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4.décembre.20254.12.2025 // Les Crises

L’agent orange, une arme chimique qui continue de tuer

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Les effets durables de cet herbicide datant de la guerre du Viêt Nam montrent pourquoi le souvenir doit aller de pair avec l’action.

Source : Responsible Statecraft, Susan Hammond, Sera Koulabdara
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le 30 novembre a marqué la Journée internationale du souvenir de toutes les victimes de la guerre chimique. Instaurée par les Nations unies en 2015, cette journée rend hommage à ceux qui ont souffert des armes chimiques et réaffirme notre engagement collectif à faire en sorte que ces horreurs ne se reproduisent plus jamais.

Depuis l’entrée en vigueur de la convention sur les armes chimiques (CAC) en 1997, 197 pays l’ont ratifiée. Israël l’a signée mais ne l’a jamais ratifiée ; l’Égypte, la Corée du Nord et le Sud-Soudan ne l’ont pas signée. L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) a annoncé en juillet 2023 que tous les stocks d’armes chimiques signalés par les pays membres, y compris ceux des États-Unis, ont été détruits. Il s’agit de l’une des plus grandes réussites de l’histoire moderne en matière de désarmement.

Et pourtant, pour nombre de gens, les cicatrices de la guerre chimique sont encore vives.

Lorsque la plupart des gens pensent armes chimiques, ils ont à l’esprit des images de masques à gaz, d’attaques au sarin ou au gaz moutarde, outils de la barbarie moderne. Pour d’innombrables familles aux États-Unis, au Viêt Nam, au Laos et au Cambodge, l’héritage de la guerre chimique porte un autre nom : l’agent orange.

Entre 1961 et 1971, l’armée américaine a dispersé environ 76 millions de litres d’herbicides sur le sud du Viêt Nam, le long de la piste Ho Chi Minh au Laos et dans certaines parties du Cambodge. Près des deux tiers de ces herbicides étaient de l’agent orange, dont on a découvert par la suite qu’il était contaminé par la 2,3,7,8-tétrachlorodibenzo-p-dioxine (TCDD), une dioxine puissante et persistante. La TCDD est un cancérogène humain reconnu et un perturbateur endocrinien, lié à des cancers, des troubles de la reproduction et des malformations congénitales qui peuvent s’étendre sur plusieurs générations.

Selon la définition de la CAC, l’agent orange n’est pas considéré comme une « arme chimique ». Si on interroge un vétéran du Viêt Nam souffrant de la maladie de Parkinson, d’un cancer, d’une maladie cardiaque ou de l’une des 19 affections que le ministère des anciens combattants (VA) associe à l’exposition à l’agent orange, on entendra une toute autre version des faits. Pour eux, l’agent orange était bel et bien une arme conçue pour détruire la vie et la santé.

Les chiffres sont éloquents. La loi de 1991 sur l’agent orange a permis au ministère des Anciens combattants de présumer que tous les anciens combattants ayant servi au Viêt Nam avaient été exposés, ce qui leur donnait droit à des soins et à une indemnisation. Un rapport publié en 2018 par le Government Accountability Office a révélé que plus de 757 000 vétérans, soit environ un sur quatre, bénéficiaient de prestations liées à l’agent orange.

La loi PACT de 2022 a élargi ce cercle aux vétérans ayant servi dans d’autres régions où l’agent orange a été utilisé. En 2024, plus de 84 000 nouveaux vétérans de l’èpoque du Viêt Nam ont reçu une indemnisation, souvent en raison de leur exposition à l’agent orange. Cependant, la VA continue d’exclure la plupart de leurs enfants du bénéfice des prestations pour malformations ou handicaps congénitaux, à moins que leur mère, et non leur père, ait servi au Viêt Nam. Cette injustice persiste alors même que les preuves des répercussions intergénérationnelles se multiplient..

Pendant des années, le gouvernement américain a évité de s’attaquer aussi aux dommages causés à l’étranger. Ce n’est qu’au milieu des années 2000 que les États-Unis et le Viêt Nam ont commencé à travailler de concert pour éliminer les résidus de dioxine et mettre fin à la contamination. Grâce à l’action inlassable de l’ancien sénateur Patrick Leahy (Démocrate-Vermont.) et de son équipe, les États-Unis ont depuis débloqué plus de 333 millions de dollars pour la dépollution des bases aériennes de Da Nang et de Bien Hoa, et 139 millions de dollars pour des programmes de santé et d’aide aux personnes handicapées dans les communautés vietnamiennes touchées. Lors de son voyage à Hanoi au début du mois, le secrétaire à la défense Pete Hegseth a réaffirmé l’engagement des États-Unis en faveur de cette coopération et du renforcement des liens en matière de défense.

Cette coopération vitale s’arrête toutefois aux frontières du Viêt Nam.

Au Laos voisin, les familles endurent les mêmes souffrances sans aucun soutien. Le projet War Legacies a recensé des centaines d’enfants nés avec de graves malformations dans les régions du Laos où les herbicides ont été puvérisés, malformations étrangement similaires à celles observées au Viêt Nam. Avant de prendre sa retraite en 2023, le sénateur Leahy a obtenu 1,5 million de dollars pour les programmes d’aide aux personnes handicapées au Laos, puis 3 millions de dollars supplémentaires au cours des deux années suivantes. Pourtant, au début de cette année, le projet OKARD (« Opportunité » en lao), l’un des rares programmes de soutien aux personnes handicapées le long de la piste Ho Chi Minh, a été discrètement supprimé. Ces familles ont une fois de plus été abandonnées à leur sort.

Cinquante ans après la fin de la guerre du Viêt Nam, l’héritage toxique de l’agent orange et d’autres dioxines perdure. La CAC ne l’inscrit peut-être pas sur la liste des armes interdites, mais ses effets, des décennies de souffrance, de maladies intergénérationnelles et de destruction écologique, font que cette distinction n’a pas lieu d’être.

Alors que nous rendons hommage aux victimes de la guerre chimique, nous devons également nous souvenir de ceux dont les souffrances ne correspondent pas aux définitions internationales strictes. L’agent orange était destiné à détruire la végétation de la jungle, mais ce qu’il a réellement mis à nu, c’est l’ombre persistante de la guerre chimique sur la vie humaine.

Les États-Unis ont pris des mesures de réparation louables au Viêt Nam. Une véritable réconciliation et un leadership moral exigent d’aller plus loin. Cela signifie élargir le soutien aux communautés du Laos et du Cambodge qui ont également été victimes d’actions irréfutables de la part de notre pays. Cela signifie qu’il faut veiller à ce que les anciens combattants et leurs familles ici, chez nous, reçoivent la reconnaissance et les soins qu’ils méritent, en incluant les enfants nés avec des handicaps qui pourrainet être liés à l’exposition de leurs parents. Cela signifie également qu’il faut poursuivre la recherche scientifique nécessaire pour comprendre pleinement ces effets générationnels.

Les armes chimiques ne se trouvent peut-être plus dans nos arsenaux, mais leurs fantômes persistent dans le sol de l’Asie du Sud-Est, dans les corps de nos anciens combattants et dans l’ADN de leurs enfants. Pour rendre hommage aux victimes de la guerre chimique, nous devons non seulement nous souvenir de ceux qui ont été tués par le sarin ou le gaz moutarde, mais aussi de ceux qui vivent encore avec les blessures cachées de l’agent orange.

Tant que ces blessures ne seront pas traitées, notre travail pour mettre fin à la guerre chimique restera inachevé.

Susan Hammond, fille d’un vétéran américain du Viêt Nam, travaille au Viêt Nam, au Laos et au Cambodge depuis 1995 avec le Fonds pour la réconciliation et le développement. Elle est également la fondatrice du projet War Legacies.

Sera Koulabdara est PDG de Legacies of War, une organisation qui se consacre à la collecte de fonds et à la sensibilisation au déminage humanitaire, à l’assistance aux victimes et à l’éducation aux risques liés aux explosifs. Sera est également membre du groupe « Environmental issues in Mine Action » (Les questions environnementales dans le domaine de la lutte antimines).

Les opinions exprimées par les autrices sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.

Source : Responsible Statecraft, Susan Hammond, Sera Koulabdara, 27-11-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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