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31.juillet.202531.7.2025 // Les Crises

Trump précipite l’économie américaine vers une nouvelle grande crise financière – Gerald Epstein

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Trump et les capitalistes de la tech, comme Elon Musk, essaient de devenir les chevilles ouvrières d’un système financier qui échappe en grande partie à la réglementation.

Source : Truthout, C. J. Polychroniou
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le président Donald Trump arrive avant le début de la session plénière du Conseil de l’Atlantique Nord, le deuxième jour du sommet 2025 de l’OTAN, le 25 juin 2025, à La Haye, aux Pays-Bas. Brendan Smialowski / Pool / Getty Images

Le système financier des États-Unis a toujours été sujet à l’instabilité et aux crises. Aujourd’hui, cependant, avec la nouvelle administration Trump, qui prône d’importantes réductions de la réglementation, y compris dans le secteur des crypto-monnaies dans lequel la famille Trump a un intérêt financier majeur, le système financier est devenu plus vulnérable que jamais, ce qui pose de sérieux risques pour l’économie au sens large. Bien entendu, cela importe très peu à Donald Trump, à sa famille et à ses amis milliardaires. Pour Trump, la signification réelle de « America first » (Amérique en premier) c’est « Enrichissement personnel. »

Dans l’interview qui suit, l’économiste progressiste Gerald Epstein, grand spécialiste de la finance et de la banque, parle de la nature changeante du système financier américain avec Trump 2.0. Il affirme que Trump est en train de transformer l’ensemble du système financier en un « Far West d’institutions et de marchés dérégulés », jetant ainsi les bases de ce qui pourrait devenir une crise financière d’une ampleur sans précédent. Epstein est professeur d’économie et codirecteur de l’Institut de recherche en économie politique de l’université du Massachusetts à Amherst, il est l’auteur de Busting the Bankers’ Club : Finance for the Rest of Us [En finir avec le club des banquiers : La Finance au service de tous ].

C. J. Polychroniou : Le paysage financier américain est en constante évolution, mais pas nécessairement dans une direction souhaitable. La technologie financière (fintech), l’intelligence artificielle (IA), le système bancaire parallèle et la déréglementation suscitent des inquiétudes quant à l’instabilité financière, et font même craindre une nouvelle crise financière. En effet, tout récemment, même The Economist – un chantre des marchés libres, de la déréglementation et de la financiarisation – a publié un article intitulé « La finance américaine, depuis toujours exceptionnelle, est maintenant exceptionnellement dangereuse. » Pouvez-vous nous parler brièvement de la nature évolutive du système financier américain depuis la crise financière de 2007-2008 et nous dire si les craintes d’une augmentation des risques pour la stabilité financière sont fondées ?

Gerald Epstein : La grande crise financière (GFC pour Great Financiel Crisis) de 2007-2009 a affecté des millions d’Américains et a eu un coût élevé pour nombre d’autres personnes ailleurs dans le monde. Beaucoup d’Américains ont perdu leur emploi et leur logement, et ont assisté à des coupes sombres dans les budgets des services publics tels que les financements pour les écoles, les soins de santé et les services de garde d’enfants. Comme je le montre dans Busting the Bankers’ Club : Finance for the Rest of Us, les racines de la grande crise financière se trouvent dans la déréglementation financière drastique menée par les administrations démocrates et républicaines, ainsi que par les gouvernements européens, laquelle a permis aux très grandes banques et à leur personnel d’encadrement de prendre des risques considérables et d’obtenir des gains importants. Et lorsque les marchés se sont effondrés, ils ont été renfloués par les banques centrales et les gouvernements sans qu’eux-mêmes ou leurs banques ne soient pénalisés. Plus précisément, les banquiers et les autres acteurs du système financier, tels que les agences de notation, ont pu tirer parti de conflits d’intérêts à grande échelle, de niveaux d’endettement colossaux et souvent cachés (par effet de levier), de produits financiers délibérément trop complexes et opaques que leurs clients, et souvent eux-mêmes, ne comprenaient pas, d’une fraude et d’une corruption généralisées qui sont restées largement impunies et, en fin de compte, de renflouements publics massifs qui les ont sauvés, eux et leurs institutions, mais aux dépens des contribuables et de l’économie dans son ensemble, comme l’ont montré les travaux du regretté James Crotty.

Les lois de réforme financière, connues aux États-Unis sous le nom de Dodd-Frank, ont été âprement disputées mais n’ont abouti qu’à des améliorations modérées de la réglementation financière. Ces réformes promettaient de rendre les activités bancaires moins risquées en réduisant l’effet de levier et en augmentant les fonds propres et les liquidités des banques. Elles promettaient également de rendre les activités bancaires moins opaques en augmentant la surveillance réglementaire des plus grandes banques. Mais l’efficacité de ces règles s’est érodée au fil du temps. Ce qui s’est produit en partie parce qu’avec Trump 1.0, elles ont été démantelées et assouplies sur des points importants. De fait, les règles sont devenues moins efficaces dans la mesure où les marchés financiers innovaient pour les contourner. Ces changements sont bien décrits dans l’article de The Economist et englobent notamment la taille accrue des secteurs moins réglementés, le rôle grandissant du crédit privé, en particulier des sociétés de gestion d’actifs comme BlackRock, des fonds spéculatifs et des fonds de capital-investissement, augmentant ainsi l’empreinte financière d’établissements de crédit rarement réglementés.

Bien évidemment, tout cela aurait pu être évité. S’il y avait eu des gouvernements réellement désireux de réguler la finance aux États-Unis et en Europe, ils auraient pu renforcer leurs restrictions, mais ils n’avaient aucun intérêt à le faire. Au contraire, lorsqu’il y a eu une crise bancaire en 2022 (Silicon Valley Bank, Signature Bank, USB, etc.), la Réserve fédérale et le Trésor américain ont renfloué tous leurs épargnants, certains de leurs détenteurs de titres de créance et leurs actionnaires. Pour ces marchés, cela signifiait clairement qu’ils pouvaient continuer leur croissance.

Tout ceci n’a fait qu’empirer grandement à cause des initiatives de Trump 2.0. L’administration Trump et le Congrès républicain, avec l’assistance de la Cour suprême et de certains Démocrates, tentent d’abattre la quasi-totalité de l’édifice de la réglementation financière, notamment en essayant d’éliminer le Bureau de protection financière des consommateurs, en plaçant des régulateurs favorables à la finance dans toutes les agences de réglementation clés et en s’engageant en priorité dans un cadre stratégique libre de toute contrainte en matière de réglementation. Il en résulte de plus en plus de conflits d’intérêts, une complexité et une opacité artificiellement créées, qui favorisent une forte augmentation de l’endettement (effet de levier) à l’échelle de l’ensemble du système et une augmentation phénoménales des risques de fraude et de corruption.

En d’autres termes, ils transforment l’ensemble du système financier en un système financier « occulte », c’est-à-dire un système qui échappe largement à la surveillance et à la réglementation, un système de « crédit privé », un Far West d’institutions et de marchés non réglementés.

Le marché du crédit privé a explosé ces dernières années, remettant en cause les processus de prêt traditionnel. La croissance du crédit privé constitue-t-elle en soi un risque pour la stabilité du système financier ?

Comme l’ont montré Lenore Palladino et Harrison Karlewicz, parmi d’autres, on a assisté ces dernières années à une croissance massive du « crédit privé » en tant qu’élément de l’ensemble des actifs du marché financier. Comme ils le soulignent, le volume des fonds privés a quasi triplé au cours de la dernière décennie pour atteindre 26 000 milliards de dollars d’actifs bruts (contre 23 000 milliards de dollars pour le secteur bancaire commercial américain). Ces fonds comprennent les fonds de pension et les actifs des compagnies d’assurance qui sont désormais de plus en plus gérés par des sociétés de crédit privées, telles que les sociétés de gestion d’actifs, dont la surveillance réglementaire est plutôt moins significative. Mais comme je l’ai indiqué, les grands secteurs bancaires eux-mêmes trouvent de nombreux moyens pour éviter toute surveillance dans cette nouvelle ère de déréglementation.

Même si le numéro de The Economist que vous citez en introduction met en évidence certains de ces dangers, ses avertissements sont presque toujours contrebalancés par l’idée que ces « innovations » financières offrent des avantages aux clients et à l’économie dans son ensemble. Mais en fait, dans la plupart des cas, il y a peu de preuves de ces avantages. Des portefeuilles d’actifs bien gérés sont moins performants que les fonds indiciels qui achètent simplement une part de l’ensemble (ou d’un segment) des marchés financiers. Et il n’est pas nécessaire d’avoir recours à des établissements de crédit privés pour effectuer ces investissements standard. Les formes de placements plus complexes entraînent une tendance à avoir des frais plus élevés, moins de liquidité et plus de risques.

Trump et les Républicains du Congrès, avec l’aide d’un certain nombre de Démocrates importants, font pression sur la législation pour que les crypto-monnaies occupent une position centrale dans le système financier américain. Quels problèmes cela créera-t-il pour l’économie ?

L’illustration des risques encore plus extrêmes à venir se matérialise dans la gigantesque offensive menée actuellement par Donald Trump, sa famille et toute une escouade de milliardaires, de politiciens républicains et de certains Démocrates. Ils veulent placer les crypto-monnaies et les actifs au centre du système financier et faire en sorte que des capitalistes technologiques comme Elon Musk et Trump lui-même en soient les chevilles ouvrières. Ils veulent également transformer les entreprises de la tech en créateurs d’argent et de crédit qui pourront imprimer de l’argent, au même titre que la Réserve fédérale et les banques, mais qui ne seront pratiquement pas réglementés. De cette manière, ces milliardaires de la tech et les membres de la famille Trump seront en capacité de privatiser le dollar américain et le système financier américain sans pratiquement aucune surveillance. Les principales initiatives législatives concernées ici sont la loi GENIUS, qui vient d’être adoptée par le Sénat, et la loi CLARITY, qui doit être soumise au vote de la Chambre des représentants.

L’adoption de la loi GENIUS par le Sénat le 18 juin, 18 Démocrates ayant voté en sa faveur, met en lumière les dépenses colossales des sociétés de crypto-monnaies et des lobbyistes, initialement lors des élections primaires pour vaincre les Démocrates anti-crypto, puis lors des élections de novembre pour élire des Républicains et des Démocrates pro-crypto. Nous pouvons nous attendre à ce qu’ils dépensent plus encore lors des élections de 2026 pour repousser les Démocrates sensés qui remettent en question les crypto-monnaies.

En somme, les politiques hasardeuses de Trump plongent l’économie américaine dans le chaos et ont un impact négatif sur les économies mondiales. Pourraient-elles déclencher une crise financière ?

Tout à fait. Ces politiques, et en particulier la promotion des crypto-monnaies, sont très dangereuses. C’est d’ailleurs ce qu’indique implicitement l’article de The Economist. Mais il y a un point important qui n’est pas abordé ici : même en l’absence d’une crise financière, ces marchés financiers hautement spéculatifs, risqués, abusifs et entachés de fraude nuisent quotidiennement aux travailleurs, aux familles et aux communautés. Comme Juan Montecino et moi-même l’avons montré dans notre article Overcharged: The High Cost of High Finance [La surfacturation : Le coût élevé de la haute finance], ce type de système financier ne parvient pas à fournir les services financiers dont les travailleurs, les petites entreprises, les ménages et les communautés ont besoin. Certes, les crises financières provoquées par ces systèmes financiers coûtent des milliards de dollars, mais il y a aussi le coût énorme de la mauvaise gestion des ressources humaines et financières dans une économie financière spéculative, inefficace et destructrice.

Que peut-on faire pour empêcher la mise en œuvre des politiques irresponsables de réforme financière entreprises par l’administration Trump ?

Nous devons vaincre le Trumpisme, le fer de lance de ce capitalisme financiarisé de connivence, mais aussi les Démocrates opportunistes néolibéraux qui soutiennent ces politiques et en tirent profit.

*

C. J. Polychroniou est politologue/économiste politique, auteur et journaliste. Il a enseigné et travaillé dans de nombreuses universités et centres de recherche en Europe et aux États-Unis. Actuellement, ses recherches portent principalement sur la politique américaine et l’économie politique des États-Unis, l’intégration économique européenne, la mondialisation, le changement climatique et l’économie de l’environnement, ainsi que sur la déconstruction du projet politico-économique du néolibéralisme. Il est chroniqueur au Global Policy Journal et contribue régulièrement à Truthout. Il a publié de nombreux ouvrages, dont Marxist Perspectives on Imperialism : A Theoretical Analysis ; Perspectives and Issues in International Political Economy (ed.) ; et Socialism : Crisis and Renewal (éd.). Il a écrit plus de 1 000 articles parus dans nombre de revues, magazines, journaux et sites web d’information populaires. Plusieurs de ses publications ont été traduites dans une multitude de langues, dont l’allemand, l’arabe, le chinois, l’espagnol, le croate, le français, le grec, l’italien, le japonais, le néerlandais, le portugais, le russe et le turc. Ses derniers ouvrages sont Climate Crisis and the Global Green New Deal : The Political Economy of Saving the Planet (avec Noam Chomsky et Robert Pollin comme principaux auteurs, 2020) ; The Precipice : Neoliberalism, the Pandemic, and the Urgent Need for Radical Change (une anthologie d’entretiens avec Noam Chomsky, 2021) ; Economics and the Left : Interviews with Progressive Economists (2021) ; Illegitimate Authority : Facing the Challenges of Our Time (anthologie d’entretiens avec Noam Chomsky, 2023) ; et A Livable Future Is Possible : Confronting the Threats to Our Survival (une anthologie d’entretiens avec Noam Chomsky, 2024).

Source : Truthout, C. J. Polychroniou, 26-06-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

Savonarole // 31.07.2025 à 13h14

Trump ou un(e) autre n’auraient pas changé grand chose, on aurait eut les mêmes politiques plus ou moins vite avec un autre emballage mais le même produit au final.
On va juste espérer que la crise qui vient va ètre le dernier clou dans le cerceuil du capitalisme de connivence occidental.
Moi j’ai pas connu autre chose qu’un monde en crise , j’aimerais bien voir ce que c’est un monde pas en crise histoire de changer un peu… simple curiosité ^^.

5 réactions et commentaires

  • Savonarole // 31.07.2025 à 13h14

    Trump ou un(e) autre n’auraient pas changé grand chose, on aurait eut les mêmes politiques plus ou moins vite avec un autre emballage mais le même produit au final.
    On va juste espérer que la crise qui vient va ètre le dernier clou dans le cerceuil du capitalisme de connivence occidental.
    Moi j’ai pas connu autre chose qu’un monde en crise , j’aimerais bien voir ce que c’est un monde pas en crise histoire de changer un peu… simple curiosité ^^.

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  • Denis Monod-Broca // 31.07.2025 à 15h39

    La conclusion est trompeuse.
    Elle dit : « Nous devons vaincre le Trumpisme, le fer de lance de ce capitalisme financiarisé de connivence, mais aussi les Démocrates opportunistes néolibéraux qui soutiennent ces politiques et en tirent profit. »
    Si donc le mal est si répandu, à quoi bon viser le trumpisme ?
    Trump est le symptôme du mal, il n’est pas le mal. Il en est le révélateur.
    L’hégémonie états-unienne est ébranlée, d’où le slogan MAGA, d’où les efforts incohérents de Trump pour la rétablir, d’où un redoublement des accusations contre les abus de l’hégémon, d’où des inquiétudes de plus en plus grandes, d’où un ébranlement aggravé et qui annonce l’effondrement final…

    Trump ne s’est-il pas présenté, lors de l’annonce de la libéralisation de l’IA je crois, en roi des USA et roi du monde ? Une telle expression d’orgueil ne sonne-t-elle pas comme l’annonce d’une catastrophe ?

    « Et l’Eternel dit: Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue, et c’est là ce qu’ils ont entrepris ; maintenant rien ne les empêcherait de faire tout ce qu’ils auraient projeté » Et la tour s’effondra et on l’appela Babel et ils furent dispersés…
    Quand les hommes en arrivent à croire que tout leur possible, c’est que l’effondrement est proche.

      +11

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    • Rob Ducan Spencer // 31.07.2025 à 22h25

      Je peux vous affirmer une chose. Si le dollar us s’effondre vous allez passer à la caisse….et vous ne serez pas seul. Pour le machin MAGA c’est un slogan à chaque élection aux USA…Kennedy avait lui au moins proposé d’aller sur la Lune…

      Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous mais demandez-vous plutôt ce que vous pouvez faire pour lui…(Kennedy).

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      • Denis Monod-Broca // 01.08.2025 à 07h41

        Nous sommes en effet à la veille de bouleversements terribles. Ce ne sera pas une partie de plaisir. C’est le moment de compter ses abattis.

        Dans ce contexte, qu’est-ce que la France veut faire, qu’est-ce qu’elle peut faire. C’est le moment de se poser ces questions. Peu, parmi nos dirigeants politiques, médiatiques, intellectuels, spirituels… se la posent.

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  • Mister Croche // 01.08.2025 à 10h07

    Je dirais même plus : Trump précipite l’économie américaine vers une nouvelle « grande et belle » crise financière !

      +3

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