La chercheuse Molly White explique comment la famille Trump profite de la situation tout en influençant directement la politique et la réglementation en matière de crypto-monnaie.
Source : Truthout, Amy Goodman, Juan González, DemocracyNow !
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Donald Trump a amassé près d’un milliard de dollars grâce à ses différents circuits de crypto-monnaies, affirme la chercheuse Molly White. « Il autorise en réalité les pots-de-vin et des types de corruption que l’on n’a jamais vus à la présidence américaine », explique White. Elle décrit comment la famille Trump tire profit des crypto-monnaies tout en influençant directement la politique et les réglementations, encourageant le transfert de richesse vers ce secteur en dépit de « l’énorme risque de fraude et d’effondrement » qu’il représente.
Amy Goodman : Les sénateurs Elizabeth Warren et Jeff Merkley demandent une enquête fédérale concernant les opérations de crypto-monnaie de la famille Trump, après qu’un fonds soutenu par Abu Dhabi a annoncé qu’il investirait 2 milliards de dollars dans la bourse de crypto-monnaie Binance [Binance est une plateforme mondiale d’échange de cryptomonnaies et de gestion de portefeuille de devises numériques, qui permet d’acheter, vendre et stocker plus de 600 cryptomonnaies. Elle a été créée en 2017 par Changpeng Zhao, NdT] en utilisant une crypto-monnaie labellisée Trump. L’opération pourrait rapporter des centaines de millions de dollars à la famille Trump.
Dans leur courrier, les sénateurs Warren et Merkley écrivent, je cite : « L’accord, s’il est conclu, représenterait un conflit d’intérêts stupéfiant, susceptible de violer la Constitution et de rendre notre gouvernement vulnérable à une influence étrangère d’une ampleur alarmante et à la possibilité d’un quiproquo qui pourrait mettre en péril la sécurité nationale. » Fin de citation.
La semaine dernière, la sénatrice Warren a également publié une vidéo dans laquelle elle dénonce l’accord.
Sénatrice Elizabeth Warren : Les États-Unis s’apprêtent à donner leur bénédiction à la dernière escroquerie de Donald Trump. Une société d’investissement véreuse d’Abu Dhabi vient d’annoncer qu’elle allait conclure un accord commercial de 2 milliards de dollars avec une société étrangère de crypto-monnaies du nom de Binance. Et voilà le pompon : Binance et la société d’investissement étrangère vont utiliser le stablecoin de Donald Trump pour financer leur transaction, ce qui revient à donner à Trump une part de ce marché de 2 milliards de dollars. Bon sang, voilà qui ressemble fort à de la corruption, qui pue la corruption. Alors, oui, le Sénat va y mettre un terme, n’est-ce pas ? Ben non. En ce moment même, le Sénat s’apprête à donner son feu vert à l’escroquerie en adoptant la semaine prochaine le « GENIUS Act ». Il s’agit d’un projet de loi qui permettrait au président et à sa famille de profiter encore plus facilement de leur propre stablecoin et de gérer leur propre société financière.
Le président Trump se rendra dans le Golfe la semaine prochaine.
Dans le même ordre d’idées, hier soir, lundi 5 mai, le président Trump a pris la parole lors d’un dîner qui réunissait des innovateurs dans les domaines de la crypto et de l’IA afin de collecter des fonds pour un super PAC pro-Trump. Les billets coûtaient un million et demi de dollars par assiette. L’événement a eu lieu au club de golf du président en Virginie. C’est David Sacks, le tsar de la Maison-Blanche en matière d’intelligence artificielle et de crypto-monnaie, qui a coorganisé le dîner. Cet investisseur dans le secteur de la technologie, né en Afrique du Sud, a fait partie de la « mafia PayPal », en fondant PayPal aux côtés d’Elon Musk et de Peter Thiel.
Le 22 mai, Trump organise aussi un dîner de gala privé pour les 220 investisseurs les plus importants dans ses meme coins. Ce dîner se tiendra également au Trump National Golf Club. La promotion offre en plus une réception VIP ultra exclusive avec le président et une visite de la Maison Blanche pour les 25 principaux investisseurs dans ses meme coins, le $TRUMP. Le groupe anti-corruption CREW (Citizens for Responsibility and Ethics in Washington) a qualifié cette promotion de « l’un des cas les plus flagrants et les plus révoltants de vente d’accès à la présidence que nous ayons jamais vus. »
Nous sommes rejoints par Molly White, chercheuse indépendante en crypto-monnaies qui dirige la lettre d’information Citation Needed. Elle a récemment écrit un article intitulé « La toute nouvelle escroquerie de Trump : Construire un empire de crypto-monnaies tout en détruisant ses autorités de régulation. »
Molly, bienvenue sur Democracy Now ! Si vous pouvez commencer, pour les personnes qui ont du mal avec les crypto-monnaies, par expliquer ce que sont les crypto-monnaies.
Molly White : Les crypto-monnaies sont des actifs numériques. Il s’agit donc d’une forme de spéculation entièrement numérique qui permet aux gens de spéculer sur la valeur de jetons tels que le bitcoin ou l’ethereum. Il n’y a pas de représentation physique. Il n’y a pas d’actif physique ou de service pour garantir les jetons.
Juan Gonzalez : Et dans votre récent article, Molly, vous avez écrit : « Concernant les crypto-monnaies, l’ampleur des conflits de la famille Trump illustre un degré de corruption qui fait paraître pittoresques, en comparaison des problèmes d’émoluments du premier mandat de Trump. » Que pouvez-vous nous en dire ?
Molly White : Les entreprises de Trump dans le domaine de la crypto se multiplient toutes les semaines semble-t-il. On dirait que chaque semaine, quelque chose de nouveau est annoncé, qu’il s’agisse de sa plateforme crypto World Liberty Financial, de sa monnaie le $TRUMP ou de rumeurs concernant un nouveau jeu crypto sur lequel ses partisans travaillent. Ainsi, il autorise très explicitement les pots-de-vin et les styles de corruption que nous n’avons encore jamais vus au sein de la présidence américaine. Il autorise les gens à lui envoyer de l’argent. Il profite directement de l’industrie des crypto-monnaies, tout en influençant la politique, la législation, en révoquant les régulateurs qui supervisaient auparavant l’industrie des crypto-monnaies, et tout cela se fait de façon à ce que lui soit très directement profitable, ainsi qu’à sa famille.
Juan Gonzalez : Et étant donné que les crypto-monnaies sont devenues en quelque sorte la méthode de blanchiment d’argent préférée des criminels, des trafiquants de drogue, de tous ceux qui veulent cacher leur argent, quel est l’impact de la part grandissante de l’industrie des crypto-monnaies sur le système financier ?
Molly White : Eh bien, c’est vraiment inquiétant. Je veux dire qu’il existe un potentiel important d’activités criminelles utilisant les crypto-monnaies. Nous avons constaté une augmentation spectaculaire de leur utilisation pour le blanchiment d’argent, comme vous l’avez mentionné, et le financement du terrorisme. De nos jours, les rançongiciels [Un rançongiciel, logiciel rançonneur, logiciel de rançon ou logiciel d’extorsion, est un logiciel malveillant qui prend en otage des données personnelles, NdT] utilisent principalement les crypto-monnaies. Et il n’y a que très peu de réglementations ou de lois pour réprimer ce type d’activité.
Et avec l’administration Trump, on a vu les rares réglementations en place être allégées. La Securities and Exchange Commission (SEC), qui était auparavant le principal régulateur de l’industrie des crypto-monnaies, a été mise à l’écart. On a vu des affaires contre des sociétés de crypto-monnaies rejetées d’emblée, des enquêtes sur des sociétés de crypto-monnaies abandonnées. On a vu les équipes chargées des enquêtes sur les crypto-monnaies à la SEC et au ministère de la Justice être démantelées. Voilà, avec l’administration Trump, je pense qu’on assiste à une expansion spectaculaire du potentiel d’activité criminelle au sein des crypto-monnaies, ainsi qu’à une réduction complète des protections des consommateurs qui permettraient à ceux qui choisissent de s’impliquer dans les crypto-monnaies de le faire sans craindre d’être escroqués ou abusés.
Amy Goodman : Molly, comment Trump et sa famille profitent-ils exactement de ces entreprises de crypto-monnaie ? De combien d’argent s’agit-il ? Et expliquez-nous cela. Trump a sa crypto-monnaie. Melania a la sienne. Expliquez-nous comment cela fonctionne.
Molly White : Eh bien, Trump a de multiples entreprises crypto qui l’enrichissent directement. Vous avez mentionné le $TRUMP, qui est le jeton qui porte son nom, et qui est actuellement utilisé comme billet d’entrée pour ce dîner privé sur son terrain de golf. Melania a son propre jeton. Les Trump gagnent de l’argent avec ces jetons, à la fois en termes d’échanges et de facilitation de liquidité pour ces types de jetons.
Et puis il y a la plateforme World Liberty Financial, une plateforme crypto qui n’a pas encore été lancée et qui cependant vend ces jetons World Liberty Financial aux acheteurs intéressés. Trump perçoit 75 % des revenus du protocole de ce projet et détient 60 % des parts de la société. Lui et sa famille ont tenté de faire croire qu’il existait une relation sans lien de dépendance entre les projets, bien qu’ils aient été entièrement conçus à l’image de Trump, avant son élection et son investiture. Mais après son investiture, ils ont en quelque sorte abandonné cette façade et obtenu une participation majoritaire dans l’entreprise.
Et puis, Trump a une liste interminable de projets crypto supplémentaires. Il a ses projets NFT [Les tokens non fongibles (NFT) sont des actifs numériques uniques tels que des œuvres d’art, des tweets et des objets de collection qui peuvent être achetés et vendus à l’aide de cryptomonnaies]. Il a vendu des baskets sur le thème de la crypto-monnaie. On a raconté qu’il travaillait à un jeu de crypto-monnaie. Son Trump Media & Technology Group, qui est la société à l’origine de la plateforme Truth Social qu’il contrôle, se lance également dans la crypto avec un partenariat avec Crypto.com pour lancer des ETF crypto [Exchange-Traded Funds], des fonds négociés en bourse. Il semblerait également qu’ils envisagent de lancer leur propre jeton. La liste est donc longue.
Et jusqu’à présent, je pense qu’il a levé près d’un milliard de dollars, ou qu’il a profité de près d’un milliard de dollars à partir de ses entreprises combinées. Ce chiffre ne cesse d’augmenter, dans la mesure où il y a des transactions comme ce stablecoin utilisé par le Fonds d’investissement des Émirats arabes unis, et avec de nombreuses nouvelles entreprises qui sont lancées au fur et à mesure.
Juan Gonzalez : Et, bien sûr, l’administration Trump affirme que tous les investissements de Trump sont dans un fiducie sans droit de regard, et qu’en fait ce sont ses fils qui dirigent l’entreprise, pas lui.
Molly White : C’est ce qu’il prétend, bien qu’il ait fait diverses déclarations. Il a même prétendu ne pas profiter du tout des crypto-monnaies, ce qui est manifestement faux. Mais je pense que, vous savez, franchement, il n’est pas juste de dire qu’il s’est désengagé des entreprises de crypto-monnaie alors qu’elles sont contrôlées par ses fils. Ses fils en profitent, et en fin de compte, c’est lui qui en profite. Vous savez, il ne devrait pas prendre de décisions politiques ou influencer la politique d’une manière qui profite à sa famille, tout simplement. Et je ne pense pas que les affirmations selon lesquelles il s’est désengagé soient exactes.
Amy Goodman : Molly White, pouvez-vous nous parler de la dernière initiative des Démocrates du Sénat ? Parlez-nous de la législation qu’ils veulent modifier sur les crypto-monnaies et qui est en attente au Congrès. Que prévoyait la loi dite GENIUS, soutenue par le secteur des crypto-monnaies ?
Molly White : La loi GENIUS vise principalement à réglementer les stablecoins, qui sont une catégorie de crypto-actifs destinés à être rattachés à une autre forme d’actif. Ainsi, on voit souvent des stablecoins en dollars, qui sont des jetons crypto censés valoir un dollar. Il s’agit d’actifs tels que l’USDC ou le stablecoin USD1 de Trump, qui a été lancé récemment. Et le GENIUS Act tente de mettre en place un certain niveau de législation qui réglementerait ce type d’actifs.
Et c’est quelque chose qu’on a vu, l’industrie de la cryptographie le demande avec insistance depuis un certain temps, même avant l’administration Trump. Mais les entreprises crypto personnelles de Trump, y compris le fait de lancer son propre stablecoin, ont récemment bloqué cette législation, un certain nombre de Démocrates du Sénat s’opposant à ce projet de loi, ainsi que ceux de la Chambre, signalant que les intérêts financiers de la famille Trump sont une préoccupation majeure pour eux. L’industrie des crypto a également fait pression pour obtenir un certain nombre de modifications de ce projet de loi qui lui seraient favorables. Et on commence maintenant à voir des Démocrates au Congrès dire que ce projet de loi ne va pas assez loin pour empêcher les problèmes de sécurité nationale ou même le financement du terrorisme en utilisant ces stablecoins, qui ont été utilisés pour transférer des quantités massives de fonds. Ils constituent en quelque sorte le socle de l’industrie crypto, un peu comme les jetons de poker au casino. Les stablecoins constituent un outil majeur de transfert de valeur dans le monde des crypto-monnaies. Ce type de législation est donc extrêmement important à mettre en place.
Juan Gonzalez : Avons-nous une idée des personnes qui investissent dans les crypto-monnaies aux États-Unis ? À quel point est-ce répandu ? Ou existe-t-il un profil type des personnes qui achètent ces jetons ?
Molly White : Eh bien, il y a des gens ordinaires qui sont impliqués dans la spéculation sur les crypto-monnaies, mais nous voyons aussi de grandes sociétés de capital-risque et d’investissement s’impliquer dans le monde des crypto-monnaies, y compris un certain nombre d’entre eux très présents à Washington. Andreessen Horowitz, par exemple, est l’une des plus grandes sociétés de capital-risque dans le domaine de la technologie. Elle a investi de manière significative dans le monde des crypto-monnaies et un certain nombre de ses employés ont été nommés à divers postes à la Maison-Blanche. Marc Andreessen lui-même a participé à la sélection des membres de l’administration Trump, et ils ont été très impliqués dans la campagne politique. Il y a aussi des personnalités comme David Sacks, qui est le tsar de l’IA et de la crypto à la Maison-Blanche. Il dirige une société d’investissement qui détient également des investissements dans les crypto-monnaies, dont il ne s’est pas désengagé.
Il existe donc de nombreux profils d’investisseurs en crypto-monnaies, dont beaucoup sont institutionnels, mais aussi des gens ordinaires qui ont cru que les crypto-monnaies étaient un moyen d’avancer financièrement, que les investissements en crypto-monnaies pouvaient potentiellement offrir des rendements élevés et qu’ils valaient le risque énorme et la volatilité que les crypto-monnaies impliquent, ainsi que le risque énorme de fraude et d’effondrement dans l’ensemble du secteur des crypto-monnaies.
Amy Goodman : Molly White, ingénieure en informatique, chercheuse indépendante en crypto-monnaies, directrice de la lettre d’information Citation Needed, nous vous remercions de votre présence parmi nous. Nous allons mettre un lien vers votre récent article, « La toute dernière escroquerie de Trump : construire un empire de la crypto-monnaie tout en détruisant ses régulateurs. »
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Amy Goodman est l’animatrice et la productrice exécutive de Democracy Now !, un programme d’information national, quotidien, indépendant et primé, diffusé sur plus de 1 100 chaînes de télévision et stations de radio publiques dans le monde entier. Le Time Magazine a nommé Democracy Now ! son « Pick of the Podcasts », au même titre que « Meet the Press » de NBC.
Juan González co-anime Democracy Now ! avec Amy Goodman. Juan González est journaliste professionnel depuis plus de 30 ans et chroniqueur au New York Daily News depuis 1987. Il a reçu deux fois le prix George Polk.
Source : Truthout, Amy Goodman, Juan González, DemocracyNow !, 06-05-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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