Après les attentats de New York et Washington, les États-Unis ont mis en place un cadre juridique permettant un conflit permanent, dont tous les présidents depuis ont systématiquement abusé.
Source : Responsible Statecraft, Elizabeth Beavers
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
L’armée américaine a récemment lancé une attaque manifestement illégale contre un petit bateau civil vénézuélien, que le président Trump présente comme un coup de maître contre des « narcoterroristes. » Le vice-président JD Vance a répondu aux accusations selon lesquelles cette attaque constituait un crime de guerre en déclarant : « Je me fiche de savoir comment vous appelez ça », insistant sur le fait qu’il s’agissait de « la meilleure et la plus noble utilisation de l’armée. »
Ce n’est que le dernier développement inquiétant en date de la tentative de l’administration Trump de réutiliser les mécanismes de la « guerre contre le terrorisme » pour utiliser l’armée contre les cartels et accélérer sa campagne de déportation massive tant vantée, qu’il juge nécessaire en raison d’une « invasion » à la frontière.
Malheureusement, ce sont plus de deux décennies de lois et de normes bipartites largement acceptées qui ont jeté les bases de cette situation.
Après le 11 Septembre, l’administration Bush a créé la liste des terroristes mondiaux spécifiquement désignés, et le Congrès a élargi la liste préexistante des organisations terroristes étrangères. Ces listes permettent à l’exécutif, à sa seule discrétion, d’ajouter et de retirer des individus et des groupes de la liste permanente des « terroristes », un terme défini de manière très large.
L’administration Trump a fait usage de ce pouvoir pour désigner officiellement les cartels transnationaux comme « terroristes », en partie en raison de leur rôle dans le flux de personnes et de drogues à travers la frontière sud vers les États-Unis. Elle a utilisé cette désignation pour justifier toute une série de mesures, notamment le déploiement de troupes à Los Angeles et l’expulsion d’immigrants vers une prison salvadorienne brutale sans procédure régulière.
Une autre invention juridique post-11 Septembre ayant ouvert la voie à l’action actuelle de l’administration Trump a été la révision de la loi sur l’immigration dans le cadre du USA Patriot Act, qui a permis l’expulsion non seulement des personnes impliquées dans des actes terroristes violents, mais aussi de celles vaguement associées à des « groupes terroristes » désignés, même si ces associations étaient pacifiques et respectueuses de la loi ou involontaires et résultaient de contraintes. Parmi les personnes qui ont déjà été exclues des États-Unis en vertu de ces dispositions figurent des interprètes irakiens travaillant pour les troupes américaines, des victimes du travail forcé par des groupes armés violents au Salvador, et même Nelson Mandela. Ces dispositions signifient que non seulement les membres présumés des cartels, mais aussi les victimes des cartels peuvent se voir refuser l’entrée aux États-Unis ou être expulsés s’ils s’y trouvent déjà.
Ces mêmes modifications apportées à la loi sur l’immigration après le 11 Septembre permettent également de révoquer ou de refuser des avantages en matière d’immigration aux ressortissants étrangers qui « approuvent ou soutiennent » des « activités terroristes » définies de manière floue. L’administration Trump a déjà révoqué les visas de plusieurs étudiants et universitaires immigrés uniquement pour leurs activités non violentes critiquant le génocide américano-israélien à Gaza, dans le cadre de ce qu’elle appelle une politique de « tolérance zéro » envers le terrorisme. L’administration s’est principalement appuyée sur une disposition plus ancienne et plus obscure de la loi sur l’immigration pour mener ces attaques contre les droits à la liberté d’expression des immigrants. Mais si les efforts actuels sont bloqués par les tribunaux, ou s’ils souhaitent aller plus loin, la loi sur l’immigration post-11 Septembre pourrait leur donner les outils nécessaires pour justifier leur action.
La décision initiale de traiter les attentats du 11 Septembre non pas comme un crime mais comme une guerre, et de lancer une véritable « guerre contre le terrorisme » en réponse, reste la principale innovation juridique post-11 Septembre qui a rendu possibles tant d’abus. Dans le cadre de ce paradigme de guerre mondiale, l’administration Obama a mené des frappes meurtrières sans pitié à l’aide de drones, dont une qui visait un citoyen américain, et a justifié ces frappes par un mélange de normes juridiques qui appliquaient les règles de la guerre en dehors des zones de guerre réelles et interprétaient de manière extensive ce qui constitue une « menace imminente » et les pouvoirs de « légitime défense » qui en découlent.
Tous les présidents post-11 Septembre ont revendiqué un large pouvoir d’utiliser la force militaire tant que cela servait un vague « intérêt national. » On retrouve des échos de cela dans l’insistance de l’administration Trump à affirmer que le petit bateau vénézuélien détruit par l’armée américaine représentait une « menace immédiate pour les États-Unis », que la frappe était conforme aux lois de la guerre et qu’elle visait à « défendre les intérêts nationaux vitaux des États-Unis. »
Les commentateurs ont tout à fait raison de dénoncer ces affirmations d’autorité légale. Mais les décideurs politiques ont passé plus de deux décennies à accepter un paradigme de guerre contre tous ceux que les présidents considèrent comme « terroristes », ce qui rend d’autant plus difficile, sur le plan politique et juridique, de s’opposer à ce que fait actuellement l’administration Trump.
Il convient également de rappeler que les détentions et les expulsions massives d’immigrants dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » ne sont pas propres à l’ère Trump. Sous l’administration Bush, Robert Mueller, alors directeur du FBI, s’est appuyé sur les autorités civiles chargées de l’application des lois sur l’immigration pour arrêter plus de 1 000 immigrants arabes, musulmans et sud-asiatiques sans procédure régulière et les placer en détention secrète jusqu’à ce qu’ils soient « innocentés » de tout acte terroriste.
Un an plus tard, le National Security Entry and Exit Registration System [système national d’enregistrement des entrées et sorties pour la sécurité nationale], que certains ont qualifié de « registre des musulmans » original, a été lancé, imposant des exigences d’enregistrement et de surveillance lourdes aux immigrants légaux non citoyens soupçonnés d’aucun acte répréhensible, provenant presque exclusivement de pays à majorité musulmane, avec pour justification officielle la lutte contre le terrorisme. Ce programme n’a été complètement démantelé qu’à l’époque de l’administration Obama et n’a donné lieu à aucune condamnation pour actes de terrorisme. Il a toutefois entraîné l’expulsion de plus de 13 000 personnes, la plupart pour des infractions mineures aux procédures d’immigration.
Il existe d’autres pouvoirs que l’infrastructure juridique mise en place après le 11 Septembre et que l’administration actuelle n’a pas exercés. Il n’est pas impossible d’imaginer des poursuites pour terrorisme contre des acheteurs de drogue de bas niveau sur le territoire national, de nouvelles guerres chaudes à travers l’Amérique latine et davantage d’expulsions massives d’immigrants, justifiées par une fusion des lois de la guerre, de la loi antiterroriste et de l’application des lois sur l’immigration. En effet, sur une base bipartisane, nos législateurs ont élaboré et renforcé un ensemble de pouvoirs post-11 Septembre qui est transmis à chaque président successif, prêt à être utilisé comme une nouvelle arme et à faire l’objet d’abus. Le fait de cibler les immigrants et les cartels en tant que « terroristes », y compris avec des outils de guerre, n’est pas un écart important par rapport à notre histoire récente, mais plutôt sa conclusion logique.
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Elizabeth Beavers est professeure adjointe de droit et spécialiste en droit de la sécurité nationale à la Delaware Law School.
Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.
Source : Responsible Statecraft, Elizabeth Beavers, 11-09-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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