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9.août.20159.8.2015 // Les Crises

Critique argumentée de certaines relectures politiques de l’histoire, tant russes qu’ukrainiennes, par Marie Pascal

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Marie PASCAL – Juillet 2015

Selon l’historiographie russe classique, dès le X s. le premier État russe , ou Rus’ de Kiev (en russe « Kievskaja Rus' », qu’autrefois on traduisait « Russie Kiévienne ») était unifié et organisé autour de sa capitale Kiev et d’un unique Prince : Oleg, suivi d’Igor puis de Vladimir qui y introduisit le christianisme en 988. A partir du XI s. commença une période dite du « morcellement féodal » (« period feodalnoj rasdroblennosti ») de la Rus’ en différentes principautés, les « princes russes » s’unissant ou s’opposant les uns aux autres suivant leurs choix politiques. La date officielle de la fin de la Rus’ unifiée est celle de la mort du prince Mstislav le Grand en 1132.

En 1154, le prince André Bogolioubski, succédant à son père sur le trône de Kiev, décida de déplacer la capitale de la Rus’ à Vladimir-sur-Kliazma, ville située au cœur du « Zaliessyé » (du mot forêt : « l’es » qui se prononce à peu près comme le mot français « liesse »), zone de forêts traversée de rivières navigables: la Kliazma et la Moskva, affluents de l’Oka, qui elle se jette dans la Volga.

Au XIV s. ses descendants reprirent le flambeau en repoussant les Mongols et en unifiant les principautés russes autour d’une nouvelle capitale, Moscou, qui avait pris la prééminence sur Vladimir dans cette région du Zaliessyé.

Dans cette version, l’histoire de la Russie, de la Biélorussie et de l’Ukraine ne font qu’une durant tout le moyen-âge. Cette région du sud-ouest de la Rus’ n’a ni nom à elle, ni contours définis avant l’apparition du nom « Ukraine » au XVII s. De plus l’accent porte sur le déplacement de la capitale et du centre de gravité de l’État russe depuis Kiev jusqu’à Vladimir et Moscou, ne laissant à Kiev que le rôle de ville déclassée, et à la future Ukraine celui de région excentrée.

On comprend que cette histoire-là ne plaise guère aux Ukrainiens. En particulier depuis que les dirigeants de l’Ukraine ont décidé de rompre les liens entre leur pays et la Fédération de Russie, les Ukrainiens aimeraient trouver dans l’histoire la trace d’un État qui serait l’ancêtre de l’Ukraine mais pas celui de la Russie. C’est ainsi qu’on entend actuellement en Ukraine une version de l’histoire de la Rus’ où la principauté de Kiev, au Moyen-âge, était indépendante des autres principautés de la Russie ancienne, de sorte qu’on peut dire que l’Ukraine, État héritier de la Rus’ de Kiev, et la Russie issue des autres principautés, ont des histoires parallèles mais qui ne se confondent pas. On retrouve la source de cette idée dans de nombreuses historiographies, à l’instar de l’encyclopédie Larousse (en ligne) qui affirme que « au milieu de XII s, cet État (de la Russie Kiévienne) s’(est) désintégré en principautés indépendantes ».

Dans cette version évidemment développée en Ukraine, le nom  » Rus’  » sert à nommer la principauté de Kiev, au moins à partir du XII s., les territoires de l’ouest et nord-ouest de la Russie actuelle n’en faisant donc pas partie. Par exemple, dans l’article de Wikipédia en ukrainien « Українці » (« Ukrainiens » ), nous pouvons lire :  » (Le nom Rus’) est utilisé comme nom du peuple Ukrainien du XIII s. au début du XX s. ; du XVIII au XX s. on emploie parallèlement le terme  » Ukrainiens ». Nous avons aussi pu entendre l’écrivain ukrainien Andreï Kourkov, lors d’une visite en France en 2014, dire que au Moyen-Âge il existait « plusieurs Rus’ : la Rus’ de Kiev, la Rus’ de Vladimir, la Rus’ de Novgorod », présentant ainsi ces principautés comme des États différents existant en parallèle.

Quelques soient les mots et les procédés employés, ou les dates choisies, on constate une volonté de prouver l’existence de l’Ukraine comme Nation différente de la Russie dès le Moyen-Âge.

On voit bien les lectures politiques qui sous-tendent ces 2 visions opposées. D’un côté, l’accent est mis sur l’origine commune des slaves orientaux (actuels Russes, Biélorusses et Ukrainiens), peuples frères, appelés à vivre ensemble et coopérer. Il est clair que les Russes insistent lourdement sur cette « unité » des peuples slaves en général, et slaves orientaux en particulier.

De l’autre on insiste sur les différences entre deux peuples (Russes et Ukrainiens), deux nations proches mais distinctes dès les origines. Et de part et d’autre on s’appuie sur cette lecture historique pour légitimer les relations politiques actuelles. Il y a donc des deux côtés une instrumentalisation de l’histoire, qui en elle-même est dangereuse.

***

Mais face à des visions aussi différentes, voire contradictoires, nous devons aussi nous poser la question d’éventuelles « réécritures » de l’histoire. Est-ce que les sources historiques fiables infirment ou confirment les affirmations des uns et des autres? Comment savoir qui réécrit quoi, et à partir de quoi?

C’est ce que nous allons essayer ici de présenter et résumer, à partir de faits que les historiens spécialistes de cette période, français entre autres, ont pu dégager en étudiant de près les sources, sans parti pris. Nous nous sommes centrés sur la question de la Principauté de Kiev comme entité politique autonome. Dans la Rus’ de Kiev, les sources affirment-elles l’existence d’une seule entité politique, ou de plusieurs entités distinctes politiquement?

Pour cela, nous nous sommes posé plusieurs questions:

  • A quoi correspond exactement l’ethnonyme Rus’ ?
  • Quelles fonctions recouvre à l’époque le titre de « prince » (Knjaz’), et le Prince de Kiev a-t-il un rôle particulier par rapport aux autres princes?
  • La Rus’ a-t-elle été véritablement un État unifié autour de Kiev de 882 à 1132 (soit pendant 150 ans) ?
  • Durant cette période, existait-t-il une seule principauté ou plusieurs ?
  • Quel phénomène est à l’origine de la multiplication des principautés, et quand commence-t-il ?
  • Après 1132, les principautés peuvent-elles être considérés comme des micro-Etats indépendants de la Principauté de Kiev?
  • En 1157 y a-t-il eu véritablement « transfert » de la capitale, depuis Kiev jusqu’à une ville du Zaliessyé, ou bien y a-t-il création d’un nouvel État à partir de la principauté de Vladimir-Souzdal?

1. A quoi correspond l’ethnonyme Rus’ ? Quels sens recouvre ce mot en russe ?

Il s’agit d’abord du nom d’un peuple ou groupe de scandinaves, appelés aussi « Varègues » (« Varjag » en russe), qui est le nom des Vikings sur les territoires des slaves orientaux. Si l’occident connut surtout les Vikings comme pillards, ici ils furent d’abord marchands et mercenaires.

Mercenaires car ces guerriers de valeur sont souvent engagés pour renforcer les troupes locales, tant grecques que slaves. Marchands, ils naviguent sur les nombreux fleuves de l’est de l’Europe pour aller de la Scandinavie à Byzance, et de là commercer avec l’Orient. La « route des Varègues aux Grecs » traverse ce qu’ils appellent « Gardariki », le pays des villes, c’est à dire des habitations regroupées et protégées par une enceinte faite de troncs d’arbres. Au IX siècle ce pays est peuplé de tribus slaves et finno-ougriennes.

Les Varègues cherchent à contrôler les points de passages de leurs bateaux, afin de ne pas avoir à payer trop de « péages ». Peu à peu, ils s’installent comme dirigeants de ville, chefs ou membres de l’armée protégeant les populations locales : le Knjaz’ et sa droujina (milice) Varègue sont nés.

Le nom de Rus’ apparaît alors pour désigner non plus des Scandinaves, mais le territoire qu’ils contrôlent et peu à peu l’ensemble des habitants de ces territoires. Ce terme est connu non seulement dans des sources slaves sous ce vocable de Rus’ (Русь) mais aussi dans des sources grecques (sous le nom de Rhôs pour les personnes et Rhosia pour le territoire) et latines (Rusia).

Dans certains cas l’auteur grec semble désigner seulement ce qu’on appelle aussi la principauté de Kiev, mais parallèlement le nom sert aussi à l’ensemble du territoire contrôlé par les Rus’-Varègues. Les Varègues arrivent en effet en  » Rus’  » par le nord. Le premier prince de la Rus’, Riourik, personnage semi-légendaire (ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas existé), s’installe à Novgorod sur les bords du lac Ilmène. Les premiers princes de Kiev gardent le contrôle total de cette ville et de ses territoires jusqu’à la fondation de la « république de Novgorod » en 1137, et par la suite Novgorod et Kiev gardent des liens (économiques, politiques et religieux) sans interruption.

La Rus’ est donc, dans les sources anciennes, le territoire dont le centre est Kiev, mais selon le point de vue de celui qui écrit, ce territoire peut comprendre ou non toutes les terres du Nord rattachées à Novgorod, les territoires intermédiaires et le Zaliessyé, ce dernier sens étant le plus fréquent. Il n’est donc pas légitime de dire que le nom Rus’ , dans l’utilisation qui en est faite dans les chroniques en vieux-russe, en latin et en grec, ne concerne que les territoires situés autour de Kiev.

Il est vrai qu’aujourd’hui on peut trouver les expressions Novgorodskaja Rus’, Kievskaja Rus’, Vladimirskaja Rus’ et même Moskovskaja Rus’ , la « Rus’ moscovite ». Car le mot Rus’, avec ou sans l’adjectif « drevnjaja » (ancienne, antique) est employé en russe moderne dans le sens de « Russie ancienne », du IX au XVI s. , donc plus pour signifier une époque qu’un territoire.

Ainsi la Rus’ de Vladimir signifie l’époque où Vladimir était capitale de la Rus’. Quant à « Novgorodskaja Rus’  » ou Rus’ de Novgorod, cela peut signifier la principauté de Novgorod à l’époque où elle était indépendante et florissante (du IX au XV s.) , ou bien dans un sens étroit la période où Novgorod était « capitale » de la Rus’ (862-880). Dans tous ces emplois, on remarque qu’il s’agit d’un sens chronologique et non géographique. Ainsi quant un Russe parle de la Rus’ de Novgorod, de Kiev, de Vladimir ou de Moscou, il parle d’époques différentes (et successives) et non d’États différents (et concomitants).

Nous pouvons cependant remarquer que l’accent mis par les Russes depuis le XIX s. sur la « naissance de l’État russe » à Veliki Novgorod, ville qui s’enorgueillit aujourd’hui d’être la « Patrie de la Russie » (« Rodina Rossii »), avait déjà une résonance politique : la toute première capitale de la Russie est ainsi sur un territoire qui est toujours resté russe, contrairement à Kiev qui passa au XIV s. sous la couronne Lituanienne.

2. Sur le sens du mot « prince  » en général et en particulier le rôle du Prince de Kiev

L’historien français d’origine russe Vladimir Vodoff et aujourd’hui son ancien élève Pierre Gonneau ont particulièrement étudié ce terme et cette fonction par une lecture très fouillées des textes des anciennes chroniques russes, recoupées avec des sources grecques, arabes ou latines. En Russie, un travail de même nature (étude philologique des textes) est fait par Fiodor Ouspensky, sur les noms des princes, les moments clés de leur vie etc. (cf. cours en russe http://arzamas.academy/courses/20 )

« Knjaz' » , mot traduit habituellement par prince, signifie simplement « chef ». Dans les textes grecs c’est le mot « archonte » qui est employé. Le rôle du « prince » , chef d’une petite armée d’hommes qui lui sont attachés, est de défendre un territoire en échange d’une sorte d’impôt en nature. Il exerce ses fonctions sur un territoire rattaché à une ville fortifiée. Ce territoire que nous appelons principauté tire donc son nom de la ville-siège, parfois de deux villes (Principauté de Vladimir-Souzdal en Zaliessyé, par exemple, ou bien celle de Galicie-Volhynie, qui tire son nom des villes de Volhyn et Galitch).

Le prince de Kiev n’a d’abord pas de titre particulier, le terme de « Grand Prince » pour le prince de Kiev, puis celui de Vladimir-sur-Kliazma, n’apparait pas avant le XII s. Il a cependant un rôle particulier parmi tous les princes de la Rus’.

Après une étude poussée des sources concernant les années 1146-1148, centrées sur la figure du prince à Novgorod et à Kiev, P. Gonneau, de l’École Pratique des Hautes Études, peut écrire :  » Le prince de Kiev ne se contente pas de régner sur la capitale et d’être le chef moral de l’ensemble des terres russes. C’est lui qui établit le prince de Novgorod (…). Il distribue les principautés voisines de Kiev et y ajoute ou retranche des cités (…). Il envoie ses parents et vassaux exécuter des missions (…). Il organise quand le besoin s’en fait sentir un congrès (…) de princes (…). Il arbitre les querelles entre princes, à leur demande, et pour garantir la paix et la prospérité du pays. (…) Il conclut la paix avec les voisins nomades de la Rus’, les Polovtses (…). Le prince de Kiev intervient aussi dans les affaires de l’Église (…). La vassalité envers le prince de Kiev doit se manifester par les honneurs qu’on lui rend (čest’ priložiti). Agir de son propre chef, en particulier pour disposer de fiefs à la suite d’un changement de souverain est un manquement grave à l’étiquette, sanctionnable par la confiscation (…). (Le texte complet du résumé du cours de P. Gonneau à l’EPHE, avec références des sources, est accessible ici : http://ashp.revues.org/306 )

3. La Rus’ est-elle un État unifié autour de Kiev de 882 à 1132 (soit pendant 150 ans), et éclaté ensuite en principautés indépendantes?

Dans le paragraphe ci-dessus, on a pu remarquer que la description du rôle du Prince de Kiev est faite sur la base de documents décrivant les années 1146-1148, soit en pleine période dite du « morcellement féodal ». On peut donc constater que malgré la multiplication réelle de petites principautés, la prééminence de Kiev a bien perduré au delà de la fameuse date de 1132, sur tout le territoire de la Rus’ , que celui-ci soit actuellement russe ou Ukrainien. Mais qu’en est-il de la période antérieure à 1132 ?

A l’époque de Riourik régnant à Novgorod (862-879), deux autres Varègues, Askold et Dir auraient pris par la force la direction de la ville de Kiev et des territoires . Le successeur de Riourik, Oleg, s’installe à Kiev en 882 en assassinant Askold et Dir, et transfère la capitale des Rus’ à Kiev. La chronique rapporte qu’il la nomme alors « Mère des villes russes », ce qui est un calque du grec « métropolis ».

Sous les règnes d’Oleg et de ses successeurs Igor, Olga et Sviatoslav (jusqu’en 972), il apparaît dans toutes les études que la Rus’ s’organise comme un État unique, avec un unique souverain reconnu sur tout le territoire. Cependant cet État garde toujours un caractère « bipolaire ». La ville de Novgorod continue en effet à jouer un grand rôle pour le nord du pays, mais cette ville et sa principauté sont sous la dépendance du prince de Kiev.

Si on trouve dans les chroniques la mention d’autres princes, il s’agit soit de personnes régnant sur des territoires indépendants de Kiev (par exemple Polotsk, qui sera conquis par Vladimir, fils de Sviatoslav) soit de princes clairement subordonnés au prince de Kiev.

Les années 980-1054, celles de la monarchie de Vladimir et de son fils Yaroslav, peuvent être décrites aussi comme celle d’un monopole du pouvoir. Cependant la lutte de Vladimir contre ses frères (977- 980) pour l’accession au trône de Kiev suit déjà le schéma qui se répétera de génération en génération et fait apparaître la faille qui emportera le système deux siècles plus tard.

Quel est donc ce schéma de succession des princes russes et comment aboutit-il au « morcellement féodal »?

4. L’apparition des principautés et le morcellement du territoire

La succession sur le trône de Kiev obéit au principe du séniorat (appelé en russe « lestvičnoje pravo », que l’on peut traduire par « droit des degrés »). Selon la formulation de Wikipédia , « le séniorat est, en droit des successions, une loi coutumière appliquée par la plupart des dynasties slaves du haut Moyen Âge, selon laquelle la couronne va au membre le plus âgé et/ou le plus compétent de la famille régnante. Le successeur est habituellement désigné du vivant du roi en exercice ».

Le prince régnant répartit lui-même pouvoir et territoires entre ses descendants mâles , qui doivent reconnaître la prééminence d’un  » aîné  » qui siège à Kiev. Mais cet « aîné » n’est pas forcément le fils aîné du fils aîné : un oncle, un cousin ou un frère peut aussi prétendre au trône.

Fiodor Ouspensky (http://arzamas.academy/materials/691) décrit ainsi ce système: « La répartition des sièges parmi les Riourikides avait lieu selon le principe des degrés (« lestvičnyj princip »). Les sièges avaient chacun son rang, par exemple Kiev était le siège principal, le deuxième en importance était Novgorod, le troisième Tchernigov et ainsi de suite. » Ouspensky précise que la hiérarchie des villes inférieures à Kiev changea suivant les époques. « Quand un des princes mourait, son siège passait au suivant selon la hiérarchie, et théoriquement tous les princes de rang inférieur devaient alors changer de ville-siège. Étaient « exclus » du système les enfants d’un prince qui n’avait pu obtenir le siège principal durant sa vie. Par exemple tout fils de prince dont le père mourait avant son propre père devenait un « izgoj », un « exclu ». »

Ainsi tous les princes de Kiev du IX au XIII s. ont été auparavant prince d’au moins une autre ville. Par exemple,Vladimir Sviatoslavitch (Saint Vladimir) est d’abord prince de Novgorod, qu’il fuit en 977 quand il comprend que son frère veut s’en emparer par la force. Réfugié à la cour de Norvège, il reprend Novgorod et de là, prend Polotsk (alors indépendant de la Rus’ des descendants de Riourik) et enfin Kiev en 980.

Dès 1097, le système montre ses limites et pour éviter des guerres fratricides les princes se réunissent à Lioubetch. Selon les termes de l’article « Congrès de Lioubetch » sur Wikipédia en français, « ils décident la formation de principautés autonomes en Russie, réunies sous l’autorité du prince de Kiev. La passation des pouvoirs de père en fils est systématiquement adoptée sauf pour le titre de grand-prince de Kiev qui sera toujours attribué selon l’ancienne règle. »
Ainsi au XII s. le célèbre Vladimir Monomaque est prince de Smolensk, puis de Tchernigov, puis de Pereïaslavl (près de Kiev), et enfin de Kiev même de 1113 à 1125. Son fils Mstislav est prince de Novgorod, prince de Rostov Veliki (dans le Zaliessyé) pendant un an, de nouveau à Novgorod puis à Belgorod avant de lui succéder à Kiev de 1125 à 1132.
Et ce système perdure après 1132, même après le transfert de la capitale à Vladimir-sur-Kliazma (1157) comme après l’attaque des Mongols (1230). Par exemple au XIII s. Alexandre Nevsky, célèbre prince de Novgorod, cherchera à être reconnu prince de Pereslavl-Zalesski (ville appelée aussi Pereïaslavl, mais située dans le Zaliessyé) puis Grand-prince de Kiev, et enfin comme couronnement de son parcours politique, Grand-prince de Vladimir, trois fonctions qu’il cumulera jusqu’à sa mort en 1263.

Ce système entraîne de nombreuses conséquences :

– Multiplication des rivalités et des guerres entre frères, entre oncles et neveux ou contre les « princes-exclus » qui cherchaient à s’emparer du trône de Kiev par la force.
– Chaque prince, quand il reçoit un siège plus intéressant, cherche à laisser celui qu’il quitte à ses propres descendants, et non à ses jeunes frères. Comme le dit le Congrès de Lioubetch (1097) : « Que chacun reste sur les possessions de son père ».

– Quand il y a de nombreux fils, le territoire gouverné par leur père est alors morcelé entre eux, mais des morceaux peuvent être réunis suite à un décès. Aussi le nombre des principautés, leurs sièges et leurs frontières sont éminemment variables dans le temps. On peut ici (http://arzamas.academy/materials/709) visualiser le résultat entre 1015 et 1132 , soit avant même la date officielle du «morcellement». Une recherche d’images sur Internet avec comme termes « principautés russes » renvoie des cartes aussi très éloquentes (mêmes si elles ne sont pas toutes tracées de façon aussi scientifique).

– Dans certaines principautés (Polotsk, Tver, la Galicie-Volhynie…) se fondent très vite des branches dynastiques locales, ce qui donne plus d’indépendance à leur principauté, mais leurs princes ont quand même régulièrement des prétentions au trône de Kiev.

Ce système est donc par essence centré sur le siège de Kiev. Or il perd progressivement de sa vigueur, de part son fonctionnement même, avec la fondation de lignées féodales locales (décidée dès 1097 à Lioubetch). Et il s’éteint de lui-même parallèlement à l’affaiblissement de la ville de Kiev. Son destin semble lié à celui de Kiev. Aussi le morcellement du territoire de la Rus’ en multiples principautés est une réalité qui ne s’oppose pas au fait que Kiev reste le centre de cet État morcelé. On ne peut donc parler d’une séparation de la Principauté de Kiev en État indépendant du reste de la Rus’ .

Quand au XIV s. Kiev se retrouve sous la couronne Lituanienne, la principauté de Kiev (Kievskoje knjažestvo) n’existe déjà plus en tant que telle, car il n’y a plus de prince dans la ville : les héritiers du siège sont alors les princes de Galicie-Volhynie.

5. Y a-t-il eu transfert de la capitale de la Rus’ à une autre ville que Kiev?

A partir du XII s on constate le transfert des forces vives du pays, depuis Kiev vers le Nord-Est, le Zaliessyé, appelé aussi à cette époque pays de Souzdal, mais aussi vers l’Ouest et la région de Galicie-Volhynie. L’invasion mongole (à partir du début du XIII s.) amplifie ce processus. En effet Kiev et sa région sont très vulnérables aux attaques des Mongols, qui installent une place forte au sud de la Volga, près de son embouchure.

Cependant, le phénomène ne démarre pas lors de l’invasion mongole : il a commencé aux XI et XII s. sans doute sous la poussée des attaques de nomades Pétchénègues et Polovtses dans la même région du sud de la Rus’. De plus, le désintérêt pour la région de Kiev est amplifié à partir du XII s. par le déclin progressif du commerce avec l’Orient à travers Byzance. En effet c’est l’époque

Le déplacement de la capitale de la Rus’ à Vladimir-sur-Kliazma est décidé par le prince André Bogolioubski en 1157 non seulement pour suivre le changement de point de gravité du pays, mais aussi pour des raisons politiques : il désire s’affranchir de pouvoirs concurrent au sien, le « viétché » (assemblée des citadins, présente à Novgorod et Kiev, mais pas dans la « ville nouvelle » de Vladimir) et les boïars proches de son père, qui habitent Kiev.

Il s’agit bien du transfert du siège du Prince qui exerce une autorité sur toutes les principautés de la Rus’ , donc un transfert de capitale, mais le déclin de l’ancienne capitale en est plus la conséquence que la raison. La prise de Kiev qu’André Bogolioubski organise en 1169 signe le début du déclin de cette ville. Son pillage par le prince de Smolensk Riourik Rostislavitch en 1203 puis par les mongols en 1240 ne font qu’accélérer son déclin.

Le transfert de capitale est scellé en 1299 par le déplacement de la chaire du Métropolite (chef de l’Église Orthodoxe de la Rus’) de Kiev à Vladimir. Andreï Bogolioubski avait souhaité le faire dès 1157, mais n’en avait pas reçu l’autorisation du Patriarche de Constantinople. Ce siège sera de nouveau déplacé dès 1325 de Vladimir vers Moscou, sous la règne d’Ivan Kalita. Ce fait traduit que dès cette époque les princes avaient réellement la volonté de déplacer la capitale, et non de fonder un nouvel État, car dans ce cas ils auraient demandé la création d’un nouveau siège métropolitain.

La ruine consécutive aux invasions mongoles (à partir de 1230) affaiblit définitivement la principauté de Kiev et entraînera sa division, par le passage au XIV s. d’un grande partie de ses territoires, et d’autres territoires de l’ouest de la Rus’, sous le pouvoir du royaume de Lituanie. A partir de là commence les histoires séparées de l’Ukraine et de la Russie, qui se recroisent seulement au XVII s.

***

Que pouvons – nous conclure de ces faits?

La date de 1132 est la date officielle du passage d’un État uni à un État morcelé, mais en réalité il n’y a pas de changement brutal à cette date précise : le morcellement commence avant, et une certaine unité demeure après.

En effet, dès la fin du X s. l’État de la Rus’ laisse apparaître les fêlures qui entraîneront le morcellement du territoire en de multiples principautés. Le décrire comme une État unifié est donc trompeur : il s’agit d’un État de type féodal, basé sur des liens personnels de type suzerain-vassal, et non un État centralisé de type moderne.

Mais le morcellement qui commence vers le XI s. ne signifie pas la naissance d’États indépendants. A partir de 980 et jusqu’au XIII s. inclus, être prince de Kiev est une charge importante et prestigieuse. Son pouvoir sur les autres principautés ne peut être nié. Et si à l’époque des Mongols, le pouvoir du « Grand Prince » est limité, la qualité de niveau suprême du pouvoir attribuées par les tous princes de la Rus’ aux sièges de Kiev et Vladimir est claire.

– Durant toute cette période, devenir Prince de Kiev est l’aboutissement d’un parcours politique qui commence dans des principautés plus ou moins éloignées, situées actuellement sur les territoires de la Russie d’Europe, de la Biélorussie ou de l’Ukraine. A partir du XII s. le titre de Grand-Prince vient traduire la prééminence du siège de Kiev sur tous les autres, prééminence qui était réelle dès 880.

– Les différents Princes et Grands-Princes sont tous plus ou moins descendants de Riourik, c’est en fait une même dynastie qui se répartit le pouvoir sur tout le territoire de la Rus’ , de Novgorod au nord à Kiev au sud, et de Rostov-Veliki, Vladimir et Souzdal à l’est jusqu’à Polotsk, Tver et Galitch à l’ouest.

– De plus, à partir de 988, la présence d’un unique métropolite pour l’ensemble du territoire de la Rus’, y compris les principautés les plus indépendantes comme celle de Novgorod, est le signe que tous ces territoires étaient considérés à l’époque comme une seule entité à la fois politique, religieuse et culturelle.

***

En résumé, durant toute l’existence de la Rus’ de Kiev , la principauté de Kiev :

– fait partie d’un ensemble de territoires qui ont des liens politiques entre eux
– joue un rôle directeur sur ces territoires
– perd sa prééminence au XII s. mais reste une « valeur politique » jusqu’au XIV s. où ses territoires et la ville de Kiev passent au royaume de Lituanie.

La Rus’ est donc bien un État organisé autour de sa capitale Kiev, mais un État féodal, dans lequel on ne peut trouver un État centralisé de type moderne.

Quant aux territoires concernés par cet État, ils s’étendent principalement sur les territoires actuels de la Russie européenne, de l’Ukraine et de la Biélorussie. La Rus’ dite « de Kiev » du fait de sa capitale est bien l’ancêtre de ces trois pays actuels, dont les différences linguistiques et culturelles sont issues de leur histoire à partir du XIV s., et non avant.

Si la version russe de l’histoire de la Rus’ manque souvent de nuances et n’est pas exempte de calcul politique et géopolitique, les versions qui veulent faire de l’Ukraine un État existant dès le Moyen-âge s’éloignent dangereusement de la réalité des faits.

Le problème est, à nos yeux, que l’Ukraine ait besoin pour justifier ses choix actuels de se savoir exister en tant que Nation séparée des Russes depuis les origines. Son histoire à partir du XIV s. , l’indéniable influence polonaise et occidentale qui l’a alors marquée dans sa religion, sa culture et sa langue, sont bien suffisantes pour expliquer sa spécificité et son besoin de trouver sa propre voie de développement, non inféodée à la Russie.

L’Ukraine, en tant qu’État, va pouvoir bientôt fêter ses 100 ans, puisque que le premier État Ukrainien date du mois de novembre 1917. Dire qu’avant cette date l’Ukraine était une région et non un État n’enlève aucune dignité à ce pays, qui après un riche passé préhistorique et protohistorique, possède aussi une très riche histoire lisible depuis le IX s. et jusqu’à nos jours.

Quant au fait de justifier un choix politique par l’histoire ancienne, c’est hélas un défaut récurrent chez tous les dirigeants. En parodiant Alexandre Dumas, nous dirons que contrairement aux romanciers, les politiques, en violant l’histoire, ne lui font certes pas de beaux enfants, mais engendrent trop souvent des monstres.

Marie PASCAL

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Note sur la transcription des noms russes :

Cet article étant destiné à un public de non-spécialistes, nous avons sciemment choisi de ne pas utiliser de transcription scientifique pour les noms propres, mais d’utiliser la transcription française habituelle. Seuls les mots noms communs employés (et expliqués dans le corps de l’article) sont translittéré selon les recommandations scientifiques : par exemple knjaz’, knjažestvo , ainsi que le nom de la Rus’.

Sources consultées

– « Aide-mémoire d’histoire russe » (en russe), G. Nagaeva, Ed. Feniks, Rostov-sur-le-Don, 2014

– « Histoire nationale en schémas et tableaux » (en russe), V.V Kirillov, Ed. Eksmo, Moscou, 2015

– Cours de Fiodor Ouspensky sur le site Arzamas : Cours N°20 « Naissance, amour et mort des princes russes » http://arzamas.academy/courses/20 (En particulier la carte interactive « Les principautés de la Rus’ entre 1015 et 1132 » http://arzamas.academy/materials/709 et l’ « Anti-sèche : Tout ce qu’il faut savoir sur les Riourikides » : http://arzamas.academy/materials/691 )

http://www.larousse.fr/encyclopedie/autre-region/%C3%89tat_de_Kiev/127474

– Vladimir Vodoff , Naissance de la Chrétienté russe , Fayard , 1988

– Pierre Gonneau,  » Histoire et conscience historique des pays russes « , Annuaire de l’École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 139 | 2008, mis en ligne le 05 janvier 2009, consulté le 01 juillet 2015. URL : http://ashp.revues.org/306

– Pierre Gonneau,  » Histoire et conscience historique des pays russes « , Annuaire de l’École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 141 | 2011, mis en ligne le 24 février 2011, consulté le 01 juillet 2015. URL : http://ashp.revues.org/1013

– Marie-Karine Schaub,  » Pierre Gonneau, Aleksandr Lavrov, Des Rhôs à la Russie  » (recension de livre), Cahiers du monde russe [En ligne], 53/4 | 2012, mis en ligne le 02 décembre 2013, Consulté le 01 juillet 2015. URL : http://monderusse.revues.org/7846

– Articles Wikipédia cités :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Congr%C3%A8s_de_Lioubetch (article en français sur le Congrès de Lioubetch)

https://uk.wikipedia.org/wiki/%D0%A3%D0%BA%D1%80%D0%B0%D1%97%D0%BD%D1%86%D1%96 (article «les Ukrainiens» en ukrainien)

L’auteur

Marie PASCAL est professeur certifié de russe. Lors de ses études à Paris dans les années 1980, elle a commencé une spécialisation en histoire de la Russie ancienne avant de se tourner vers l’enseignement secondaire.

 » Je n’aurai jamais pensé que ces histoires de successions princières complexes pourraient intéresser qui que ce soit en France en dehors de quelques initiés. La crise ukrainienne, les questions que me posent certains élèves d’origine russe ou ukrainienne, et finalement la conférence a-scientifique de Bernard Henri – Lévy en avril 2015 m’ont convaincue de me replonger sérieusement dans l’histoire de la Rus’, qui est toujours restée ma passion et en quelque sorte mon violon d’Ingres.  »

Commentaire recommandé

VladimirK // 09.08.2015 à 02h04

Je m’excuse pour cette lapalissade, mais nous sommes en plein dans le concept de diviser pour mieux régner

À l’instar de ceux de feu la Yougoslavie, les peuples de ce qui étaient l’URSS et auparavant l’empire russe ont bien sûr des différences, mais beaucoup en commun, et notamment une réelle amitié, qui malgré tout existe encore, y compris entre les ukrainiens et les russes, tout comme les diasporas Yougo se rassemblent encore, quelle que soit leur ethnie d’origine, et même si les horreurs des années 90 sont difficiles à oublier.

Il y a une réelle volonté malsaine à vouloir diviser les peuples amis, et je ne serais pas surpris si l’UE était la prochaine sur la liste (encore que l’on ne puisse pas vraiment comparer l’UE à l’URSS, la Yougoslavie ou la Corée et d’autres pays qui ont été divisés par des éléments externes.)

41 réactions et commentaires

  • VladimirK // 09.08.2015 à 02h04

    Je m’excuse pour cette lapalissade, mais nous sommes en plein dans le concept de diviser pour mieux régner

    À l’instar de ceux de feu la Yougoslavie, les peuples de ce qui étaient l’URSS et auparavant l’empire russe ont bien sûr des différences, mais beaucoup en commun, et notamment une réelle amitié, qui malgré tout existe encore, y compris entre les ukrainiens et les russes, tout comme les diasporas Yougo se rassemblent encore, quelle que soit leur ethnie d’origine, et même si les horreurs des années 90 sont difficiles à oublier.

    Il y a une réelle volonté malsaine à vouloir diviser les peuples amis, et je ne serais pas surpris si l’UE était la prochaine sur la liste (encore que l’on ne puisse pas vraiment comparer l’UE à l’URSS, la Yougoslavie ou la Corée et d’autres pays qui ont été divisés par des éléments externes.)

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  • Mr K. // 09.08.2015 à 04h28

    « Le transfert de capitale est scellé en 1299 par le déplacement de la chaire du Métropolite (chef de l’Église Orthodoxe de la Rus’) de Kiev à Vladimir. »

    Autorisé par le Patriarche de Constantinople.

    Je crois que c’est objectivement le point capital concernant la réécriture de l’histoire par les autorités ukrainiennes actuelles. Une autorité extérieure à la Rus’, le Patriarche de Constantinople, « valide » bien la Rus’ comme formant un ensemble politique et géographique à cette époque.

    Merci beaucoup à Marie Pascal pour ce remarquable travail.

    Il doit manquer un petit passage point 5, fin du deuxième paragraphe : « En effet c’est l’époque…?? ». Peut-être sur l’influence des croisades sur le commerce avec l’orient?

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    • Marie PASCAL // 09.08.2015 à 19h19

      Désolée pour la lacune! J’avais envoyé trop vite l’article à Olivier. Le soir j’ai réalisé que je n’avais pas fini ce paragraphe!! j’avais commencé une phrase « En effet c’est l’époque  »
      et finalement j’ai décidé de le rédiger ainsi :
      « L’Europe occidentale commerce avec l’Orient en passant par la Méditerranée : la « Route des Varègues aux Grecs » est tombée en désuétude, alors que la route maritime de la Mer Baltique à la Mer du Nord monte en puissance, assurant le développement de Novgorod. »

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  • Charlie Bermude // 09.08.2015 à 08h27

    Excellent article . D’une actualité brulante .
    Je regrette ses limitations imposées par le cadre . Il est clair qu’en paralléle à l’époque se développent une et mémes plusieurs , autres oppositions qui elles aussi sont toujours à l’oeuvre .
    La premiére est ‘religieuse’ : divergence entre ex empire Romain d’occident , catholique , et celui d’Orient orthodoxe . Qui recouvre des oppositions sociales et géostratégiques , pour César , aristocrate , légataire de la plébe , l’avenir est au Nord ( Gaulle , légion du Rhin , recyclage de la plébe en propriétaire à la frontiére via la légion , subordination de l’Orient -Géce , Egypte , etc …)
    Pour l’aristocratie traditionnelle , le sénat , le contraire .

    Comme commence l’article , la différence Ukhraine/Russie tient ces origines dans cette problématique . Ce sont les orthodoxes qui prennent l’initiative d’émanciper ( Christianiser) les slaves , alors que pour l’Ouest c’est une réserve de paiens , source d’esclaves .

    Les choses changent , pour l’ouest au vu du succés orthodoxe , l’Eglise ( catholique vire alors à 180° à l’encontre des féodaux Allemands ) , elle aussi évangélise Polonais puis Lituaniens et méme Scandinaves , et s’en fait des alliés contre orthodoxes et du coup Rus d’origines .

    D’où aussi secondairement ( ? ) une cassure ente catho du Nord et du Sud ….et une autre entre slaves du N et du S .

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  • Mimiche // 09.08.2015 à 09h44

    RUSS = CHEVAL

    Fabre d’Olivet, grand érudit Français du XVIII ème siècle (https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Antoine_Fabre_d%27Olivet) donne dans son « Histoire Philosophique du Genre Humain » une étymologie méconnue mais très plausible du mot « Russ/Ross » :

    Ce mot viendrait du vieux mot nordique signifiant « cheval ».

    On retrouve cette étymologie dans notre « rosse » en vieux français, ainsi que dans le « horse » anglais.

    Le « Russland » aurait été tout simplement, du point de vue nordique, le « pays du cheval ».

    Fabre d’Olivet le met en parallèle -toujours du point de vue nordique- avec le « Holland » (« pays plat »), le « Finland » (« pays des confins »), le « Poland » (« pays des hauteurs »).

    Quand on sait que le cheval tire son origine des plaines de l’actuelle Ukraine, et quand on connaît l’importance du cheval dans la civilisation européenne, on se dit que cette étymologie n’est pas à repousser.

    Que serait un Russe, dans ce contexte nordique -Viking- ? Un habitant de la contrée qui a donné le cheval au monde.

    Russe ? Habitant du pays des rosses.

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    • sadsam // 09.08.2015 à 10h20

      Certains disent que le mot « Rous' » vient du mot « Rouotsi » qui était utilisé pour désigner les « Suédois », les « Varègues » des chroniques russes qui contrôlaient la route commerciale de la mer baltique jusqu’à Byzance vers les IXème et Xèmes siècles et qui avaient pris le pouvoir à Novgorod et à Kiev.
      Je vais faire des petites recherches aujourd’hui pour vous donner les sources.

      Merci Olivier pour ce bel article.

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    • Pierre Bacara // 09.08.2015 à 14h07

      Le mot rouss

      A ma connaissance tout au moins, il n’existe pas de débat entre historiens au sujet de la signification du mot rouss, qui signifie bel et bien « varègue » en slave oriental du IXe siècle. (Varègue = « viking [1] suédois »).

      De mémoire, à partir du Xe (ou XIe ? Merci de me corriger, je crois que c’est plutôt XIe), il y a fusion culturelle progressive entre Rouss et slaves orientaux, ce qui débouche sur une identité culturelle qu’on appellera plus tard la Russie.

      La spécificité galicienne

      Toujours à ma connaissance, et toujours de mémoire, les invasions mongoles du XIIIe concernent toutes les principautés rouss (effectivement déjà féodalisées) sauf la Galicie et peut-être la Volhynie… Ce qui explique bien des choses si l’on considère qu’aujourd’hui le centre de gravité de Praviy Sektor est bel et bien la Galicie-Volhynie, et que l’écrasante majorité des volontaires de la division SS ukrainienne (par ailleurs baptisée Galizien, Galicie) créée en 1943 étaient des natifs de Galicie-Volhynie.

      Pour ce qui est des différences linguistiques ultérieures aux défaites mongoles des XIVe (Koulikovo 1380…) et XVe s., il me paraît à peu près clair (et ça c’est un point central) qu’elles sont mineures, en tout cas pas significatives.

      Le mouvement nationaliste ukrainien

      Reste effectivement le mouvement nationaliste ukrainien né fin XIXe dans la Galicie alors province austro-hongroise, qui semble n’avoir remporté aucun succès politique, culturel ou social palpable, jusqu’à sa récupération par les bolcheviks après la guerre civile 1917-1922, et l’ukrainisation forcée de la nouvelle République socialiste soviétique d’Ukraine par les bolcheviks.

      Je ne puis en dire plus, ne disposant que de quelques minutes pour participer à ce débat crucial eu égard à l’actualité. Mes confuses excuses pour les approximations, je n’ai pas le temps de consulter mes tablettes.

      [1] mes plates excuses également pour la grossière utilisation du terme « viking », terme non-utilisé au Moyen Age par les Européens, qui lui préfèrent les multiples déclinaisons de l’expression « homme du nord » – Nordmann – Normand. Le terme « viking » est un terme norrois médiéval, qui recouvre l’idée globale de « commerçant maritime capable de mener des opérations militaires d’ampleur limitée lorsque l’occasion où la nécessité se présentent ». J’utilise donc là le terme « viking » dans son acceptation populaire.

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      • Mimiche // 09.08.2015 à 18h22

        Il me semble douteux que des conquérants aient pris pour nom de royaume le mot par lequel les conquis les nommaient, et non celui par lequel eux-mêmes se nommaient, comme les Francs en France, ou les Angles en Angleterre.

        Imagine-t-on les Français nommer leurs colonies africaines « Toubab » ?

        Les Anglais nommer l’Amérique du Nord « Visage-Pâle » ?

        Il est en revanche beaucoup plus probable que des conquérants aient nommé la terre par eux assujettie en usant de ce qui la distinguait des autres terres : le cheval sauvage.

        Par exemple, les conquérants de la terre des Aborigènes n’ont pas nommé leur conquête du vocable dont les indigènes les nommaient (quelque chose comme « Enculés de Blancs perfides », en langage aborigène ^^), mais en se référant à ce qui la distinguait des autres terres : l’australité.

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    • Charlie Bermude // 09.08.2015 à 15h12

      Il doit y avoir un rapport , quelque part , difficile à préciser . Les Varégues ( Vikings ?) se déplaceaient en bateau , mais devaient passer d’une riviére , fleuve à l’autre à , pied , donc porter le bateau ,le cheval c’est mieux , déjà , une association à du se faire .
      D’un autre coté les Cosaques , qui ne sont pas des Russes , certes , mais qui relévent de ce monde étaient d’excellent cavaliers , mais faisaient leurs conquétes , en bateaux en suivant les fleuves .

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      • sadsam // 09.08.2015 à 16h53

        Les varègues portaient leurs bateaux ou alors les faisaient avancer entre les fleuves sur des rondins.

        Le truc des rondins pour les bateaux a été aussi utilisé par les Arabes et les Ottomans lorsqu’ils ont fait le siège de Byzance.

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        • Charlie Bermude // 09.08.2015 à 21h17

          Oui , des rondins . Dans la neige je les vois mal . Par contre un cheval tire ce qu’on veut méme dans 30 cm de poudreuse , j’en ai fait l’expérience , 4×4 bloqué dans une congére c’est un cheval qui m’a tiré de là .
          Jusqu’à -15 -20 riviéres et fleuves ne sont pas gelés d’aprés mes observations , étangs , petits lacs et canaux , oui mais pas eau courante . En deçà je ne sais pas .
          En outre , le fumier frais réchauffe méme par temps trés froid ( çà monte à 60 ° en fermentation ) , ce fut une méthode autrefois pour se réchauffer , dans les chalets en haute ou moyenne montagne l’hiver .

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    • Marie PASCAL // 09.08.2015 à 22h25

      Laissons tomber, s’il vous plaît, les étymologies plus ou moins fantaisistes. Celle du cheval (et ses origines éventuelles!) me semble vraiment tirée … par la crinière.
      La Russie n’est appelée « Russland » qu’en allemand moderne, ainsi qu’en norvégien. Et cela peut se comprendre comme « le pays des Rus’ , quelque soit le sens de « rus ».
      Ses noms historiques sont Rus’, puis Rossia (emprunté directement au grec par les Russes).

      Le mot Rhos est cité pour la première fois dans les « Annales de St Bertin », un manuscrit du X s, écrit seulement environ 100 à 150 ans après les faits rapportés (pour mémoire, les chroniques russes de l’époque sont connues seulement par des copies beaucoup plus tardives, comme beaucoup de documents historiques d’ailleurs).
      Ce manuscrit (l’original du X s.) a été présenté lors de l’exposition « Sainte Russie » au Louvre en 2010. J’ai pu voir de mes yeux les fameuses phrases, écrites en latin, d’une calligraphie facilement lisible.
      Extrait de l’article du catalogue de l’exposition :
      « Sous la rubrique de l’année 839 (fol 176 v) se trouve précisément la plus ancienne mention datée des Rhos dans l’histoire. Le chroniqueur rapporte que, cette année là, « certaines gens qui disaient qu’on appelait leur peuple Rhos et dont le roi est appelé kagan » accompagnaient les émissaires de l’empereur byzantin Théophile (829-842) reçus par Louis le Pieux à Ingelheim sur les bords du Rhin. (…) Interrogés, ils reconnurent être de la nation des Suédois (comperit eos gentis esse Sueonum). »

      Ce texte pose des questions autant qu’il ouvre de perspectives car on manque d’autres sources pour en préciser le sens.En effet, ces Rhos , dont le chef porte le nom de « kagan » seraient donc des Suedois qui avaient commerce avec les Khazars (actuel Nord-Caucase), auxquels ils auraient empruntés ce titre de « kagan ». Or entre la Suède au nord et les Khazars au sud, il y a la future Rus’. Cela pourrait indiquer une présence active des Rhos dans ce pays avant 862.

      NB : Il n’est pas du tout prouvé que le terme Rhos vienne du finnois, mais ce qui est sûr, c’est qu’en finnois moderne (je souligne : moderne!) , le nom Ruotsi désigne les Suédois. Plus probablement, les finnois ont gardé depuis le Moyen Âge ce terme norois (langue des Rhôs-Ruotsi).

      Une hypothèse toute personnelle, basée sur le sens de ruotsi = « rameurs » :
      Le terme Ruotsi-Rhos-Rus’ aurait-il désigné effectivement des « rameurs » c’est à dire les Varègues qui se consacraient à des expéditions par les fleuves russes, voyage qui se serait fait essentiellement à la rame, contrairement aux expéditions en cabotage qui se faisait normalement à la voile? Et pour se faire comprendre des Khazars avec lesquels ils commerçaient, ils auraient repris ce terme de Kagan?

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  • Vinipoukh // 09.08.2015 à 12h10

    Novgorod véliki (« Novgorod-le-grand ») est bien la première grande ville historique « russe » avec sa république et ses princes (Riourik, Vladimir, et Iaroslv-le-sage qui réunit Novgorod et Kiev). C’est au centre du Kremlin de Novgorod qu’est situé le monument du millénaire de la Russie, monument qui fut démonté et emporté par les Nazis et qui fut retrouvé et remonté après guerre.

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Novgorod

    Novgorod et Kiev sont donc le Berceau de la Russie occidentale, territoire entre la Scandinavie et le bassin méditerranéen.

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    • Marie PASCAL // 09.08.2015 à 19h30

      Une précision : le monument au millénaire de l’ Etat Russe n’a pas été emporté par les nazis, il a été laissé sur place, en miettes. Cf ce célèbre tableau : http://www.rodon.org/art-080815124258
      Pour les Russes c’est un symbole fort des destructions effectuées par les nazis sur leur territoire, dans une volonté d’anéantissement de la culture russe (ce n’est pas moi qui le dit, mais les allemands eux-mêmes, ma collègue d’allemand m’a foat découvrir ce musée dédié à la Vernichtungskrieg : http://www.museum-karlshorst.de)

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  • René Fabri // 09.08.2015 à 12h31

    Merci beaucoup pour cet article.
    Toute la partie sur les princes est très intéressante (le séniorat, les changements de ville des princes).
    On aimerait en savoir plus, avoir des informations plus précises.
    Par exemple, pourrait-on avoir la liste de toutes les villes princières, avec si possible des dates, et le nom de tous leurs princes ?

    Mais quelques points sont décevants :
    * « on ne peut trouver un État centralisé de type moderne. » Ce n’est pas propre à cette région du monde. Par exemple, l’Allemagne était un conglomérat réuni sous l’appellation de Saint Empire Romain Germanique, l’Italie était une mosaïque de petits Etats, et même la France n’était pas très unie, comme on le voit avec la guerre de Cent Ans qui est essentiellement une guerre civile.
    * « Si l’occident connut surtout les Vikings comme pillards, ici ils furent d’abord marchands et mercenaires. » En France aussi, il furent des marchands. Régis Boyer, auteur d’innombrables ouvrages sur les Vikings et titulaire de la seule chaire d’études scandinaves en France pendant une quarantaine d’années, a passé sa vie à combattre le cliché des Vikings pilleurs en France et à promouvoir celui des Vikings marchands.
    * Aucun mot sur la religion, alors qu’elle tenait autrefois une place considérable dans la vie de tous les jours, et que les princes étaient fortement liés à l’Eglise.
    * Aucun mot sur les langues parlées dans cet espace slave. Les Vikings ont-ils apporté leur langue, au moins quelques mots, et si non, pourquoi ? Quelle langue parlait les princes ? En quelle langue sont rédigés les documents de cet époque, en grec, en latin, en slavon ou une autre langue ? Est-ce que tous les habitants de cet espace parlaient la même langue ? Dans le Saint Empire Romain Germanique, et en Italie, les langues étaient diverses, mais elles se ressemblaient à l’intérieur de ces grands ensembles. Retrouvons-nous la même chose dans la Rus de Kiev, à la fois une diversité et une unité par rapport à l’extérieur ?
    * Aucun mot sur la langue ukrainienne (telle qu’elle est définie actuellement). Est-ce que les Rus de Kiev parlaient ukrainien ?
    * Aucun mot sur le sud de l’Ukraine actuelle. Pourquoi la Rus de Kiev ne s’est pas étendue au sud jusqu’à la Mer noire ?
    * Aucun mot sur la politique matrimoniale des Princes. En Europe occidentale, les mariages ont été encore plus importants que les batailles pour l’expansion géographique (exemple de l’union de la Bretagne et de la France, de la Castille et de la Catalogne, etc.). Est-ce que les princes slaves recherchaient ou fuyaient les mariages avec les grandes familles des territoires voisins ?

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    • Pierre Bacara // 09.08.2015 à 14h21

      “Si l’occident connut surtout les Vikings comme pillards, ici ils furent d’abord marchands et mercenaires.” En France aussi, il furent des marchands. Régis Boyer, […] a passé sa vie à combattre le cliché des Vikings pilleurs en France et à promouvoir celui des Vikings marchands ».

      Aujourd’hui cela ne fait plus débat non plus. Le réseau commercial « viking » du VIII s. est tentaculaire et l’origine commerçante des « Vikings » est claire. Cependant, la connaissance précise de la localisation géographique des richesses, précisément de par l’existence de ce réseau, permet aux « Vikings » de cibler leurs premiers raids. Ces raids sont motivés par le constat que leurs cibles sont mal défendues. Pour preuve, la quasi-inactivité des « Vikings », disons Normands, dans l’empire de Charlemagne, activité qui ne démarre réellement que sous Louis le Pieux (successeur de Charlemagne) me semble-t-il (années 830 ?).

      Par la suite, les succès militaires des Normand au IX s. (mobilité supérieure, utilisation de la broigne au lieu de la cotte d’écailles carolingienne), pousse peu à peu ces derniers à des ambitions politiques -> Angleterre, Normandie en 911, plus tard Normands de Sicile.

      Donc évolution commerçants->pillards->élite politique.

      Motivation de base : l’argent. Par la suite, l’accumulation d’argent mène au pouvoir politique.

      Rien de neuf sous le soleil.

      Encore désolé pour le ton expéditif.

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      • Charlie Bermude // 09.08.2015 à 16h02

        La frontiére est mince dans un monde encore instable ,inorganisé ,entre marchands et pillards . Les marchands ne se déplacent pas sans escorte , ils déplacent des biens , susceptibles de convoitises . Par ailleurs ils peuvent revenir bredouillent , donc grace à leur escorte , piller .
        S’ajoute à celà un contentieux qu’on maintient sous silence , entre le couple infernal Carolingiens/Bénedictins voulant controler le commerce , et s’étant projeté pour cà dans l’horrible guerre contre les Saxons , parallélement à la normalisation des moines Irlandais , vrais évangélisateurs et commerçants .
        Donc au départ un contentieux entre Vikings et Bénédictins ( Carolingiens du coup ) , on sait qui a eut finalement raison . Le commerce , la réforme monastique et les Capétiens .

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        • Nosto Dramus // 09.08.2015 à 18h01

          « Histoire de la Russie, des origines à 1996 », Nicholas V. Riasanovsky, éditions Robert Laffont, Collection « Bouquins », traduction française de « Historia of Russia », Oxford University Press.

          « La première tentative pour donner une solution scientifique d’ensemble au problème des origines de l’État Kiévien date du XVIIIe siècle : c’est ce qu’on appelle la théorie normanniste. Telle qu’elle fut formulée […] elle revient à souligner le rôle des Vikings scandinaves (ou Normands […]) dans le processus qui aboutit à donner à la Russie sa cohésion, un gouvernement, et dans une large mesure, sa culture. […]

          En quelques 200 ans, la théorie normanniste a été développée, modifiée, transformée par de nombreux érudits de grande valeur. D’autres spécialistes néanmoins l’ont combattue dès son apparition, en proposant, pour la remplacer, un éventail déconcertant d’hypothèses. Plus récemment, les historiens soviétiques l’ont condamnée avec véhémence, et elle est restée taboue pour la grande majorité des chercheurs soviétiques, jusqu’à l’avènement de la glasnost en 1985.

          Lorsqu’on s’efforce d’estimer à sa juste valeur la théorie normanniste, il importe de se rendre compte de ses limites, notamment dans le domaine de la civilisation. […] Qu’il s’agisse de l’apparition d’une littérature, de la rédaction des lois, ou du monnayage, la Russie kiévienne est à chaque fois très en avance sur la Scandinavie. […]

          Les mots russes d’origine normande, qu’on supposait très nombreux, ne serait pas plus de 6 ou 7. Le vocabulaire vieux-russe de la navigation est souvent emprunté au grec, celui du commerce aux langues orientales ou au slave, mais pas aux langues scandinaves. Les oeuvres littéraires écrites apparaissent à Kiev avant qu’il y ait une littérature en Scandinavie, et elles subissent d’évidentes influences byzantines et bulgares, plutôt que nordiques. […]

          De même, il n’existe aucune preuve sérieuse de l’influence prétendue des Normands sur le paganisme kiévien : Péroun, dieu du tonnerre et principale divinité du panthéon des Slaves orientaux, bien loin d’être une copie de Thor, est déjà mentionné par Procope au VIe siècle comme étant le dieu suprême des Antes. […]

          Pour résumer, la théorie normmaniste n’est plus tenable aujourd’hui sous sa forme originelle. Il n’y a plus de raison d’affirmer, et c’est là l’essentiel, une influence de fond de la Scandinavie sur la civilisation kiévienne. Mais les partisans de la théorie sont beaucoup plus dans le vrai lorsqu’ils s’appuient sur des arguments archéologiques, philologiques et autres pour démontrer la présence des Normands en Russie au IXe siècle. En particulier, les noms des premiers princes […], les noms des membres de leur suite dans les traités conclus avec Byzance, amènent la majorité des spécialistes en dehors de l’Union soviétique à penser que la première dynastie russe et ses proches étaient des Scandinaves. Il serait cependant dangereux, même si l’on admet ces vues, d’attribuer aux Normands des projets grandioses en Europe Orientale, ou encore d’assimiler le rôle des Vikings, dans la plaine russe, à celui qu’ils ont joué en Normandie ou en Sicile, et qui est bien mieux connu. […]

          En tout cas, que ce soit au terme d’une évolution intérieure ou à la suite d’une intervention extérieure, ou grâce à une quelconque combinaison des deux, un fait demeure : l’État kiévien est bel et bien né, dans la région du Dniepr, vers la fin du IXe siècle. »

          😉

          Et merci infiniment à l’auteure de cet article pour son travail de synthèse titanesque sur un sujet que trop peu abordé en France.

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          • Marie PASCAL // 09.08.2015 à 21h15

            Il n’y a plus vraiment de conflit entre historiens au sujet de la « thèse normanniste ».
            La thèse normanniste pure et dure donnait tout le rôle dans l’apparition du premier Etat russe aux Normands.
            Je pense que tout le monde est d’accord aujourd’hui pour dire qu’il y a eu confluence entre une évolution interne et l’intérêt des Normands pour cette région de la Baltique à la mer Noire en passant par le Volkhov et le Dniepr.

            Le récit de l’appel des Varègues est sans doute imaginaire, mais reflétant sans doute bien la réalité de l’époque.

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          • Pavlo // 10.08.2015 à 00h32

            L’un n’exclut pas l’autre.
            Il y a bien au moins un autre cas où un peuple conquiert et gouverne pendant des siècles un autre peuple plus avancé culturellement; les conquérants s’assimilant culturellement et parlant la langue des conquis. Le nom du pays par contre change et fait référence aux conquérants.
            C’est ainsi que la Gaule devint le royaume des Francs.

              +1

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    • Marie PASCAL // 09.08.2015 à 21h01

      Toutes vos remarques sont très pertinentes, mais je vous trouve un peu sévère 🙂 il aurait fallu que j’en écrive 10 pages de plus au moins!!

      Pour la langue : il s’agissait bien, dans tout le territoire de la Rus’, d’une seule et même langue, appelée aujourd’hui le vieux-russe. Non, les Rus’ de Kiev ne parlaient pas ukrainien, car cette langue n’existait pas à l’époque (=avant le XIV s.) ! Mais je suis sûre que vous pouvez trouver l’affirmation inverse chez certains Ukrainiens.
      A l’oral il y avait peut-être des différences régionales, mais c’est quasiment impossible à savoir car les sources écrites, par essence, ne reflètent pas la langue orale. Et l’écrit (pour les textes non religieux, comme par exemples les chroniques) est dominé par une langue littéraire, très influencée par le slavon d’église, et ce jusqu’au XVII s.
      Une source intéressante pour avoir une idée de la langue utilisée au quotidien, ce sont les lettres sur écorce de bouleau, on n’en a trouvé un grand nombre (plus de 1600 fragments à ce jour) à Novgorod Veliky (encore lui). cf la trouvaille du 6 aout : http://news.novgorod.ru/news/143051/
      Je ne sais si des linguistes russes ont tenté une description de la langue et de son évolution à partir des textes de ces « gramoty » suffisamment longs pour ce genre d’étude. Le corpus n’est peut-être pas suffisant. Et cela ne concernerait que Novgorod. D’autres gramoty ont été retrouvées ailleurs (région de Moscou) mais en nombre bien plus réduit.
      A noter qu’aujourd’hui encore, une particularité de la langue russe est qu’elle est remarquablement unifiée. Il n’y a quasiment aucune différence (ni de vocabulaire ni d’accent) entre Novgorod Veliky, Moscou, Irkoutsk ou Vladivostok. A part quelques différences d’intonation, subtiles pour une oreille non russe. Dans les campagnes il peut y avoir des accents, par exemple dans la prononciation des « o » hors accent tonique. Sur un marché, une babouchka de Belgorod a un jour reconnu « l’accent moscovite » dans les phrases prononcées par un de mes élèves adulte (mais pas un accent français, ce dont je suis très fière!! :-).
      Seule la région du sud se démarque par un accent marqué, et quelques mots de vocabulaire spécifique. Mais dans ce pays 33 fois grand comme la France, il n’y a pas du tous les différences qui existent entre nos régions!! Les gags de « Bienvenu chez les ch’tis » serait inconcevables en Russie.

      Les Vikings (Varègues) , comme en France, ont donné leur nom au peuple et au pays (Normands-Nomandie, Rhos-Russie) mais pas leur langue. Tout comme les Bulgares, qui ont eux aussi adopté la langue slave mais donné leur nom à la Bulgarie. (Par contre les Hongrois ont apporté leur langue, le Magyar, et j’avoue ne pas savoir l’origine de leur nom actuel).

      La langue ukrainienne : Je n’en ai pas parlé car l’histoire de cette langue sortait du cadre de cet article ( j’ai du me limiter!!) , en effet elle n’est certainement pas apparue avant le passage de la région sous autorité polonaise. Et ce que j’ai trouvé à ce sujet m’a paru très polémique, et pas forcément scientifique.
      Ce que je sais de l’histoire de l’histoire des langues slaves, c’est qu’une différenciation est apparue progressivement entre langues de l’Ouest, du Sud et de l’Est, puis au sein des ces groupes, une régionalisation progressive a abouti aux langues slaves actuelles.
      La connaissance du vieux-slave (ancêtre de toutes les langues laves) aide à comprendre toutes ces langues.
      Certaines langues sont très proches les une des autres, comme le tchèque et le slovaque, ou le serbe et le croate, qui sont des langues soeurs, pas plus différents l’une de l’autre que nos « langues régionales » françaises (français teinté d’accent régional et de régionalismes).
      Des amis russes m’ont dit qu’ils comprenaient très bien les Bulgares, et ceux-ci comprennent très bien le russe (pourtant le bulgare est une langue « du sud » et le russe « de l’est »). Il semble que cela soit encore plus proche que l’italien du français, ou du moins équivalent.
      Le polonais se distingue des autres par une prononciation très chuintante. On a une distinction analogue entre l’espagnol et le portugais du Portugal (d’ailleurs à l’oreille le portugais et le polonais se ressemblent, les sonorités sont proches).
      L’ukrainien me semble assez proche du biélorusse. Il se différencie pas mal du russe, et n’est pas toujours facile à comprendre au premier abord si on ne connait que le russe. Question vocabulaire, il est très fréquemment proche du polonais. Par exemple , « miesto » veut dire « le lieu » en russe, « miasto » signifie « la ville » en polonais, « misto » la même chose en ukrainien. Il y a beaucoup de faux-amis de ce genre dans les langues slaves, et dans ces cas l’ukrainien littéraire me semble toujours équivalent au sens en polonais et non au sens en russe. Mais je vous avoue que je n’ai pas fait d’études d’ukrainien.

      L’apparition de la langue ukrainienne se fait dans le contexte de l’appartenance de la région (ouest de l’Ukraine actuelle) au Royaume de Pologne Lituanie. Il y a donc forcément une influence du polonais sur l’apparition de l’ukrainien, au minimum de l’ukrainien littéraire, mais laquelle exactement? Certains disent que l’Ukrainien littéraire fut une création, au XIX s., à partir de plusieurs dialectes locaux avec une influence de la langue polonaise totalement voulue.
      Dans tous les cas, l’existence de dialectes locaux (ou langues locales) n’est pas contestable, mais je ne sais pas à partir de quelle date cette existence est avérée (a priori dans la fourchette XIV – XVIII ss).
      Si quelqu’un connait des études linguistiques sérieuses à ce sujet, cela serait intéressant.

      Sur le sud de l’Ukraine actuelle : oui, c’est une bonne question, cela m’a frappé aussi. Cela demanderait des recherches précises. Grosso modo, ces steppes du sud sont à l’époque sous la domination de nomades (Pétchenègues et Polovtses). Les Princes russes ont déjà fort à faire pour que ceux-ci ne pillent pas leurs villes. Et savent aussi faire alliance avec eux quand çà les arrange, y compris pour combattre leurs frères, oncles ou cousins.

      Les alliances matrimoniales : OUI, elles furent très nombreuses!! Mais plus pour des questions diplomatiques que en vue d’une expansion territoriale. Les « échanges » de fiancées se sont faits essentiellement avec la Grèce, la Pologne (enfin plutôt des principautés qui font partie de l’actuelle Pologne), la Hongrie et la Suède. cf une carte interactive ici http://arzamas.academy/materials/708 .
      Le titre russe (Невеста на экспорт: как Русь была частью Европы) dit mot pour mot : « Une fiancée exportée : comment la Rus’ était une partie de l’Europe ».
      Quel dommage que tout ce passé commun soit aujourd’hui ignoré et gommé.

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  • David D // 09.08.2015 à 12h37

    Une petite remarque orthographique : les mots « Moyen Âge » et « compte rendu » doivent s’écrire sans trait d’union, comme « parti pris » par exemple.
    A la lecture de cet article, on voit que ce sont les russes qui ont raison, je n’ai pas constaté une remise en cause du discours russe. Ce sont les autorités ukrainiennes et leurs historiens improvisés qui racontent n’importe quoi.
    Ce qui a dénaturé le rapport entre les deux peuples frères, c’est que sur plusieurs siècles l’identité russe des ukrainiens s’est perdue, s’habituant à penser qu’au-delà de telle frontière existe un autre peuple rival et on peut se poser la question d’une région qui se serait sentie brusquée au dix-neuvième siècle pour revenir culturellement dans un giron russe bien lisse. L’Ukraine serait une région russe attachée désormais à ses différences ponctuelles.
    Et on peut penser que la logique c’est que les ukrainiens restent proches des russes sans perdre leur identité spécifique.
    De toute façon, une imprégnation lente les ramènerait progressivement vers au moins la langue russe me semble-t-il. Le russe est la langue qui prédomine, elle est parlée par une partie de leur population, elle est même familière aux ukrainiens, c’est une langue littéraire et elle est utile sur internet, etc.
    On remarque également que les russophones de l’est de l’Ukraine et les novorossiens n’ont pas un discours de haine contre les ukrainiens, alors qu’ils se font bombarder et maltraiter. C’est impressionnant car le déchirement du pays est tel qu’on suppose spontanément que ces peuples-là ne peuvent pas se voir, alors que ce n’est pas du tout ça. C’est vraiment étrange et tout est faussé par le discours des politiques, la mise en avant des extrémistes et la présence des gens de Galicie.
    Le véritable hic, c’est la Galicie qui n’a pas une identité ukrainienne réelle.

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  • Zasttava // 09.08.2015 à 13h10

    Merci beaucoup pour votre effort de nous restituer clairement cette histoire complexe et inconnue chez nous !

    Juste une question/remarque : en Russie notre guide parlait de « Prince Principal » élu à Kiev ? Ne retrouvant pas cette notion ici, du coup je m’interroge…

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    • Marie PASCAL // 09.08.2015 à 21h05

      Le « Prince Principal », cà me plaît bien 🙂
      Je trouve que c’est une bonne expression pour exprimer le rôle central du prince du Kiev par rapport aux autres princes. Mais simplement, elle n’est pas utilisée par les historiens.

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      • Pavlo // 10.08.2015 à 00h42

        D’ailleurs l’étymologie latine de « princeps » signifie principal, le premier (entre les pairs), non?

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      • Nosto Dramus // 10.08.2015 à 01h09

        La notion existe, mais sous le titre de « Grand-prince », tout simplement. 🙂

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  • VladimirK // 09.08.2015 à 14h31

    Analyse intéressante, mais dommage qu’elle ne soit que franco-française. Il aurait été intéressant d’ajouter les études des chercheurs de l’université d’uppsala (Suède) qui ont beaucoup étudié le sujet des vikings s’installant de ce qui est devenu la Russie, ainsi que les recherches d’un historien autrichien – dont il faudra absolument que je retrouve le nom – qui propose une autre vision de l’Ukraine.

    En effet, une bonne partie de l’Ukraine d’aujourd’hui a fait partie de l’Empire Austro-Hongrois, et ce fait a eu bien des conséquences sur l’évolution de la région.

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    • Marie PASCAL // 09.08.2015 à 21h06

      Je suis preneuse des références 🙂

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      • Pierre Bacara // 10.08.2015 à 16h23

        Connaissez-vous Andreï Vadjra ? C’est un historien et linguiste galicien, né à Lvov. Il a consacré sa vie à l’histoire de l’Ukraine, dont il parle tous les dialectes, même éteints.

        Je ne connais pas de référence plus précise que lui au sujet de l’histoire de l’Ukraine. Il a écrit des sommes sur le sujet.

        Je surveille ce Monsieur de loin en loin depuis une douzaine d’années. Si cela vous intéresse, je puis tenter de retrouver les textes historiques extrêmement détaillés qu’il avait mis en ligne à l’époque, voire chercher comment se procurer ses travaux.

        Pour la petite histoire, il suit la politique ukrainienne depuis très longtemps (depuis quand, je l’ignore). Ses connaissances sur cet « autre » sujet sont immenses. Depuis le coup d’état de février, ses lecteurs craignaient pour sa vie. Il y a très peu de temps, il a quitté Lvov pour se réfugier à Saint-Pétersbourg.

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      • VladimirK // 10.08.2015 à 18h40

        Pour ce qui est de la Suède, vous pouvez contacter Madame Elisabeth Löfstrand, qui parle très bien russe.

        http://www.slav.su.se/forskning/forskningsområden/rusistik/elisabeth-löfstrand

        http://www.pecob.eu/flex/cm/pages/ServeBLOB.php/L/EN/IDPagina/3392

        Pour le chercheur Autrichien, il faut que je cherche encore, car je l’ai vu dans un reportage, sans réfléchir au fait qu’il serait intelligent de noter son nom quelque part.

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      • VladimirK // 10.08.2015 à 18h48

        Pour le chercheur Autrichien, il s’agit du professeur Alois Woldan
        http://slawistik.univie.ac.at/en/mitarbeiter/woldan-alois/

        Je l’avais vu dans le reportage de la TV Russe « Projet Ukraine »

        http://russia.tv/brand/show/brand_id/58921/

        Cette chaîne étant parfois légèrement « lourde » en terme d’objectivité, on peut prendre ce reportage avec toutes les précautions nécessaires. Il en est d’autant plus intéressant de contacter ce professeur autrichien pour voir ce qu’il dit hors caméra.

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  • sadsam // 09.08.2015 à 15h04

    En remerciant encore Olivier pour cet article qu’il faut lire à tête reposée et avec du papier et un crayon pour faire des recherches supplémentaires,

    voici comme promis ce matin une première petite contribution :
    dans le livre « Les Vikings, rois des mers » dans l’excellente petite collecction « Découvertes Gallimards », Yves Cohat écrit (p. 62) qu’au IXème siècle, « les Rus, -terme emprunté aux finnois pour désigner les Suédois- s’imposent aux tribus slaves. La « Chronique russe originelle », rédigée au XIIème siècle par des moines orthodoxes, ajoute même que les Slaves font la proposition suivante, on ne peut plus claire, en 862 : « Notre pays est riche et immense, mais il est en proie au désordre. Venez gouverner et régner chez nous ».

    Cohat ajoute qu’à la fin du IXème siècle, le viking suédois Rurik prend le pouvoir dans la ville de Novgorod ; cette ville devient un lien de communication entre la Russie du nord et l’empire byzantin. Oleg, successeur de Rurik, se rend maître de Kiev. Il fait construire des navires de guerre pour parcourir les fleuves jusqu’à la mer noire.

    L’article choisi par Olivier vient à point nommé alors que le quotidien urkrainien « Unian » a annoncé hier que des recherches génétiques allaient être entreprises en Ukraine dans le cadre du concours « Miss Ukraine » pour trouver le « gêne de la beauté » ukrainienne.

    Je ne vois pas quelle est la chronique citée par Cohat mais je suis sûre qu’un brillant lecteur des « Crises » va nous renseigner.

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  • sadsam // 09.08.2015 à 15h15

    Cohat fait peut-être allusion à la chronique connue généralement sous le nom « La chronique de Nestor » disponible en français aux éditions Anarcharsis » qui publient aussi des chroniques vikings sur la Rous’.

    A suivre

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  • sadsam // 09.08.2015 à 16h26

    Encore une petite contribution :

    outre les chroniques russes mais qui sont plus tardives et les chroniques byzantines, le voyageur arabe Ibn Fadlân est souvent cité dans les études sur la Russie de Kiev. Il était parti de Baghdad pour une ambassade sur la Volga.
    A lire en français dans la Pléiade (Voyageurs arabe) ou en anglais dans la collection de poche Penguin Classics.

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  • Alain Cavaillé // 09.08.2015 à 16h43

    Mes lectures sur ce sujet sont quelque peu anciennes et plus bien nettes ( l’Histoire des Slaves l’est elle aussi et ne facilite guère les choses ) mais je vous joins un texte qui; je le pense, a sans doute un grand intérêt :

    LA RUSSIE DE L’ANTIQUITE AU XVIe SIECLE

    I. Les débuts d’un État
    I.1. La Russie des origines
    Au cours du IIe millénaire avant JC, des peuples indo-européens, ancêtres des Slaves, se sont fixés sur les bassins du Dniepr (région de l’actuelle Ukraine) et de la Vistule (partie de la Pologne actuelle).
    A partir du milieu du Ier millénaire avant JC, ils vont subir les pressions alternées des populations venues des steppes de l’Asie centrale (Indo-Européens iraniens, tels les Scythes, les Sarmates ou les Alains, puis Huns, Avars et Mongols) et des populations indo-européennes de l’Europe occidentale (Celtes, puis Germains).
    Etablis en Europe vers 800 avant JC, les Slaves sont repoussés au centre de la Russie actuelle par les Scythes installés au nord de la mer Noire. Tribu de cavaliers chassés à l’ouest par la Chine, les Scythes commerçaient avec les Grecs et, contrairement à eux, connaissaient l’usage de la selle. Un autre peuple asiatique nomade, les Sarmates, envahit la Russie méridionale vers 200 avant JC. Quatre siècles plus tard, la tribu germanique des Goths étend sa domination jusqu’en mer Noire. Convertis au christianisme vers 300, ils sont repoussés à l’ouest en 360 par les Huns et envahissent l’Europe occidentale. Alors que les Huns finissent par se replier dans le sud de la vallée du Don, les Slaves commencent leur expansion jusqu’aux rives de l’Elbe et du Danube. En 550, la tribu tatare des Avars atteint l’Europe et aide l’empereur byzantin Justinien dans sa lutte contre les Slaves. La tribu asiatique des Khazars envahit la région vers 650 et apporte une certaine stabilité en développant le commerce entre l’Orient et l’Occident ainsi qu’une législation. Empêchant la diffusion de l’islam et contrôlant les routes commerciales, ils font preuve d’une certaine tolérance religieuse et encouragent le développement des villes.
    Durant ces périodes d’invasion, les Slaves se dispersent : les tribus occidentales deviendront les Moraves, les Polonais, les Tchèques et les Slovaques ; les tribus méridionales les Serbes, les Croates, les Slovènes et les Bulgares ; les tribus orientales, les Russes, les Ukrainiens et les Biélorusses.
    Le monde russe médiéval est composé de groupes slaves épars qui ne s’organisent pas avant le IXe siècle, au contact des Scandinaves avec qui ils commercent depuis le siècle précédent. Avant cette époque, la structure politique et sociale des Slaves est basée sur le mir, c’est à dire la communauté de terres au sein de villages, communautés qui ne sont en rien fédérées. Le mir signifie la terre dans le sens d’univers, de cosmos, mais aussi de paix : il s’agit d’un monde clos, limité au cercle de famille élargi pour qui l’extérieur est synonyme de périls. Alors que les Slaves du sud et de l’ouest se mêlent à d’autres populations et multiplient les contacts avec le monde méditerranéen, les Slaves de l’est restent relativement isolés, dans un espace s’apparentant à une immense frontière.

    I.2. Les Varègues
    Les Slaves orientaux, venus des Carpates, occupaient aux VIIIe et IXe siècles une large bande de territoire, entre le golfe Baltique et le lac Nevo (Ladoga) au nord, les rives nord-ouest de la mer Noire au sud. Divisés en tribus, ils avaient dépassé le stade de l’économie naturelle ; la cueillette et la chasse ne fournissaient plus qu’un appoint aux produits de l’agriculture et déjà se créaient de petits centres d’échanges, embryons de villes. Barbares voisins, au sud, de l’Empire byzantin, dont la riche capitale était une tentation, ils subirent au IXe siècle l’infiltration des Normands, ces hardis navigateurs scandinaves qui, au même moment, écumaient et conquéraient en partie les côtes de l’Europe occidentale et de la Méditerranée. Ces Normands, les Varègues, fournirent aux Slaves des mercenaires, mais aussi des chefs militaires, parlant bientôt en maîtres dans les principales villes (Novgorod, Kiev), et une dynastie de princes qui, établissant leur souveraineté sur l’ensemble du pays, fondèrent le premier État russe, capable d’entretenir avec Byzance, des échanges réguliers, de traiter avec lui d’égal à égal et de se défendre (jusqu’à son écroulement au XIIIe siècle) contre les attaques des nomades asiatiques venus de l’est (Petchenègues, Polovtses, et enfin Tatars Mongols).
    Le rôle des Varègues, exagéré par l’historiographie allemande du XIXe siècle, est à la base de la théorie normaniste, qui fait du premier État russe une organisation d’origine scandinave, introduisant un ordre politique souhaité par les peuples slaves arriérés et anarchiques. La Chronique de Nestor, ou Chronique des temps passés, panégyrique de la dynastie, rédigée au XIVe siècle et racontant les débuts de l’État russe, imagine un « appel aux Varègues » (en 862 ?) qui fit du chef normand Rurik le maître de Novgorod, et de son successeur Oleg le prince de Kiev. Les historiens russes d’avant et d’après 1917 ont fortement réagi, par une explication anti-normaniste qui tenait compte du niveau de développement des Slaves de l’Est au IXe siècle, de l’existence de villes et des ébauches d’organisation étatique antérieures sous forme de confédérations de tribus. Un néo-normanisme raisonnable reprend actuellement ces arguments, mais reconnaît l’initiative et le dynamisme de la dynastie de Rurik, d’ailleurs rapidement slavisée et opérant dans un milieu économique et social où étaient déjà réunies toutes les conditions d’existence d’un État.

    I.3. La Kiévie
    Le nouvel État, dont le prince souverain a fait de Kiev sa capitale (d’où l’expression de Kiévie), est une sorte de domaine familial où tous les fils recevant une part de l’héritage royale, souvent ensanglanté par des luttes fratricides, affaibli par les attaques des Scandinaves, des Polonais, des nomades, et par ses conflits avec Byzance. Son unité n’a été réalisée que momentanément sous Vladimir (980-1015) et Jaroslav le Sage (1019-1054). Le pillage de Kiev (la « mère des villes russes ») par un prince de Souzdal en 1169 marque son déclin. Il disparaît définitivement lorsque les Tatars Mongols s’emparent de sa capitale en 1240.

    I.4. La conversion au christianisme oriental
    Le fait essentiel de cette histoire primitive est la conversion des Slaves orientaux au christianisme sous sa forme orientale par l’intermédiaire de Byzance (Tsargrad) et des pays bulgares qui dépendaient d’elle. Le baptême du grand-prince Vladimir en 988, imposant à tout son peuple une nouvelle foi, clôt une période de pénétration des influences chrétiennes où se sont affrontées, face au paganisme, Rome et Byzance. Mais la légende du choix religieux de Vladimir, racontée par la Chronique, masque une décision de caractère politique : le christianisme oriental, par son organisation hiérarchique, son autorité sur les fidèles et l’autonomie de son clergé, relié à Byzance par des liens très lâches, fournit à la Kiévie une religion nationale, facteur d’unité, de soumission au pouvoir, de civilisation. Il introduisit l’écriture et l’instruction religieuse par les Livres saints copiés en slavon grâce à l’alphabet cyrillique, oeuvre des évêques de Salonique, Cyrille et Méthode. Une hiérarchie ecclésiastique fut mise en place, encadrée par une quinzaine d’évêques et un métropolite à Kiev, dépendant du patriarche de Constantinople. Au-dessus de la grisaille des cités bâties en bois ou en torchis, s’élevèrent de blanches églises de pierre et des monastères dont le plus célèbre fut celui des Catacombes (Kievo-pecerskaja Lavra) près de Kiev, fondé dans la seconde moitié du XIe siècle. Cependant, comme le christianisme aidait le pouvoir à briser les libertés tribales, détruisant les idoles, il se heurta à une longue résistance dans les campagnes où les traditions païennes, plus ou moins intégrées à la nouvelle foi, subsistèrent longtemps.
    Par la religion, la Kiévie est entrée dans le monde occidental ; si ses rapports commerciaux sont particulièrement actifs avec Byzance, toute proche, les liens diplomatiques s’étendent à toute l’Europe. Une fille de Jaroslav, Anne, a épousé le roi de France Henri Ier (vers 1040). En dépit des conflits qui ont séparé l’Église latine et l’Église grecque (Grand Schisme d’Occident à l’époque de Cérulaire : 1054), la Kiévie a entretenu les meilleures relations avec l’Occident. Mais à partir du XIIe siècle, les coups répétés des attaques nomades dans les steppes du Sud ont entraîné, avec le déclin puis la chute de Kiev, le replis des centres politiques sur la haute Volga et l’isolement des principautés russes. Au XIIIe siècle, tandis que les Mongols soumettent peu à peu à leur protectorat la presque totalité de l’ancienne Kiévie, les principautés russes doivent se défendre à l’ouest contre une véritable croisade menée par les États occidentaux contre les pays d’Orient. La conquête et le pillage de Constantinople en 1204, la création de l’Empire latin d’Orient, ont été le premier stade d’une offensive qui se prolonge au nord de l’Europe par les entreprises de l’ordre Teutonique, conquérant la Prusse orientale, amorçant la germanisation des pays baltes et poussant jusqu’aux villes russes de Iouriev (Dorpat, actuellement Tartu) et de Kolyvan (Reval, actuellement Tallin). À cette croisade a répondu une contre-croisade marquée par les victoires du prince Alexandre Nevski sur la Néva et sur les glaces du lac de Pskov (1240-1242). La « bataille des glaces » a arrêté la progression germanique, permis à Novgorod de conserver son indépendance au moment où les principautés du centre devaient payer tribut aux Mongols, et a fixé une limite aux aires d’extension des peuples qui ne variera guère plus : l’expansion russe s’est portée plus tard vers les régions orientales de moindre résistance. Mais les caractères du conflit, autant religieux que politique, expliquent à la fois le rôle national de la religion orthodoxe, la « vraie » religion, et son isolement face au monde catholique.

    I.5. Économie et vie culturelle
    Dans un climat de guerre se sont ébauchés dès cette époque les traits durables de la société russe. L’économie kiévienne est essentiellement agricole : le grand prince a la propriété éminente de la terre ; les princes qui se partagent celle-ci fondent leur puissance sur leur « truste » de boyards (druzina), armée mobile, d’abord non fixée au sol, puis formant peu à peu une caste de propriétaires, vivant des redevances et du travail des paysans et de l’exploitation de vastes domaines forestiers. Si la Kiévie connaît l’esclavage, la masse des paysans reste libre. Cependant, déjà, l’endettement limite pour beaucoup la liberté, et le simple arbitraire des boyards, qui ont la force militaire, amorce une évolution vers la servitude (qui ne fut légalisée qu’au XVIIe siècle) ; à cet égard, l’histoire de la paysannerie en Russie a suivi un chemin inverse de celle de la paysannerie d’Occident.
    Les princes tirent revenu de la terre, mais aussi des « villes » ou plutôt des nombreux petits bourgs (peut-être 300 au moment de l’invasion mongole, fortifiés par un kreml de bois, et qui témoignent de l’activité des échanges ; les cités les plus importantes étaient Kiev, Tchernigov, Pskov et Novgorod. De Kiev partaient des caravanes de marchands protégés contre les attaques des Petchenègues, puis des Polovtses, apportant à Byzance des cargaisons d’esclaves, de fourrures et de cire. Les revenus des princes et de l’Église ont permis la construction de nombreux édifices religieux, de modèle byzantin, réalisés par des architectes grecs, qui utilisaient une main-d’oeuvre d’artisans russes ; la plupart datent du XIe siècle, « âge d’or » de la Kiévie : Sainte-Sophie de Kiev, Sainte-Sophie de Novgorod, Sainte-Sophie de Polotsk, Saint-Sauveur de Tchernigov, etc. Le XIe siècle marque aussi le début d’une littérature essentiellement religieuse, écrite en vieux slavon d’Église, car le clergé, et surtout le clergé monastique, est alors le dépositaire de la culture. Mais, déjà, des annales sont rédigées qui, rassemblées plus tard, furent les premiers monuments d’une culture nationale (tels la Chronique des temps passés et le Dit d’Igor qui raconte l’expédition d’un prince de Novgorod à la fin du XIIe siècle et a peut-être été écrit postérieurement). C’est au XIIe siècle que plusieurs cités de la Russie centrale connaissent à leur tour un brillant essor : à Vladimir s’élèvent l’église du Sauveur, la cathédrale Saint-Dimitri (1194-1197), un palais princier.

    II. La Moscovie : du morcellement féodal à l’État centralisé
    II.1. La domination mongole
    En 1223, les tatars envahissent le pays, les princes russes subissent de lourdes pertes durant la bataille de Kalka les opposant à une première vague de cavaliers mongols. Cependant les  » vainqueurs  » se contentent d’une mission de reconnaissance et regagnent la steppe. La deuxième vague d’invasion est fulgurante : en 1237, les troupes mongoles dirigées par Batu, le petit-fils de Gengis Khan et neveu du successeur de ce dernier, Ogoday, déferlent sur la Russie kiévienne intégralement soumise en 1240, même si la principauté de Novgorod n’est pas envahie. Batu établit en 1242 sa capitale à Saraï, sur la basse Volga et fonde la Horde d’Or, relativement indépendante de l’empire mongol.
    La domination tatare est d’ordre économique, les Russes doivent payer un tribut en fourrures et argent mais la Horde d’Or maintient au pouvoir la dynastie qui règne sur les différentes principautés. Les Tatars assurent leur pouvoir politique en jouant sur les rivalités familiales de la dynastie régnante et en attribuant le yarlik (privilège) au prince de leur choix. Ainsi Alexandre Nevski, grand-prince de Vladimir célèbre pour sa lutte contre les Suédois et les Chevaliers Teutoniques, est soutenu par les Tatars. La Horde d’Or ménage également la religion orthodoxe qui lui retourne sa bienveillance. Exempte de taxe, l’Eglise possède des terres bénéficiant d’une immunité qui fera du clergé russe un propriétaire foncier de première importance.
    Les descendants d’Alexandre Nevski, princes de Moscou, prennent peu à peu l’ascendant sur les autres principautés russes en monopolisant la perception du tribut tatare et, en 1328, le siège de l’Eglise déménage de Vladimir à Moscou. Les possessions territoriales doublent sous le règne de Daniel (1276-1303) et poursuivent une progression fulgurante tout au long du XIVe siècle.
    Les deux siècles de domination mongole ont eu des conséquences profondes sur le cours de l’histoire russe : la théorie « eurasienne » qui rattache partiellement la Russie à l’Asie et met l’accent sur les traits asiatique de la civilisation russe, apparus ou renforcés après la conquête, est rejetée ou mise en doute par la plupart des historiens. L’influence tatare sur le vocabulaire, les institutions, les coutumes a été réelle, bien qu’elle ne portât que sur des détails. Mais la conquête a arrêté net le développement de la Russie par la destruction des villes, la décimation de la population, le poids du tribut, la réquisition d’artisans, le recrutement de mercenaires au profit de vainqueurs pour qui les terres russes n’étaient que domaine d’exploitation marginal. Le relèvement a d’ailleurs été rendu possible par une activité commerciale que facilitait la remarquable organisation de l’Empire mongol. Dès le XIVe siècle, les Russes jouèrent, dans l’aire contrôlée par la Horde d’Or, un rôle économique important. La domination mongole n’en a pas moins imposé à la Russie un retard d’un ou deux siècles.
    Les principautés russes deviennent au XIIIe siècle la marche frontière occidentale de l’immense Empire mongol. Les princes, devenus tributaires de la Horde d’Or, vont chercher à Saraï, sur la basse Volga, le jarlyk, charte qui leur garantit, contre tribut et cadeaux, leurs possessions héréditaires. Seule la région de Novgorod, qui avait échappé à la conquête, reste indépendante des Mongols. Mais les régions du Sud, plus dévastées par l’invasion, perdent leurs princes ; dès 1249, Kiev est sous l’autorité d’un gouverneur mongol. Le centre politique des Slaves orientaux se déplace vers le nord, en Souzdalie ; dans cette région de la haute Volga, qualifiée de Mésopotamie russe (triangle formé par la Volga, l’Oka et la Moskova), se forme un nouvel État dont le centre, après Souzdal et Vladimir, s’est fixé à Moscou (ville moins ancienne, que les textes mentionnent pour la première fois en 1147) au début du XIVe siècle. Le rassemblement des terres russes sous l’autorité du grand-prince de Moscou et la lutte contre les Tatars Mongols pour l’indépendance, à partir de la victoire sans lendemain de Dmitri Donskoï à Koulikovo (le Champ des bécasses, 1380), mettent fin au « morcellement féodal » et à la sombre période du joug étranger. Le grand-prince de Moscou, Ivan III (1462-1505), impose son autorité à la ville libre de Novgorod (1478), à la principauté de Tver (1485), de Viatka (1489), à la majeure partie de celle de Riazan (1503), s’intitulant « prince de toute la Russie » (le titre de tsar de Russie, en usage à l’étranger dès le XVe siècle, sera pris officiellement par Ivan IV en 1547). Cependant, dès 1389, le khan de la Horde d’Or reconnaît la suzeraineté du grand-prince de Moscou sur l’ensemble des principautés russes ; après un long conflit marqué par des raids dévastateurs des Tatars sur Moscou (1408 et 1439), Ivan III refuse le tribut en 1476. La défaite écrasante des Tatars en 1480 affirme l’indépendance du nouvel État moscovite où l’application du Code (Sudebnik) administratif et judiciaire de 1497 témoigne des progrès de la centralisation.

    II.2. Renouveau démographique et économique
    Aux temps même de la domination mongole, dès la fin du XIVe siècle, les terres russes connurent un renouveau démographique et économique, marqué par des migrations paysannes et des défrichements, par la multiplication des « villes » et l’animation du commerce. La technique agricole, en dépit de l’apparition du système d’assolement triennal (qui s’est développé surtout deux siècles plus tard) et de charrues plus efficace, reste élémentaire ; la fréquence des mauvaises récoltes, dues aux irrégularités du climat, entretient la misère paysanne. La grande propriété, aux mains des boyards et des établissements religieux, commence à se développer. À côté de la propriété pleine et entière (vocina), existe cependant la propriété conditionnelle, accordée contre service civil et militaire, aux serviteurs du prince (pomestje). Dans un type d’exploitation comme dans l’autre s’aggrave la condition du paysan soumis à la corvée (barscona) et à des redevances en nature. Y échappent les paysans « noirs » qui vivent sur les terres de l’État, dépendant directement du tsar, et qui sont nombreux sur les terres de colonisation du nord du pays, en direction de l’océan Glacial. La distinction s’affirme entre une paysannerie peu à peu asservie et une paysannerie restée libre. L’une et l’autre se sont organisées en communautés rurales (selskoe obscestvo), combinant l’appropriation collective des terres du village et l’exploitation individuelle ; l’expression juridique en est le mir.
    Une liste des « villes » russes de la fin du XIVe siècle en énumère cent trente ; ce sont des bourgs fortifiés par un kreml de bois ou déjà souvent de pierre (Moscou dès 1370), avec des faubourgs d’artisans ; les plus importants sont des centres d’échange entre les principautés. Les marchands russes, au XVe siècle, apparaissent même sur les marchés étrangers (Crimée, Lituanie). Ce développement urbain, signe de civilisation, s’accélère sous le règne d’Ivan III, qui a fait de Moscou une capitale digne d’un souverain. Mais Moscou bénéficie des progrès antérieurs de Souzdal, de Vladimir, de Novgorod surtout, que le peintre d’icônes Théophane le Grec quitte en 1380 pour Moscou où il collabore avec le plus remarquable des peintres de l’ancienne Russie : Andrei Roublev (environ 1360-1430), inspiré par la foi, mais aussi par les malheurs des temps, auteur d’une quarantaine d’icônes (La Trinité). La lutte contre les Tatars suscite des récits patriotiques comme le Dit du massacre de Mamaï, la Zadonchtchina (fin XIVe-début XVe siècle) et l’activité commerciale renaissante est symbolisée par le récit de voyage du marchand de Tver, Nikitine, Par-delà les trois mers (1465), qui se rendit en Perse et en Inde. Le règne d’Ivan III, souverain d’un État unifié, autoritaire, qui affecte de se considérer comme le successeur de l’empereur byzantin et a adopté comme armoiries l’aigle bicéphale, est une dernière étape avant les changements décisifs qui au XVIe siècle caractérisent le règne d’Ivan IV (1533-1584).

    III. Le siècle de l’expansion sibérienne
    III.1. Le règne d’Ivan le Terrible
    III.1.1. L’édification de l’empire
    Tsar de Russie (1547-1584). L’image du « terrible tsar » a considérablement marqué la conscience de ses contemporains. Tyran sanguinaire pour les uns, il est considéré par d’autres comme l’un des hommes qui a le plus contribué à la grandeur de la Russie. Des textes de toute sorte : chansons, folklores, légendes, récits de voyage en portent témoignage. Avec le règne d’Ivan le Terrible, la Russie entre dans l’époque de l’absolutisme moscovite, orchestré par un monarque souverain, au pouvoir sans limites mais adoré de son peuple, et qui s’accompagne de la confirmation d’un processus de centralisation et d’unification du pays.
    Ivan IV a trois ans lorsque son père, le grand-prince de Russie Vassili (Basile) III, meurt en 1533. La mère d’Ivan, Hélène Glinskaïa, assume la régence, mais elle entre en conflit avec la douma des boyards (conseil consultatif qui assure l’autorité suprême lorsque le souverain est absent de Moscou), c’est-à-dire des nobles de haut rang. Lorsqu’elle meurt en 1538, Ivan se retrouve seul au Kremlin, entouré par différents clans aristocratiques rivaux, principalement les Chouïski et les Belski. L’interrègne est finalement assuré par les Chouïski, au prix des pires violences. Le jeune prince, témoin de toutes ces atrocités, est aussi la première victime des intrigues de palais. En public, toutes les marques de respect lui sont présentées, mais en privé, il est insulté et outragé.
    La haine qu’Ivan porte, au cours de son règne, aux boyards, ainsi que sa tendance à la cruauté (qui va en s’accentuant) a pris racine durant son enfance. Bien que son éducation soit négligée, il lit énormément, apprend l’histoire dans les chroniques byzantines et dévore celle des saints et de l’Eglise russe. C’est un jeune homme qui manifeste une méfiance maladive à l’égard de tous et qui semble avoir déjà perdu son équilibre moral. Mais, à la différence de ses prédécesseurs, il est aussi l’un des hommes les plus instruits et cultivés de son temps.
    En 1547, Ivan décide de se faire couronner tsar et grand-prince de toute la Russie. Il revendique la fonction et les attributs de l’empereur (basileus) byzantin et légitime ainsi la Moscovie à la tête de la chrétienté orientale, succédant à Constantinople tombée en 1453 aux mains des Turcs. Durant la préparation de la cérémonie de couronnement, un riche corpus de chroniques et de légendes russes est utilisé par Ivan et son métropolite Macaire pour justifier ses prétentions au titre de tsar (réservé jusqu’à la fin du XVe siècle aux empereurs byzantins, aux souverains bulgares et serbes et aux khans tatars) en tant qu’héritier de l’empereur de Constantinople. Il n’est plus seulement un grand-prince, mais un monarque qui tient son pouvoir de Dieu, confirmé sur Terre par l’appui de l’Eglise. Cette décision consacre l’indépendance et l’hégémonie du nouvel Etat moscovite. Le 16 janvier 1547, Ivan est couronné dans la cathédrale de l’Assomption au Kremlin. Le 3 février, son mariage avec une princesse russe, Anastasia Romanova, approuvé par le métropolite et l’ensemble des boyards, y est célébré.
    L’année 1547 est marquée par un terrible incendie à Moscou, qui s’étend jusqu’au palais du tsar au Kremlin. Ivan fait acte de contrition publique sur la place Rouge, interprétant ce malheur comme un châtiment pour ses péchés, et annonce son désir de gouverner le pays pour le bien de son peuple. C’est alors que commence la meilleure période de son règne. Entouré d’un Conseil choisi (l’Izbrannaïa Rada), composé du métropolite Macaire, du pope Sylvestre, d’Alexis Adachev (officier de la cour) et du prince Kourbski, Ivan IV entreprend une série de réformes.
    Le tsar fait convoquer le premier concile du clergé (Zemski Sobor) de l’histoire russe, fait publier un code pénal (Soudebnik) en 1550, et introduit le principe électoral dans l’administration des communautés. Des offices centraux de gouvernement (prikazy) sont créés pour traiter des Finances, de la Guerre, des Affaires étrangères. Localement, surtout là où les populations s’engagent à verser une certaine somme au Trésor royal, des assemblées et des officiers élus sont chargés de contrôler l’action des gouverneurs (les voïévodes) pour empêcher la corruption et les exactions des représentants du pouvoir central. La fiscalité se met peu à peu en place grâce à un premier recensement des terres, permettant de définir avec plus de précision l’assiette de l’impôt.
    La même année, le service armé du tsar est organisé : des domaines fonciers sont attribués, autour de Moscou, à des fils de boyards, qui représentent la noblesse de la capitale au service du souverain. L’armée est réorganisée, des régiments de mousquetaires font leur apparition. En 1551, le concile des Cent-Chapitres est convoqué pour préciser les statuts de l’Eglise dans ses rapports avec l’Etat et la société. Ivan IV continue d’embellir sa capitale et fait construire la cathédrale Saint-Basile pour commémorer sa victoire sur les Tatars de Kazan. Il incite les marchands de province à venir dans la capitale et installe la première imprimerie du pays à Moscou.
    En 1553, le tsar tombe très gravement malade et, se sentant près de mourir, demande un serment d’allégeance des nobles à son fils Dimitri, ce que les boyards et ses proches refusent de faire, étant donné son très jeune âge. Son autorité s’étend sur tout le bassin de la Volga (avec l’annexion de Kazan en 1552, et celle d’Astrakhan en 1554), mais ne réussit pas à s’emparer durablement de la Livonie et de l’Estonie. Les conquêtes d’Ivan IV le Terrible, font disparaître l’obstacle à une progression rapide qui allait, en moins d’un siècle jusqu’à la fondation d’Okhotsk en 1649, à 6 000 km de Moscou, et porter les Cosaques et les marchands russes à travers des immensités à peine peuplées, facilement conquises, jusqu’aux rivages du Pacifique. Longtemps après la conquête, la Sibérie est restée vide d’hommes (quelques centaines de milliers d’allogènes, des groupes isolés de colons russes), simplement quadrillée de postes fortifiés qui assuraient l’obéissance des indigènes, soumis à un tribut en fourrures (jasak). Mais les régions de la Volga et de l’Oural ont vu bientôt affluer les paysans de l’État, trop nombreux sur les terres de la Russie centrale ou fuyant les exigences des propriétaires ; la colonisation ici a cerné les peuples allogènes, s’est imbriquée à eux, sans les intégrer, ni les supprimer. À partir du XVIe siècle, la Russie d’Europe devient une mosaïque de peuples à dominante slave.
    L’expansion se fait dans deux directions : sur la route vers l’Orient et vers la Baltique pour y conquérir des débouchés maritimes. Vers 1550, les guerres les plus importantes sont dirigées contre les peuples tatars, qui lancent à partir des khanats de Kazan, d’Astrakhan et de Crimée des raids contre Moscou afin de s’emparer de butins et d’esclaves. En 1552, le tsar bat les musulmans et s’empare du khanat de Kazan. L’annexion du khanat d’Astrakhan en 1556 va favoriser l’expansion vers l’est; des cosaques dépassent l’Oural et annexent les terres sibériennes. Les Russes installent sur le trône d’Astrakhan un khan allié, qui fait allégeance à Ivan IV. Mais ce khan se ligue contre le tsar avec les Tatars de Crimée ; Ivan IV relance alors une offensive contre l’Astrakhan, qui est annexé au royaume moscovite. Mais il reste le khanat de Crimée, qui organise des raids en Russie jusqu’en 1558, année où il est vaincu à Azov. La menace des Tatars de Crimée se fait à nouveau sentir à partir de 1569, puisque les troupes du khan arrivent jusqu’à Moscou en 1571 et, ne parvenant pas à s’emparer de la ville, brûlent et ravagent une grande partie de la capitale et du pays. Cependant, en 1582, vaincues par les troupes du tsar, elles sont contraintes de se retirer.
    Au XVIe siècle commence aussi l’ouverture vers l’ouest, l’envoi de missions diplomatiques en Europe occidentale (à la cour d’Espagne), les échanges commerciaux avec l’Angleterre, la France. La Russie tente les marchands anglais : le navigateur Chancellor, en 1533, aborde à l’embouchure de la Dvina du nord, où sera fondé le port de Novo-Kholmogory qui prendra en 1614 le nom d’Arkhangelsk et restera jusqu’à la fondation de Pétersbourg le seul port de la Russie, et il se rend à Moscou. Une « Compagnie moscovite » anglaise pourvue de grands privilèges commerce à travers la Russie, concurrencée par les Hollandais. Mais l’État russe est assez fort pour opposer entre eux les concurrents étrangers, limiter leurs droits, interdire en définitive le transit de leurs caravanes vers l’Orient, ainsi que la navigation le long des côtes sibériennes. Vulnérable en raison de son retard économique, l’État se défend par un contrôle rigoureux des activités étrangères qui sont indispensables à son développement. L’ouverture du pays est marquée par l’accès du peuple russe à la Volga. Ivan IV brise ainsi la barrière maintenue par la Pologne et la Hanse entre la Russie et l’Europe occidentale.
    Pour tenter d’atteindre la mer Baltique, le tsar entre en guerre contre la Livonie, qui est soutenue par une puissante coalition formée de la Pologne, de la Lituanie et de la Suède. A l’ouest, la lutte contre l’ordre des Porte-Glaive de Livonie est d’abord marquée par des victoires russes, en particulier la prise de la forteresse de Dorpat (Tartou). En 1560, l’ordre de Livonie est dissous: son dernier grand maître, Kettler, devenu vassal du roi de Pologne, lance, en 1563, en alliance avec les Lituaniens, une offensive – qui échoue – contre les troupes du prince Kourbski.

    III.1.2. Le temps des errements
    A partir des années 1560, l’attitude d’Ivan à l’égard de ses proches conseillers change radicalement.
    Les intrigues des boyards, mécontents de la défaite du tsar contre la Livonie, et la mort de son épouse en sont sans doute les causes. Le tsar, convaincu que ses conseillers Sylvestre et Adachev ont participé à l’empoisonnement d’Anastasia, les fait condamner. En 1560, Adachev est éloigné de la cour puis emprisonné, et Sylvestre est exilé dans un monastère. Les membres de leurs familles sont mis à mort, ainsi que leurs collaborateurs et amis. Dès lors, un grand nombre de boyards quittent la Russie pour la Lituanie. Le plus notable d’entre eux est le prince Kourbski, qui, ayant quitté la Russie en 1564, adresse au tsar, depuis son exil polonais, de très célèbres lettres où il critique son despotisme.
    Après la mort de Macaire en 1563, le comportement d’Ivan IV donne des signes de déséquilibre mental. A l’automne 1564, il quitte Moscou en compagnie de sa seconde femme pour la petite ville d’Alexandrovsk, d’où il fait semblant d’abdiquer. Il envoie deux lettres publiques: l’une accusant les boyards et le clergé de trahison, l’autre réitérant sa confiance au peuple. La population est désorientée par la vacance du pouvoir.
    Sous la pression du peuple, une délégation se forme pour supplier le tsar de revenir. Ivan impose un décret qui soumet une grande partie du pays et de la capitale à l’autorité d’un corps d’élite, les opritchniki, chargé de la sécurité intérieure. Très ébranlé psychologiquement par cet épisode, il bouleverse ses pratiques de gouvernement, et se livre alors à des actes de cruauté qui le rendront tristement célèbre.
    Un territoire réservé est créé, l’opritchnina, où est établi un régime d’exception et où le tsar installe ses fidèles, qui constituent sa garde armée, les opritchniki.
    Ce territoire est composé d’une vingtaine de villes, des terres proches du grand-duché de Lituanie et d’une partie de Moscou; puis il est élargi et finit par représenter environ un tiers du royaume. La mise en place de l’opritchnina divise le pays en deux : d’un côté ce territoire d’exception et de l’autre la zemtchnina, terres qui continuent d’être administrées par les gouverneurs et les autorités locales traditionnelles. Le tsar s’octroie également le droit de juger et de punir les criminels comme bon lui semble.
    Une administration séparée est installée dans l’opritchnina, composée d’hommes à la solde du tsar, au nombre de 1000 à l’origine et de 6000 vers 1572. Ces hommes habillés de noir et montés sur des chevaux de même couleur font régner une terreur sans pareille: ils organisent sur les terres qu’ils dominent des vagues d’arrestations contre les ennemis supposés du tsar : les boyards, leurs familles et leurs proches. Ils détruisent plusieurs villes, notamment Novgorod, dont le tsar fait massacrer 25 % de la population en 1570. Le métropolite Philippe de Moscou, ancien confesseur du souverain, qui s’élève contre le régime de l’opritchnina, est jeté en prison et étranglé. En 1572, le tsar abolit ce système, mais le royaume reste divisé jusqu’en 1575.
    Il semble que, depuis la mort de sa première femme et de son fils Dimitri, le souverain ait perdu l’esprit. Sa « démence » le conduit à des actes incompréhensibles ou monstrueux; ainsi, en 1575, il couronne tsar un Tatar, Siméon Bekboulatovitch, qu’il laisse gouverner à sa guise: renonçant à tous ses titres, se faisant appeler Ivan de Moscou, il participe comme simple membre à la cour de Siméon. Cette inversion du pouvoir et ce carnaval effrayant durent presque un an, avant que Siméon ne soit destitué. Enfin, en 1581, pris d’un accès de rage, il assomme son fils aîné, Ivan, et le blesse mortellement. Dès lors, le tsar passe par des phases d’exaltation ou de sauvagerie, qui alternent avec des moments de repentir, de prières et de flagellations.
    A partir de 1578, la Pologne, la Lituanie et la Suède se retrouvent alliées pour lutter contre l’expansionnisme russe. La Pologne passe à l’attaque dans le sud de la Livonie, ses troupes s’avancent jusqu’à Pskov, qu’elle ne peut prendre.
    Au nord, les Suédois écrasent les Russes. Le tsar est obligé de céder et, par les traités de 1582 et de 1583 avec la Pologne et la Suède, de renoncer à tous les gains territoriaux obtenus pendant cette guerre. Le grand dessein du tsar – s’ouvrir sur la Baltique -, qui a coûté vingt-cinq années de conflits, est un échec total : la Livonie devient polonaise, l’Estonie et le golfe de Finlande suédois. Cependant la conquête du khanat de Sibérie (1581-1584) ouvrit à la Russie de nouvelles perspectives à l’est.
    La poussée colonisatrice des paysans russes se heurtait à l’est au khanat de Kazan, héritier de la Horde d’Or, qui rassemblait les populations turques et finnoises de la moyenne Volga et de la région pré-ouralienne (Mordves, Oudmourtes, Mariis, Tchouvaches, Tatars, Bachkirs).
    Ivan IV meurt en 1584, laissant un pays ravagé par les guerres, ainsi que par l’opritchnina, dont il est difficile de mesurer le coût démographique (la population est d’environ 15 millions d’habitants en 1600). Malgré tout, il lègue un pays dont la superficie a quadruplé en s’agrandissant vers l’est: la Volga est ouverte au commerce, et le dépassement de l’Oural marque le début de la colonisation de la Sibérie occidentale.
    Sous ce règne s’élabore un pouvoir autocratique nouveau, qui jette les bases politiques d’une Russie unifiée et centralisée. L’adjectif groznij (terrible) est polysémique : il contient certes une connotation de sauvagerie et de violence pathologique, mais surtout il signifie « celui qui inspire la terreur », qui incarne la justice souveraine. Il est donc synonyme de tyran ou de despote. Ivan le Terrible est l’incarnation d’un monarque théocratique et absolu.
    Ivan IV avait été marié huit fois, mais il ne laissait que deux fils. C’est Fédor Ivanovitch qui lui succède (son autre fils, Dimitri, n’est âgé que de quatre ans). Mais Fédor est un simple d’esprit, préoccupé essentiellement de religion. L’assassinat de Dimitri et la mort du souverain en 1598 laissent le trône vacant. Le terrible épisode du Temps des Troubles commence alors, et dure jusqu’à l’avènement, au siècle suivant, des Romanov.

    III.2. La vie culturelle, reflet de la centralisation étatique
    La formation d’un État centralisé se reflète dans une littérature marquée par des tendances panrusses, donnant aux souverains une ascendance légendaire (Dit des princes de Vladimir), et par des préoccupations sociales et religieuses, qui traduisent les réactions instinctives du peuple et les oppositions de classes. La Russie n’a connu ni le mouvement de la Réforme, ni celui de la Renaissance ; mais l’orthodoxie a dû lutter contre des doctrines hérétiques, à Novgorod et à Moscou, et le pouvoir, dans la mesure où il s’appuie sur une nouvelle noblesse contre les boyards, trouve son théoricien dans Ivan Peresvetov (milieu du XVIe siècle). La littérature, essentiellement moscovite, comprend des récits historiques, suscités par le temps des Troubles et la lutte des Cosaques contre les Turcs, et surtout des oeuvres religieuses (le Calendrier des saints, complété par Macaire, sera le calendrier officiel de l’Église russe jusqu’à Pierre le Grand). Pour la première fois paraît un code du savoir-vivre destiné aux classes aisées, le Domostroj (Ménagier), qui rend compte avec quelque exagération de l’assujettissement de la femme et de la puissance du chef de famille. Mais la production littéraire reste peu abondante. Elle n’est pas encore facilitée par le progrès technique, bien que l’imprimerie soit introduite en Russie au milieu du siècle, le premier livre (Actes des Apôtres) paraissant en 1564. Les créations architecturales sont liées de plus en plus au développement du pouvoir souverain : en 1532, est bâtie sur le domaine du grand prince l’église de Kolomenskoe, et les victoires d’Ivan IV sont commémorées par l’édification, face au Kremlin, de l’extraordinaire église de Basile le Bienheureux (1555-1560).

    III.3. Le temps des Troubles
    L’État russe a failli sombrer pendant le temps des Troubles au début du XVIIe. Ruiné économiquement par la guerre livonienne (1558-1583), affaibli par la rivalité des grandes familles à la mort d’Ivan IV (1584) il est gouverné durement par Boris Godounov, tsar élu par le Zemski Sobor en 1598, mais tout-puissant dès 1588. Sous son règne (1598-1605), la Russie affirme son importance européenne, Moscou devient le siège d’un patriarcat indépendant, les boyards ambitieux sont écartés. Cependant le pays est troublé par l’agitation paysanne, déclenchée dès les années 1580 par les mesures d’interdiction momentanée (de quitter le domaine) qui liaient les paysans à la terre, et, à partir de 1597, par l’institution d’un délai de recherche des paysans fugitifs fixé à cinq ans. La terrible famine de 1601-1603 entraîna une insurrection des régions méridionales, dirigée par Ivan Bolotnikov, avec l’appui momentané d’une partie de l’aristocratie, hostile au tsar. C’est la première des grandes révoltes qui ont jalonné l’histoire de la Russie jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Bientôt réduite aux seules forces paysannes, elle est écrasée ; mais, suivie d’une intervention étrangère (les Polonais sont à Moscou en 1611), elle marque le début d’une réaction sociale masquée par le sursaut patriotique que provoque l’occupation polonaise. Le pays est délivré par les troupes de Minine et Pojarski, la ville de Smolensk restant toutefois à la Pologne ; en 1613, signe du redressement de l’État, une assemblée de délégués de la noblesse, du clergé, de la classe des marchands et des communautés cosaques au service du tsar élit un nouveau souverain : Michel Fédorovitch (1613-1645), premier de la dynastie des Romanov qui devait gouverner la Russie jusqu’en 1917.

      +6

    Alerter
  • Charlie Bermude // 09.08.2015 à 17h02

    Je ne parle que de commerce dans mes posts à propos des Vikings , Varégues , Moines Irlandais , Saxons …C’est pour pas trop déranger les formatages . En jeu , aussi , la finance .
    Eh ! Oui sont concernés l’étain , de la Cornouailles et l’ambre du Danemark . Deux matiéres précieuses , susceptibles de faire concurrence aux support des monnaies légales de l’époque basées sur cuivre , argent , or .
    C’est çà qui met en émoi l’oligarchie de toujours , l’argent ( au sens de monnaie ) , à commencer par delenda Carthago , Cartage fut le relai du commerce de l’étain venant des Cornouailles , seule source conséquente à l’époque et en direction de l’Iran .
    Puis César qui s’acharne particuliérement sur les Vénétes , gaulois Bretons ; relai aussi dans le commerce , et ainsi de suite jusqu’à Charlemagne et les Saxons ( entre temps les Pélagiens , hérétique d’Hippone se sont réfugiés en Irlande pour fuir St Augustin) . Puis les Vikings , la Russie est aussi un moyen d’atteindre l’Iran . Tout se tient , depuis toujours .

      +3

    Alerter
  • Jourdon // 10.08.2015 à 08h35

    Je suis d’accord avec ( presque ) tout ce qui est écrit dans ce texte, remarquable de pédagogie et par la clarté de l’information apportée richement illustrée.

    Ma seule critique ne porterait pas sur le fond, mais plutôt sur les nuances perceptibles découlant de l’expression:

    « Le problème est, à nos yeux, que l’Ukraine ait besoin pour justifier ses choix actuels de se savoir exister en tant que Nation séparée des Russes depuis les origines. Son histoire à partir du XIV s. , l’indéniable influence polonaise et occidentale qui l’a alors marquée dans sa religion, sa culture et sa langue, sont bien suffisantes pour expliquer sa spécificité et son besoin de trouver sa propre voie de développement, non inféodée à la Russie. »

    D’accord pour rappeler, au-delà de tout ce qui est écrit dans le texte de Marie PASCAL, tant le rôle des Varègues arrivant commercer au milieu de tant de peuples, la fin du commerce de BYZANCE bien des siècles après, la notion de « Rus » comme une terre ( vu aussi la présence de Grecs, cela rappelle la philosophie d’Ulysse ) après le fait que l’Ukraine ait lié implicitement son destin à celui de l’Occident et l’Europe quand ils ont internalisé l’idée du temps historique au-delà de la « ruse » pour circonscrire, marquer, distinguer un territoire: ceci en plusieurs étapes: quand la succession a été de père en fils, quand le royaume bipolaire est devenu peu à peu impraticable.

    Puis, à partir de la fin du Moyen-Âge, non plus la question des Varègues, Slaves, Finno-Ougriens, Grecs, Russes, etc. UKRAINIENS…
    Mais aussi le long intermède lithuanien…
    Et le fait que NOVGOROD serait resté « la ville russe » implicite derrière le « parcours-officiel » ( que l’on aurait voulu écrire pour se démarquer de l’histoire européenne … qu’en pensez-vous???
    de ce fait la mythologie grecque antique ( le territoire de l’Ukraine comme « la terre des mythes » ) commencerait à s’effacer derrière une future mythologie moderne: conquête des villes … conquête des industries

    MAIS MA SEULE CRITIQUE PORTE SUR LE POINT: LA RUSSIE S’EST AUSSI DEFINIE DANS LE TEMPS PAR RAPPORT A L’EUROPE, MAIS ELLE NE POUVAIT PAS LE DIRE
    EN S’ENGAGEANT A PARTIR DU XVI S DANS LA NOUVELLE FRONTIERE VERS L’EST ELLE VOULAIT ETENDRE L’INFLUENCE CULTURELLE PSYCHOLOGIQUE DE L’EUROPE VERS L’EST

    CEPENDANT IL CONTINUE D’EXISTER DES ELEMENTS DE CONSOLATION DANS L’HISTOIRE
    VLADIMIR A GENOUX QUI AVANCE VERS L’EUROPE POUR EXPLIQUER L’IDENTITE RUSSE O COMBIEN COURAGEUSE
    NOVGOROD LA CAPITALE PROFONDE DE LA RUSSIE ET SES MAISONS EN BOIS OU EN AUTOMNE LE MARCHE SE RECOUVRE D’EAU CE QUI LAISSE LA PLACE A L’HIVER … PREFIGURE NINJI NOVGOROD VILLE DE LA NOUVELLE VOCATION MODERNE DE LA RUSSIE VERS LA NOUVELLE CONQUETE DE L’EST

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  • sadsam // 10.08.2015 à 13h52

    Pour ceux que cet article a fait rêver, voici une version de la chronique de Nestor disponible sur internet

    http://remacle.org/bloodwolf/historiens/nestor/chronique.htm

      +2

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  • Eleutheria // 10.08.2015 à 22h00

    Article très intéressant et très clair, qui a en plus attiré plein de commentaires remplis d’informations supplémentaires. Merci !

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  • aleksandar // 11.08.2015 à 12h28

    Très bel article, très documenté, bravo !
    Pour ceux et celles que cette période intéresse, il existe un  » Que sais-je » écrit par Tamara Kondratieva  » La Russie ancienne ».
    Je ne sais pas si son point de vue est identique, je l’ai lu il y a longtemps, mais je l’avais trouvé très complet.

      +7

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  • antoniob // 13.08.2015 à 17h30

    bon, premièrement le format « commentaires » de blog de ce site n’est pas du tout adéquat à des discussions, pour cela il faut un format « forum » avec arborescences, fils et aperçus, et des capacités de mise en page.
    Du coup je commenterais brièvement.

    Le conflit entre une théorie normaniste et une théorie kiévienne, de l’origine de la Russie (!) de Kiev est un vieux combat.

    Le fait que le terme soit slave, soit byzantin, de « Rus' » ou « Ros/Rous » soit utilisé dès les premiers textes médiévaux, et pas un terme « kraï » ou « Ukraï » est en soi déjà assez parlant.
    Une interprétation est que le « Russ » « Rous » serait un dérivé du terme « Ro(u)soun/Ro(u)sin » qui donne en français « Ruthène » et désigne une petite nation slave de l’actuel ouest ukrainien. Certains utilisent la désignation « Ruthénie de Kiev » pour absolument évacuer toute résonance avec « Russie ». Mais même si cette théorie tenait, cela ne donne toujours pas « Ukraï » …

    il faut aussi rappeller, si la théorie normaniste « pure » est souvent présentée comme une tendance russe contre une interprétation kiéviénne, cette dernière est néanmoins privilégiée par un courant idéologique de la période stalinienne. En effet la théorie normaniste fait nâitre le premier état russe, à partir d’influences étrangères (Varègues, etc), et, sous Staline, la théorie kiévienne offre l’avantage de situer une genèse uniquement dans un univers slave.
    Bref, paradoxalement, lors du soviétisme stalinien, la théorie normaniste fut occasionnellement dénigré pour raisons de nationalisme russo-slave, le différenciation entre biélorusses, russes et ukrainiens étant considérée négligeable, par rapport à une intrusion scandinave dans le monde slave du nord.
    Je n’ai pas en tête les références des travaux sur cet aspect, mais on en trouve en accès libre sur le portail de sciences humaines http://www.persee.fr

    Et surtout: le dénigrement de la théorie normaniste tel qu’opéré dans le bouquin “Histoire de la Russie, des origines à 1996″, Nicholas V. Riasanovsky, éditions Robert Laffont, ne tient pas la route face aux sources externes souvent ignorées: les sagas scandinaves.
    Ici le texte de la Saga d’Harald Sigurdsson, ou Harald III de Norvège, ou Harald Hardråde:
    http://heimskringla.no/wiki/Sagan_af_Haraldi_har%C3%B0r%C3%A1%C3%B0a

    Harald Sigurdsson était demi-frère du roi qui avait imposé le christianisme aux norvégiens, Saint Olaf. Dans les guerres entre monarques vikings païens et ceux nouvellement convertis au christianisme, Harald et Olaf durent s’enfuir pour un temps. Ils s’en allèrent en Gardarike, cad. en norrois: le royaume de Nogvorod et Kiev, ou plus simplement l’état de la dynastie Riourikide, dont effectivement les fondateurs et organisateurs sont fortement influencés par des scandinaves.
    Non seulement Harald et Olaf restèrent un temps en Gardarike, que les locaux nommaient Rous, mais ils s’engagèrent dans la garde viking/varanguienne de Miklagard, càd. en norrois: Constantinople.
    Harald par la suite épousa l’une des trois filles du roi Yaroslav.

    Dans le texte norrois de la Saga de Harald Hardråde on trouve ainsi (voir lien précédent).

    « 2. Haraldr kom í Garðaríki
    Eptir um várit féngu þeir sér skipan ok fóru um sumarit austr í Garðaríki á fund Jarizleifs konungs. »

    Garðaríki: le royaume Riourikide
    Jarizleif: Yaroslav. En norvégien contemporain existent encore les deux prénoms: Jaris et Leif, le premier étant peu commun, mais le second très usité. Le composé est Jaris-Leif …

    le roi Yaroslav était marrié à une princesse suédoise. Une autre de leurs trois filles, Anna, fut mariée à un roi Franc: Henri 1er de France. Cette Anna Yaroslavnaya est appellée Anne de Kiev par les historiens français. Elle était Riourikide.

    En fait, les archéologues, philologues et historiens scandinaves, finnois, baltes et russes, ont très clairement déterminé la zone Izborsk-Novgorod-Vieille Ladoga, comme la région d’hybridation de tribus slaves septentrionales, baltes et caréliennes, sous influence militaro-politique scandinave, formant le premier état structuré et durable Riourikide. C’est la Russie médiévale initiale.
    Cet état entre Mer Baltique et Mer Blanche, axé sur les fleuves, forma sa capitale à Novgorod, puis la déplaça sur la ville pré-existante de Kiev, le long du Dniepr, pour des raison commerciales évidentes: proximité des empires Francs à l’Ouest, et proximité de Constantinople au Sud.
    Le marriage de Anna Yaroslavnaya avec Henri 1er de France participait d’un envie d’alliance avec les royaumes Francs. Les alliances avecs les scandinaves étaient conservés, et c’est le marriage par exemple de Ellifir, soeur de Anna, avec Harald Hardråde. La garde varenguienne elle maintenait l’alliance avec Constantinople.

    Les invasions mongoles-tatares firent voler en éclat cette première Russie, qui se rétracta et se réorganisa dans les principautés du nord: Novgorod, Pskov, Beloozero, Vladimir, alors que la ville de Kiev, restée rattachée au Patriarcat de Rostov (dans le nord), perdit son contrôle sur les rives du Dniepr et les steppes autour entre Carpathes, Tatrars, Transylvanie et Mer Noire devinrent pour les siècles suivants les terrains de guerres entre Polono-Lithuaniens, Tatares, puis ensuite Empire Russe.

    La nation ukrainienne naît dans le jeu de ces interactions, et une composante de sa formation hybride est constituée de l’orthodoxie et influence russe, alors qu’une autre composante est l’influence polonaise, et la permanence de l’ancien royaume de Galicie.

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