendre sa trajectoire descendante d’avant COVID. Même si le nombre de meurtres a augmenté, le nombre total d’infractions commises par des mineurs a diminué de 25 % depuis le milieu des années 2010.

La sécurité fait également figure d’exception dans la mesure où elle dispose de porte-parole influents au sein du gouvernement et de la classe politique. Au cours de l’année écoulée, ses principaux mégaphones ont été Darmanin et le ministre de l’intérieur ultraconservateur Bruno Retailleau, qui est entré au gouvernement à l’automne dernier et a survécu à l’éviction de l’éphémère premier ministre Michel Barnier lors d’un vote de défiance en décembre.

Retailleau, chouchou des syndicats de police français, a indéniablement le don de faire la une des journaux. Il a par exemple donné l’ordre d’une opération éclair les 18 et 19 juin, déployant quatre mille policiers et gendarmes supplémentaires pour une opération de ratissage des sans-papiers sur le réseau ferroviaire français, qui a conduit à l’arrestation de quelque 691 étrangers. « Ne venez pas en France. Nous n’accepterons rien, c’est la tolérance zéro », s’est vanté le ministre face aux journalistes devant la gare du Nord à Paris.

Pour ne pas être en reste, Darmanin a profité de l’adoption de la loi de 2025 sur le trafic de drogue pour annoncer en mai dernier, la construction d’installations pénitentiaires de haute sécurité en Guyane française. L’objectif apparent en étant d’incarcérer loin de la métropole les grands criminels de la drogue et du terrorisme. Les critiques ont dénoncé cette initiative comme une renaissance de l’ancien réseau français de colonies pénitentiaires.

Et pour les encourager tous les deux, on peut compter sur Marine Le Pen et son parti d’extrême droite, le Rassemblement national. C’est précisément cette frange de l’électorat que la législation pénale de cette année vise à amadouer. Alors que tous les regards se tournent vers les négociations budgétaires tendues de cet automne, le soutien tacite de l’extrême droite pourrait s’avérer essentiel à la survie d’un gouvernement rassemblant conservateurs et macronistes. En minorité à l’Assemblée nationale, cette coalition au pouvoir pourrait à nouveau compter sur Le Pen pour contribuer à faire adopter une législation répressive. Alors que son parti est en tête dans la plupart des sondages, des personnalités comme Retailleau et Darmanin tentent désespérément de s’imposer comme des alternatives de droite.

Un « combat de longue haleine »

En avril dernier, les prisons françaises ont été la cible de ce qui semble avoir été une série d’attaques coordonnées. Des assaillants armés de fusils d’assaut ont tiré sur des établissements pénitentiaires et ont incendié des véhicules sur les parkings des centres de détention, ce qui a conduit à des dizaines d’arrestations. Au moment où le parlement adoptait une importante loi sur le trafic de drogue, on ne pouvait imaginer meilleur casus belli pour des politiciens dénonçant une anarchie généralisée. Dès le mois de novembre, Retailleau s’était plaint de ce qu’il appelait la « mexicanisation » de la France, exhortant l’État et la société à se préparer à un « long combat ».

Ce « long combat » dure depuis un certain temps déjà. La France s’est depuis longtemps enfermée dans une guerre contre la criminalité à la Richard Nixon, qui ne donne que peu de résultats, si ce n’est celui de se perpétuer. Avec les années, on pourrait en perdre le compte au milieu du flot constant de « réformes » qui ont apporté des directives de plus en plus sévères en matière de sentences, de création de tribunaux et de procédures judiciaires « spécialisés », de techniques de surveillance sans contrainte et de protocoles policiers de plus en plus musclés.

« On assiste aujourd’hui à un phénomène d’accélération, mais la France est sous l’emprise d’une démagogie répressive depuis au moins trente ans », a déclaré Laurent Bonelli, politologue spécialisé dans les questions de sécurité et de maintien de l’ordre, à Jacobin. « Ces réformes et le discours qu’elles véhiculent sont complètement déconnectés de la réalité sociale. »

On ne peut pas dire que la France soit un pays où le laxisme est la norme, comme beaucoup à droite aiment à le prétendre. En juillet, la population carcérale du pays s’élevait à un peu moins de 85 000 personnes – un nouveau record et une augmentation de près de 4 000 personnes depuis janvier. En 2024, selon Prison Insider, la population incarcérée était d’un peu plus de 58 000 en Allemagne, un pays dont la population totale est supérieure d’environ 16 millions d’habitants à celle de la France. Globalement, le taux d’occupation des prisons françaises atteint près de 136 %, selon le ministère de la Justice, un niveau qui atteint 167 % dans les centres de détention provisoire pour les personnes en attente de jugement, et plus de 200 % dans au moins vingt-neuf établissements..

Les réformes adoptées ce printemps doublent les peines d’emprisonnement les plus lourdes. La loi visant à « sauver la France du piège du narcotrafic », selon son nom officiel, a été la plus consensuelle des deux et a été adoptée par le Parlement en avril. Dans une Assemblée nationale divisée entre onze groupes officiels, elle a obtenu une super majorité écrasante de 396 voix grâce au soutien de forces allant du Rassemblement national au Parti socialiste de centre-gauche.

Visiblement inspirée de la législation anti-mafia italienne, cette loi vise à renforcer l’action de l’État dans sa lutte contre le trafic de stupéfiants. Elle a pour objectif de faciliter l’accès des enquêteurs aux communications cryptées via les applications de messagerie instantanées. Au sein même des prétoires, la loi autorise les procureurs à dissimuler à la défense certains éléments du dossier, tels que les témoignages de sources et d’informateurs ou les rapports des services de renseignement. En créant un nouveau parquet dédié à la criminalité organisée, la loi étendra également le recours à des tribunaux spéciaux pour les auteurs d’infractions graves liées au trafic de stupéfiants, s’inspirant du modèle français des procès spécialisés pour terrorisme, sans jury, dirigés par des magistrats professionnels. Les détenus jugés les plus dangereux pourront être isolés dans des quartiers pénitentiaires spécialisés, ce qui limitera leurs communications avec le monde extérieur.

L’autre réforme intensifie la lutte contre la criminalité des mineurs. La loi visant à « renforcer l’autorité de la justice sur les mineurs délinquants et leurs parents » a été adoptée en mai. Mais on la connaît surtout en tant que « loi Attal » – du nom de l’ancien premier ministre Gabriel Attal, qui, comme Retailleau et Darmanin, prétend à un leadership au sein du camp allant d’un camp qui irait du centre à la droite.

La réforme d’Attal est une réponse tardive à la vague d’émeutes qui a submergé la France fin juin et début juillet 2023 à la suite de l’assassinat par la police de Nahel Merzouk, 17 ans, dans la banlieue parisienne de Nanterre. Une obsession pour Attal depuis son bref passage en tant que premier ministre au début de l’année 2024, il avait à l’époque présenté sa réforme comme faisant partie d’un « choc d’autorité » dont la jeunesse française avait besoin : « Tu casses, tu répares. Tu salis, tu nettoies. Tu défies l’autorité, on t’apprend à la respecter. »

Ses détracteurs dénoncent cependant un grand bond en arrière qui porte atteinte à certains des principes fondamentaux de la justice pénale à l’égard des prévenus mineurs. Telle qu’elle a été adoptée par le Parlement, la loi Attal visait à atténuer l’importance de l’âge comme circonstance atténuante pour les mineurs récidivistes « plus âgés », de seize ans et plus. Elle visait également à systématiser le recours aux « comparutions immédiates », une forme de justice expéditive qui est l’une des principales causes de l’augmentation de la population carcérale en France.

Pas même du temps de Vichy

Restés dans l’ignorance tout au long du processus d’adoption du projet de loi Attal et de la loi sur le trafic de drogue, les professionnels du droit et la société civile ont vivement condamné cette initiative législative.

« Une part de plus en plus importante des personnes soupçonnées d’une infraction pénale est jugée dans le cadre de procédures d’exception destinées à limiter les droits des prévenus, explique à Jacobin Raphaël Kempf, éminent avocat spécialisé dans la défense pénale. L’accumulation de ces lois a pour effet direct d’accélérer la surpopulation des prisons françaises. »

En juin, ces critiques ont bénéficié d’un léger sursis de la part du Conseil constitutionnel français, l’organe de contrôle qui vérifie la constitutionnalité des nouvelles lois. Six articles de la loi Attal, dont l’extension des « comparutions immédiates », ont été totalement ou partiellement rejetés par le Conseil le 19 juin. Quelques jours plus tôt, il avait également rejeté six des douze articles de la loi sur le trafic de stupéfiants. Comme l’a souligné Kempf dans une récente tribune publiée par Le Monde, même le régime de Vichy, préparant une réforme du code pénal en 1942, n’avait pas autorisé le jugement des mineurs dans le cadre de ce qui était le précurseur des comparutions « immédiates » d’aujourd’hui.

Mais ce qui ne passe pas par la loi peut cependant souvent servir de modèle pour l’avenir. Les contrôles du Conseil constitutionnel laissent une marge de manœuvre pour que les points censurés soient retravaillés dans une législation ultérieure. Par exemple, la proposition initiale d’Attal concernant les peines de prison très courtes pour les mineurs a refait surface dans le projet de réforme de la justice pénale qui sera présentée par Darmanin à l’automne.

On peut dire sans risque de se tromper que la spirale sécuritaire française n’est pas près de s’arrêter. Une cascade d’incitations pousse les législateurs à se surpasser mutuellement, que ce soit par la théâtralisation verbale ou par des attaques concrètes contre les normes juridiques. L’opinion publique, elle aussi, a la mémoire courte. De moins en moins de voix sont capables de défendre une autre approche, et encore moins de faire entendre leur voix dans le chœur des chantres de la répression.

*

Harrison Stetler est journaliste indépendant et enseignant, il vit à Paris.

Source : Jacobin, Harrison Stetler, 19-08-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

reuche // 18.09.2025 à 08h32

comment arrêter la criminalité en france quand les criminel sont au commandes?????
tu peut pas…

3 réactions et commentaires

  • reuche // 18.09.2025 à 08h32

    comment arrêter la criminalité en france quand les criminel sont au commandes?????
    tu peut pas…

  • Jean // 18.09.2025 à 09h20

    Les politiciens font mine d’ignorer qu’il ne peut y avoir de lutte efficace contre le trafic de drogue sans avoir au préalable éradiqué la corruption. Aussi la guerre contre la drogue se matérialise par des tests de dépistages de cannabis dans les quartiers populaires plutôt que de détecter la prise de cocaïne dans les quartiers bourgeois. Car en réalité il s’agit moins de faire la guerre aux dealers que de trouver un prétexte pour « encadrer » les pauvres.
    Je peux affirmer avec une certitude absolue que celui qui peut dire : « La criminalité en France est en baisse depuis des décennies, en particulier chez les mineurs » ne vit pas dans un quartier populaire dans notre pays. L’insécurité, dans le monde réel, augmente en même temps que la misère alors que l’on peut toujours minimiser, statistiquement, l’ampleur de ces deux phénomènes. On évite pas le mur en fermant les yeux et la paupérisation du plus grand nombre ainsi que le sentiment croissant d’être victime d’une injustice, voire d’une escroquerie, ne sont pas les garants d’une paix sociale à venir. Mais la sécurité peut alors servir de prétexte à tous les excès d’un pouvoir illégitime qui aura créé la maladie dont il se propose de devenir le remède.

  • nulnestpropheteensonpays // 18.09.2025 à 10h54

    L’augmentation de la répression sert prioritairement un agenda politique fasciste . Lutter contre la criminalité dans une société néolibérale est impossible , tant par l’exemple qu’elle montre , que par son mode de fonctionnement .Lutter contre la criminalité impliquerait de lutter contre la corruption , interdire les paradis fiscaux .J’en passe et des meilleurs . Et si ils peuvent se le permettre , c’est principalement parce que la société n’a jamais été autant pacifiée .Nous avons quand même un ministre de la justice qui voulait supprimer les peines de prisons pour les délinquants en col blanc , un ancien président et son premier ministre condamnés pour corruption , et qui touchent encore leurs émoluments et privilèges .Ça ,vous ne pouvez pas le faire dans une société ou 30 % de la population vote communiste et est armée .

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