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26.juillet.202526.7.2025 // Les Crises

Un génocide anodin : comment ne pas tirer les conséquences de la destruction des Palestiniens et du fanatisme d’Israël

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À la douleur, l’horreur, l’impuissance, la colère que l’on éprouve en regardant se dérouler à distance, depuis vingt-et-un mois maintenant, le génocide des Palestinien·nes, il s’ajoute, pour celles et ceux qui vivent en Occident, un profond malaise. Ce malaise est dû au fait de vivre dans des pays qui ont toujours considéré Israël comme étant le bon, la victime – civilisé, éclairé, rationnel, humaniste, de bonne volonté, vulnérable –, et les Palestinien·nes comme les méchants – barbares, obscurantistes, menaçant·es, agressif·ves, haineux·ses, dangereux·ses.

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Cette fiction, que l’universitaire palestinien Joseph Massad, dans un article récent, fait remonter à la guerre de 1967, a été maintenue envers et contre tout, à grand renfort de propagande. Elle a encore résisté à plus d’un an et demi de génocide, alors qu’on assistait à l’étalage d’une cruauté décomplexée, insoutenable, exercée par les soldat·es avec l’approbation enthousiaste d’une part non négligeable de la société israélienne ; alors que chaque jour charriait son lot d’images cauchemardesques d’hommes, de femmes et d’enfants déchiqueté·es, brûlé·es vif·ves, mutilé·es, le crâne explosé, pulvérisé·es par des drones, abattu·es par des snipers, écrasé·es vivant·es ou mort·es par des bulldozers, réduit·es à l’état de squelettes par une famine organisée… Un an et demi. C’est dire combien est puissante la foi occidentale dans l’innocence d’Israël et dans la culpabilité foncière des Palestinien·nes, dans l’idée que la mort est leur destin naturel.

Jusqu’à aujourd’hui, dans les secteurs les plus réactionnaires des sociétés occidentales, en particulier dans la classe politique et dans l’essentiel de l’espace médiatique, la fiction de la nature vertueuse d’Israël reste bien sûr intacte, inébranlable. On continue à entendre des discours décrivant avec aplomb l’exact inverse de ce que des millions de gens observent pourtant en direct. Quand Israël a attaqué l’Iran, le 13 juin, Emmanuel Macron a produit un communiqué pavlovien dans lequel il soutenait le « droit d’Israël à se défendre ». Le délire collectif auquel est en proie l’establishment israélien, et avec lui une bonne partie de sa population, ce mélange écœurant de victimisation systématique, de mensonge impudent, de déshumanisation haineuse des Palestinien·nes et d’invective dès qu’on lui oppose le plus timide rappel à la réalité, sert apparemment d’étalon du bien et de la vérité à nos médias et à nos politiques. C’est très rassurant.

Néanmoins, depuis quelques mois, l’image se fissure. Aujourd’hui, à moins d’avoir le cerveau dévoré par le racisme anti-Arabes et/ou matrixé par l’extrême droite (ce qui fait du monde, certes), personne ne peut plus ignorer la monstruosité de ce que commet Israël. Personne ne peut plus ignorer que la population gazaouie, en plus de subir un déluge ininterrompu de bombes et de balles, crève de faim et de soif alors que les vivres s’entassent dans les camions bloqués par Israël aux portes de l’enclave. (Il s’y ajoute l’interdiction de tous les produits d’hygiène, qui, combinée à la privation d’eau propre, représente une torture supplémentaire en raison des infections et des maladies de peau qu’elle provoque, sans parler de l’humiliation.)

Un pays structurellement raciste, enfermé dans une réalité parallèle, en proie à un fanatisme religieux délirant et à un expansionnisme terrifiant

Il devient vraiment très difficile de nier qu’il s’agit d’un génocide. Le mensonge apparaît au grand jour ; on commence à soupçonner l’affreuse vérité : le méchant, c’est celui qu’on avait pris pour le bon. Soudain, alors que tout était là, sous nos yeux, depuis le début, une partie de l’opinion occidentale qui auparavant se tenait à l’écart du sujet commence à voir l’intention génocidaire ; à voir les ministres d’extrême droite et les commentateur·ices de télévision israélien·nes qui jubilent des morts et des destructions à Gaza et en réclament davantage ; ou encore les dizaines de milliers de manifestant·es qui défilent dans Jérusalem en scandant « Mort aux Arabes » et « Que ton village brûle ». Un sondage sur l’ampleur du soutien de la population israélienne aux projets de déportation des Palestinien·nes, voire à leur élimination physique, a fait un peu bruit. Beaucoup comprennent que la plus grande menace pour la stabilité régionale et mondiale, ce n’est pas l’Iran (si odieux que soit son régime), mais bien Israël.

En fait de « grande démocratie », apparaît un pays structurellement raciste, enfermé dans une réalité parallèle, en proie à un fanatisme religieux délirant et à un expansionnisme terrifiant, conforté par des décennies de louanges occidentales et d’impunité. Un pays qui massacre, expulse et détruit à grande échelle dans toute la Palestine, bombarde toujours régulièrement le Liban (en violation du cessez-le-feu) et le Yémen, envahit des parties supplémentaires du territoire syrien (alors qu’il occupait déjà le Golan) et a donc attaqué l’Iran – au risque de provoquer un embrasement mondial – et assassiné des civil·es là aussi. Sans parler de ces « hunger games » bien réels, où, à Gaza, après que les terres agricoles ont été saccagées, les pêcheurs mitraillés, les boulangeries bombardées, des hommes, des femmes et des enfants qui essayent désespérément de récupérer un sac de farine pour nourrir leur famille se font abattre chaque jour par dizaines.

Comment réagir quand c’est votre allié, un pays auquel vous prêtiez toutes les vertus, qui se révèle dans sa réalité d’État génocidaire et de menace majeure pour la paix mondiale ? Un pays avec lequel il existe d’innombrables liens politiques, idéologiques, économiques, militaires, culturels ? C’est une révélation contrariante, c’est le moins qu’on puisse dire. Dès lors, on observe tout un éventail de réactions, qui visent toutes à ne surtout pas tirer les conséquences de cette nouvelle donne, à permettre que tout continue comme avant. Le soutien à Israël évoque un paquebot dont le pilote découvrirait soudain qu’il fait fausse route, mais qui serait trop énorme, trop massif pour changer de direction.

Thierry Brésillon : « Comment retourner le monde entier, inverser le sens de tous les mots, plutôt que de voir Israël tel qu’il est »

Puisque la réalité est inadmissible, c’est elle qui doit plier. Partageant sur Facebook, le 22 juin dernier, un article consacré aux contre-vérités flagrantes entendues un matin (parmi d’autres) sur France Culture, le journaliste Thierry Brésillon concluait : « Comment retourner le monde entier, inverser le sens de tous les mots, plutôt que de voir Israël tel qu’il est. » On ne saurait mieux dire.

« Votre haine d’Israël vous aveugle », m’a dit quelqu’un sur un réseau social quand j’ai applaudi la « Flottille de la liberté ». Vous voulez vraiment qu’on parle de haine et d’aveuglement ?

Et quand la réalité devient trop envahissante pour pouvoir être complètement ignorée, apparaît ce terrible oxymore : le génocide anodin. Dans la presse, le mot « génocide » reste confiné à quelques interviews ou tribunes publiées dans les pages « Idées », ou à quelques reportages qui rendent fidèlement compte de ce qui se joue. On continue par ailleurs à publier imperturbablement d’autres articles qui parlent, par exemple, d’« antisémitisme à l’université », alors que tout le monde sait qu’il s’agit d’un nom de code calomnieux pour les manifestations de soutien à la Palestine. On continue en particulier à parler d’« incident antisémite » à Sciences Po Paris, alors qu’il s’agissait d’une altercation politique et que tout le monde le sait très bien. L’édifice idéologique et culturel organisé autour du prestige d’Israël doit absolument rester en place, intouché.

On devine au passage les conflits à bas bruit et les rapports de forces qui agitent les rédactions, en fonction des niveaux de courage et des sensibilités sur le sujet, mais souvent aussi, semble-t-il, d’un clivage entre la hiérarchie et la base. Quand une centaine de journalistes de La Provence veulent clamer leur solidarité avec leurs confrères et consœurs de Gaza, iels doivent le faire dans les pages de Politis, leur propre journal ayant refusé de leur donner la parole. Et il y a des surprises. Le 24 juin, le « Journal Junior » d’Arte proposait un reportage sur « la faim comme arme de guerre », d’une honnêteté et d’une clarté que l’on chercherait en vain dans le reste du paysage audiovisuel. « Dans l’URSS du temps de Staline, nombre de scénaristes, écrivains et cinéastes étaient planqués dans les studios de production de dessins animés, films pour enfants et documentaires animaliers, parce que la censure y était moins attentive qu’ailleurs », rappelait à cette occasion (sur Facebook, le 28 juin) la metteuse en scène et traductrice Irène Bonnaud.

On a aussi assisté à une opération pour sauver le magistère moral de quelques personnalités médiatiques, relais zélés, depuis des années, sous couvert d’« humanisme », de tous les éléments de langage israéliens. Ces personnalités entretiennent la fiction – plus insupportable que jamais – de deux peuples sur un pied d’égalité, qui seraient autant l’un que l’autre victimes de la situation. Elles dissimulent la réalité de la brutale entreprise coloniale qu’est Israël, de l’oppression, de la spoliation et, maintenant, de l’élimination des Palestinien·nes.

Alors qu’on les avait présentées comme des partisanes de la « paix », qu’on leur avait attribué une aura de sages, elles se sont compromises, durant un an et demi, dans le soutien de fait à un génocide en distribuant à tort et à travers les accusations d’antisémitisme pour mieux étouffer les indignations qui s’exprimaient. Il aura suffi qu’elles articulent du bout des lèvres quelques vagues commentaires comme quoi ce qui se passait à Gaza allait un peu trop loin – et ce, au nom de leur « amour d’Israël » – pour susciter une effervescence médiatique célébrant leur lucidité, leur courage et leur grandeur d’âme, tandis qu’elles reprenaient aussitôt placidement leur propagande.

La mansuétude exprimée par beaucoup d’observateur·ices pour cette mascarade d’une « prise de conscience » vous enseigne tout ce qu’il y a à savoir sur la valeur accordée aux vies palestiniennes (si vous ne l’aviez pas encore compris, à l’heure où le massacre quotidien de plusieurs dizaines de personnes à Gaza ne mérite même plus une mention dans nos journaux radiophoniques ou télévisés). « Mieux vaut tard que jamais », ai-je beaucoup lu.

La temporalité n’est pas exactement anodine dans un génocide. En fait, elle est tout

Eh bien oui. On ne va tout de même pas faire sa mauvaise tête et se formaliser pour les quelques dizaines de milliers de personnes tuées au cours de ces longs mois où ces personnalités ont défendu sans faillir l’État massacreur, n’est-ce pas ? Gaza est presque entièrement rasée, la machine à tuer est inarrêtable, l’expulsion massive se prépare, on nous annonce l’établissement d’un camp de concentration, la mécanique du génocide est probablement impossible à enrayer, elle a gagné la Cisjordanie, mais allez, soyez beaux joueurs, quoi ! On a besoin de toutes les bonnes volontés ! Et ne soyez pas mesquin·e, ne venez pas nous parler des courageux·euses lanceur·euses d’alerte – comme Aymeric Caron ou Blanche Gardin – que nos résistant·es de la vingt-cinquième heure ont copieusement insulté·es, et qui subissent les représailles professionnelles (pour Gardin), les invectives dans la rue, les coups de fil anonymes, les menaces de mort !

« Mieux vaut tard que jamais », sérieusement ?

La temporalité n’est pas exactement anodine dans un génocide. En fait, elle est tout. « L’histoire est pleine de gens qui veulent être dans le vrai rétrospectivement, disait le journaliste Jeremy Scahill dans le podcast The Listening Post le 31 mai. Mais le courage, c’est de prendre position en temps réel. » « Un jour, tout le monde aura toujours été contre ça », comme le dit si bien le titre du magistral livre d’Omar El-Akkad (qui sera traduit en français l’hiver prochain chez Mémoire d’Encrier à Montréal).

Le génocide est une politique du fait accompli. L’essentiel, pour les génocidaires, est que l’indignation se manifeste trop tard. Eux-mêmes pourront alors éventuellement faire acte de contrition. Ainsi, ils gagneront sur tous les tableaux : ils seront célébrés pour leur noblesse morale et leur capacité d’autocritique, tout en étant débarrassés du peuple gêneur et en pouvant occuper tranquillement les terres volées à leurs victimes.

« En réalité, le dégoût face à l’abjection semble cohabiter avec le soulagement de voir qu’un “problème” majeur d’Israël est en passe d’être – enfin – réglé, fut-ce de la pire des manières, écrivait Akram Belkaïd le 9 mai. Interrogez un wasp américain à propos du génocide amérindien. Il adoptera une mine contrite, dira toute sa compassion, puis il finira par lâcher que c’est ainsi, que l’histoire est violente, que le passé est le passé, que cela ne fera pas revenir Geronimo, que Kevin Costner a tout de même fait un film émouvant, et la discussion passera alors à autre chose de plus convivial. Parlera-t-on ainsi des Gazaouis en 2048 ? Entendra-t-on ce genre de phrase – “Oui, que voulez-vous, c’est l’histoire, mais savez-vous qu’on trouve de la bonne maqlouba à Tel Aviv ?” »

Un génocide implique de mettre en œuvre une « stratégie du choc ». Les génocidaires misent sur la sidération, l’intimidation, la tétanie momentanée de l’opinion. Le but est de décimer le plus possible le groupe honni avant que le monde ait repris ses esprits. D’où la pornographisation de l’attaque du 7 octobre, l’ajout d’un déluge de détails macabres fabriqués de toute pièce, ajoutés aux exactions réelles, pour s’assurer de décourager toute indignation, toute contestation face à ce que l’armée israélienne a commencé à faire à Gaza dès le 7 octobre.

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Commentaire recommandé

nulnestpropheteensonpays // 26.07.2025 à 07h58

De tout temps les tenants du pouvoir ont massacré les populations , ils appellent ça changer de peuple . Dès qu’un bourgeois se sent faillir , il tue , il pille , il ravage , il génocide .Le viet nam , l’algérie , la commune …etc etc Mais ne c’est pas eux ,ce sont leurs petits mains , ce n’est jamais eux a l’heure des comptes , pourtant vous avez entendu truchot dans l’épisode gilet jaune , vous les avez entendu pousser les flics au massacre . De tout temps, toujours , le génocidaire est bourgeois , le mal c’est le bourgeois , le diable c’est le bourgeois .

4 réactions et commentaires

  • nulnestpropheteensonpays // 26.07.2025 à 07h58

    De tout temps les tenants du pouvoir ont massacré les populations , ils appellent ça changer de peuple . Dès qu’un bourgeois se sent faillir , il tue , il pille , il ravage , il génocide .Le viet nam , l’algérie , la commune …etc etc Mais ne c’est pas eux ,ce sont leurs petits mains , ce n’est jamais eux a l’heure des comptes , pourtant vous avez entendu truchot dans l’épisode gilet jaune , vous les avez entendu pousser les flics au massacre . De tout temps, toujours , le génocidaire est bourgeois , le mal c’est le bourgeois , le diable c’est le bourgeois .

  • Lt Briggs // 26.07.2025 à 09h15

    « Au cours de la dernière décennie, Israël est devenu un point de convergence pour l’extrême droite mondiale »

    C’est très juste. D’où les liens étroits de Netanyahou avec Orban et Trump, ou bien encore les dernières déclarations de Jordan Bardella suite à l’annonce de Macron d’une reconnaissance d’un État palestinien en septembre prochain. Mais tous ces soutiens délibérés à la fuite en avant meurtrière d’Israël ne font que s’additionner à une masse de gens désinformés qui croient réellement que des bébés ont été décapités le 7 octobre, qu’Israël bombarde tous ses voisins pour assurer sa survie, que l’armée israélienne ne tue que des terroristes, que la famine à Gaza est due au Hamas, ou que la majorité de la population israélienne veut coexister avec les Palestiniens.
    Texte fort de Mona Chollet.

  • Nadji // 26.07.2025 à 10h44

    Il y a beaucoup plus grave, beaucoup plus interpellant vis à vis de la conscience humaine, de populations et ses intellectuels, ses savants, ses sachants, ses propagateurs de sens : le détournement complet et totalement mensonger du sens des mots, comme de celui
    portant l’accusation suprême contre ceux qui, des Palestiniens, luttent pour la fin du colonialisme en Palestine occupée, selon l’usage général et total qu’on en fait, aujourd’hui en Occident. Pourtant c’est en Occident que les populations et leurs intellectuels, leurs diffuseurs d’idées, se croient les plus sachants, les plus informés, les plus éclairés !
    Prenons le mot si galvaudé comme une arme définitive sans contradiction possible pour tous :
    « antisémitisme ».
    Il concentre l’ opprobre suprême et l’accusation fatale contre tout palestinien voulant lever la tête.
    Comptons combien de voix dignes en Occident qui
    s’élèvent contre l’absolu détournement de sens, la
    définitive condamnation et damnation de ceux
    voulant lutter pour récupérer leur terre, la Palestine
    occupée !
    Pourtant n’importe quel enfant peut prendre un
    dictionnaire Larousse ou autre, et apprendre que
    si les occupants de la Palestine colonisée sont sémites, ceux qui luttent pour son indépendance le sont aussi !

  • Spartacus // 26.07.2025 à 10h46

    https://lvsl.fr/le-plan-israelien-de-migration-volontaire-des-gazaouis/

    La faim justifie les moyens.
    Complément à l’excellente tribune de Mona Cholet.

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