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11.juin.202511.6.2025 // Les Crises

Le rôle clé du Vietnam dans la guerre commerciale de Trump

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Face aux tarifs douaniers américains et à la montée en puissance de la Chine, Hanoï a réagi en jouant prudemment la carte de l’équilibre

Source : Responsible Statecraft, Claire Lwin
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le 2 avril – baptisé « Jour de la libération » – le président Donald Trump a déclaré une urgence nationale en réponse au « déficit commercial important et persistant des États-Unis » et aux pratiques économiques « déloyales » des pays étrangers qui, selon Trump, nuisent au peuple américain en sapant l’industrie et l’emploi aux États-Unis.

En réponse, le président a annoncé des droits de douane minimum de 10 % sur toutes les importations américaines, ainsi que des droits de douane plus élevés, allant de 11 % à 50 %, sur les importations en provenance de près de 60 pays. Ces « droits de douane réciproques », basés sur le calcul du déficit commercial, visaient plus de 180 pays et territoires. Après une semaine de turbulences sur les marchés boursiers et obligataires, Trump a annoncé une pause de 90 jours sur les droits de douane réciproques supérieurs à 10 % pour la plupart des pays, à l’exception de la Chine.

Toutefois, la réalité de l’imposition de droits de douane et de la modification de la dynamique commerciale mondiale est plus complexe. Par exemple, le Vietnam, comme d’autres pays d’Asie du Sud-Est, a longtemps maintenu une position non alignée sur le front géopolitique mondial et navigué dans les eaux troubles de la concurrence entre grandes puissances. Par conséquent, la réponse du Vietnam aux mesures de Trump devrait être considérée comme un reflet des priorités de sa politique étrangère ancrées dans ses intérêts nationaux, y compris le développement économique, et son engagement à l’égard du non-alignement.

Le Vietnam est depuis longtemps une figure centrale dans l’escalade des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine depuis qu’elles ont commencé sérieusement en 2018, lorsque le président Trump a imposé des droits de douane de 10 % sur les importations chinoises. Au cours des années qui ont suivi, le déficit commercial des États-Unis avec le Vietnam a triplé, atteignant 123,5 milliards de dollars en 2024, la dernière année pour laquelle les données sont complètes. L’un des principaux catalyseurs de ce changement est l’approche stratégique de « découplage » adoptée par les entreprises qui ont délocalisé leur production et leur fabrication de la Chine vers d’autres pays, y compris le Vietnam, dans le but de diversifier leurs chaînes d’approvisionnement et d’apaiser les inquiétudes de Washington quant à l’ascension économique de Pékin. Avec la montée des incertitudes géopolitiques, les centres de production alternatifs bon marché, dont le Vietnam est devenu un excellent exemple, sont devenus des substituts attrayants de la Chine.

Le Vietnam est également une porte dérobée pour les exportations chinoises, puisqu’il importe et assemble des produits chinois à faible valeur ajoutée avant de les réexporter vers les États-Unis. Peter Navarro, conseiller principal de Trump pour le commerce et l’industrie, a affirmé dans une interview récente que le Vietnam était coupable de « fraude aux taxes douanières », ce qui signifie que Hanoï permet à la Chine d’expédier ses produits via le Viêt Nam afin de masquer leur origine et d’éviter ainsi les droits de douane américains. Ces raisons, associées à l’important excédent commercial du Viêt Nam, ont conduit l’administration à considérer ce pays comme une menace majeure pour l’économie américaine et le bien-être des travailleurs américains.

Le Vietnam s’est efforcé de répondre aux demandes de l’administration Trump, qui se sont concentrées sur la réduction du déficit commercial, la résolution des problèmes de transbordement et le renforcement des droits de propriété intellectuelle. Le ministère vietnamien des Finances travaille actuellement à l’amélioration du partage des informations douanières avec les États-Unis et à la rédaction d’un accord commercial bilatéral global qui comprend des dispositions sur la fiscalité et les droits de propriété intellectuelle – tout cela en réponse aux préoccupations soulevées par l’administration Trump. En fait, le Vietnam a été le premier et reste le seul pays d’Asie du Sud-Est dont le dirigeant s’est adressé directement à Trump au sujet des droits de douane.

Après avoir reçu un taux de droits de douane énorme de 46 % le « Jour de la Libération », le secrétaire général du Parti communiste vietnamien To Lam a tendu la main à Trump lors d’un appel que le président américain qualifiera plus tard de « très productif ». Le Vietnam a proposé de réduire les droits de douane sur les produits américains à zéro, selon Trump, qui a déclaré que Hanoï abordait également les questions non tarifaires soulevées par les représentants des États-Unis. Les différents ministères vietnamiens sont chargés d’examiner les cadres juridiques existants et de proposer des modifications.

Le Vietnam a également autorisé l’exploitation de Starlink, le service Internet par satellite appartenant à Elon Musk, et a accepté d’accélérer l’approbation d’un projet de centre touristique de Trump d’une valeur de 1,5 milliard de dollars. Plus important encore, le Vietnam a envoyé un haut fonctionnaire, le vice-premier ministre Ho Duc Phoc, aux États-Unis pour des négociations axées sur l’amélioration du déséquilibre commercial et la résolution des problèmes de transbordement, où les marchandises (en particulier les marchandises chinoises) sont expédiées via le Vietnam pour éviter les droits de douane ou d’autres restrictions commerciales imposées à des pays tels que la Chine. Afin d’accroître les exportations américaines vers le Vietnam, Hanoï a conclu un accord en vertu duquel il a accepté d’acheter une flotte d’avions de chasse F-16.

Alors pourquoi le Vietnam cède-t-il et s’efforce-t-il de se conformer aux exigences de l’administration Trump ?

L’un des principaux intérêts du Vietnam est de défendre ses revendications territoriales en mer de Chine méridionale contre les pressions et les agressions chinoises. Ces dernières années, la Chine a harcelé les pêcheurs vietnamiens près des îles Paracels, la dernière fois lors d’un incident d’agression et de saisie en octobre dernier. En maintenant des relations diplomatiques, économiques et militaires étroites avec Washington, le Vietnam se sent mieux protégé contre l’agression chinoise. La frontière est toutefois ténue entre le renforcement de la coopération militaire avec les Américains à des fins de dissuasion et la provocation d’une escalade dans un conflit potentiellement explosif. L’accord sur les chasseurs F-16 pourrait « provoquer des troubles » dans la région, signalant à la Chine une influence militaire américaine accrue dans la région qui pourrait remettre en question le non-alignement de Hanoï.

L’administration Trump devrait comprendre que le Vietnam axe sa politique étrangère et commerciale sur ses propres intérêts nationaux et qu’il s’engagera volontiers avec n’importe quelle puissance étrangère désireuse de l’aider à améliorer son développement économique et à renforcer sa sécurité nationale. Par conséquent, tout en répondant de manière amicale aux exigences commerciales de Trump, le Vietnam continue de cultiver des relations commerciales étroites avec Pékin, dont l’importante base manufacturière, la capacité technologique élevée et le vaste marché en font le partenaire commercial le plus important.

Par exemple, lors de la visite du président chinois Xi Jinping au Vietnam le 14 avril, les deux pays ont signé 45 accords allant du renforcement de la connectivité numérique et des infrastructures à la coopération dans des domaines émergents tels que l’intelligence artificielle et l’énergie verte, afin d’approfondir les liens économiques bilatéraux. Pour sa part, Xi s’est engagé à élargir l’accès du Vietnam au marché chinois.

Les récentes actions du Vietnam concernant la guerre commerciale reflètent en fin de compte ses propres intérêts nationaux. Sa décision de conclure un accord avec les États-Unis pour l’achat d’avions de combat indique que, même s’il cherche à répondre aux exigences commerciales de Trump, il ne le fera que de manière à renforcer ses intérêts économiques et de sécurité nationale, tels que définis par le gouvernement national.

Les États-Unis devraient collaborer avec des pays aux vues similaires pour renforcer les liens bilatéraux et multilatéraux tout en réduisant leur dépendance à l’égard des exportations manufacturières chinoises. Grâce à des partenariats stratégiques, les États-Unis peuvent contribuer à résoudre des problèmes importants tels que le transbordement de marchandises chinoises. Toutefois, en ciblant uniquement le Vietnam sur cette question, les entreprises chinoises risquent de détourner les marchandises vers les pays voisins du Vietnam, tels que le Cambodge, la Thaïlande ou le Myanmar.

Plutôt que de se sentir frustré par les relations commerciales florissantes du Vietnam avec la Chine et de les considérer comme une menace directe pour les intérêts américains dans le cadre de la concurrence entre grandes puissances, Washington devrait saisir l’occasion offerte par le vœu de Hanoï d’ouvrir ses marchés beaucoup plus largement aux exportations américaines. En effet, des discussions récentes ont eu lieu sur la collaboration entre les deux pays dans des domaines tels que l’énergie, la technologie et l’éducation.

En adoptant des politiques fondées sur le pragmatisme et l’intérêt mutuel, les États-Unis peuvent rester un partenaire stratégique du Vietnam tout en répondant à ses préoccupations dans le contexte des changements historiques de la dynamique commerciale mondiale.

*

Claire Lwin est une ancienne stagiaire du Global South au Quincy Institute for Responsible Statecraft. Ses recherches portent sur le commerce international et la politique économique, avec un accent régional sur l’Asie du Sud-Est. Elle est titulaire d’une licence en affaires internationales et d’un master en commerce international de l’université George Washington.

Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.

Source : Responsible Statecraft, Claire Lwin, 13-05-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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2 réactions et commentaires

  • Rob Ducan Spencer // 11.06.2025 à 12h47

    [modéré]
    Le Quincy Institute

    Initial funding for the group, launched in November 2019 included half a million dollars each from George Soros’ Open Society Foundations and Charles Koch’s Koch Foundation. Substantial funding has also come from the Ford Foundation, the Carnegie Corporation of New York, the Rockefeller Brothers Fund, and Schumann Center for Media and Democracy.The institute distinguishes itself from many other think tanks in Washington, D.C. by refusing to accept money from foreign governments.

    Charles Koch..l’un des rois de l’énergie 30 ou 40 milliards de $ de fortune personnelle, son frère autant..Ford.
    Foundation..Rockefeller Brothers Fund..tout ceci pue la démocratie de facade….et toutes les donations sont aussi des exemptions fiscales.

    Cet article sur le Vietnam qui souligne les agressions de la Chine envers tous ses voisins (et le réarmement massif de tous les pays de la région) ignore royalement au-delà de la fabrication chinoise effectuée au Vietnam pour les cochonneries a bon marché que ce pays est maintenant l’un des havres technologiques avec l’Inde pour les firmes américaines qui quittent la Chine, l’Indonésie suit aussi

    Il y a une chose qui reste la même..aucune démocratie, pas d’élections libres ce qui ne semble pas déranger le Quincy Institute…qui braille pour le développement des relations avec le Vietnam.
    [modéré]

  • Antonio // 11.06.2025 à 19h58

    ce passage m’a provoqué un rire (vrai, vocal) devant l´écran: « En maintenant des relations diplomatiques, économiques et militaires étroites avec Washington, le Vietnam se sent mieux protégé contre l’agression chinoise.  »

    dans le chapitre des relations militaires étroites il y a eu les tapis de bombes américains des années 60/70, ce qui n’est pas une agression bien sûr, mais une relation très très etroite.
    Aller sur fr.wikipedia, dans le champ de recherche, taper « Guerre » et s’affiche une liste de choix des termes les plus fréquents, dans l’ordre: Guerre du Viêt Nam, Guerre de Cent Ans, Guerre d’Algérie, Guerre de Gaza depuis 2023, Guerre d’Irak, etc. Copie d’écran: https://i.imgur.com/Jfecx4e.jpeg

    « L’administration Trump devrait comprendre que le Vietnam axe sa politique étrangère et commerciale sur ses propres intérêts nationaux »
    les américains se sont peut-être habitués à la France et à l’Allemagne, qui bradent leur politique commerciale (Alstom, Nordstream, etc)

    > tout en répondant de manière amicale aux exigences commerciales de Trump, le Vietnam continue de cultiver des relations commerciales étroites avec Pékin

    les chinois ne sont pas de vietnamiens, mais ils restent des asiatiques, au contraire des européens aux yeux ronds et grand nez. Et puis sur la carte, la Chine c’est le gros voisin juste là, et ils partagent une cuisine similaire.
    Les tribulations de Trump au Vietnam c’est un peu comme les tribulations de Blinken au Kazakhstan.

    Sinon les Etats-Unis c’est aussi des gens qui volent les réserves en $ de pays souverains.

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