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Charles Maurras l’antisémite forcené (1/2) : le programme antijuif 1911-1913

La période est apparemment au blanchissement de certaines figures de l’antisémitisme français, dont on nous explique qu’il y a urgence à rééditer leurs oeuvres – alors que bon nombre de livres de résistants et de témoins critiques de l’époque sont depuis longtemps épuisés.

Comme elle est souvent adoucie, voici la vision réelle de Charles Maurras sur les Juifs – ces textes ayant été omis de l’anthologie du « poète et philosophe » (peut-être car elle a été appelée « L’avenir de l’intelligence » ?)… (source)

  1. Le Programme Antijuif de Charles Maurras (1911)
  2. Maurras contre le « juge juif »
  3. Maurras pendant l’Occupation
  4. La présentation faite par le biographe Olivier Dard (1/2)
  5. Pour approfondir
  6. Annexe : le Programme Antijuif de Maurras de 1911-1913

I. Le Programme Antijuif de Charles Maurras (1911)

Nous vous proposons ces quelques textes de Charles Maurras, parus dans l’Action Française (AF) en 1911-1913, pour que personne n’oublie quelle était vraiment sa vision. Nous publions les articles en texte intégral en annexe.

II. Maurras contre le « juge juif »

En décembre 1912, un banquet de la ligue à Versailles est perturbé par des contre-manifestants. La police intervient ; Maurras s’interpose. Accusé d’avoir violemment agressé un policier, il est inculpé puis condamné par le tribunal correctionnel de Versailles, présidé par le juge Worms. Cette peine sera finalement relevée en octobre 1913.

Au début de l’audience, il accepte de décliner son identité, mais, lorsque le juge pose la première question – a-t-il déjà été condamné ? –, Maurras lui fait la réponse suivante : « Monsieur le Président, maintenant que vous connaissez mon état civil, je dois dire que je connais le vôtre. Je suis Français, vous êtes de nationalité juive. Il m’est impossible de répondre à un juge juif. »

Un tumulte éclate. Worms, gêné, lui dit qu’il aurait pu le récuser. Maurras, qui s’attendait à cette réponse, reprend le fil de sa dialectique : « Je n’ai pas voulu de récusation. Je ne vous connais pas, vous ne me connaissez pas. Je ne saurai donc invoquer d’inimitié capitale. D’autre part, nous ne sommes pas des sophistes : je n’ai pas voulu considérer comme déjà existante une législation que je travaille à créer. » :

III. Maurras pendant l’Occupation

Évidemment, le programme antisémite de Maurras va être mis en oeuvre par Vichy. Voici sa réaction au statut juif d’octobre 1940 qu’il juge « excellent » :

Tout comme il approuve le même jour la confiscation de biens juifs, « acte de justice » pour « faire le plus de bien possible à l’État » :

Maurras est en effet obsédé par « l’or juif » ;

Charles Maurras approuve évidemment la création « inévitable » du Commissariat aux affaires juives en 1941 (qui sera dirigé par certain de ses proches), « monument consacré à al défaite de l’Ennemi intérieur » – mais il regrette qu’il n’y ait pas un réel » barrage d’ensemble » :

Maurras continue à attaquer très régulièrement les juifs dans l’Action française, comme encore ici le 26 octobre 1943, où il dénonce « l’intérêt juif » qui « a emporté les États-Unis à la guerre » (dire qu’on pensait que c’était les Japonais…), avec les « armées youpines » qui se préparent à débarquer, « troupe barbare qui marche sous le drapeau juif déployé pour la conquête de l’univers » :

10 jours après le débarquement, Maurras continue à se déchaîner contre « le corrupteur juif » qui « spolie systématiquement » les classes moyennes et contre « la juiverie » qui peut « continuer d’étendre ses tentacules sur le vaste monde » :

(Source : L’Action Française, disponible sur Gallica)

IV. La présentation faite par le biographe Olivier Dard (1/2)

Rappelons qu’Olivier Dard est le biographe, de Maurras, fort controversé, mais apprécié de l’extrême-droite. Nous avons déjà pointé sa complaisance envers Maurras dans ce billet et celui-ci.

Analysons donc la façon dont ont été présentés les éléments précédents par Olivier Dard dans sa biographie « Charles Maurras – Le maître et l’action » (le sous-titre ne figurant pas sur la couverture)

4-1 Le programme Antijuif

Cela semble très étonnant, mais il semble bien que la SEULE mention de ce programme se trouve dans l’Introduction :

On ne trouve d’ailleurs dans le corps de l’ouvrage qu’une quinzaine de références à l’antisémitisme :

Le service minimum est assuré, mais on sent parfois une forte tendance à en amoindrir la portée :

4-2 « Il m’est impossible de répondre à un juge juif »

Il semble qu’Olivier Dard ait omis de signaler cet élément et sa condamnation à 8 mois de prison dans sa biographie… (source)

4-3 Maurras durant l’Occupation

Voici les seuls éléments que nous avons trouvés dans la très courte partie de la Biographie consacrée à l’Occupation :

Nous laissons le lecteur apprécier…

Pour approfondir

Pour les passionnés, je vous renvoie vers cet article de synthèse de Laurent Joly : (1/2) Les débuts de l’Action française (1899-1914) ou l’élaboration d’un nationalisme antisémite :

« Maurras et ses partisans ne sont pas tous racistes « au sens physique » du terme, conception d’ailleurs floue ; mais ils croient à la transmission héréditaire et spirituelle des caractères. Par essence, le Juif est jugé inassimilable : « J’ai vu ce que devient un milieu juif, d’abord patriote et même nationaliste, quand la passion de ses intérêts proprement juifs y jaillit tout à coup : alors, à coup presque sûr, tout change, tout se transforme, et les habitudes de cœur et d’esprit acquises en une ou deux générations se trouvent bousculées par le réveil des facteurs naturels beaucoup plus profonds, ceux qui viennent de l’être juif », justifiera Maurras au début de l’Occupation…

Il est donc trompeur de prendre à la lettre les reconstructions opérées par Charles Maurras, comme le font les admirateurs du « Maître » mais aussi, parfois, des historiens abusés par sa dialectique. L’ « antisémitisme d’État » a été théorisé au moment de la période radicale et « révolutionnaire » de l’AF ; les atténuations ultérieures – les « Juifs bien nés », les « services rendus », etc. – qu’on lui associe généralement à tort ne sont pas encore à l’ordre du jour. L’ « antisémitisme d’État » n’est pas une doctrine plus « modérée » que l’antisémitisme dit « de peau » ; il infère simplement que l’État, lorsqu’il sera « restauré », réglera le « problème juif » par le haut. En ce sens, la rhétorique élaborée par Maurras dans les années 1911-1913 annonce ce qui s’est effectivement produit en 1940… […]

Chez Charles Maurras, la haine du Juif occupe une place prépondérante tant dans son univers mental que dans la construction politique qu’il a élaborée. Et il est exagéré de mettre, comme on le fait souvent, son antisémitisme sur le même plan que ses sentiments à l’égard des protestants et des francs-maçons, et de ne le considérer que comme une conséquence de son idéologie antilibérale et monarchiste. Habituellement virulent contre ses adversaires politiques, Maurras peut modérer son point de vue vis-à-vis des protestants, comme les Monod par exemple. Il ne manifestera jamais la même clémence à l’égard d’un Juif. Ce dernier peut rendre des services à la nation, il ne sera jamais un vrai Français.

C’est dans l’antisémitisme que Maurras et ses partisans se montrent le plus violents, le plus haineux : « Nous n’attaquons pas les protestants ; nous nous défendons contre eux, ce qui n’est pas la même chose. Nous n’avons jamais demandé d’exclure les protestants de l’unité française, nous ne leur avons jamais promis le statut des Juifs. »  Au bout du compte, le Juif constitue le seul véritable et inconciliable ennemi de l’intérieur. Contre lui, l’AF mène une « guerre d’indépendance » ; contre les protestants et les francs-maçons, il s’agit d’une bataille d’idées : « Nous en avons à leur gouvernement et à leur tyrannie, non à leur existence… » »

Annexe : le Programme Antijuif de Maurras de 1911-1913

Voici les textes intégraux de Maurras de cet épisode, qu’il a finalement renoncé à publier sous forme de livre.

 

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