« L’exploitation des fonds marins n’est pas une nécessité, c’est un choix », a déclaré le président des Palaos. « Et ce choix est irresponsable. »
Source : Truthout, Olivia Rosane, Common Dreams
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
- Manifestation de militants de Greenpeace qui déploient une pieuvre gonflable de la taille d’un bus à impériale devant le Hilton, Canary Wharf, lors de la matinée d’ouverture du sommet annuel sur l’exploitation minière en eaux profondes, le 17 avril 2024, à Londres, en Angleterre. Ils réclament la fin de l’exploitation minière en eaux profondes, laquelle endommage les océans de manière irrémédiable et menace leur capacité à contribuer à la lutte contre le changement climatique. Chris J Ratcliffe pour Greenpeace via Getty Images
La 30e session de l’Autorité internationale des fonds marins s’est achevée vendredi sans que les gouvernements mondiaux ne parviennent à s’entendre sur un moratoire sur l’exploitation minière en eaux profondes, bien qu’une dynamique favorable se soit mise en place.
La réunion de juillet de l’autorité était la première depuis que le président américain Donald Trump a signé un décret visant à accélérer l’octroi de permis pour l’exploitation minière en eaux profondes sous l’autorité des États-Unis et que The Metals Company (TMC) a dans la foulée sollicité des permis américains. Les gouvernements ont sévèrement critiqué les États-Unis et TMC pour leur approche unilatérale et ne se sont pas mis d’accord sur un code minier qui permettrait à la pratique controversée d’aller de l’avant en vertu du droit international. Toutefois, les militants ont déclaré qu’une action plus drastique était nécessaire pour protéger les océans et leur biodiversité.
« Les gouvernements ont encore à se montrer à la hauteur de la situation, a déclaré Louisa Casson, chargée de campagne à Greenpeace International, dans un communiqué. Ils restent déconnectés des préoccupations mondiales et du besoin pressant d’un leadership courageux pour protéger les grands fonds marins. »
- Le navire Arctic Sunrise de Greenpeace International arbore les messages « Stop Deep Sea Mining » (Stop à l’exploitation minière en eaux profondes) et « 3 millions de personnes s’opposent à l’exploitation minière en eaux profondes » alors qu’il se trouve dans les eaux françaises au large de Nice, France, le 8 juin 2025. Maïté Baldi / Greenpeace
Casson a poursuivi : « Nous appelons la communauté internationale à se mobiliser et à défendre le multilatéralisme contre des acteurs voyous comme The Metals Company. Les gouvernements doivent réagir en instaurant un moratoire et en réaffirmant que l’autorité sur les fonds marins internationaux appartient collectivement à tous les États, et ce, dans l’intérêt de l’humanité tout entière. »
Défendre le multilatéralisme
L’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) exerce son autorité en matière de réglementation de l’exploitation minière en eaux profondes en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, dont les États-Unis ne sont pas signataires. La TMC pourrait toutefois subir des conséquences pour avoir contourné le processus international, car d’autres pays et entreprises pourraient décider de ne plus entretenir de relations commerciales avec elle.
Lors de la dernière session, le conseil de l’ISA a décidé de ne pas révoquer les permis d’exploration qu’il avait précédemment accordés à TMC et à ses filiales. Toutefois, il a approuvé lundi l’ouverture d’une enquête visant à déterminer si les entrepreneurs miniers tels que les filiales de TMC, Nauru Ocean Resources Inc. et Tonga Offshore Mining Limited, respectaient leurs obligations en vertu du droit international.
« TMC a testé les limites de ce qu’il lui était possible de faire, un peu comme un enfant qui voit jusqu’où il peut aller lorsqu’il se conduit mal », a déclaré Matthew Gianni, cofondateur de la Deep Sea Conservation Coalition (DSCC), au New York Times.
« Les pays membres de l’ISA ont de fait tiré un coup de semonce, avertissant TMC que son comportement de voyou pourrait lui coûter ses droits de prospection dans le cadre de l’ISA », a expliqué Gianna, ajoutant que l’enquête servait aussi à prévenir les autres entreprises qui pourraient envisager de suivre l’exemple de TMC.
Casson a acquiescé : « Le message de la communauté internationale à l’adresse de The Metals Company est clair : violer le droit international, faire fi du consensus scientifique et mépriser le droits humains auront des conséquences. Il s’agit également d’un avertissement pour les entreprises ou les gouvernements qui choisissent de s’aligner sur le modèle entrepreneurial de Gerard Barron [PDG de TMC] : Ils doivent être prêts à supporter les conséquences en termes de réputation s’ils tentent de détruire l’océan. »
Dans le même temps, un représentant américain s’est exprimé jeudi, confirmant le rejet du processus international par Trump et s’attirant immédiatement les foudres du Brésil, de la France et de la Chine.
« Dans la mesure où les Etats Unis ne sont pas signataires de la Convention sur le droit de la mer, ils ne sont pas liés par les règles de la Convention relatives à l’exploitation minière des fonds marins établies par l’Autorité internationale des fonds marins », indique notamment le communiqué des États-Unis.
Cette déclaration intervient quelques jours après la publication par Greenpeace d’un rapport intitulé Deep Deception : How the Deep-Sea Mining Industry is Manipulating Geopolitics to Profit from Ocean Destruction (Tromperie en profondeur : comment l’industrie minière sous-marine manipule la géopolitique pour tirer profit de la destruction des océans), qui explique comment TMC et d’autres sociétés d’exploitation minière en eaux profondes exploitent les problèmes de sécurité nationale pour faire pression sur les législateurs américains afin d’accélérer l’exploitation minière en eaux profondes.
« La déclaration des États-Unis confirme ce que Deep Deception a déjà révélé : La poursuite de l’exploitation minière en eaux profondes par l’administration Trump n’a rien à voir avec une gouvernance responsable de la planète ; mais vise plutôt à la contourner », a déclaré Arlo Hemphill, chef de projet de Greenpeace USA pour la campagne Stop Deep-Sea Mining, dans un communiqué. « En rejetant l’autorité de l’ISA tout en se targuant d’une responsabilité environnementale, les États-Unis tentent de jouer sur les deux tableaux et, ce faisant, de faire avancer un programme de pillage qui met gravement en péril la santé des océans et la coopération internationale. »
Une montée de la résistance
Au final, les défenseurs des océans s’accordent à dire que la seule façon de protéger les grands fonds marins est de faire accepter par les gouvernements une pause préventive à une pratique qui, selon eux, causerait des dommages irréparables à des écosystèmes que la science connaît à peine.
Le consensus en faveur d’une telle pause va croissant, la Croatie devenant le 38e pays à soutenir une telle pause lors de la dernière réunion de l’ISA.
« L’ISA est paralysée par un petit groupe qui s’accroche à des programmes d’extraction dépassés tout en bloquant les réformes les plus élémentaires », a déclaré Simon Holmström, responsable de la politique d’exploitation minière en eaux profondes pour Seas at Risk, dans un communiqué. « Le rejet ferme de la prise de pouvoir des États-Unis et de The Metals Company, ainsi que les appels de 38 pays en faveur d’un moratoire ou d’une pause de précaution, témoignent d’une résistance croissante à l’idée de sacrifier l’écosystème le moins bien compris de la planète au profit des profits à court terme des entreprises. »
Plusieurs nations se sont exprimées avec force en faveur d’un moratoire, notamment Palau, le Panama et la France.
« L’exploitation des fonds marins n’est pas une nécessité, c’est un choix », a déclaré mardi Son Excellence Surangel S. Whipps Jr, président de la République des Palaos. « Et c’est irresponsable. C’est jouer avec l’avenir des enfants des îles du Pacifique, qui hériteront des conséquences désastreuses de décisions prises loin de leurs côtes. »
Un dirigeant des îles Salomon a également défendu les intérêts des communautés de l’océan Pacifique : « En tant que peuples du Pacifique, nous continuons à porter le traumatisme de ce que les industries extractives ont déjà infligé à nos maisons. Les compagnies minières qui sont venues avec des promesses ont dépouillé nos terres et nos eaux et ont laissé derrière elles des cicatrices écologiques, culturelles et spirituelles. Nous ne pouvons pas laisser ce cycle se répéter dans l’océan qui est notre lien. Qui nous nourrit. Et qui nous définit. »
Olivier Poivre d’Arvor, de la France, a appelé à une pause de 10 à 15 ans : « Notre message est clair : pas d’exploitation minière en eaux profondes sans science, sans légitimité collective, sans équité […] La France appelle à un moratoire ou à une pause de précaution. Pourquoi ? Parce que nous refusons d’hypothéquer l’avenir pour quelques nodules extraits à la hâte, au profit de quelques-uns.» [Les nodules, ce sont ces petits galets pleins de métaux ultra prisés comme le nickel, le cobalt, ou le cuivre, qui servent à fabriquer, entre autres, les batteries qu’on retrouve dans les téléphones et les voitures électriques, NdT].
Toutefois, les militants ont fait valoir que de nombreux gouvernements continuaient à ne pas respecter les engagements qu’ils avaient pris lors de la conférence des Nations unies sur les océans (UNOC), qui s’est tenue à Nice au début du mois de juin.
« Trente-huit États se sont joints à l’appel en faveur d’un moratoire ou d’une pause de précaution, la Croatie ayant rejoint la coalition au cours de cette assemblée », a déclaré Sofia Tsenikli, directrice de campagne du DSCC. « Mais trop d’autres États, qui ont fait des promesses audacieuses en matière d’océans à l’UNOC, ne les mettent pas en œuvre à l’ISA. Les gouvernements doivent tenir leurs promesses en faisant ce qu’il faut pour mettre en œuvre un moratoire avant qu’il ne soit trop tard. »
Farah Obaidullah, fondatrice et directrice de The Ocean and Us, a fait valoir que l’océan est déjà confronté à trop d’autres menaces pour y ajouter le fardeau supplémentaire de l’exploitation minière en eaux profondes.
« La santé de la haute mer, y compris le plancher océanique, est essentielle à la nôtre. Pourtant, notre patrimoine commun est confronté à une avalanche de menaces liées à l’effondrement du climat et de la nature, à l’escalade des tensions et à l’échec des dirigeants, a déclaré Obaidullah. Envisager une nouvelle forme d’écocide à l’encontre de notre planète déjà mal en point est à la fois irresponsable et irrationnel. Nous savons que l’exploitation minière en eaux profondes aura un effet dévastateur sur la vie dans les grands fonds, anéantira des espèces avant même qu’elles aient été découvertes et aura un impact sur les fonctions océaniques, notamment sur la séquestration du carbone. En ce qui concerne les océans, nous n’avons pas de temps à perdre. Nous ne pouvons pas coloniser et conquérir notre patrimoine commun, il nous appartient à tous. Il n’y a qu’une seule façon responsable d’avancer, et c’est d’obtenir un moratoire sur l’exploitation minière en eaux profondes. »
Gianni, du DSCC, a également plaidé en faveur d’une pause : « Rester sur la touche ou garder le silence n’est pas une position politiquement défendable. Nous courons le risque de graves destructions écologiques et les générations futures nous demanderont ce que nous avons fait pour les empêcher. Il est encore possible d’arrêter cette industrie avant qu’elle ne commence, mais seulement si les gouvernements défendent dès maintenant la science, l’équité et le principe de précaution, s’ils prennent des mesures pour empêcher les entreprises relevant de leur juridiction de coopérer avec des exploitations minières déloyales. »
Hemphill, de Greenpeace, a conclu : « Les gouvernements doivent garantir un moratoire qui ne laisse aucune marge de manœuvre à une industrie qui ne souhaite qu’une chose, imposer un code minier. La science n’est pas prête. Le cadre juridique n’est pas en place. Le monde ne doit pas être entraîné dans une erreur irréversible pour le bénéfice de quelques-uns. »
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Olivia Rosane est rédactrice d’opinion et collaboratrice de Common Dreams.
Source : Truthout, Olivia Rosane, Common Dreams 26-07-2025
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