Les défenseurs du gouvernement israélien ont une « mission » à accomplir, mais quelques faits regrettables y font obstacle.
Source : Responsible Statecraft, Harrison Berger
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Alors que le risque de famine se répand à Gaza – et que des images choquantes de files d’attente bondées affluent chaque jour de Gaza – un réseau influent de défenseurs du gouvernement israélien s’est constitué pour vous dire que rien de tout cela n’est en train de se produire.
The Free Press – un média pro-israélien souvent favorable à la vision néoconservatrice du monde – a publié la semaine dernière un article largement diffusé du journaliste Michael Ames intitulé « Le mythe de la famine à Gaza », qui prétend démontrer qu’à Gaza, le niveau de sécurité alimentaire est bien supérieur aux niveaux de famine et de crise observés par les organisations humanitaires internationales depuis au moins le début de l’année 2024.
Le blocus israélien, dont le gouvernement israélien admet ouvertement qu’il empêche toute aide d’entrer dans la bande de Gaza depuis le 2 mars 2025, a une fois de plus poussé Gaza au bord de la famine, les rapports de l’ONU annonçant des niveaux de famine bien supérieurs à ceux de 2024.
Mais Israël et ses partisans minimisent le concert unanime de mises en garde quant à une famine, lancées par les observateurs internationaux, affirment que les accusations qui voudraient qu’il y ait une campagne israélienne pour affamer Gaza relèvent de dramatisations et accusent les journalistes de systématiquement surestimer la crise de la faim à Gaza.
« Le mythe de la famine à Gaza » se base sur une seule déclaration de l’administratrice de l’USAID du président Biden, Samantha Power, qui a déclaré en mai 2024 qu’il y avait une famine dans le nord de Gaza, sur la base des données de la classification intégrée des phases de la sécurité alimentaire ou cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC). [pour des raisons de clarté éditoriale ce sigle sera utilisé, NdT]
« Le témoignage à sensation de Power pose de sérieux problèmes, écrit Ames. Le premier d’entre eux est que le l’IPC n’a jamais déclaré de famine à Gaza. »
Ames affirme que Power et l’USAID ne disposaient pas de l’autorité nécessaire pour déclarer une famine à Gaza parce que seul l’IPC peut émettre une telle déclaration sur la base de ses données. Mais l’IPC lui-même déclare qu’il « ne déclare pas la famine » ni n’émet de « Déclarations de famine », mais qu’il facilite l’analyse qui permet aux gouvernements, aux organisations internationales ou régionales et aux agences humanitaires d’émettre des communiqués ou déclarations plus pertinents ».
Mais l’USAID n’a pas été la seule à déclarer l’état de famine. Cindy McCain, directrice du Programme alimentaire mondial, qui est en charge de la distribution de l’aide et de la surveillance de la sécurité alimentaire à Gaza, a déclaré en mai 2024 qu’il y avait une « famine à grande échelle » dans le nord de Gaza et qu’elle « progressait vers le sud ».
En juillet 2024, alors qu’Israël commençait à autoriser l’entrée d’un peu plus d’aide dans la bande de Gaza – bien que cela soit loin d’atteindre les niveaux d’avant-guerre qui déjà condamnaient les Palestiniens « à la diète » – un groupe d’experts de l’ONU a déclaré que la famine sévissait dans toute la bande de Gaza.
Chacune de ces différentes évaluations confirme les raisons pour lesquelles l’USAID a déclaré que la famine affectait le nord de la bande de Gaza, mais Ames ne les mentionne jamais.
En dépit de ces autres dénonciations de famine émanant de sources fiables, Ames se concentre uniquement sur les déclarations de l’USAID et affirme que l’autorité dirigeante de l’IPC, le Famine Review Committee (FRC), a en fait « blâmé » son analyse.
Mais le FRC n’a pas « blâmé » l’analyse de l’USAID. Il a simplement déclaré qu’il ne pouvait pas approuver les conclusions de l’USAID parce qu’il n’avait pas l’accès nécessaire pour recueillir « des données essentielles et actualisées quant au bien-être humain à Gaza ».
Le 11 avril 2024, le coordinateur humanitaire des Nations unies [Le Coordonnateur humanitaire est le plus haut fonctionnaire des Nations Unies dans un pays en situation d’urgence humanitaire, NdT], Jamie McGoldrick, a déclaré que seules trois routes étaient techniquement ouvertes pour entrer dans Gaza – aucune ne l’était en permanence – et qu’elles étaient toutes en « très mauvais état ». Lors de sa visite à l’hôpital Kamal Adwan, il a déclaré que « absolument tous les patients » du service pédiatrique étaient confrontés à « une famine mettant leur vie en danger ».
Ames n’aborde pas ce que le FRC a dit à propos de ses restrictions d’accès et affirme au contraire que le rapport du FRC démystifie définitivement la déclaration de l’USAID sur la famine. Il se réfère à un passage du rapport du FRC qui critique l’USAID pour avoir écarté les dons de l’ONU aux boulangeries et certains dons du secteur privé dans ses calculs au sujet de l’insécurité alimentaire afin de pouvoir affirmer que « le nord de Gaza avait en réalité 10 fois plus de nourriture en avril dernier que ce qu’avait affirmé l’USAID » et qu’« une famine avait été évitée ».
Pour soutenir son affirmation « 10 fois plus de nourriture », Ames prend la valeur la plus élevée de l’estimation du FRC concernant les dons de boulangerie et les contributions du secteur privé au cours du mois d’avril 2024, une supposition que le FRC révèle dès le début du rapport et qu’il établit sur la base de preuves limitées. Mais l’idée que, par l’exclusion des dons de boulangerie et des contributions du secteur privé de son analyse, l’USAID ait surestimé l’insécurité alimentaire à Gaza par une marge aussi importante est à la fois intuitivement peu plausible et vient directement contredire les rapports des organisations humanitaires.
Le 19 avril 2024, le Programme alimentaire mondial a annoncé l’ouverture de trois boulangeries dans le nord de la bande de Gaza : « Les seules boulangeries fonctionnant dans le nord et les premières boulangeries fournissant du pain après plus de 170 jours. »
Oxfam a rapporté en avril, sur la base des données de l’IPC, que les Palestiniens du nord de Gaza étaient « contraints de survivre avec 245 calories par jour ». Le PAM a documenté la façon dont le blocus israélien a provoqué des conditions de famine dans le nord de Gaza dès les mois de janvier et février de cette année-là.
Ames n’aborde aucune de ces données. Au lieu de cela, il suggère, en se basant principalement sur des messages publiés sur les médias sociaux par une citoyenne israélo-britannique qui a déclaré à Ames qu’elle n’était « pas journaliste », que Gaza est largement approvisionnée en nourriture.
Rien ne prouve que l’une ou l’autre de ces organisations humanitaires internationales ait exagéré les données relatives à la sécurité alimentaire. Au contraire, il existe des preuves solides qui démontrent que le nombre de Palestiniens qui sont déjà morts de faim a été largement sous-estimé.
Les témoignages de professionnels de la santé à Gaza étayent cette conclusion. En octobre, un groupe de 99 médecins, chirurgiens, infirmières et sages-femmes américains qui se sont portés volontaires dans la bande de Gaza ont adressé une lettre ouverte au président Biden, dans laquelle ils présentent des preuves supplémentaires, en s’appuyant sur les données de l’IPC, montrant que le nombre de victimes à Gaza est bien plus élevé que nous ne le pensions.
« L’ampleur de cette famine est mal évaluée, écrivent-ils. Au total, il est probable que 62 413 personnes soient mortes de faim et de complications y afférant à Gaza entre le 7 octobre 2023 et le 30 septembre 2024. La plupart d’entre elles étaient de jeunes enfants. »
L’objectif apparent d’Ames – laisser entendre que la famine à Gaza a été survendue au public – est en contradiction directe avec les rapports et les opinions des groupes humanitaires indépendants, de leurs travailleurs humanitaires sur le terrain, des prestataires de soins de santé et des Palestiniens affamés à Gaza.
En outre, l’article de Ames intervient alors que les groupes d’aide internationale – et les Israéliens eux-mêmes – mettent en garde contre une catastrophe imminente si le siège total imposé par Israël depuis plus de deux mois n’est pas levé. Mardi (14 mai), le New York Times a rapporté que certains responsables militaires israéliens « en sont arrivés à la conclusion, en privé, que les Palestiniens de Gaza risquaient une famine endémique si les livraisons d’aide n’étaient pas rétablies dans les semaines à venir ».
Entre-temps, l’ONU a déclaré que les stocks de nourriture étaient déjà épuisés et que l’accès à l’eau était devenu impossible. Jeudi dernier, Abdul Nasser Al-Ajrami, directeur de l’Association des propriétaires de boulangeries de Gaza, a déclaré : « Toutes les boulangeries ont fermé en raison d’un manque total de farine et de carburant. Il n’y a plus de pain du tout et la moitié des foyers de Gaza n’ont plus de farine. »
The Free Press est déterminé à détourner l’attention de la tragédie humaine qui est en cours sur le terrain à Gaza en débattant de ce qui est ou pas une famine officiellement déclarée. C’est leur droit, bien sûr, mais le reste du monde ne devrait pas perdre une minute de plus à ces absurdités, alors que l’essentiel devrait être de sauver des vies civiles dès maintenant.
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Harrison Berger est journaliste indépendant, il contribue à Drop Site News et Neutrality Studies sur YouTube. Auparavant, il était chercheur et producteur pour System Update avec Glenn Greenwald. Son travail porte sur les libertés civiles et la politique étrangère des États-Unis. Il est titulaire d’une licence en sciences politiques et en études russes de l’Union College (NY).
Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.
Source : Responsible Statecraft, Harrison Berger – 15-05-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Commentaire recommandé
Bonjour, ils nient l’existence d’une famine pour laisser à l’armée israélienne le temps de terminer son génocide à Gaza. Dans la même veine, certains de nos responsables politiques évoquent le droit d’Israël à se défendre pour justifier les centaines de raids aériens lancés unilatéralement par l’aviation israélienne sur le sol iranien. Des acrobaties intellectuelles de plus en plus absurdes dans le but de soutenir coûte que coûte cet état raciste, colonisateur et belliciste.
3 réactions et commentaires
La guerre est multidimensionnelle et elle se rue aux combats de l’information, pour être plus précis elle prépare et entretient les esprits à son avènement, il faut préparer les esprits citoyens a engager le pays.
Souvent j’ai lu que la première victime de la guerre était la vérité… même s’il existe un joli chemin derrière cette sentence, la vérité a le visage de Janus et les arguments ne servent qu’à engager les conditions morales pour la victoire, la presse y est ontologiquement engagée.
Il n’en reste pas moins que la presse permet de lever le voile sur les faits, mais, au service d’une polarisation, nécessaire à l’existence d’un groupe, d’une nation.
La raison ne suffisant pas à clarifier notre monde, la passion reste l’outil qui permet d’embarquer le plus grand nombre vers une « solution », la presse sert également cela, trouver la bonne bannière.
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Alerterhttps://www.instagram.com/caissesdegreve/reel/DKlJdvGubv9/
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AlerterBonjour, ils nient l’existence d’une famine pour laisser à l’armée israélienne le temps de terminer son génocide à Gaza. Dans la même veine, certains de nos responsables politiques évoquent le droit d’Israël à se défendre pour justifier les centaines de raids aériens lancés unilatéralement par l’aviation israélienne sur le sol iranien. Des acrobaties intellectuelles de plus en plus absurdes dans le but de soutenir coûte que coûte cet état raciste, colonisateur et belliciste.
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