La présidente de Google, Ruth Porat, a exprimé à plusieurs reprises son enthousiasme pour les politiques énergétiques pro-énergie fossile de l’administration Trump. Ses commentaires laissent entendre que la Big Tech donne désormais la priorité à l’énergie pour les centres de données plutôt qu’à ses engagements en matière de climat.
Source : Jacobin, Geoff Dembicki
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
- Les récentes remarques de Ruth Porat, présidente de Google, laissent entendre que les grandes entreprises technologiques privilégient désormais les combustibles fossiles pour leurs centres de données au détriment de leurs engagements en matière de climat. (Chris Ratcliffe / Bloomberg via Getty Images)
Lors d’une récente conférence sur l’intelligence artificielle à Washington, la présidente de Google a applaudi le secrétaire à l’intérieur de Donald Trump après que celui-ci a dénoncé le soutien de la Silicon Valley au soi-disant « programme extrémiste sur le climat » et encouragé à développer l’utilisation de centrales à charbon « incroyablement propres » et autres combustibles fossiles pour alimenter les centres de données, selon un enregistrement dont il n’avait pas été fait état auparavant.
Après le discours de Doug Burgum, secrétaire d’État à l’intérieur, Ruth Porat, présidente et directrice des investissements de Google et d’Alphabet, a déclaré aux participants à la conférence : « J’ai trouvé les commentaires du secrétaire Burgum fantastiques. […] Car je pense qu’il est très clair que pour réaliser le potentiel de l’IA, il faut avoir les ressources nécessaires. Or, nous avons sous-investi dans ce pays, et pour rester en tête, nous devons nous attaquer de front à ce problème.»
Lors d’une table ronde sur la manière dont l’IA « redessine l’avenir de l’Amérique » Porat s’est exprimée aux côtés de leaders de la Big Tech, dont Delian Asparouhov, investisseur en capital-risque, et Kevin Weil, directeur produit chez OpenAI, le fabricant de ChatGPT. Au cours de cette table ronde, Porat a également abordé un livre blanc de Google préconisant des investissements américains dans le gaz naturel et le nucléaire afin d’alimenter les centres de données gourmands en énergie.
Les remarques de Porat, enregistrées en avril dans une vidéo de l’influent 2025 Hill & Valley Forum, indiquent bien que les grandes entreprises technologiques accordent désormais la priorité aux combustibles fossiles pour les centres de données plutôt qu’à leurs engagements en matière de climat.
Il y a seulement quelques années, Google et d’autres grandes entreprises technologiques étaient les premiers à reconnaître la gravité de l’urgence climatique et à proposer des mesures concrètes pour limiter les émissions de carbone de la Silicon Valley. Depuis des années, l’entreprise de Porat se positionne comme un leader de l’industrie technologique en matière de climat. Parmi ses nombreuses promesses ? Un engagement ambitieux, pris en 2020, d’alimenter l’ensemble de ses activités en énergie sans carbone d’ici à 2030.
Pourtant, les commentaires de Porat lors du Forum Hill et Valley, et les éloges qu’elle a ensuite adressées en juillet à propos du programme d’« abondance énergétique » de l’administration Trump, lequel promeut le pétrole, le gaz et le charbon tout en pénalisant sévèrement les énergies renouvelables telles que l’éolien et le solaire, portent le message qu’à un moment où l’action climatique est sérieusement menacée par les Républicains, les plus grandes entreprises technologiques du pays hésitent à soutenir les sources d’énergie les moins chères, les plus propres et les moins émettrices de carbone.
En témoignent les émissions carbone de Google, qui ont bondi de près de 50 % entre 2019 et 2024, selon un rapport environnemental de l’entreprise. Une étude indépendante du NewClimate Institute, une organisation allemande à but non lucratif, a mis en garde en août contre une « crise » concernant la capacité du géant de la technologie à atteindre ses objectifs climatiques, affirmant que « la multiplication des centres de données et l’utilisation accrue de l’intelligence artificielle (IA) font rapidement augmenter la demande d’électricité et donc en valeur absolue celle des émissions [de gaz à effet de serre] de Google ».
Google n’a pas répondu à une demande des médias concernant les commentaires de Porat.
« Programme des extrémistes climatiques »
Fondé en 2021, le Hill & Valley Forum est une organisation qui réunit d’éminents dirigeants du secteur technologique et des investisseurs en capital-risque avec des décideurs politiques fédéraux. L’événement de cette année, qui a eu lieu à la fin du mois d’avril, a réuni des personnalités telles que le PDG de Palantir, Alex Karp, et le milliardaire du capital-risque, Vinod Khosla, ainsi que des hommes politiques, dont le président républicain de la Chambre des représentants, Mike Johnson.
Le discours d’ouverture a été prononcé par Burgum, ancien gouverneur du Dakota du Nord qui entretient des liens étroits avec l’industrie des combustibles fossiles. En tant que ministre de l’intérieur, Burgum supervise la gestion et la conservation des terres fédérales. Des rapports antérieurs ont montré qu’en 2024, quelques mois avant d’être nommé par Trump à ce poste, Burgum a organisé un dîner privé pour des dirigeants des secteurs du pétrole, du gaz et du charbon.
Burgum, un républicain, a profité de son discours pour critiquer la Silicon Valley d’avoir soutenu « le programme des extrémistes climatiques », qu’il a défini comme la thèse voulant que « l’élévation des températures à l’horizon 2100 devrait dicter toutes les politiques américaines ». Burgum a ajouté : « Cette idée m’a toujours un peu choqué. »
Reprenant les arguments couramment avancés par les climato sceptiques quant à l’incapacité des modèles climatiques à prédire l’augmentation future des températures, Burgum a remis en cause le fait « qu’un groupe de gens pouvait prendre une feuille de calcul et extrapoler des données [climatiques] sur 90 ans, 80 ans, maintenant 75 ans et dire : voilà exactement ce qui va se passer. »
Puis, il a présenté le charbon comme une source d’énergie capable d’alimenter les centres de données de la Big Tech. « Toute centrale au charbon en fonction aujourd’hui en Amérique est incroyablement propre », a-t-il affirmé sans apporter la moindre preuve. Puisqu’en fait, la pollution due aux centrales électriques américaines a atteint son plus haut niveau depuis trois ans, en raison de l’augmentation récente de la production d’électricité à partir du charbon.
Burgum a conclu en déclarant que l’accélération de la production de pétrole, de gaz et de charbon américains, et éventuellement d’énergie nucléaire, serait essentielle à la réalisation des objectifs de la Silicon Valley en matière d’IA.
« C’est le projet de Trump, et c’est exactement ce que nous sommes en train de faire », a-t-il déclaré.
La dirigeante de Google trouve que la vision de Burgum en matière d’IA est « fantastique »
Porat n’a exprimé aucune réserve concernant le discours de Burgum lorsqu’elle a été interrogée à ce sujet lors d’une table ronde plus tard dans la journée, déclarant au contraire que ses « commentaires étaient fantastiques ». Porat a ensuite précisé que Google et l’administration Trump étaient en total accord sur la nécessité d’augmenter la production nucléaire et de moderniser le réseau électrique.
Il y a cinq ans, Sundar Pichai, PDG de Google, avait averti : « Nous avons jusqu’en 2030 pour tracer une voie durable pour notre planète ou faire face aux pires conséquences du changement climatique. » Il avait alors présenté un plan visant à alimenter les centres de données de Google « En combinant les sources d’énergie éolienne et solaire et en augmentant notre utilisation du stockage sur batterie. »
Mais lors du forum Hill & Valley, Porat a exposé un programme énergétique beaucoup plus favorable aux combustibles fossiles. Au cours de la table ronde, elle a vanté les mérites d’un récent livre blanc de Google qui ne mentionnait pas une seule fois l’énergie éolienne ou solaire, bien que celles-ci restent de façon globale les formes les moins chères de production d’électricité au monde. Le document préconise au contraire un investissement fédéral dans des « technologies énergétiques abordables, fiables et sûres, notamment la géothermie, le nucléaire nouvelle génération et la production de gaz naturel avec captage du carbone (entre autres sources) ».
D’autres participants à la conférence ont exprimé leur scepticisme en ce qui concerne les énergies renouvelables, notamment David Friedberg, coanimateur du célèbre podcast technologique pro Trump All-In. « Augmenter la production d’énergie ne passe pas par le solaire, ou l’éolien, qui pourraient paraître intéressants d’un point de vue théorique, mais bien par des systèmes de nouvelle génération si nous voulons être au niveau, et il nous faut les débloquer », a-t-il déclaré lors d’une table ronde sur la réindustrialisation de l’Amérique.
En réalité, l’année dernière, près de 93 % des nouvelles installations électriques dans le monde concernaient des sources renouvelables.
Plan d’action de Trump en matière d’IA
Lorsque l’administration Trump a dévoilé son plan d’action en matière d’IA à Washington, fin juillet, l’événement a été présenté sous la forme d’un podcast en direct animé par Friedberg et ses autres coanimateurs d’ All-In, ainsi que par les fondateurs de Hill & Valley.
« Nous devons construire et entretenir de vastes infrastructures d’IA ainsi que l’énergie nécessaire pour les alimenter », peut-on lire dans le plan. « Pour ce faire, nous continuerons à rejeter les dogmes climatiques radicaux et la paperasserie bureaucratique, comme le fait l’administration depuis le jour de l’investiture. »
Le plan annonce que la liberté d’expression sera garantie dans les systèmes d’IA en éliminant « toute référence à la désinformation, à la diversité, à l’équité et à l’inclusion, ainsi qu’au changement climatique ». Il restreint en outre les dépenses fédérales aux seuls développeurs de modèles d’IA, tels que ChatGPT ou Grok d’Elon Musk, « qui garantissent que leurs systèmes sont objectifs et exempts de tout parti pris idéologique venu du sommet ».
Certains groupes de défense du climat ont rapidement condamné la proposition. « Ce plan d’action américain sur l’IA ne se contente pas d’ouvrir la porte aux grandes entreprises technologiques et pétrolières pour qu’elles s’associent, il fait voler en éclats et supprime toutes les barrières », a déclaré KD Chavez, directeur exécutif du groupe national de défense des droits Climate Justice Alliance, dans un communiqué.
Mais si Google s’inquiète des politiques d’IA anti-climat menées par la Maison Blanche, l’entreprise ne le montre pas. Lors d’un événement sur l’IA organisé mi-juillet en Pennsylvanie, Porat s’est confondue en éloges à l’égard de l’administration Trump.
« Monsieur le Président, merci pour votre leadership et pour avoir défini une orientation claire et impérative afin que notre nation investisse dans les infrastructures, les technologies et les énergies liées à l’IA pour en exploiter les avantages et permettre aux États-Unis de conserver leur position de leader », a-t-elle déclaré.
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Geoff Dembicki est journaliste au Lever. Il est également rédacteur en chef de DeSmog et auteur de The Petroleum Papers. Il vit à Montréal.
Source : Jacobin, Geoff Dembicki, 19-08-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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