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Coronavirus : reportage au cœur d’un hôpital en Italie, « Je n’ai jamais vu ça », « C’est terrible », « Il y a aussi des jeunes »

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Source : RTBF, Aurélie Didier et Caroline Hick, 20-03-2020

Reportage au cœur de l’hôpital de Crémone en Italie. © Gian Micalessin

Note de la rédaction : la rédaction de la RTBF a fait le choix de diffuser ce reportage, car il montre la réalité que traverse les hôpitaux italiens durant l’épidémie de coronavirus. Attention, ces images peuvent dès lors, dans leur globalité ou à travers certains passages, heurter votre sensibilité.

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Le Journal télévisé de la RTBF a diffusé ce jeudi 19 mars un reportage poignant au cœur de l’hôpital de Crémone en Italie, tourné par le journaliste italien Gain Micalessin. L’institution est complètement dépassée par le nombre de patients touchés par le coronavirus. Moins d’un mois après avoir reçu le tout premier patient, le personnel médical de cet hôpital se confie.

Carla Maestrini, infirmière en cheffe au service des soins intensifs, constate la situation avec une infinie tristesse : « Beaucoup de gens sont morts, ça nous anéantit, parce que ça nous donne l’impression que nous ne parvenons plus à faire ce pour quoi nous sommes là : soigner les gens, faire en sorte qu’ils aillent mieux. Nous voyons les gens mourir, et ça nous tue nous aussi. »

Beaucoup de gens sont morts, ça nous anéantit.

La Docteure Giulia Zambolin, spécialiste en maladies infectieuses, explique que toute la population est concernée par le virus : « Il n’y a pas que des personnes âgées, il y a aussi des jeunes. Et ça peut mal tourner aussi chez les personnes relativement jeunes. »

L’hôpital de Crémone est en première ligne dans la lutte contre le coronavirus. Le premier patient y est arrivé le 21 février, juste après avoir été détecté à Codogno. Depuis ce jour-là, plus rien n’est comme avant selon la Docteure Chiara Fornabaio : « Nous avons admis le premier patient le 21 février. Qu’est-ce que je savais sur le coronavirus à l’époque ? Je savais ce que tout le monde en savait à ce moment-là. Après le troisième patient, nous avons compris que ce n’était pas ce que nous pensions tous. Ce n’était pas une banale grippe. »

Après le troisième patient, nous avons compris que ce n’était pas ce que nous pensions tous. Ce n’était pas une banale grippe.

Rosario Canino, Directeur de l’hôpital de Crémone, doit fait le triste décompte chaque jour : « Ce matin, nous avons 577 patients atteints de coronavirus dans nos centres de Cremone et d’Oglio Po. »

Le personnel médical doit continuer à travailler, coûte que coûte, mais psychologiquement, le coronavirus laissera des marques profondes, comme le témoigne Carla Maestrini, infirmière en cheffe au service des soins intensifs : « Le soir, je rentre quelques heures à la maison. Et je m’endors comme une masse dans le canapé. Mais ce n’est pas un sommeil profond, parce que je suis réveillée toutes les heures par des cauchemars. Mon mari et ma fille m’attendent à la maison. Ils me parlent, mais je ne les écoute pas. Ils me demandent si je les écoute, mais je ne les entends pas. C’est terrible. »

Mon mari et ma fille m’attendent à la maison. Ils me parlent, mais je ne les écoute pas. Ils me demandent si je les écoute, mais je ne les entends pas. C’est terrible.

Reportage au cœur de l’hôpital de Crémone en Italie. © Gain Micalessin

Aux soins intensifs, la première ligne de l’hôpital, 30 patients luttent contre le coronavirus. Le journaliste doit être équipé « avec un système de protection individuel. Une blouse, des chaussons, une protection pour la tête, des gants, qui doivent être changés. Un masque chirurgical et des lunettes de protection. » Le spectacle est épouvantable. Les malades sont allongés sur le ventre. Les seuls sons sont ceux des électrocardiogrammes.

Le Docteur Antonio Coluccello, chef du service des soins intensifs explique qu’ils doivent « Endormir les patients et les placer sur le ventre. Cela représente un effort considérable. Mais cela ne veut pas dire que cela donne à tous les coups de bons résultats. »

Ce qui me frappe, c’est que nous sommes impuissants face à cette situation.

Simona Tomasoni, infirmière au service des soins intensifs, témoignage de son sentiment d’impuissance : « Ce qui me frappe, c’est que nous sommes impuissants face à cette situation. Nous sommes habitués à voir des cas graves. Des patients en fin de vie. Mais une telle avalanche de personnes en danger de mort… Même nous, nous n’y sommes pas habitués. C’est difficile. Pour tout le monde. » Le Docteur Antonio Coluccello l’avoue également : « Je n’ai jamais vu ça de ma vie. Avec les infirmières, on donne tout. Elles sont en première ligne. »

Selon l’infirmière en cheffe Carla Maestrini, « Malheureusement, aucun de nos patients ne s’en est sorti jusqu’ici. Nous avons besoin d’avoir un patient à qui on peut enlever ce tube, un patient qui va mieux. Parce que sinon on ne pourra plus continuer. Nous avons besoin de quelque chose qui nous fasse dire que notre travail a encore une utilité. »

Reportage au cœur de l’hôpital de Crémone en Italie. © Gian Micalessin

Pourtant, la bataille est encore loin d’être gagnée. A l’hôpital de Crémone, les patients continuent à arriver aux urgences. Selon le Directeur Rosario Canino, « En plus de nos patients actuels, 59 personnes attendent encore d’être hospitalisées aux urgences de Crémone. Dans notre autre centre, à Oglio Po, 19 personnes attendent d’être prises en charge aux urgences. Nous avons transformé le service des maladies infectieuses. Nous avons doublé le nombre de lits. Nous avons ouvert un service en 12 heures. Nous avons tout transformé en services spécialisés en coronavirus. »

Ce que je redoute, c’est demain… C’est demain…

Le Docteur Antonio Coluccello redoute la suite :« Au début, nous recevions le soutien d’autres hôpitaux de la région. Aujourd’hui, tous les services de réanimation sont saturés et nous rencontrons des problèmes logistiques quand il faut installer ou transférer des patients. Ce que je redoute, c’est demain… C’est demain… »

Le service de pneumologie s’est pratiquement transformé en un service de « sous-soins intensifs »de 30 lits. Ici les patients ne sont pas intubés. Le directeur de l’hôpital interpelle le journaliste :

« Vous entendez ce bruit ?
– Pardon ?
Ce bruit…
– Qu’est-ce que c’est ?
C’est de l’oxygène. »

Le Docteur Giancarlo Bosio, chef du service de pneumologie, est lui aussi sidéré par la situation : « Cela fait 40 ans que je suis médecin et je n’ai jamais vu une situation pareille. Le taux de mortalité est malheureusement significatif. Et malheureusement, cela ne touche pas que les personnes âgées, on a aussi eu une personne de 23 ans. » Ce spécialiste et le personnel médical ont déjà testé tous les médicaments qu’ils peuvent : « Nous utilisons tous les médicaments, même les plus récents. De l’interleukine 6 aux anciens et nouveaux antiviraux. Et je dois dire que l’effet de ces antiviraux est très décevant. »

Pour le directeur de l’hôpital, le jour où un traitement sera disponible, il faudra se souvenir du dévouement du monde médical : « Je voudrais que, quand nous aurons fini de nous battre contre cet ennemi, les gens se souviennent de ces médecins et de ces infirmières qui ont fait tout ce qu’ils ont pu. J’ai créé un hashtag : #jenoubliepas. » Les médecins et les infirmières tiennent bon, même s’ils ont parfois perdu tout espoir de sauver leurs patients.

Je voudrais que […] les gens se souviennent de ces médecins et de ces infirmières qui ont fait tout ce qu’ils ont pu.

Reportage au cœur de l’hôpital de Crémone en Italie. © Gian Micalessin

Source : RTBF, Aurélie Didier et Caroline Hick, 20-03-2020

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