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18.juillet.202318.7.2023 // Les Crises

L’empreinte carbone de l’armée américaine compromet la sécurité de l’Afrique

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Le changement climatique induit par l’homme est un « facteur démultiplicateur de menaces » alors que la compétition pour accéder aux ressources s’intensifie. Le ministère de la Défense peut contribuer à la réduction de ces risques.

Source : Responsible Statecraft, Kyilah Terry
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Image: Riccardo Mayer via shutterstock.com

La hausse du niveau des mers, les phénomènes météorologiques extrêmes et l’augmentation des températures sont de plus en plus fréquents en raison du changement climatique anthropique, c’est-à-dire induit par l’homme, et rien n’indique que cette tendance va s’atténuer. Comme l’a souligné la vice-présidente Kamala Harris en faisant très subtilement référence à la Chine : « Les émissions générées par un seul pays peuvent menacer la stabilité de la Terre toute entière. »

Paradoxalement, ce sont les États-Unis, et en particulier le ministère de la défense et ses activités à forte émission de carbone, qui contribuent de manière prédominante aux émissions mondiales.

Le changement climatique traverse les frontières et peut avoir des conséquences très lointaines. Alors que les effets du changement climatique seront progressifs dans les pays développés, ils seront immédiats dans de nombreux pays en développement, tout simplement parce que le changement climatique agit comme un « multiplicateur de menaces », aggravant les tensions sous-jacentes tout en augmentant l’insécurité politique, sociale et économique.

Cette situation n’est nulle part plus aiguë que sur le continent africain, où de nombreux pays sont déjà soumis à de fortes pressions dues à la pauvreté, aux pénuries d’eau, à la croissance démographique, aux conflits ethno-religieux et aux dysfonctionnements de la gouvernance.

Les États-Unis, qui sont l’un des plus grands émetteurs au monde, ont la responsabilité de s’attaquer à ces questions interdépendantes. Ils ont également tout intérêt à le faire sur le plan de la sécurité. Bien que l’accent ait été mis sur la compétition entre grandes puissances avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la rivalité croissante avec la Chine, les préoccupations liées au changement climatique et à ces États fragiles n’ont pas disparu. Comme on le voit déjà dans la région du Sahel et des Grands Lacs, parmi ces dangers on compte les déplacements de populations, les épidémies et la violence des extrémismes.

Le rôle du Pentagone et sa contribution au changement climatique

Les États-Unis se sont engagés à respecter plusieurs accords internationaux sur le climat, notamment la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et l’Accord de Paris, qui ont pour objectif radical de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) afin de limiter le réchauffement de la Terre à moins de 1,5 degré Celsius. Au niveau national, il existe également un certain nombre de décrets qui concernent le réchauffement extrême et l’éolien offshore, la justice environnementale et les industries énergétiques durables. Mais en dépit de ces engagements, les États-Unis, et plus particulièrement le Pentagone, contribuent de manière cumulative à la plus grande quantité de gaz à effet de serre émis par rapport à n’importe quel pays ou n’importe quelle région. En fait, l’empreinte carbone du département de la défense équivaut à celle de 140 pays réunis et, à l’instar des catastrophes à évolution lente, ses dégâts se font sentir depuis des décennies.

Les opérations militaires et navales qu’il mène dépendent fortement des combustibles fossiles ; et ces dernières – y compris la production et le transport de matériel de défense – ont augmenté en fonction de ce qui est perçu comme des menaces pour les intérêts de sécurité des États-Unis à l’étranger. En outre, la construction, l’exploitation et l’entretien des infrastructures à forte consommation d’énergie du Département de la Défense, telles que les installations de formation, les centres logistiques et les bases, nécessitent des ressources considérables, souvent au détriment des terres environnantes, qui sont déboisées et contaminées par des matières toxiques.

Malheureusement, ce département ne rend pas publiquement ou régulièrement compte de ses émissions globales de gaz à effet de serre et les estimations proviennent du ministère de l’Énergie, qui a révélé que le ministère de la Défense, au cours de l’année la plus récente pour laquelle des statistiques sont disponibles, a produit en moyenne 59 000 000 de tonnes de CO2 en 2017. En outre, les industries américaines produisant et stockant du matériel de défense comptent plus de 560 000 installations avec plus de 275 000 bâtiments dans 800 bases occupant une superficie d’environ 110 000 km carrés aux États-Unis et dans le monde entier.

En janvier 2021, le secrétaire d’ État à la défense Lloyd Austin a déclaré que le département de la défense « prendra immédiatement les mesures politiques appropriées pour donner la priorité aux considérations relatives au changement climatique dans nos activités […] [car] il s’agit d’une question de sécurité nationale ». Nombreux sont ceux qui affirment que le Pentagone et sa contribution au changement climatique constituent un problème de sécurité tout à la fois mondial et national, car ils contribuent à l’insécurité dans des régions clés du monde.

Implications humanitaires, sanitaires et sécuritaires en Afrique

Dix-sept des vingt pays estimés les plus vulnérables au changement climatique se trouvent en Afrique. De nombreuses économies et moyens de subsistance africains dépendent fortement de secteurs sensibles au climat, tels que l’agriculture et le pastoralisme. Les effets du changement climatique, tels que la sécheresse, les inondations et les vagues de chaleur, ont un impact négatif sur l’activité agricole, entraînant une baisse du rendement des cultures et la mort du bétail. Cela contribue à l’insécurité alimentaire, à la hausse des prix des denrées alimentaires et à l’instabilité économique. En 2022, environ 6,3 millions de personnes au Sud-Soudan, par exemple, connaissaient une insécurité alimentaire aiguë, selon la classification intégrée de la phase de sécurité alimentaire, tout comme 5,6 millions en Somalie, 4,4 millions au Kenya, 1,1 million en Ouganda et 4,4 millions en Éthiopie.

Le changement climatique affecte également la disponibilité en ce qui concerne l’eau, de nombreuses régions étant déjà confrontées à la pénurie et à un approvisionnement peu fiable. Zones de sécheresse et zones de grandes pauvreté coïncident généralement et, même en cas de précipitations, la transmission de maladies à transmission vectorielle telles que la dengue, le paludisme et la fièvre jaune augmente. Dans les pays d’Afrique australe tels que le Malawi, le Mozambique et le Zimbabwe, les épidémies de choléra sont récurrentes à cause d’un approvisionnement en eau souvent contaminée et les capacités institutionnelles limitées de plusieurs pays ne permettent pas de fournir des soins de santé de qualité.

La disparition des moyens de subsistance et la rivalité accrue pour des ressources peu abondantes sont également à l’origine de déplacements de populations et de conflits liés au climat. Alors que la migration est traditionnellement un mécanisme d’adaptation au changement climatique, les petits agriculteurs et les éleveurs se disputent de plus en plus souvent les mêmes terres. Au Nigéria, les précipitations capricieuses ont intensifié les rivalités entre agriculteurs et éleveurs, exacerbant les violences intercommunautaires au point qu’en 2018, celles-ci ont tué jusqu’à six fois plus de personnes que l’insurrection de Boko Haram dans le nord-est du pays.

Pendant un certain temps, les déplacements induits par le climat se produiront à l’intérieur des pays, mais en même temps on y assistera à une augmentation des mariages forcés [les familles désespérées mariant leurs filles même très jeunes en échange de nourriture. Les victimes sont connues sous le nom de « mariées de la sécheresse », NdT], du recrutement par les groupes rebelles, des déplacements et des tensions avec les communautés d’accueil en raison des pressions exercées sur les systèmes sociaux, économiques et politiques. Ces effets pourraient également se répercuter sur les pays voisins, entraînant une plus grande instabilité régionale. Le U.S. Defense Authorization Act of 2018/2019 a déclaré : « […] à mesure que les températures mondiales augmentent, les sécheresses et les famines peuvent conduire à davantage d’États en faillite.»

Il faut faire plus que « verdir » l’armée

Après des critiques voulant que les États-Unis n’aient pas été à la hauteur de la mission de leadership mondial qu’ils s’étaient assignés, des voix s’élèvent pour demander que les États-Unis réduisent au minimum les émissions du Pentagone. La résolution 767 de la Chambre des Représentants, déposée par la députée Barbara Lee (Démocrate-Californie), en est un excellent exemple. Cependant, limiter les émissions de CO2 exige une action volontariste de l’État sur une longue période. Bien que le ministère de la défense ait réduit sa consommation de combustibles fossiles en utilisant des énergies renouvelables (véhicules électriques et solaires), ces efforts sont considérés comme un « greenwashing » de l’armée, dans la mesure où ils ne concernent qu’une fraction des émissions des États-Unis.

Pour avoir une armée durable, il faut une action nationale qui crée une stratégie de réduction qui soit claire et aussi en cohérence avec l’Accord de Paris, celle-ci doit fixer une limite stricte aux émissions du Département de la Défense, donnant la priorité à la décarbonation plutôt qu’à l’adaptation au climat, et qui prenne en compte les implications des émissions lorsqu’il s’agit de décider comment répondre aux menaces. Les écologistes et les universitaires préconisent souvent de réduire tout simplement les activités de l’armée. L’armée ne peut pas maintenir sa présence mondiale telle qu’elle est aujourd’hui et devenir neutre en carbone en même temps.

La planète se réchauffe à une vitesse que les engagements internationaux existants en matière de climat ne suffisent pas à compenser. Bien qu’il existe des incertitudes sur la capacité du monde à atteindre les objectifs, tant aux tendances démographiques qu’aux projections en matière de conflits et de migrations, ce qui est certain, c’est que la dimension et la nature du département de la Défense des États-Unis contribuent au changement climatique et posent des défis permanents aux pays du monde entier.

Source : Responsible Statecraft, Kyilah Terry – 08-06-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Auguste Vannier // 18.07.2023 à 08h32

Toutes les armées du monde ne lésinent pas sur la consommation de carburants dans les airs, sur terre et sur mer. En plus, les véhicules sont lourds, et les moteurs gourmands. Ajoutons y l’usage immodéré des munitions en tout genre (cartouches, obus, bombes, missiles).
Evidemment, comme l’armée US est la plus dotée financièrement, équipée et déployée depuis des décennies son bilan carbone doit battre tous les records…
Mais tout ça augmente le PNB et le nombre de milliardaires, même le nombre de morts, de blessés, de handicapés, et de destructions à reconstruire, contribuent aux indices d’efficacité économique du capitalisme…C’est pas une preuve de sa supériorité tout ça, non?

4 réactions et commentaires

  • Fabrice // 18.07.2023 à 07h06

    Bref une étude pour rien car l’usage excessif de son pôle militaire est une des caractéristiques des USA vu que sa monnaie commence à faiblir, c’est un des piliers avec les renseignements qu’il reste aux USA pour assurer sa prédominance alors autant demander aux USA de renoncer à sa volonté hégémonique.

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  • Auguste Vannier // 18.07.2023 à 08h32

    Toutes les armées du monde ne lésinent pas sur la consommation de carburants dans les airs, sur terre et sur mer. En plus, les véhicules sont lourds, et les moteurs gourmands. Ajoutons y l’usage immodéré des munitions en tout genre (cartouches, obus, bombes, missiles).
    Evidemment, comme l’armée US est la plus dotée financièrement, équipée et déployée depuis des décennies son bilan carbone doit battre tous les records…
    Mais tout ça augmente le PNB et le nombre de milliardaires, même le nombre de morts, de blessés, de handicapés, et de destructions à reconstruire, contribuent aux indices d’efficacité économique du capitalisme…C’est pas une preuve de sa supériorité tout ça, non?

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  • enthousiaste // 18.07.2023 à 10h14

    Cet article ne nous apprend rien, il plaque des données générales sur la puissance militaire US avec d’autres données générales sur les problèmes multiples de l’Afrique mais n’analyse pas le lien entre eux.

      +5

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  • Actustragicus // 18.07.2023 à 21h42

    Bref : la guerre, oui, à condition qu’elle soit écologique.
    C’est fascinant d’absurdité…

      +4

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