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7.août.20257.8.2025 // Les Crises

Le silence de Trump sur la perte du territoire ukrainien riche en lithium en dit long

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L’accord sur les minerais vanté il y a quelques mois s’avère aussi mince que le papier sur lequel il a été rédigé.

Source : Responsible Stateccraft, Jennifer Kavanagh
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

La semaine dernière, les forces militaires russes se sont emparées d’un précieux gisement de lithium dans la région de Donetsk en Ukraine, dernier succès en date de l’offensive estivale de Moscou.

Le gisement de lithium en question est considéré comme plutôt petit par les analystes de l’industrie, mais on dit qu’il est néanmoins très convoité en raison de la concentration et de la qualité de son minerai. En d’autres termes, c’est exactement le genre d’atout que l’administration Trump semblait désireuse d’exploiter lorsqu’elle a signé son accord sur les minéraux avec l’Ukraine, qui a fait couler beaucoup d’encre, au début de l’année.

La réponse de Washington ? Le silence. La perte n’a suscité aucune réaction notable de la part du président Donald Trump ou de ses conseillers. L’Ukraine et ses partisans, qui espéraient que l’accord susciterait un intérêt durable et à long terme des États-Unis pour l’Ukraine et son avenir en matière de sécurité, seront certainement déçus.

Bien qu’il n’ait pratiquement pas retenu l’attention des États-Unis, cet épisode offre trois aperçus importants sur l’état de la guerre et les perspectives de paix à court terme.

Premièrement, ce revers rappelle clairement que le temps ne joue pas en faveur de l’Ukraine. La poursuite de la guerre n’est pas de nature à améliorer la position de Kiev sur le champ de bataille ou dans les négociations. Mardi, l’administration Trump vient d’ordonner l’arrêt de l’assistance militaire, et les derniers paquets d’aide initiés sous l’administration Biden arriveront à destination. L’armée ukrainienne manque déjà de missiles de défense aérienne pour protéger ses villes des attaques punitives de drones et de missiles russes, et la fin de l’aide américaine pourrait entraîner des pénuries militaires dans d’autres domaines.

Si l’on ajoute à cela les inquiétudes concernant les taux élevés de désertion parmi les soldats ukrainiens épuisés, les choses ne sont pas prêtes de s’arranger pour le partenaire américain assiégé.

Certaines voix continuent de pousser l’Ukraine à se battre, arguant que la Russie est au bord de l’effondrement et qu’avec un peu plus d’aide militaire de la part de l’Europe et des États-Unis, l’Ukraine a une chance de remporter la victoire. Mais il s’agit là d’un vœu pieux. Poutine a trop misé sur l’Ukraine pour faire marche arrière maintenant et il sait que la Russie a la capacité d’absorber une souffrance supplémentaire et de nouveaux combats si nécessaire. L’Ukraine, quant à elle, continue de perdre régulièrement des territoires et, avec eux, des ressources précieuses et des capacités économiques qui pourraient contribuer à sa reconstruction.

En prolongeant les combats, Kiev joue l’avenir de l’Ukraine après la guerre. Plus vite la guerre prendra fin, plus les conditions de l’accord seront favorables à l’Ukraine.

Deuxièmement, l’absence de réaction des États-Unis est emblématique du rang très bas que l’Ukraine et sa guerre occupent actuellement dans la liste des priorités de Trump. Lorsque Trump est revenu à la Maison Blanche, la plus grande crainte des partisans de l’Ukraine était qu’il contraigne l’Ukraine à une reddition effective, laissant le butin à la Russie. Malgré les tensions importantes entre le président ukrainien Volodymyr Zelensky et Trump, qui se sont traduites par une réunion désastreuse dans le Bureau ovale à la fin du mois de février, cela ne s’est pas produit.

Aujourd’hui, cependant, Kiev et ses partisans ont une nouvelle préoccupation : Trump s’est presque entièrement désintéressé de l’Ukraine. Trump était déjà frustré par l’échec des efforts déployés pour parvenir à un accord de paix dans ce conflit vieux de trois ans, avant que deux semaines de crise au Moyen-Orient ne fassent disparaître l’Ukraine du radar de la Maison-Blanche. Trump a évité sa rencontre avec Zelensky en quittant plus tôt que prévu la conférence du G-7 au Canada et, bien que les deux hommes se soient rencontrés en marge du sommet de l’OTAN une semaine plus tard, la guerre en Ukraine n’a pas été inscrite à l’ordre du jour du sommet, en grande partie pour éviter que les désaccords entre les États-Unis et les alliés de l’OTAN sur la question n’apparaissent au grand jour. Il n’a pas été question d’étendre l’aide militaire américaine à l’Ukraine, et même les offres ukrainiennes d’achat d’armes américaines ont été accueillies avec un enthousiasme limité.

À ce stade, malgré les messages périodiques de Truth Social [Truth Social est un réseau social de microblogage du Trump Media & Technology Group, NdT], Trump semble se contenter de laisser l’Ukraine et la Russie continuer à se battre jusqu’à ce qu’elles parviennent d’elles-mêmes à un accord. Ce n’est pas un mauvais résultat pour la Russie, qui a le vent en poupe sur le champ de bataille, ni pour les États-Unis, qui n’ont pas d’intérêt stratégique réel en Ukraine. Mais cela désavantage Kiev et c’est exactement le résultat que l’accord sur les minerais était censé éviter.

L’incapacité de l’accord à maintenir le soutien et l’intérêt de Trump pour l’Ukraine ne devrait pas être une surprise. Il s’agit d’un accord faible aux termes incertains, signé par un président plus intéressé par la conclusion d’accords que par leur respect. Mais l’absence de réponse des États-Unis devrait faire comprendre à Kiev qu’il ne peut compter que sur lui-même à l’avenir. Les accords vides et les supplications ne ressusciteront pas l’intérêt et le soutien des États-Unis à l’égard de l’Ukraine. L’Europe peut combler une partie du vide laissé par le désengagement américain, mais pour l’essentiel, la sécurité future de l’Ukraine sera désormais entre ses propres mains.

Enfin, les nombreux désavantages de l’Ukraine, combinés au désintérêt croissant des États-Unis, suggèrent que le calendrier de la paix repose désormais en grande partie sur Poutine. Bien que les progrès de la Russie sur le champ de bataille soient lents et coûteux en termes de matériel et de vies humaines, l’armée de Moscou continue d’avancer, profitant des points faibles le long des lignes ukrainiennes et gagnant régulièrement de précieux territoires, y compris des ressources économiques et naturelles.

Par ailleurs, les frappes répétées de missiles et de drones de la Russie sur les villes ukrainiennes confirment que Poutine n’est pas encore fatigué de la guerre et qu’il a l’intention de maintenir son avantage.

L’Europe et les États-Unis ne peuvent pas faire grand-chose pour changer cette stratégie, même si Trump souhaitait essayer d’amener Poutine par la force à un cessez-le-feu. Il est peu probable que des sanctions supplémentaires obligent Poutine à faire marche arrière, et les limites imposées à la production de défense occidentale restreindront ce qui peut être offert à l’Ukraine en termes d’aide militaire supplémentaire. L’Ukraine elle-même a peu de cartes à jouer. Les manœuvres militaires à haut risque de Kiev, telles que l’opération Spiderweb [Toile d’Araignée, bombardements par drones de bases aériennes russes, NdT], peuvent imposer des coûts à Moscou, mais ne suffiront pas à faire fléchir la détermination de Poutine.

Mais si Poutine est actuellement aux commandes, il sera lui aussi prêt à cesser le combat à un moment donné, peut-être même lorsque l’offensive actuelle s’essoufflera à la fin de l’automne. Bien qu’il soit logique pour Trump et ses conseillers de prendre du recul par rapport à leur engagement quotidien avec l’Ukraine et sa guerre pour le moment, ils seraient bien avisés de prendre quelques mesures peu coûteuses pour s’assurer qu’au cas où une fenêtre de négociation s’ouvrirait, ils seront prêts à en tirer parti.

Tout d’abord, l’administration Trump devrait reprendre les réunions bilatérales entre les responsables américains et russes, à l’instar de celles qui se sont tenues à Riyad au début de l’année. Le renforcement de ce canal de communication, dès maintenant, facilitera la tenue de discussions productives et substantielles par la suite, même si les sujets abordés au cours des prochains mois ne sont que superficiels.

Deuxièmement, Trump devrait encourager la Russie et l’Ukraine à poursuivre leur dialogue direct, voire à l’intensifier. En fin de compte, tout accord durable devra être soutenu par les deux belligérants, de sorte que ces discussions en face à face seront essentielles à tout effort visant à parvenir à un accord de paix.

Enfin, Washington devra rallier l’Europe à sa cause en faveur de la paix. Cela n’a pas été facile par le passé, les dirigeants européens ayant surtout fait obstacle aux efforts visant à mettre fin à la guerre. Le récent sommet de l’OTAN a toutefois montré à quel point l’actuelle Maison Blanche peut encore influencer un continent européen terrifié à l’idée d’être abandonné. L’équipe Trump ne devrait pas avoir peur d’utiliser son influence pour obliger l’Europe à soutenir à l’avance tout accord de paix conclu entre l’Ukraine, la Russie et les États-Unis.

La capture par la Russie d’une réserve de lithium ukrainienne dans l’est du pays et la réaction discrète de l’équipe Trump en disent long sur l’état de la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Avec l’Ukraine dans les cordes et les États-Unis concentrés ailleurs, Poutine semble contrôler le tempo de la guerre. Les perspectives de paix à court terme sont minces, mais de plus grandes opportunités de paix peuvent se présenter, en particulier si Washington prépare le terrain dès maintenant.

*

Jennifer Kavanagh est maître de conférences et directrice de l’analyse militaire à Defense Priorities. Auparavant, Mme Kavanagh a été chargée de recherche à la Fondation Carnegie pour la paix internationale et politologue à la Rand Corporation. Elle est également professeur adjoint à l’université de Georgetown.

Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.

Source : Responsible Stateccraft, Jennifer Kavanagh, 02-07-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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1 réactions et commentaires

  • nulnestpropheteensonpays // 07.08.2025 à 10h26

    L’ukraine a déjà perdue certes . Même si démographiquement la prise de territoire implique aussi la prise de population et compense les pertes démographiques russes . Les régions qui se sont le plus dépeuplées auront des difficultés a se relever .Dommage que nos gouvernements aient partie liés a la guerre , la russie sera un eldorado pour les immigrés dans les deux décennies qui viennent . Alors que nous , on pas fini de couler . Le fameux pib , va exploser en russie !

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