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24.octobre.201024.10.2010 // Les Crises

Le partage de la valeur ajoutée…

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Vous avez sans doute déjà entendu parler de l’évolution du partage de la valeur ajoutée (entre les salariés et la marge de l’entreprise), et de sa baisse depuis 1980. Le graphique suivant parle de lui même :

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Bien entendu, je pourrais dès lors gloser sur l’injuste partage de la valeur ajoutée, la capital étant désormais outrageusement avantagé par rapport au travail, celui-ci ayant perdu 10 points en quelques années etc.

Ceci est en fait faux, ou plutôt largement biaisé, car j’ai en fait manipulé le graphique. Et pourtant, les données sont rigoureusement justes. Mais :

  1. j’ai zoomé « verticalement » sur un écart réel, mais il semble dès lors gigantesque, puisqu’il n’y a pas de repère ;
  2. j’ai zoomé « horizontalement » sur une période donnée, perdant du coup toute perspective historique.

Soulignons que ce n’est pas tant « qu’on fait dire ce que l’on veut à un graphique », mais simplement qu’il peut être facile de déformer la vérité – facilement compréhensible sur un graphique sans zooms – observez…

Voilà qui est tout de même différent…

Tordons d’abord le cou à une idée reçue : non, en France, la part des rémunérations des salariés dans la valeur ajoutée n’a pas été notablement modifiée au cours de 50 dernières années ! On constate en fait :

  • que le partage est relativement stable depuis un siècle (les données ne sont pas significatives durant les deux guerres mondiales), autour de 70 % ;
  • qu’il y a eu un bref pic vers 1980. Mais celui-ci n’était guère durable, nous verrons qu’il a correspondu à une période de grande pression sur les entreprises, qui ont même distribué leurs fonds propres en salaires…
  • que le système a rapidement retrouvé son équilibre après cet épisode ;
  • que le partage est tout à fait stable depuis près de 25 ans, stabilisé environ 2 points de moins sous sa grande tendance historique.

En conclusion, il n’y a donc pas un « scandale » au détriment des salariés qui auraient perdu 10 points de Valeur Ajoutée, mais une relative stabilité, deux points seulement pouvant manquer à l’appel – et encore, le fonctionnement du système ayant considérablement évolué durant la période récente, une telle conclusion serait sans doute hâtive.

Il ne faut donc pas tirer de conséquences définitives ni sur ce qui se passe, ni sur l’interprétation à en donner… Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes, très loin de là. Nous verrons par la suite la montée des inégalités dans ce système de « financiarisme« .

Dernier point : quand bien même, la part des salariés aurait plus nettement baissé, qu’en conclure ? Ce graphique ne représente après tout que la visualisation d’un partage brut dans les entreprises, et ne peut être la visualisation du véritable partage « capital/travail » dans le pays. La meilleure preuve est donnée par un comparatif mondial :

Une comparaison internationale montre que les niveaux du partage sont très différents entre pays. La part des salaires est très faible en Italie par exemple, et pourtant ce n’est pas la misère noire comparée à la France. Car le système économique est une gigantesque boucle. S’il y a plus de marge dans un autre pays, cela peut entraîner par exemple plus d’investissements, donc plus d’activité dans le pays par exemple, avec une rétroaction positive pour les salariés.

Au niveau des tendances, si la France est stable, c’est par contre en Allemagne qu’a eu lieu une forte baisse de la part des salaires – ce qui illustre la politique de compression salariale qu’elle a menée afin d’augmenter sa compétitivité et doper ses exportations. Italie, Espagne, Royaume-Uni ont plutôt connu une tendance stable, les États-Unis une tendance plutôt orientée à la baisse.

Logiquement, on constate également sur le graphique suivant que la France est lanterne rouge par rapport à ses partenaires en terme de profitabilité de ses entreprises : nos entreprises sont moins profitables que leurs concurrentes, dont la plupart ont augmenté leurs marges au cours de la décennie passée.

Conséquence de la compression salariale allemande, la profitabilité de ses entreprises a très fortement augmenté. Les Allemands ne sont pas plus efficaces, ils sont simplement plus exploités !

Nous allons étudier dans le prochain billet la différence entre nos deux pays, puisque on entend souvent que l’Allemagne serait un « modèle » à suivre – pays « travailleur », « rigoureux » dans ses finances, etc. C’est en partie vrai, mais nous verrons que tout est loin d’être rose chez notre grand voisin, et que le modèle n’est sans doute pas là où on le pense…

5 réactions et commentaires

  • Anonyme // 16.06.2011 à 19h49

    Très bon 😀

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  • pch // 17.06.2011 à 09h34

    l’analyse devrait néammoins être complétée par la comparaison des niveaux de salaires (net) réels en France et Allemagne. Les entreprises allemandes réussissent à la fois à payer des salaires plus élevés et à garder une part plus importante de la valeur ajoutée car leurs produits ont de meilleures marges. L’illustration la plus connue est l’automobile :Mercedes, Audi et BMW encaissent sans doute 2 3 000 € de marge supplementaire par vehicule (de categorie equivalente) que leurs homologues français..cela fait une grosse difference pour remunerer à la fois le travail, les investissements etc…. Je ne suis pas sur que l’expression’ les allemands sont plus exploités’ soit tout à fait pertinente dans ce cas

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  • Orchidoclaste capilotracté // 13.02.2012 à 12h20

    Qu’en est-il des sociétés financières qui sont exclues de ces graphiques? 
    Pour exister, ne faut-il pas qu’elles se nourrissent « sur la bête » elles aussi?
    Je préfèrerai une analyse des revenus des personnes physiques, différenciant les revenus du travail des revenus du patrimoine. 
    Ca me semblerai peut-être plus parlant.  

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  • piotr // 29.02.2012 à 19h27

    Sur ce coup là votre argumentaire m’avais toujours semblé faible, même s’il est vrai que la première courbe est du bidonnage d’échelle. Je trouve cet article de Fakir une bonne lecture complémentaire sur le sujet :
     http://www.fakirpresse.info/Les-Voleurs-de-debat-1-Francois.html

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  • Verklarte // 29.09.2012 à 09h29

    La puissance des sociétés financières est un des éléments majeurs des changements depuis 1980,. Symbole très parlant : un des candidats à la présidence des US est le meilleur représentant de ces sociétés (Bain). La puissance de la city – et donc son refus des règles européennes- est un deuxième signe de l’importance des sociétés financières. On peut ajouter la multiplication des instruments financiers (subprimes, warrants, ventes à terme détournées, …), la dérégulation, les transactions automatisées : l’impact des « sociétés » et individus financiers sur la répartition de la VA créée par les entreprises est très fort, en direct, et indirectement en faisant peser la pression des fonds d’investissement sur les stratégies et les exigences de rentabilité. Par ailleurs, la répartition globale salariale n’a plus de signification, quand les rémunérations globales ( salaires, actions, stock-options) des dirigeants se sont envolées. Une apparence de stabilité peut cacher des disparités considérables.

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