Entre le président Trump qui fait l’éloge de Zohran Mamdani et le Congrès dirigé par le GOP [parti républicain, NdT] qui dénonce le socialisme, la journée d’hier a révélé une opposition capitaliste prête à faire à peu près n’importe quoi pour voir ce qui fonctionne.
Source : Jacobin, Ben Burgis
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Dans son discours de victoire, il y a deux semaines, Zohran Mamdani a déclaré :
La sagesse populaire vous dira que je suis loin d’être le candidat idéal. Je suis jeune, malgré tous mes efforts pour vieillir. Je suis musulman. Je suis un socialiste démocrate. Et plus accablant encore, je refuse de m’excuser pour tout cela.
Le charisme indéniable et la popularité incontestable de ce jeune socialiste démocrate prometteur ont suscité une vague de réactions contradictoires chez ses opposants. D’un côté, on a Donald Trump, qui s’oppose diamétralement à la politique de Mamdani sur presque tous les sujets, mais qui lui a décerné son approbation après que les deux hommes se sont rencontrés en privé à la Maison Blanche. De l’autre côté on a le Congrès, dominé par le Parti républicain, qui a adopté une résolution non contraignante, H.Con.Res.58, « Dénonçant les horreurs du socialisme. »
Que se passe-t-il ici ? En un mot : les adversaires politiques de Mamdani se sentent menacés par son socialisme démocrate sans complexe, et ils essaient toute une série de stratégies pour neutraliser ce dernier. Que ce soit du miel, du vinaigre, peu importe du moment que cela permet aux riches de conserver leur emprise sur l’économie.
Le mot en « D » invisible
Il y a d’abord la résolution du Congrès, dont le texte explique que l’adoption de « politiques socialistes » conduirait au totalitarisme et que toute redistribution des richesses est une grave violation des valeurs américaines traditionnelles. Tout cela est absurde.
Huit des douze lignes de « considérant » de la résolution concernent les crimes de Joseph Staline, Mao Zedong et autres dictateurs autoritaires. En règle générale, c’est probablement une bien mauvaise idée que d’essayer d’apprendre l’histoire à partir des résolutions du Congrès au lieu de lire les travaux d’historiens sérieux, mais on ne peut certes pas nier la brutalité de ces régimes. Mais qu’est-ce que cela est censé avoir à voir avec la politique de Zohran Mamdani ou d’autres socialistes démocrates comme Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez ?
Les socialistes démocrates s’opposent à l’autoritarisme de notre époque. Notre engagement en faveur de la démocratie est inscrit dans notre nom. Et nous perpétuons l’héritage des socialistes qui nous ont précédés et qui se sont opposés à l’autoritarisme en leur temps, y compris quand il s’agissait de dirigeants totalitaires brandissant la bannière du socialisme.
L’objectif du socialisme est de créer un système plus démocratique que le capitalisme.
En 1918, la socialiste Rosa Luxemburg a écrit un pamphlet dans lequel elle exprimait ses inquiétudes concernant les premiers signes avant-coureurs de l’autoritarisme de la toute nouvelle République soviétique (l’Union soviétique n’a été officiellement formée que plusieurs années plus tard). Elle y met en garde contre le fait que la « démocratie socialiste » n’est pas et ne peut pas être « quelque chose qui ne commence qu’une fois les fondements de l’économie socialiste instaurés sur la terre promise ; elle n’est pas une sorte de cadeau de Noël pour les gens qui le méritent et qui, entre-temps, ont loyalement soutenu une poignée de dictateurs socialistes ».
Elle affirmait que les partis au pouvoir et les administrations publiques étaient peu susceptibles d’abandonner leur pouvoir de leur plein gré. Un régime qui ne commence pas comme une démocratie a peu de chances de finir comme telle. Et tout l’intérêt du socialisme, soulignait-elle, est de créer un système plus démocratique que le capitalisme.
Au cours des cinquante dernières années, la fenêtre d’Overton s’est considérablement déplacée vers la droite en ce qui concerne les questions économiques fondamentales. Il en résute que de nombreux Américains ne connaissent pas grand chose à la tradition socialiste, ce qui permet aux opposants à notre politique de nous mettre dans le même sac que Staline et Mao. En réalité, les socialistes démocrates d’aujourd’hui, comme beaucoup de nos prédécesseurs qui se sont opposés à l’autoritarisme de ces régimes, sont profondément attachés à la démocratie. En fait, nous accordons tant de valeur à celle-ci que nous ne pensons pas qu’elle doive s’arrêter aux portes des lieux de travail. Plutôt que de laisser un petit nombre de PDG prendre des décisions qui ont un impact sur un grand nombre de gens, nous voulons donner du pouvoir aux travailleurs et aux communautés par le biais de la propriété sociale et du contrôle démocratique des ressources productives de la société.
Depuis la publication du pamphlet de Rosa Luxemburg sur la révolution russe, les socialistes critiquent systématiquement les États autoritaires à parti unique qui gouvernent au nom du socialisme. Les socialistes anti-staliniens de l’Ouest, par exemple, ont dénoncé les simulacres de procès de Staline à une époque où la plupart des libéraux occidentaux ne s’en souciaient guère. L’organisation dont Mamdani est membre, Democratic Socialists of America, a ajouté le mot en « D » à son nom lors de sa fondation, précisément pour différencier le socialisme qu’elle prônait du système non démocratique qui existait encore dans des pays comme l’Union soviétique.
Blâmer les socialistes démocrates d’aujourd’hui pour les crimes de Staline ( « les horreurs du socialisme » ) a à peu près autant de sens que de blâmer les baptistes du Sud d’aujourd’hui pour les crimes historiques de l’Église catholique ( « les horreurs du christianisme »).
Les leçons de l’Histoire américaine
Comment la résolution tente-t-elle alors de faire le lien entre ces différents éléments ?
La première ligne des « considérant » affirme : « Une idéologie socialiste exige une concentration des pouvoirs qui, à maintes reprises, a conduit à l’effondrement des régimes communistes, à des régimes totalitaires et à des dictatures brutales. » Curieusement, la résolution ne cite pas un seul cas où cela se serait produit. Au lieu de cela, la résolution énumère un certain nombre de régimes dont les dirigeants ont commencé par être autoritaires et ont vu dans l’Union soviétique un modèle à imiter, plutôt que d’identifier des cas de gouvernements socialistes démocrates qui seraient devenus autoritaires. Pourtant, elle présente cette dérive comme inévitable.
Par exemple, les auteurs de la résolution ne mentionnent aucunement le fait qu’un parti socialiste démocrate a été au pouvoir presque sans interruption en Suède de 1932 à 1976, sans que l’inévitable effondrement vers un régime à parti unique et une dictature brutale ne se produise. Mais peut-être les socialistes suédois étaient-ils trop occupés à créer un État-providence ambitieux et à donner aux syndicats le pouvoir de fixer des salaires planchers pour des secteurs entiers de l’économie, pour se souvenir qu’ils étaient censés construire des goulags pour leurs ennemis politiques.
La supercherie apparaît clairement dans les dernières lignes de la résolution :
Considérant que le président Thomas Jefferson, auteur de la Déclaration d’indépendance, a écrit : « Prendre à quelqu’un, parce qu’on estime que son travail et celui de ses pères ont produit trop, afin d’en donner à d’autres qui, ou dont les pères, n’ont pas exercé le même travail et la même habileté, c’est violer arbitrairement le premier principe de l’association, la garantie pour chacun du libre exercice de son travail et des fruits qu’il en retire. » ;
Considérant que le président James Madison, le « Père de la Constitution », a écrit : « Ce n’est pas un gouvernement juste, ni un gouvernement qui garantit la sécurité des biens, lorsqu’un groupe de citoyens viole la sécurité et la liberté individuelles d’un autre groupe par des saisies arbitraires au profit du reste de la population. »
Considérant que les États-Unis ont été fondés sur la croyance que l’individu est sacré, ce à quoi le système collectiviste du socialisme, sous toutes ses formes, s’oppose fondamentalement et nécessairement.
En conséquence, approuvé par par la Chambre des Représentants (avec l’accord du Sénat),
Le Congrès dénonce le socialisme sous toutes ses formes et s’oppose à la mise en œuvre de politiques socialistes aux États-Unis.
Les citations de Jefferson et Madison, choisies avec soin, semblent indiquer que toute redistribution des richesses est étrangère aux traditions fondatrices de la politique américaine. En réalité, les opinions de ces hommes étaient bien plus complexes que cela.
Dans une lettre de 1785 adressée à Madison, Jefferson écrit par exemple que, bien qu’il soit « conscient qu’une division égalitaire de la propriété est irréalisable », il pense que « les immenses inégalités » produisent « tant de malheurs pour la majeure partie de l’humanité » qu’il est impératif que les législateurs trouvent des moyens pour les réduire considérablement. Selon lui, il serait possible de remédier à cette situation en imposant que les terres héritées soient réparties entre tous les enfants plutôt que d’être attribuées à un seul héritier, ce qui est beaucoup plus radical que tout ce que propose Mamdani. Un autre « moyen de réduire subtilement les inégalités en matière de propriété », écrit Jefferson, « consiste à exempter tout le monde d’impôt en dessous d’un certain seuil et à taxer les tranches supérieures du patrimoine selon une progression proportionnelle à leur augmentation », ce qui ressemble beaucoup au mamdanisme tel qu’il existe actuellement, c’est-à-dire au socialisme démocrate contesté par le Congrès.
En fin de compte, l’idéal démocratique de Jefferson était une république de petits agriculteurs et de petits artisans indépendants. Il termine sa lettre à Madison en écrivant : « Les petits propriétaires terriens constituent la partie la plus précieuse d’un État. » Cette vision comportait cependant énormément de restrictions et d’angles morts. (De toute évidence, les droits des esclaves étaient totalement exclus des considérations morales de Jefferson.) Même en mettant cela de côté, la vision fondamentale d’une société qui n’est pas dominée par les riches parce que la plupart des gens sont de « petits propriétaires terriens » est depuis longtemps devenue irréalisable. Dans une économie moderne dominée par la haute technologie, la plupart des tâches seront effectuées par des groupes de personnes travaillant ensemble. La véritable question est donc de savoir si ces groupes seront collectivement propriétaires de leurs propres lieux de travail ou s’ils seront soumis à la volonté d’une classe distincte de propriétaires privés.
En ce qui concerne les mesures à court terme qui pourraient nous rapprocher un peu plus du socialisme, la démocratie de Jefferson et le socialisme démocrate à la Mamdani convergent quant au mécanisme de financement des efforts du gouvernement pour améliorer la vie des citoyens. Qu’il s’agisse des propositions de Mamdani visant à rendre les bus et les garderies gratuits à New York ou de la proposition de Bernie Sanders de remplacer le système d’assurance maladie privée à but lucratif par un système « Medicare for All » d’assurance maladie publique à payeur unique, les socialistes s’accordent à dire que le bon moyen pour financer ces mesures est de prélever des impôts qui augmentent « de manière progressive » au fur et à mesure que les revenus augmentent.
La mise en œuvre de ces politiques ne transformerait pas les États-Unis en un État autoritaire à parti unique. Elle en ferait toutefois une société nettement plus humaine et plus vivable.
Trump rencontre Mamdani et oublie immédiatement les horreurs du socialisme
Quatre-vingt-six Démocrates, dont le leader de la minorité de la Chambre des représentants Hakeem Jeffries, la whip Démocrate Katherine Clark [cheffe adjointe de la majorité et de la minorité, appelée whip, son rôle est de rassembler les membres du parti sur les sujets les plus importants, NdT], le président du Caucus Pete Aguilar et le vice-président du Caucus Ted Tiu, ont rejoint le GOP en votant pour dénoncer le socialisme. Quelques heures plus tard, Donald Trump est sorti de la réunion qu’il a tenu avec l’un des plus éminents socialistes du pays et… il a fait l’éloge du socialiste.
Apparemment charmé par le maire élu depuis qu’ils se sont retrouvés dans la même pièce, Trump a déclaré lors de la conférence de presse qui a suivi l’entretien privé : « Je suis convaincu qu’il peut faire un bon boulot et que lui et Mamdani sont d’accord sur beaucoup plus de points que je ne l’aurais cru. » Après avoir prédit pendant des mois une catastrophe pour sa ville natale avec Mamdani pour maire, Trump a même déclaré qu’il « se sentirait très, très à l’aise s’il vivait à New York ».
Du côté de Mamdani, cette rencontre avait tout son sens. En effet, s’il se heurte à l’administration Trump après son entrée en fonction, comme cela semble probable, il souhaite montrer qu’il est prêt à se montrer raisonnable et à collaborer pour trouver des solutions aux problèmes relatifs au coût de la vie.
Mais qu’est-ce qui explique ce revirement spectaculaire du côté de Trump ? En fait il pourrait simplement s’agir en partie de cet instinct animal du président qui aime malmener ceux qui lui semblent vulnérables et flatter ceux qui sont charismatiques et populaires (surtout à un moment où Trump lui-même est au fond du trou dans les sondages). Et il est fort probable que son gentil discours sera complètement oublié dans une semaine.
Ce qui se passe là-bas pourrait toutefois refléter une vérité simple qui cadre mal avec la position du Congrès sur « les horreurs du socialisme ». Mamdani a commencé la course avec 1 % des intentions de vote et a fini par battre l’ancien gouverneur de son État, qui bénéficiait du soutien de l’ensemble de l’establishment démocrate, lors des primaires démocrates. Lorsque l’ancien gouverneur s’est présenté comme candidat indépendant contre Mamdani et le candidat républicain Curtis Sliwa, Mamdani a non seulement remporté la course à trois, mais il a également battu le total combiné de ses adversaires.
En ce qui concerne la politique d’ici et maintenant, le fait est que la plupart des Américains ne trouvent pas les propositions des socialistes démocrates spécialement horribles.
Alors que les experts centristes pourraient être tentés de minimiser le succès des propositions de Mamdani visant à rendre la vie plus abordable pour la classe ouvrière en arguant que New York n’est pas représentative du pays, les sondages nationaux contredisent cette affirmation. Data for Progress rapporte :
Nous constatons que nombre des politiques de Mamdani visant à réduire les coûts du logement sont plébiscitées par les électeurs à l’échelle nationale, en particulier le fait d’accélérer la procédure d’approbation pour la construction de logements abordables (83 %) et de sanctionner les propriétaires qui augmentent fortement les loyers ou enfreignent les mesures de protection des locataires (82 %). Une forte majorité d’électeurs se déclare également favorable à une taxe supplémentaire de 2 % sur les revenus supérieurs à 1 million de dollars (72 %), à une augmentation des impôts sur les sociétés (72 %), ainsi qu’à la mise en place de nouveaux programmes de réduction de la violence et d’équipes de santé mentale chargées de répondre à certains appels au 911 à la place de la police (72 %), à la réduction des amendes et des frais pour les petites entreprises (70 %) et à la mise en place de garderies gratuites pour tous les enfants de la naissance jusqu’à l’âge de 3 ans (65 %).
Rien de tout cela, bien sûr, ne veut dire que les objectifs les plus ambitieux des socialistes démocrates, à savoir mettre fin à la tyrannie des élites et étendre la démocratie au monde du travail, bénéficient actuellement d’un soutien majoritaire. Cependant, lorsqu’il s’agit de la politique d’ici et maintenant, le fait est que la plupart des Américains ne trouvent pas les propositions des socialistes démocrates particulièrement horribles. Et pour l’instant, du moins, les réactionnaires comme Trump sont sur la défensive.
Il ne fait aucun doute que les instincts autoritaires de Trump et son dévouement au service des ultrariches le conduiront bientôt à être en conflit avec le maire Mamdani. Mais pour l’instant, cependant, il en est resté sonné et souriant, ne sachant pas trop comment réagir.
Ce qui s’est passé hier montre bien que l’opposition ne sait pas trop comment réagir face à la popularité et à la dynamique évidentes d’un socialiste démocrate. Entre éloges et critiques, ils essaient un peu tout pour essayer de trouver ce qui marche.
Contributeur
Ben Burgis est chroniqueur à Jacobin, il est professeur adjoint de philosophie à l’université Rutgers et animateur de l’émission et podcast « Give Them An Argument » sur YouTube. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont le plus récent est Christopher Hitchens : What He Got Right, How He Went Wrong, and Why He Still Matters (Christopher Hitchens : ce qu’il a vu juste, où il s’est trompé et pourquoi il est toujours d’actualité).
Source : Jacobin, Ben Burgis – 22-11-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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