Mes enseignants du primaire m’ont appris que George Washington avait courageusement dirigé l’armée continentale [L’armée continentale est le nom donné aux troupes des treize colonies américaines, placées sous commandement unique, celui de George Washington, et qui combattent l’Empire britannique pendant la guerre d’indépendance des États-Unis, NdT], qu’il avait été le premier président des États-Unis et qu’avec humilité il avait refusé de se représenter après un second mandat. Personne ne m’a dit qu’il était propriétaire d’esclaves. Bien qu’à sa mort il ait émancipé ses esclaves, de son vivant, il dépendait d’eux pour faire fonctionner sa ferme de Mount Vernon. [1]
Source : The Gospel Coalition, Aaron Menikoff
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
[Un rappel historique utile au moment où l’administration Trump instrumentalise la Bible pour justifier sa politique]
Avec le recul, nous comprenons que Washington, comme les autres Pères fondateurs, était un homme de son temps. Anglican dévot mais discret, il n’a jamais affiché sa religion. Il n’a jamais présenté de défense biblique de l’esclavage. Comme tant d’autres, il considérait comme acquis que les Écritures l’autorisaient. Et même s’il pensait que l’esclavage n’était pas quelque chose de bien, ses intérêts économiques l’emportaient sur ses réserves morales.
Bien sûr, certains Américains ont fait plus qu’assumer l’esclavage. Ils l’ont défendu. Le pasteur baptiste Richard Fuller, par exemple, a utilisé la Bible pour défendre cette institution qu’était l’esclavage. Les parents de Fuller l’ont élevé dans la religion épiscopale avant de l’envoyer à Harvard. Il en est sorti diplômé en 1824, a obtenu un diplôme de droit, s’est marié et est devenu baptiste. Après avoir exercé le droit, il a dirigé des églises à Beaufort, en Caroline du Sud, et à Baltimore, dans le Maryland. En 1847, Fuller et le président de l’université Brown, Francis Wayland, publient Domestic Slavery Considered as a Scriptural Institution (L’esclavage domestique considéré comme une institution biblique). Le cœur du problème se résumait à une question simple : L’esclavage est-il, par principe, un péché ? Wayland soutenait que c’était le cas. Fuller n’était pas d’accord.
Fuller a fait part de ses inquiétudes concernant les abus liés à l’esclavage, mais il a néanmoins défendu celui-ci. Comment lui et d’autres ont-ils utilisé les Écritures pour défendre l’esclavage ? [2]
Les arguments de Fuller en faveur de l’esclavage
Fuller soutenait que l’esclavage, par principe, n’est pas un péché. Il s’appuyait sur sa conviction profonde que la Bible était la parole inspirée de Dieu et qu’elle faisait autorité. Seule la Bible a le droit de définir ce qu’est le péché. Une fois le péché identifié, il incombe à l’humanité de se repentir. Si « l’esclavage est un péché », écrit Fuller, « il est du devoir immédiat des maîtres de l’abolir, quelles qu’en soient les conséquences ». Ayant établi la suprématie de l’Ecriture, Fuller a entrepris d’interpréter sa vision de l’esclavage. Voici l’essentiel de son argumentation :
- 1. L’Ancien Testament tolère l’esclavage. Fuller cite le Lévitique 25-44 : « Tu pourras acheter des esclaves mâles et femelles parmi les nations qui t’entourent ». Dieu ne permettrait jamais ce qu’il considère comme un péché.
- 2. Le Nouveau Testament tolère et réglemente l’esclavage. Jésus a utilisé l’institution de l’esclavage dans son enseignement, en établissant un contraste entre ceux qui sont en esclavage et ceux qui sont libres (Jean 8:35). Jésus n’a pas répudié l’esclavage. Paul a dit aux esclaves d’obéir à leurs maîtres, et il a dit aux maîtres comment gérer les esclaves (Eph. 6:5-11 ; Col. 3:22-4:1). Selon Fuller, Jésus et Paul approuvent implicitement l’esclavage.
- 3. Si Jésus ou Paul avaient voulu interdire l’institution de l’esclavage, ils l’auraient fait immédiatement. Ni le Sauveur ni ses apôtres, insiste Fuller, n’auraient cédé à la culture pro-esclavagiste s’ils considéraient l’esclavage comme un péché.
- 4. La moralité de l’esclavage n’est pas une défense contre ses abus. Fuller possédait lui-même des esclaves et s’enorgueillissait de la manière dont il s’occupait d’eux, se comptant parmi « les amis les plus sincères de la race africaine ».
Pour Fuller, la question était simple : Si les saints de l’Ancien Testament possédaient des esclaves et si l’apôtre Paul a prêché « tout le conseil de Dieu » (Actes des Apôtres 20:27) sans interdire explicitement l’esclavage, alors personne ne peut à juste titre qualifier l’esclavage, de péché par principe. En résumé :
L’esclavage faisait partout partie de l’organisation sociale de la terre ; les esclaves et leurs maîtres étaient ensemble membres des églises ; et des instructions très précises sont données à chacun quant à ses devoirs, sans même que l’on insinue qu’il était du devoir des maîtres d’affranchir. Je demande maintenant s’il pourrait en être ainsi si l’esclavage était « un péché odieux » ? Non !
Avant que l’Amérique n’entre dans une guerre civile pour contester cette interprétation, Wayland a cherché convaincre Fuller de changer d’avis. Le président de l’université était un adepte de l’éthique chrétienne et était très respecté [L’éthique chrétienne, également connue sous le nom de théologie morale, est un système éthique à multiples facettes. Il s’agit d’une éthique de vertu, qui se concentre sur la construction du caractère moral, et d’une éthique déontologique qui met l’accent sur le devoir selon la perspective chrétienne, NdT]. Bien qu’ils soient tous deux amis proches, Wayland rejette l’herméneutique [L’herméneutique est la théorie de la lecture, de l’explication et de l’interprétation des textes, NdT] de Fuller sur l’esclavage.
Réponse de Wayland
Wayland avait beaucoup d’affection pour Fuller, mais il n’avait aucun respect pour son interprétation de la Bible sur cette question. Les lacunes dans son interprétation sont légion, insistait-il, et ces arguments contre l’esclavage résistent à l’épreuve du temps.
- 1. L’esclavage est une violation flagrante de Matthieu 19:19 : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Il est impossible d’aimer son prochain et en même temps d’utiliser sa force pour lui refuser toute liberté personnelle.
- 2. L’esclavage dans l’Ancien Testament s’explique par la place unique qu’occupe Israël dans l’histoire. Dieu a donné Canaan à Israël, ce qui a impliqué la destruction des forces d’occupation et l’asservissement des non-Israélites. Mais il s’agit là d’un événement exceptionnel dans l’histoire de l’humanité. De même qu’aucune nation n’a le droit de tuer les habitants d’un pays voisin, aucune personne n’a le droit d’en réduire une autre en esclavage. Affirmer que l’esclavage est une bonne chose en se basant sur l’Ancien Testament revient à sortir les Écritures de leur contexte.
- 3. Tout comme la polygamie, l’esclavage est un péché dont la pratique est réglementée, mais non approuvée, dans l’Ancien Testament. Pour Wayland, l’exemple de la polygamie devrait enfoncer le dernier clou dans le cercueil des arguments en faveur de l’esclavage. Comme il l’a dit, la polygamie est « une institution qui est approuvée [dans l’Ancien Testament] […] mais qui est mauvaise en soi, et donc interdite par notre Sauveur [dans le Nouveau Testament] à ceux qui la pratiquent et à tous les hommes. »
- 4. Le Nouveau Testament ne tolère en aucun cas l’esclavage et ses principes exigent sa disparition. En s’adressant aux esclaves, Paul exhorte simplement les chrétiens qui ne peuvent pas changer leur situation à mener une vie sainte. En outre, en enseignant la sainteté de Dieu, le salut des nations et l’imago dei, le Nouveau Testament a préparé le terrain pour l’abolition de l’esclavage.
S’il n’ existait ne serait-ce qu’un seul verset du Nouveau Testament prescrivant ou même recommandant l’esclavage, le système devrait être maintenu. Mais rien de tel n’existe, et le silence est assourdissant. Selon Wayland, Fuller n’a pas su lire les Écritures dans leur contexte littéraire immédiat.
S’il est vrai qu’aucun passage biblique n’a permis à lui seul d’abolir l’esclavage romain, la Bible dans son ensemble a contribué à sa disparition par des coups répétés. Wayland était convaincu qu’à mesure que la Bible serait prêchée et acceptée, les enseignements du Livre saint mèneraient à la fin de l’esclavage. Il est indéniable que l’esclavage a considérablement diminué avec la christianisation de l’Empire romain. Selon Wayland, c’est ce à quoi une lecture attentive de la Bible devrait nous conduire :
L’esclavage est interdit par la Parole de Dieu, mais celle-ci entend l’abolir, non pas par une proclamation immédiate, mais en appliquant les principes de l’Évangile au niveau de la conscience des hommes, et ainsi, en changeant en profondeur les sentiments de la société, parvenir en œuvrant progressivement et avec bienveillance à son extermination totale.
Les paroles de Wayland n’ont pas prévalu, et c’est tragique puisque et le Nord et le Sud se sont retrouvés engagés dans un conflit amer et sanglant. Fuller et Wayland sont des voix représentatives de la bataille concernant l’esclavage qui a déchiré l’Amérique.
Nous savons ce que Fuller croyait, mais pourquoi s’est-il tant accroché à ces croyances ? Quelles sont les hypothèses auxquelles il a adhéré et qui l’ont conduit à interpréter les Écritures de manière aussi erronée ?
La mauvaise herméneutique de Fuller
Comme beaucoup de ses contemporains, Fuller n’a pas interprété la Bible correctement. Il n’a pas su distinguer la réglementation de l’esclavage de l’approbation de l’esclavage. L’Écriture réglemente l’esclavage, mais pas une seule fois ne l’approuve. En fait, la Bible en a toujours éloigné le peuple de Dieu. Même si les saints de l’Ancien Testament étaient autorisés à pratiquer l’esclavage, ils ne pouvaient pas le faire avec la légèreté de leurs voisins païens. Dans le cadre de la Nouvelle Alliance, l’Esprit conduira le peuple de Dieu à l’étonnante réalité qu’en Christ, il n’y a ni esclave ni homme libre. La Bible n’a pas coupé les branches de l’esclavage, elle a porté la hache à la racine de l’arbre.
L’une des raisons pour lesquelles Fuller et d’autres n’ont pas compris cela est qu’ils n’ont pas suivi le principe de la Réforme de « l’analogie de l’Écriture », qui enseigne que les passages difficiles doivent être compris à la lumière des passages plus limpides.
Lorsque Wayland en est venu aux textes réglementant l’esclavage, il savait que ces passages ne pouvaient pas venir contredire l’appel à aimer son prochain. Le passage limpide (aimer son prochain) clarifie le passage difficile (obéir à son maître). L’Écriture ne cautionnait pas l’esclavage, mais enseignait aux esclaves comment vivre en glorifiant Dieu. Comme le note J. I. Packer : « La méthode que nous utilisons pour interpréter les Écritures [doit] exprimer notre foi en leur vérité et leur cohérence en tant que Parole de Dieu. Notre approche doit être harmonieuse, car nous savons dès le départ que la parole de Dieu ne peut être en contradiction avec elle-même. »
Il n’est pas nécessaire de sortir du cadre des Écritures pour s’apercevoir que l’esclavage est immoral. La cohérence de l’Écriture exige cette conclusion.
Le grand défaut de Fuller
Mais le défaut fatal de Fuller n’était finalement pas sa mauvaise herméneutique. C’était sa piètre théologie. Il ne voyait pas ses frères et sœurs noirs comme des êtres créés à l’image de Dieu. Il se félicitait d’avoir éduqué ses esclaves, de leur avoir donné de bons soins médicaux et de les avoir bien nourris. Mais il les considérait tous comme fondamentalement inférieurs aux Blancs comme lui. En raison de son racisme, Fuller pensait qu’il avait le droit moral d’être propriétaire d’esclaves.
Mark Noll analyse correctement la situation : « La défense de l’esclavage américain par le recours aux Écritures reposait sur une reconnaissance de l’infériorité raciale des Noirs. » En d’autres termes, invoquer l’herméneutique biblique erronée d’hommes tels que Fuller revient à passer à côté de l’essentiel : leur exégèse biblique masquait leur âme raciste.
Fuller n’était pas le seul. Le théologien presbytérien James Henley Thornwell pensait, sans fondement biblique, que Dieu avait mis les Africains à part, dans une classe différente, une classe de gens inférieurs. C’est leur statut d’infériorité qui rendait leur esclavage, à ses yeux, « normal ».
Prêter attention à la parole de Dieu
Richard Fuller, James Thornwell, George Washington, George Whitefield et tant d’autres auraient bien fait d’adopter les vues du pasteur afro-américain Lemuel Haynes. Il savait que chacun, noir ou blanc, est créé à l’image de Dieu.
Le pasteur du Vermont avait compris que les racines amères de la division de l’Amérique au sujet de l’esclavage avaient été nourries dans le terreau du racisme. Ce n’est que lorsque les Noirs et les Blancs seront considérés comme de véritables égaux que nous pourrons goûter au paradis sur terre. Ce n’est qu’à ce moment-là, prêchait Haynes, que nous verrons en Amérique et au sein de l’Église « cette affection sacrée ou cet amour pour le Christ qui doit nous réunir ». Et réunis, nous témoignerons de ce « bienheureux prélude à notre prochaine rencontre dans le monde divin ».
Rétrospectivement, ce n’est pas parce qu’elle a ignoré la Bible ou qu’elle l’a dépassée que l’Église a changé de point de vue au sujet de l’esclavage. C’est parce que, par la grâce de Dieu, les chrétiens y ont fait attention.
En cherchant dans la Bible une doctrine de l’humanité (nous sommes tous à l’image de Dieu), une doctrine du salut (le Christ a versé son sang pour tous les peuples) et une doctrine de l’Église (en Christ, il n’y a ni esclave ni homme libre), nous trouvons les outils dont nous avons besoin pour lutter contre le racisme et l’oppression, hier comme aujourd’hui.
Notes
[1] De Ron Chernow, Washington : A Life (Penguin, 2010), 109-20. Voir, de Michael et Jana Novak, Washington’s God (Basic, 2006), 44.
[2] Il est important de reconnaître que certains esclavagistes faisaient une distinction entre le principe et la pratique de l’esclavage. Des hommes comme Fuller pensaient que la Bible autorisait l’institution de l’esclavage, mais ils en condamnaient les abus. Un parallèle contemporain est la façon dont certains chrétiens soutiennent la peine de mort en principe mais s’y opposent en pratique, car ils ne croient pas que le système judiciaire puisse appliquer la peine capitale de façon équitable.
Aaron Menikoff (PhD, The Southern Baptist Theological Seminary) est pasteur principal de la Mt. Vernon Baptist Church à Atlanta, en Géorgie, et auteur de Character Matters : Shepherding in the Fruit of the Spirit (Moody, 2020) (La question de la personnalité : guider selon l’Esprit ) et Politics and Piety (Pickwick, 2014) (Politique et piété).
Source : The Gospel Coalition, Aaron Menikoff – 24-02-2017
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]Nous ne sommes nullement engagés par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs - et encore moins par ceux qu'il pourrait tenir dans le futur. Merci cependant de nous signaler par le formulaire de contact toute information concernant l'auteur qui pourrait nuire à sa réputation.
2 réactions et commentaires
C’est impossible de raisonner à partir du pentateuque puisqu’il est un plagiat des écrits sumériens et qu’il a été écrit et réécrit ( modifié) par les scribes.
Quant à Jésus, il nous a dit qu’on ne pouvait servir 2 maîtres et que l’on devait aimer son prochain comme soi-même…On comprends qu’il se soit cogner frontalement avec les écritures hébraïques
+2
AlerterPourquoi se soucier de ce que dit l’ancien testament de l’esclavage puisqu’il y évince déjà tous les Gentils et aussi la moitié des hébreux puisque les femmes sont régulièrement qualifiées comme des prostituées inférieures
+0
Alerter