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7.septembre.20237.9.2023 // Les Crises

Taïwan : en cas de guerre, les alliés des États-Unis hésiteront à entrer dans la mêlée

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Un nouveau rapport indique qu’au moins un partenaire majeur de la région hésiterait à entrer dans la mêlée. Et ce n’est pas le seul.

Source : Responsible Statecraft, Daniel Larison
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le capitaine Brett E. Crozier, commandant du navire, accueille les membres du Collège d’état-major interarmées de la Force japonaise d’autodéfense pour une visite à bord en 2018. (Photo de l’US Navy par le spécialiste en communication de masse de 2e classe Adam K. Thomas/RELEASED)

En cas de guerre avec la Chine au sujet de Taïwan, il est peu probable que les alliés régionaux des États-Unis se joignent à eux.

Si l’on admet souvent à Washington que l’on peut compter sur au moins quelques-uns de ses alliés liés par traité pour soutenir et rejoindre les forces américaines, il s’agit là de scénarios optimistes et de vœux pieux. Même les alliés les plus fiables, comme le Japon et l’Australie, hésiteraient à se joindre à ce qui serait un effort de guerre très coûteux pour les États-Unis.

En l’absence de soutien allié, la défense de Taïwan, qui est déjà un défi de taille, deviendrait encore plus difficile à relever.

Le Wall Street Journal a fait état ce week-end du manque de détermination du Japon à s’impliquer directement dans la défense de Taïwan.Selon le rapport, le gouvernement japonais pourrait autoriser les États-Unis à utiliser des bases au Japon, mais sa propre participation est peu probable : « Les dirigeants japonais évitent publiquement de parler d’un rôle dans une guerre contre Taïwan, en partie parce que l’opinion publique est généralement opposée à l’idée de se laisser entraîner dans un conflit. »

Si le gouvernement japonais a augmenté ses dépenses militaires, il l’a fait pour sa propre défense et non pour participer à une guerre majeure. Comme l’a écrit Kiyoshi Sugawa pour Responsible Statecraft en mai : « Les États-Unis ne doivent pas considérer comme acquis que le Japon se contentera de suivre les désirs ou les attentes de Washington. »

Cette réticence est influencée par l’opinion publique japonaise. Comme l’indiquait l’an dernier une analyse de Voice of America, l’implication du Japon dans un conflit avec Taiwan est « loin d’être certaine et n’est pas soutenue par la population japonaise ». Selon un sondage réalisé au printemps pour l’Asahi Shimbun, seulement 11 % des Japonais interrogés ont déclaré que leurs forces armées devraient se joindre aux États-Unis dans les combats, et 27 % ont déclaré que leurs forces ne devraient pas du tout collaborer avec l’armée américaine.

La plupart des Japonais (56 %) sont favorables à ce que le Japon ne joue qu’un rôle de soutien logistique en cas de guerre contre Taïwan. Tout gouvernement japonais qui entrerait en guerre n’aurait que très peu de soutien de la part de ses électeurs.

Il est également peu probable que l’Australie rejoigne les États-Unis en cas de guerre. Le gouvernement australien a clairement indiqué qu’il n’avait pas promis aux États-Unis de prendre part à un conflit concernant Taïwan en échange de la fourniture de sous-marins à propulsion nucléaire dans le cadre de l’accord AUKUS. Même si l’Australie a participé à toutes les grandes guerres américaines depuis la Seconde Guerre mondiale, une guerre à propos de Taïwan serait certainement un pont trop loin. Si un allié aussi fidèle que l’Australie ne participe pas, il est difficile d’imaginer que d’autres alliés le feront.

Nous avons déjà vu au début de cette année que le gouvernement philippin a exclu de laisser les États-Unis utiliser des bases sur son territoire pour soutenir les opérations américaines dans une guerre contre Taïwan. L’accès aux bases que les États-Unis ont obtenu dans le cadre de l’accord de coopération renforcée en matière de défense ne permet pas aux forces américaines de stocker des armes en vue d’un tel conflit, et elles ne seront pas non plus autorisées à se réarmer, à se ravitailler en carburant ou à effectuer des réparations.

Le président Ferdinand Marcos Jr. a déclaré à plusieurs reprises que son gouvernement avait accepté l’accès à la base pour améliorer la sécurité de son pays et non à d’autres fins.

De même, la Corée du Sud a tout intérêt à rester à l’écart d’un conflit avec Taïwan. Non seulement Séoul doit se préoccuper d’une menace plus importante et plus immédiate, celle de la Corée du Nord, mais elle ne peut pas non plus se permettre d’être hostile à la Chine. Comme les autres alliés, la Corée du Sud entretient d’importantes relations commerciales avec la Chine, qui seraient réduites à néant si elle s’associait à une campagne militaire américaine.

Le dernier allié régional des États-Unis, la Thaïlande, est encore moins enclin à participer à un tel conflit. La Thaïlande ne pourrait pas faire grand-chose pour aider les États-Unis dans cette guerre, même si elle le voulait, et elle ne le voudrait pas. Comme l’a expliqué Zachary Abuza, du Naval War College : « la Thaïlande ne considère pas la Chine comme une puissance interventionniste ou une menace militaire. »

Depuis 1945, lorsque les États-Unis sont entrés en guerre, ils l’ont généralement fait avec au moins quelques grands alliés à leurs côtés. L’implication des principaux alliés a été utile en termes de fourniture de forces supplémentaires pour la mission, et elle a également donné à l’effort l’apparence d’un soutien international plus large. Une guerre à propos de Taïwan serait très probablement bien différente. Dans ce scénario, les États-Unis ne peuvent compter sur une assistance militaire significative de la part de leurs alliés de longue date dans la région Asie-Pacifique, et les alliés dans d’autres parties du monde qui pourraient exprimer leur soutien aux États-Unis n’auraient pas les moyens de les aider.

Si les États-Unis parvenaient à convaincre un ou deux de leurs alliés conventionnels de se joindre à la guerre, cela se ferait probablement au prix d’une détérioration considérable de leurs relations avec ces États à long terme.

La réticence des alliés à prendre part à une guerre majeure qu’ils ne sont pas obligés de mener est compréhensible. Ils risquent tous de perdre beaucoup s’ils prennent les armes contre la Chine, et ils n’ont aucune raison impérieuse de participer à un tel conflit. Les alliances qu’ils ont conclues avec les États-Unis existent pour assurer leur défense contre les attaques de leurs propres pays. Elles ne sont pas censées servir de justification pour entraîner ces États dans n’importe quelle guerre que les États-Unis choisiraient de mener.

Si les alliés des États-Unis dans la région ne sont pas disposés à se battre dans un conflit pour Taïwan, on peut se demander pourquoi les États-Unis devraient le faire.

De nombreux faucons chinois affirment que le maintien des alliances américaines en Asie de l’Est est l’une des raisons pour lesquelles les États-Unis doivent défendre Taïwan, mais la réticence de ces mêmes alliés à prendre part au combat nous donne des raisons d’en douter. Les faucons partent du principe que les alliés perdront confiance dans les engagements américains si les États-Unis ne se battent pas pour Taïwan, mais cela ne semble reposer sur rien d’autre que sur la compréhension erronée qu’ont les faucons du fonctionnement de la crédibilité.

En réalité, les alliés des États-Unis ne pensent pas que Taïwan vaille la peine d’être défendue et ils ne vont pas pénaliser les États-Unis s’ils choisissent de ne pas intervenir.

Si les États-Unis ne peuvent pas s’attendre à ce que leurs alliés liés par traité participent à une guerre pour Taïwan, il est crucial qu’ils fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour maintenir un statu quo pacifique. À cette fin, les États-Unis doivent mieux rassurer le gouvernement chinois sur le fait qu’ils ne cherchent pas à renverser le statu quo. Sans cette assurance crédible, les États-Unis et la Chine s’engagent sur la voie de la course aux armements et de l’aggravation des tensions.

La réticence des Alliés à s’impliquer dans une guerre à propos de Taïwan devrait faire réfléchir les décideurs politiques américains et rendre les États-Unis beaucoup plus prudents avant de s’engager dans une guerre majeure.

Source : Responsible Statecraft, Daniel Larison, 17-07-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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John V. Doe // 07.09.2023 à 09h23

Peut-être aussi le sort de l’Ukraine (et de l’Europe qui en découle) a-t-il refroidi certaines ardeurs guerrières contre les « ennemis » désignés par l’impérialisme des USA.

11 réactions et commentaires

  • RV // 07.09.2023 à 08h55

    Cet article me donne l’impression que l’auteur se rassure comme il peut ?

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  • John V. Doe // 07.09.2023 à 09h23

    Peut-être aussi le sort de l’Ukraine (et de l’Europe qui en découle) a-t-il refroidi certaines ardeurs guerrières contre les « ennemis » désignés par l’impérialisme des USA.

      +26

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  • DVA // 07.09.2023 à 10h43

    Taïwan…Ville chinoise dans laquelle c’était réfugiée l’opposition perdante face au Grand Timonier…Pourquoi la guerre ?!!

      +3

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  • Mikatypa // 07.09.2023 à 11h19

    L’exemple de la guerre de 14-18 en Europe reste éclairant : courses aux armement, blocs d’alliances , propagandes bellicistes pour convaincre les populations, guerre préventive pour empêcher l’adversaire de devenir dominant… L’Ukraine montre que le basculement de la paix commerciale à la guerre est très rapide quelque soit la volonté de paix des populations.

      +10

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  • Fabrice // 07.09.2023 à 11h27

    Au vu du comportement des USA et de certains de ces alliés dans cette région du pacifique, souvent à notre dépend il est clair que nous avons intérêt à rester neutre dans ce conflit.

    L’Ukraine prouve qu’à chaque fois nous sommes perdant et qu’au final ce sont les USA qui profitent d’avoir soufflé sur des braises pour enflammer une région du monde.

    Le Japon sait très bien ce qu’il a perdre et qu’il n’y gagnera rien que de la ruine et de la souffrance.

      +17

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    • La Mola // 07.09.2023 à 13h55

      « il est clair que nous avons intérêt à rester neutre dans ce conflit. »

      nous aurions sûrement eu intérêt à rester neutres pour l’Ukraine, et bien d’autres guerres otanesques… mais la puissance de propagande des industries de l’armement US ne se dément toujours pas, hélas

        +18

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  • La main du Kremlin // 08.09.2023 à 09h54

    Entrerions nous en guerre si la Corse déclarait son indépendance ?
    ( Je parle pas de la France mais de tous les autres qui sont sur le radeau de la méduse europeiste )
    Pour ma part j’espère que non , même si l’occident avait besoin de ses puces
    Cette province irrédentiste doit rentrer dans le giron Chinois !

      +5

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  • Ivan le Terrien // 08.09.2023 à 12h15

    Et les alliés de l’Amérique membres de l’OTAN? C’est surtout leur attitude qui doit nous préoccuper!
    On sait que les Américains ont lancé quelques coups de sonde en direction des gouvernements européens: que feriez-vous en cas de conflit avec la Chine? Sans recueillir des réponses délirantes d’enthousiasme. Personne en Europe n’a envie d’une guerre ni même de se fâcher sévèrement avec la Chine. C’est bien assez de la Russie. Mais la servilité des gouvernements européens vis-à-vis des Etasuniens est telle qu’on ne peut être sûr de rien. Méfiance et vigilance! Et à l’occasion des élections qui s’approchent, interroger les candidats sur ce point, leur faire comprendre qu’on ne votera pas pour un belliciste quelques soient ses propositions par ailleurs.

      +7

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    • La Mola // 08.09.2023 à 14h10

      « Et à l’occasion des élections qui s’approchent, interroger les candidats sur ce point, »
      ah, mais les promesses n’engagent que ceux qui y croient…l’histoire contemporaine est pleine d’exemples !

        +1

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  • Fritz // 08.09.2023 à 19h28

    Rappelons encore une fois que « Taïwan » n’a aucune existence juridique. Aucun État ne porte ce nom dans le monde. Taïwan (on disait jadis « Formose ») est le nom d’une île chinoise, une province insulaire où s’est replié le Kouo Min Tang de Tchang Kaï-chek en 1949. Le gouvernement de facto qu’il y a installé s’appelle « République de Chine ». Depuis 1964, la France ne reconnaît que la République populaire de Chine.

    Que les États-unis aient transformé cette province séparatiste en porte-avions fixe dirigé contre la Chine continentale ne change rien à l’affaire : cela montre seulement le degré de soumission et de bassesse des Zeuropéens, esclaves consentants de l’Oncle Sam.

      +3

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    • Dominique65 // 09.09.2023 à 10h14

      « la France ne reconnaît que la République populaire de Chine. »
      Et les États-Unis aussi ! En tous cas, l’existence d’une seule Chine. C’est ce qu’il y a de plus extraordinaire.
      C’est pourquoi vraisemblablement les autres pays ont une certaine réticence à s’engager pleinement dans leur double discours.

        +4

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