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2.juin.20252.6.2025 // Les Crises

Naomi Klein : L’alliance entre l’extrême droite et la Silicon Valley fait naître un « fascisme de la fin des temps »

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Il nous faut avoir foi en l’avenir si nous voulons lutter contre la vision apocalyptique que porte MAGA, déclare la journaliste Naomi Klein.

Source : Truthout, Amy Goodman, DemocracyNow !
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Une alliance entre l’extrême droite et les oligarques de la Silicon Valley a donné naissance à une forme de « fascisme de la fin des temps », affirme la journaliste Naomi Klein, qui dans un récent essai coécrit avec Astra Taylor, détaille comment de nombreuses élites fortunées se préparent à la fin du monde alors même qu’elles contribuent à l’accroissement des inégalités, à l’instabilité politique et à la crise climatique. Selon Naomi Klein, alors que les milliardaires rêvent de se réfugier dans des enclaves bunkérisées ou même dans l’espace, le président Donald Trump et d’autres dirigeants de droite transforment leurs pays en forteresses militarisées afin d’empêcher les immigrants de venir de l’étranger tout en renforçant leur contrôle autoritaire à l’intérieur du pays.

« Le fascisme a toujours un côté apocalyptique, mais le fascisme des années 1930 et 1940 s’inscrivait dans une perspective d’avenir utopique, explique Klein. Aujourd’hui, en revanche : « Nous sommes face à des gens qui misent ouvertement contre l’avenir – et pas seulement en pariant ouvertement à son encontre, mais en alimentant les feux qui embrasent ce monde. »

AMY GOODMAN : Ici Democracy Now !, democracynow.org, The War and Peace Report. Je suis Amy Goodman.

Nous passons le reste de cette heure avec la journaliste et auteure primée Naomi Klein. Elle vient de publier un nouvel article majeur, coécrit avec Astra Taylor, pour le journal The Guardian. Il s’intitule « La montée du fascisme de la fin des temps. » Il se penche sur la ferveur apocalyptique de l’extrême droite.

Elles y écrivent, entre autres : « Les personnes les plus puissantes du monde se préparent à la fin du monde, une fin qu’elles accélèrent elles-mêmes frénétiquement. On n’est pas très loin de la vision plus grand public des nations fortifiées qui s’est emparée de la droite [dure] dans le monde entier, de l’Italie à Israël, de l’Australie aux États-Unis : en cette période de péril incessant, les mouvements ouvertement suprémacistes de ces pays transforment leurs États relativement riches en bunkers armés », écrit Naomi Klein.

Elle est également professeur de justice climatique à l’université de Colombie-Britannique et co-directrice fondatrice du UBC Centre for Climate Justice. Son tout dernier livre est Doppelganger : A Trip into the Mirror World. (Le Double : Voyage dans le Monde miroir) [Doppelganger est le double fantomatique — le plus souvent un jumeau maléfique — d’une personne vivante. Dans le folklore, le doppelgänger n’a ni ombre ni reflet dans un miroir ou dans l’eau, NdT]

Naomi, bienvenue dans l’émission Democracy Now ! C’est un plaisir de vous avoir parmi nous. Pourriez-vous commencer en nous parlant de votre article et de ce que vous entendez exactement par le fascisme de la fin des temps ?

NAOMI KLEIN : C’est un plaisir d’être avec vous, Amy.

Ceci n’est pas l’article le plus joyeux que j’aie jamais écrit, avec Astra Taylor, une collaboratrice très proche, fondatrice de Debt Collective. Nous voulions mettre en évidence les similitudes et les différences qui existent entre les différentes politiques d’extrême-droite que nous observons aujourd’hui. Et je dois dire que ce document n’est pas seulement sinistre. Il se penche également sur les implications en termes de réponse à cette forme particulière de fascisme, parce que nous ne pouvons pas le combattre si nous ne le comprenons pas. Je pense donc qu’un grand nombre des excellents chercheurs qui tentent de comprendre l’autoritarisme aujourd’hui, qu’il s’agisse de Trump ou de personnalités comme Duterte ou Modi, se sont intéressés aux similitudes entre ces figures d’extrême droite comme, disons, Mussolini ou Hitler, et ont adopté une approche de type check-list en recherchant ce qui est similaire au passé, ok ? Et je pense que cela présente beaucoup d’intérêt. Mais le risque, c’est que cela ne tienne pas compte de ce qui est nouveau et de ce qui est propre à notre époque.

Les fascismes sont toujours nés d’une tentative de la droite pour résoudre une crise de son époque. Exact ? Ainsi, dans les années 1930, ils tentaient de répondre, vous savez, en Allemagne, aux humiliations de la Première Guerre mondiale, aux impacts de la Grande Dépression, et de proposer un front uni face à tout cela au bénéfice de leur groupe d’appartenance. Mais notre époque est différente, et l’une des choses qui la rendent différente : je veux dire, si vous pensez au fascisme des années 1930, cela se passait avant la bombe atomique. C’était avant qu’ils ne comprennent le changement climatique. Nous vivons un moment qui voit nos élites, qu’elles l’admettent ou non, réaliser que notre modèle économique – et j’ai écrit des livres à ce sujet et j’en ai parlé avec vous par le passé – est en guerre contre la vie sur Terre, pas vrai ? Et pour cela, il faut toujours plus d’extraction de combustibles fossiles, de toutes sortes de choses – vous savez, en gros, tout ce qui peut être extrait de cette Terre et transformé en énergie et en argent, en particulier maintenant avec l’IA, qui est un gros consommateur d’énergie et de ressources : l’eau, le GNL, les minerais essentiels, bref, tout ça.

Nous essayons donc de comprendre comment cela alimente le type de fascisme auquel nous assistons, et nous essayons également de comprendre ce qui rassemble cette sorte d’étrange coalition à la Frankenstein que représente Trump, où il rassemble ces – vous savez, les personnes les plus riches du monde qui aient jamais existé avec de nombreuses personnes de la classe ouvrière, ce qui fait le lien entre les deux visions, pas vrai ?

Et dans cet article, ce que nous avançons, ou ce que nous proposons, c’est qu’ils ont tous démissionné et abandonné notre monde. Ils adhèrent tous à une sorte de fièvre apocalyptique – pas vrai ? – qu’il s’agisse d’Elon Musk et de Jeff Bezos et de leurs investissements dans l’espace, du fait qu’ils ont plus ou moins rayé notre planète, de l’IA, qui est prête à sacrifier ce monde vivant pour construire un monde artificiel, ou de la vision plus populiste MAGA qui construit un État-nation forteresse. D’accord ? Et qui pensent : « D’accord, on sait que de plus en plus de gens vont venir ici. On sait que le désastre se profile à l’horizon. » J’ai beaucoup écouté Steve Bannon pour – vous savez, quand j’écrivais Doppelganger, et tout cela est très survivaliste, n’est-ce pas ? Vous savez, la plupart des publicités en fait vendent de l’or, parce que l’économie va s’effondrer, des repas prêts à consommer pour un laps de temps de 90 jours, parce qu’on ne sait jamais ce qui va se passer. On voit donc la nation et le groupe d’appartenance comme étant dans un bunker et donc que le groupe extérieur se retrouve dans ces territoires de non-droit dont vous avez parlé dans l’émission. Les deux visions ne sont donc pas les mêmes, mais ce qu’elles partagent, c’est cette fièvre apocalyptique.

Et puis, bien sûr, tout cela obéit à la même structure, une structure narrative similaire à celle de l’Apocalypse biblique. Et, bien sûr, au sein de la coalition Trump on trouve des gens qui croient à tout ça , qui sont, vous voyez bien, des sionistes chrétiens, comme Mike Huckabee et Pete Hegseth, qui sont convaincus que la fin des temps est proche, et ils pensent que tout va se passer en Israël. Et toutes ces horreurs dont vous rendez fidèlement compte dans l’émission sont autant de signes annonciateurs de ce que sera l’Apocalypse, n’est-ce pas ? Parce que cela signifie que la fin arrive et que les vrais croyants seront élevés vers une cité d’or dans le ciel. Il s’agit donc de la version religieuse de cette histoire, la version religieuse fondamentaliste de cette histoire, où vous croyez littéralement que vous allez être sauvé et emmené au paradis, mais aussi de la vision séculière, où votre richesse vous protège, ou votre citoyenneté vous protège, et vous vous retrouvez dans votre propre version de cette ville dorée et bunkérisée.

AMY GOODMAN : Vous avez parlé de Gaza, et vous revenez de la conférence de Jewish Voice for Peace qui s’est tenue à Baltimore, où plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées venant de tout le pays. Notre Une la plus récente parlait de l’armée israélienne qui est en train de rappeler des dizaines de milliers de réservistes alors que le cabinet de sécurité israélien a approuvé à l’unanimité ce week-end des plans visant à étendre son assaut sur Gaza, alors qu’Israël y a déjà tué plus de 52 000 Palestiniens – et c’est de loin une sous-estimation – au cours des 18, 19 derniers mois. Israël a tué plus de 2 400 Palestiniens depuis sa violation du cessez-le-feu en mars. Tout ceci se produit alors que le blocus dévastateur d’Israël concernant l’aide alimentaire est entré dans son troisième mois. Les autorités sanitaires palestiniennes affirment que 57 Palestiniens sont déjà morts de faim. Selon l’UNICEF, depuis le début de l’année, plus de 9 000 enfants ont été hospitalisés pour malnutrition aiguë. Les organisations humanitaires, comme le Conseil norvégien pour les réfugiés, fustigent une nouvelle proposition israélienne visant à prendre le contrôle de la distribution et à confier cette tâche à des entreprises de sécurité américaines. Pourriez-vous nous parler, comme vous le faites si souvent, de ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie et de la place centrale qu’occupe Israël dans la vision du monde et l’approche de la politique étrangère du président Trump et de l’actuel gouvernement américain – même si c’était aussi le cas, par le passé, du président Biden ?

NAOMI KLEIN : Eh bien, je ne pense pas que la réponse à la question de savoir quelles sont les forces motrices soit univoque. Et c’est ce que nous essayons de comprendre, il y a en fait une sorte de convergence de ces différentes visions apocalyptiques du monde. Certaines d’entre elles sont religieuses, d’autres sont laïques, pas vrai ? Je pense donc que les gens qui souscrivent à cette version littérale de l’Apocalypse pensent que tout cela c’est une bonne nouvelle, dans le sens où, selon l’histoire en laquelle ils croient, les Israélites doivent retourner dans le Grand Israël. Ce sont les conditions préalables au retour du Messie. Ils doivent reconstruire le Troisième Temple. Et voilà comment on se retrouve avec une convergence d’intérêts entre les extrémistes religieux et le gouvernement Netanyahou, tous sont absolument déterminés à reconstruire le Troisième Temple. C’est vraiment ce qu’ils veulent faire. Ils veulent détruire Al-Aqsa. Voilà pourquoi celle-ci fait l’objet de toutes leurs attentions.

Mais alors, voyons, Trump croit-il en tout ça ? Je ne pense pas que ce soit le cas. Ce que je veux dire c’est que ce que Trump voit pour Gaza, c’est tout simplement une source de richesse. Il voit de l’argent. Il voit un complexe touristique privé.

AMY GOODMAN : Complexe touristique…

NAOMI KLEIN : Tout à fait. Mais c’est ce que je dis depuis le début. Je pense que les intérêts ont été assez consistants en ce qui concerne l’objectif final, à savoir le dépeuplement de Gaza, l’expulsion des Palestiniens, que ce soit par la mort ou par l’exil forcé, ou encore par le nettoyage ethnique. Et du temps de l’administration Biden, il y avait un déni de ce qui se passait. Et avec l’administration Trump, tout est révélé au grand jour. Donc, vous voyez, c’est ça qui se passe.

Je pense que la raison en est différente. Mais c’est ce que – une partie de ce à quoi nous arrivons dans l’article, Astra et moi, est qu’il y a une convergence d’intérêts en termes de ce qu’Israël représente. Certains des partisans de l’administration Trump dans l’industrie de la technologie parlent de vouloir des villes de la liberté, par exemple, ces villes d’entreprises privées. Et ils en parlent comme étant du sionisme technologique. Ils ont beaucoup d’admiration pour l’idée qu’Israël a été créé, disent-ils, à partir d’un livre, les livres de Theodor Herzl. Et ils se sont dit : « Pourquoi ne pourrions-nous pas créer notre propre pays, nos propres pays privés ? Pourquoi devrions-nous – vous savez, pourquoi devrions-nous respecter les règles de l’État-nation ? »

Je pense donc qu’une partie du soutien que reçoit Israël n’est pas seulement due à nos conceptions classiques du sionisme juif ou du sionisme chrétien, bien que cela soit exactement ce qu’il se passe. C’est aussi l’idée d’un start-up pays très avancé sur le plan technologique, voyez-vous ? C’est ainsi qu’Israël s’est vendu sur le marché. Et beaucoup de ces entreprises technologiques veulent faire la même chose à San Francisco. Elles veulent expulser tous ceux qui ne sont pas d’accord avec elles, qui sont pauvres, qui ont davantage de besoins, et créer leur sorte d’utopie corporatiste et privatisée. Alors, vous savez, je ne prétends pas qu’il s’agit là d’un projet rationnel. Je dis qu’il y a beaucoup d’histoires qui se recoupent, qui suivent une structure similaire et qui partagent des objectifs similaires, si cela a un sens.

AMY GOODMAN : Je veux dire, oui, je veux dire, la question globale, évidemment, est difficile à comprendre.

NAOMI KLEIN : Mm-hmm, oui.

AMY GOODMAN : Pourtant, la plupart des partisans de Trump ne sont ni riches ni sionistes chrétiens. Alors, pourquoi soutiennent-ils entièrement une telle approche ?

NAOMI KLEIN : Eh bien, on ne sait pas exactement dans quelle mesure ils le soutiennent activement, mais je pense qu’ils estiment avoir un lien de parenté avec l’ethno-état – d’accord ? – parce que nombre des partisans de Trump adoptent une attitude de plus en plus nationaliste chrétienne vis à vis des États-Unis. Et cette tendance est fortement encouragée par des personnalités comme Steve Bannon. Et donc, ils observent Israël, qui est ouvertement un ethno-état qui se retranche face à un océan d’ennemis, et ils veulent faire quelque chose de similaire. Ils partagent des technologies. Ils partagent des précédents juridiques, des outils. Il y a donc bel et bien un sentiment de parenté. Et, vous savez, nous le voyons actuellement avec l’Inde et ses attaques au Cachemire, utilisant des techniques similaires à celles qu’Israël a utilisées à Gaza. Il existe donc une sorte de solidarité entre les ethno-états. Et ils mettent en commun – vous savez, ils échangent même des babioles comme des bippeurs couleur or et des tronçonneuses. Vous savez, c’est une chose que nous – je pense que quand vous êtes ici à la source, aux États-Unis sous l’ère Trump, il est difficile de voir dans quelle mesure il s’agit ici d’un projet international de la droite, et qu’ils s’influencent les uns les autres.

AMY GOODMAN : Et ce qui les unit, vous savez, toute cette mentalité de forteresse, c’est cette haine des immigrés. Vous avez…

NAOMI KLEIN : Oui.

AMY GOODMAN : Le président Trump vient de dire qu’il ne sait même pas – il n’est pas avocat, donc il ne sait pas s’il doit respecter la Constitution, a-t-il dit.

NAOMI KLEIN : Exact. Ce que je veux dire c’est que c’est ce que j’essaie de comprendre, que nous vivons une ère de conséquences, que lorsqu’on ne fait rien face à la crise climatique depuis des décennies, alors que les scientifiques nous mettent en garde, de plus en plus de régions du monde ne sont plus habitables, et voilà que les gens se déplacent pour essayer de trouver la sécurité face aux guerres, aux privations économiques et aux désastres écologiques.

Et donc cette transformation de l’État-nation en véritable forteresse – je pense que c’est ce qu’Israël en est venu à représenter, simplement une toute petite nation retranchée derrière des murs – même si c’est une muraille de haute technologie, le Dôme de fer. Trump explique aujourd’hui : « Ce n’est pas un dôme de fer que je veux, c’est un dôme de richesse ». N’est-ce pas ? Cela…

AMY GOODMAN : Ici.

NAOMI KLEIN : Ici. Et c’est à ça que tout se résume, que ce soit dit explicitement ou non.

AMY GOODMAN : Et un défilé militaire qui coûtera des dizaines de millions…

NAOMI KLEIN : Oui.

AMY GOODMAN : de dollars, le jour de son anniversaire, en juin, alors même qu’il fait tout pour mettre en pièces le gouvernement fédéral.

NAOMI KLEIN : C’est exact. Le modèle consiste donc à protéger le groupe d’appartenance et à procéder à une épuration concernant les groupes extérieurs. N’est-ce pas ? Et donc, je pense que c’est – vous savez, s’il y a un soutien de la base MAGA en faveur d’Israël, c’est moins par affection pour Israël que parce qu’il y a une identification, comme si eux faisaient ce que nous, nous souhaitons faire ici.

AMY GOODMAN : Vous écrivez beaucoup de choses dans votre article, et je voudrais juste revenir sur l’une d’entre elles. En parlant de la vision apocalyptique de Musk, vous parlez, et vous détaillez aussi le fascisme de la fin des temps, toute cette question de la montée de la ville-État, de la ville-État entreprise. Je pense que c’est un concept nouveau pour beaucoup. Ils ne sauront pas de quoi vous parlez.

NAOMI KLEIN : Oui.

AMY GOODMAN : Dans le sud du Texas, Starbase, ce groupe de gens, qui sont principalement des gens qui travaillent pour SpaceX, viennent de voter pour la création d’une ville juste à cet endroit ?

NAOMI KLEIN : Mm-hmm, oui. Oui. Je veux dire que l’idée d’une ville d’entreprise n’est pas entièrement nouvelle, n’est-ce pas ? Disney a eu Celebration, en Floride, et il existe une certaine continuité dans ce domaine, n’est-ce pas ? Des lignées coloniales. Vous savez, je vis au Canada, qui a commencé avec la Compagnie de la Baie d’Hudson, n’est-ce pas ? C’était donc une société avant d’être un pays. Il y a donc des précédents.

Mais je pense qu’il s’agit – je suis cela du coin de l’œil, Amy, parce que c’est la direction que les libertariens ont prise depuis un certain temps. Peter Thiel était obsédé par cette idée. Quand on en parle, il s’agit de plus en plus d’exil, c’est-à-dire de quitter la nation et de fonder son propre pays, où l’on peut fixer son propre niveau d’imposition, où l’on peut établir ses propres réglementations.

AMY GOODMAN : Ou pas.

NAOMI KLEIN : Ou pas. Et les pays – et ces petits pays d’entreprises – seront en concurrence les uns avec les autres pour essayer d’attirer les capitaux, n’est-ce pas ? D’une certaine manière, il s’agit donc d’une extension de la zone de libre-échange, n’est-ce pas ? – Il s’agit en quelque sorte d’un pays dénationalisé à l’intérieur d’un pays. Mais Trump a commencé à lancer cette idée en 2023, pendant sa campagne, l’idée qu’il créerait 10 villes de la liberté. Je ne pense pas que sa base savait de quoi il parlait. Mais maintenant, il y a tous ces lobbyistes qui ont bien l’intention de le prendre au mot. Et nous commençons à en voir les prémices avec cette ville SpaceX.

AMY GOODMAN : Vous vous exprimez également sur le Centre de confinement du terrorisme du Salvador, la célèbre prison, CECOT, où des centaines de personnes ont été envoyées depuis les États-Unis, et en même temps, au cours de ces dernières 24 heures, le Président Trump a dit qu’il voulait rouvrir la célèbre prison d’Alcatraz…

NAOMI KLEIN : Oui.

AMY GOODMAN : une île à San Francisco. Si nous pouvons parler de la prison comme d’un modèle pour ce que Trump veut mettre en avant, et en particulier en relation, comme nous le voyons, avec les immigrés ?

NAOMI KLEIN : Eh bien il s’agit là d’une vision incroyablement lugubre. De fait, la répression est toujours un élément essentiel de tout projet fasciste, n’est-ce pas ? Il faut endiguer le groupe extérieur. Il faut le faire disparaître. Cet aspect n’est donc pas nouveau. Mais ce qui me préoccupe le plus, c’est que Trump a été élu en promettant toutes sortes de choses à sa base, n’est-ce pas ? Il a promis d’éliminer l’inflation. Il a promis de ramener ces emplois formidables au pays. Il n’est en train de tenir aucune de ces promesses. La partie sadique de son projet est donc tout ce qu’il a à offrir, n’est-ce pas ?

Je pense que l’une des choses les plus glaçantes que j’aie jamais vues aux États-Unis, c’est la vidéo que Trump a partagée lors de son meeting des cent jours, du sadisme à l’état pur, où l’on voit des prisonniers, comme un divertissement, se faire raser, se faire entrâver par des chaînes, être exhibés. Par contre il ne tient pas ses promesses en ce qui concerne le prix des œufs. Et il ne tient pas ses promesses en matière d’emploi, parce qu’il mise tout, il se lance à corps perdu dans l’IA. Les emplois qui reviennent semblent donc être principalement destinés aux robots. Ils ne sont pas vraiment pour sa base. Et donc, toiut cela ne fait qu’augmenter le besoin de sadisme et de ces spectacles, n’est-ce pas ? Et je pense que c’est ce que représente quelque chose comme Alcatraz. Trump est un producteur de télévision, avant tout, n’est-ce pas ? Il produit des spectacles. Et moins il a à offrir économiquement, tangiblement, matériellement, plus il s’appuie sur le sadisme.

AMY GOODMAN : Vous écrivez : « L’idéologie de l’extrême droite est devenue un survivalisme monstrueux et suprémaciste. Notre tâche est de construire un mouvement suffisamment fort pour les arrêter. » À quoi ressemblerait un tel mouvement, ou que voyez-vous se dessiner à l’heure actuelle ?

NAOMI KLEIN : Vous savez, ce que nous faisons dans cette pièce en exposant la noirceur de la vision – et quand je dis « noirceur », vous savez, je pense que c’est au-delà de ce qu’on a jamais vu auparavant, parce qu’il y a toujours une facette apocalyptique au fascisme, mais le fascisme des années 1930 et 1940 avait un horizon. Disons qu’après l’apocalypse, on promettait aux gens un avenir, un petit coin de terre pastoral et paisible où ils pourraient vivre leur vie. Même si Trump parle d’un âge d’or, il n’y a pas vraiment d’avenir auquel la base croit, vous savez ? Et c’est ce que j’ai appris en avalant beaucoup trop de médias MAGA, Amy. Ils envisagent un avenir de guerre sans fin, n’est-ce pas ? Et c’est pour ça qu’ils se bunkérisent. C’est pour ça qu’ ils achètent des repas tout prêts pour subsister. C’est pour ça qu’ils achètent de l’or et des crypto-monnaies. Ils pensent que tout va s’écrouler. Donc…

AMY GOODMAN : Et c’est aussi pour ça qu’Elon Musk essaie d’avoir autant d’enfants, au moins 14 à ce jour. Mais il l’a explicitement indiqué par texto, en disant : « C’est une chose que nous devons faire beaucoup plus vite », comme il l’a proposé à l’une des femmes avec lesquelles il a des enfants, en disant : « Nous devons commencer à utiliser des mères porteuses. »

NAOMI KLEIN : Ils ne croient donc pas en l’avenir, c’est tout ce qu’il faut retenir. Et c’est – vous savez, je pense que j’ai été dans beaucoup d’espaces progressistes ces derniers mois pendant lesquels nous avons parlé de construire ces coalitions très larges, y compris avec des gens avec lesquels nous ne sommes pas entièrement en désaccord. Je n’ai jamais rencontré de coalition potentielle plus large que celle qui souscrirait à l’idée suivante : et si nous avions foi en ce monde ? Et si nous avions foi en l’avenir ? Parce que nous avons en face de nous des gens qui misent clairement en défaveur de l’avenir, n’est-ce pas ? Pas seulement en misant activement contre lui…

AMY GOODMAN : Vingt secondes.

NAOMI KLEIN : mais en alimentant les feux qui brûlent ce monde, en les attisant ouvertement. Je pense donc que si nous avons le courage de regarder en face la noirceur de ce en quoi ils croient, c’est-à-dire un avenir apocalyptique, alors nous avons du pain sur la planche pour être celles et ceux qui croient réellement en cet univers, en ce monde, en la beauté de la création et en chacun d’entre nous.

AMY GOODMAN : Naomi Klein, je tiens à vous remercier de nous avoir répondu, vous êtes une journaliste primée, autrice, chroniqueuse. Nous allons mettre en lien votre article avec Astra Taylor, « La montée du fascisme de la fin des temps ». Je suis Amy Goodman. Ici Democracy Now !

*

Amy Goodman est l’animatrice et la productrice exécutive de Democracy Now !, un programme d’information national, quotidien, indépendant et primé, diffusé sur plus de 1 100 chaînes de télévision et stations de radio publiques dans le monde entier. Le Time Magazine a nommé Democracy Now ! son « Pick of the Podcasts », au même titre que Meet the Press de NBC.

Source : Truthout, Amy Goodman, DemocracyNow !, 05-05-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

Urko // 02.06.2025 à 08h15

Les similitudes du temps avec des aspects du fascisme existent, alimentées par davantage de camps que Mme Klein ne le suggère ; les tentatives de contrôler l’information, la justification de la violence, la volonté de ne plus rien laisser échapper à l’état proviennent ils de la seule droite ? Sur l’immigration en revanche, je ne la comprends pas : un état doit contrôler qui entre sur le territoire qu’il administre, le fascisme n’a rien a voir là-dedans. D’un point de vue pratique, les flux battent des records dans la plupart des pays occidentaux. Renoncer à infléchir des trajectoires migratoires hors de contrôle, voilà l’anomalie, surtout après les conséquences déstabilisatrices sur le corps social et ses infrastructures. Chiffres 2024, France : 336k titres de séjour délivrés, 153k demandes d’asile, soient 489k entrées légales, hors MNA, contre 663k naissances, dont un tiers a au moins un parent étranger (source : ofrap, INSEE). Sur 1,2 million de nouveaux habitants en 2024, plus de 700k sont des immigrés ou des enfants d’immigrés tandis que l’essentiel des 600k décès concernent des non immigrés. Ces données, leur impact sur les prix immobiliers, les réseaux de transports ou de soins, le coût social induit par des taux d’activité des populations immigrées plus faibles que celui de l’ensemble de la population, paraissent peu compatibles avec le « fascisme » (sic) dont Mussolini n’avait donné que deux définitions : « tout pour l’état, tout par l’état, rien en dehors de l’état » et « le fascisme, c’est la fusion de l’état et des entreprises ». Mme Klein s’en fait une autre idée.

8 réactions et commentaires

  • Urko // 02.06.2025 à 08h15

    Les similitudes du temps avec des aspects du fascisme existent, alimentées par davantage de camps que Mme Klein ne le suggère ; les tentatives de contrôler l’information, la justification de la violence, la volonté de ne plus rien laisser échapper à l’état proviennent ils de la seule droite ? Sur l’immigration en revanche, je ne la comprends pas : un état doit contrôler qui entre sur le territoire qu’il administre, le fascisme n’a rien a voir là-dedans. D’un point de vue pratique, les flux battent des records dans la plupart des pays occidentaux. Renoncer à infléchir des trajectoires migratoires hors de contrôle, voilà l’anomalie, surtout après les conséquences déstabilisatrices sur le corps social et ses infrastructures. Chiffres 2024, France : 336k titres de séjour délivrés, 153k demandes d’asile, soient 489k entrées légales, hors MNA, contre 663k naissances, dont un tiers a au moins un parent étranger (source : ofrap, INSEE). Sur 1,2 million de nouveaux habitants en 2024, plus de 700k sont des immigrés ou des enfants d’immigrés tandis que l’essentiel des 600k décès concernent des non immigrés. Ces données, leur impact sur les prix immobiliers, les réseaux de transports ou de soins, le coût social induit par des taux d’activité des populations immigrées plus faibles que celui de l’ensemble de la population, paraissent peu compatibles avec le « fascisme » (sic) dont Mussolini n’avait donné que deux définitions : « tout pour l’état, tout par l’état, rien en dehors de l’état » et « le fascisme, c’est la fusion de l’état et des entreprises ». Mme Klein s’en fait une autre idée.

    • Savonarole // 02.06.2025 à 15h36

      En cours d’histoire , on nous parlait « du siècle des lumières » (qui est la naissance du capitalisme sauvage) et plus tard « des heures sombres » (qui sont la naissance du totalitarisme.)
      La Silicon valley a fait un douloureux mélange : « les lumières sombres » … ça promet des lendemains qui déchantent.

    • lrgnt // 03.06.2025 à 10h36

      L’évolution décrite par Naomi Klein correspond à la survivance et l’accélération d’une vision coloniale du monde , où tout, territoires , hommes et structures sociales ne sont que des ressources à valoriser pour l’intérêt des entrepreneurs uniquement . Aucune responsabilité vis à vis des dégâts environnementaux, aucune réparation pour les peuples lésés. L’état n’est pas neutre, un état bourgeois met la réglementation de l’immigration au service de sa classe possédante qui, étant donné la concurrence néolibérale, a besoin d’un volant de main-d’oeuvre sans droits pour rester compétitive. Un état bourgeois doit en parallèle diffuser une propagande justifiant les pénuries conséquences de l’austérité elle-même conséquence la concurrence, comme conséquence de la « pression migratoire » . L’immigration est une donnée structurelle française depuis des siècles, liée à notre histoire coloniale, néocoloniale et impérialiste, avez-vous peur du « grand remplacement « ? Si l’immobilier est trop cher , c’est à cause du coût du capital , pas la faute des immigrés , qui financent notre pays avec leur jeunesse.

  • Lt Briggs // 02.06.2025 à 13h34

    « Quand on en parle, il s’agit de plus en plus d’exil, c’est-à-dire de quitter la nation et de fonder son propre pays, où l’on peut fixer son propre niveau d’imposition, où l’on peut établir ses propres réglementations. »
    « Trump a commencé à lancer cette idée en 2023, pendant sa campagne, l’idée qu’il créerait 10 villes de la liberté »

    Ca me rappelle furieusement un bouquin d’Ayn Rand, « La grève ». La papesse de l’objectivisme y décrivait l’exil volontaire de tous les gens sains, doués et entreprenants, qui fuyaient ainsi l’autre partie de la population, les sales, fainéants et aigris. Car bien sûr, un mur étanche séparait les deux… Les tycoons actuels, en voulant créer leurs villes à eux, ne fuiraient-ils pas plutôt les dégâts dont ils sont à l’origine (populations appauvries et donc « dangereuses », villes en déliquescence du fait de budgets en baisse en raison de l’évasion fiscale jamais combattue, etc.) ? Rechercher à tout prix les voix des électeurs comme Trump, les abonnements des internautes comme Musk sur X, et dans le même temps considérer l’essentiel de la population comme une masse dangereuse à fuir, c’est une forme de schizophrénie.

    • Rob Ducan Spencer // 03.06.2025 à 01h42

      où l’on peut fixer son propre niveau d’imposition

      Comme en Suisse, au Luxembourg, a Monaco…

  • petitjean // 02.06.2025 à 14h34

    Qui est-elle ?
    Qui parle ?

    Naomi Klein :

    « L’essayiste, militante écologiste et anticapitaliste Naomi Klein publie un nouvel essai, « Le Double, Voyage dans le Monde miroir », une enquête personnelle, sociologique et politique sur l’émergence du complotisme à travers les réseaux sociaux, à l’ère du « capitalisme de surveillance ». »

  • Rob Ducan Spencer // 03.06.2025 à 01h58

    La Silicon Valley a toujours été à la droite de la droite et ce depuis le début. Bill Gates est tout aussi libertarien que l’était Steve Jobs le créateur de Apple ou que l’est Thiel le créateur de nombreuses startup dont Paypal.

    Il y règne la culture de la réussite, de la performance, de l’enrichissement. Le travail acharné est la règle. Les capitaux depuis Joe Biden n’ont jamais autant convergé vers les USA. Si on connait plus la Silicon Valley elle est en perte de vitesse par comparaison avec les nouveaux Eldorado, Houston et plus généralement le Texas.

    Les gens les plus fortunés commencent à quitter la Californie pour échapper aux impôts, au socialisme (?) local…au mouvement woke, etc..au profit d’autres états.

    Airbus a choisi d’installer son usine qui fabrique les a320 pour le marché américain a Mobile en Alabama un état – right to work – lire sans syndicat, sans législations environnementales et pour la fabrication des hélicoptères au Texas.

    Bill Gates est le plus grand propriétaire terrien aux USA..quand on connaît la taille des ranchs au Texas ou au Montana ce fait laisse rêveur.

  • Urko // 03.06.2025 à 16h52

    Absorber 500 000 personnes par an, qu’il faut loger, entre autre, n’a rien de facile : 500 000 personnes à loger chaque année, vous rendez-vous compte ? A part le BTP, les grands propriétaires fonciers et les promoteurs immobiliers, enchantés de trouver une demande inespérée, qui y a intérêt ?

    Quant à l’immigration qui existe « depuis des siècles », il n’y a guère de sens à la mentionner sans la quantifier. Jamais, jamais l’Europe n’a encaissé de flux aussi élevés qu’aujourd’hui, ni en absolu, ni en relatif. Vous croyez aussi que l’immigration finance le pays ? Cela ne concerne pas tous les immigrés, ni leurs enfants hélas, du fait de plusieurs paramètres dont le niveau de qualification ou la santé, par exemple ; surtout, ceux qui profitent des immigrés forment une partie pas si importante de la population. Le BTP y trouve à la fois des clients et des employés courageux, les restaurants de jeunes gens corvéables etc etc, mais beaucoup des coûts associés (allocations , soins, logements…) se retrouvent à la charge de la société. Comme souvent : les bénéfices de l’immigration (il y en a) vont aux intérêts privés, et les coûts (il y en a – il s’agit d’un phénomène humain) affectent la collectivité. Enfin, rappelons que le département des affaires économiques et sociales de l’ONU a produit un rapport il y a déjà 25 ans expliquant pourquoi vouloir importer des actifs pour maintenir le ratio d’actifs/ retraités aboutit à une impasse mécanique puisque les immigrés aussi vieillissent et ont mérité une retraite. Disponible sur le site des nations unies. Et jamais lu hélas…

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