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27.décembre.201127.12.2011 // Les Crises

[Article] L’euro qu’on assassine, par Paul Krugman

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Je ne partage pas tout, mais c’est une très intéressante analyse…

Par Paul Krugman, traduction d’un article de son blog par Rtbf.be

L’euro peut-il être sauvé ? Il n’y a pas si longtemps, on nous avait dit que la pire chose serait une défaillance grecque. Aujourd’hui un désastre bien plus grand semble plus que vraisemblable.

Il est vrai que la pression des marchés est un peu retombée mercredi après que les banques centrales ont annoncé de façon spectaculaire des lignes de crédit plus importantes (ce qui, dans les faits, ne fera quasiment aucune différence). Cependant même les optimistes voient aujourd’hui l’Europe se diriger tout droit vers une récession, alors que les pessimistes préviennent que l’euro pourrait bien devenir l’épicentre d’une nouvelle crise financière mondiale.

Comment les choses ont-elles pu aussi mal tourner ? La réponse que l’on entend systématiquement est que la crise de l’euro a été causée par l’irresponsabilité fiscale. Allumez votre télévision et il est très probable que vous entendiez un expert déclarer que, si l’Amérique ne sabre pas ses dépenses, elle va finir comme la Grèce. La Grèèèèèèèèèece !

La vérité est pourtant quasiment à l’opposé. Bien que les dirigeants européens insistent encore sur le fait que le problème vient de trop de dépenses dans les pays débiteurs, le vrai problème est que l’Europe dans son ensemble ne dépense pas suffisamment. Et leurs efforts pour résoudre les problèmes, en exigeant une austérité toujours plus forte, ont joué un grand rôle dans l’aggravation de la situation.

Reprenons les faits : dans les années qui ont conduit à la crise de 2008, l’Europe, tout comme l’Amérique, avait un système bancaire à la dérive et a accumulé rapidement une montagne de dettes. Dans le cas de l’Europe, cependant, la plupart des prêts se situaient au-delà des frontières, avec des fonds allemands affluant dans les pays du sud de l’Europe. Ces prêts étaient considérés comme à faible risque. Hé, les bénéficiaires étaient tous dans la zone euro, que pouvait-il arriver de mal ?

D’ailleurs, dans leur grande majorité, ces prêts sont allés au secteur privé et non aux gouvernements. Seule la Grèce a présenté des déficits budgétaires importants pendant les bonnes années ; la veille de la crise, l’Espagne était en fait excédentaire.

Puis la bulle a éclaté. Les dépenses privées ont subitement chuté dans les pays débiteurs. Et la question que les dirigeants européens auraient dû se poser était de savoir comment empêcher que cette chute des dépenses ne cause un fort ralentissement dans toute l’Europe.

Cependant, au contraire, leur réponse à l’augmentation inévitable des déficits, conduite par la récession, a été d’exiger de tous les gouvernements – pas seulement ceux des pays débiteurs – de sabrer dans les dépenses et d’augmenter les impôts. Balayant ainsi les mises en garde quant à la possibilité que cela n’aggrave la crise économique. « L’idée que des mesures d’austérité puissent déclencher une stagnation est fausse » a déclaré Jean-Claude Trichet, alors président de la Banque centrale européenne. Pourquoi ? Parce que « des politiques qui inspirent confiance favoriseront la reprise économique au lieu de l’entraver« .

Pourtant la fée de la confiance ne s’est pas présentée.

Attendez, il y a encore mieux. Pendant les années où l’argent était facile, les salaires et les prix dans les pays du sud de l’Europe ont augmenté plus rapidement que dans les pays du nord de l’Europe, et de façon substantielle. Aujourd’hui, il faut inverser la tendance, soit en abaissant les prix dans les pays du sud soit en augmentant les prix dans les pays du nord. Et la solution choisie est importante : si l’Europe du sud est obligée de baisser sa compétitivité, elle devra payer un lourd tribut quant aux emplois et aggravera ses problèmes d’endettement. Les chances de succès seraient bien plus importantes si l’écart se réduisait grâce à une augmentation des prix au nord.

Pour réduire l’écart via une augmentation des prix au nord, les hommes politiques devraient accepter temporairement une inflation plus importante pour la zone euro toute entière. Et ils ont clairement dit qu’ils ne le feraient pas. En fait, en avril, la Banque centrale européenne s’est mise à augmenter les taux d’intérêt, même s’il était évident pour la plupart des observateurs que l’inflation sous-jacente était avant tout trop faible.

Et ce n’est sans doute pas une coïncidence si la crise de l’euro est entrée dans une nouvelle phase encore plus dure en avril. Qu’importe la Grèce, dont l’économie est à peu près à l’Europe ce que Miami et son agglomération sont aux Etats-Unis. A ce moment-là, les marchés ont perdu foi dans l’euro dans son ensemble, augmentant les taux d’intérêt y compris pour des pays comme l’Autriche ou la Finlande, peu réputés pour être prodigues. Et il n’est pas difficile de voir pourquoi. Le mélange de l’austérité pour tous et d’une banque centrale obsédée de façon morbide par l’inflation fait qu’il est fondamentalement impossible pour les pays endettés de s’extraire du piège de l’endettement et ce mélange est, de ce fait, la recette pour des défauts de paiement répandus, des paniques bancaires et un effondrement financier général.

J’espère, pour notre salut ainsi que le leur, que les Européens vont changer leur fusil d’épaule avant qu’il ne soit trop tard. Mais je n’y crois pas, pour être honnête. En fait ce qui est bien plus plausible, c’est que nous allons les suivre dans leur chemin vers la ruine.

Car, en Amérique comme en Europe, l’économie est tirée vers le bas par des débiteurs inquiets – dans notre cas des propriétaires de logements. Et ici également, nous avons désespérément besoin de politiques fiscales et monétaires expansionnistes pour renforcer l’économie pendant que ces débiteurs se battent pour retrouver une certaine santé financière. En Europe, cependant, le discours public est dominé par des réprimandes concernant les déficits et des obsessions quant à l’inflation.

Ainsi la prochaine fois que vous entendrez quelqu’un affirmer que si l’on ne sabre pas nos dépenses nous allons subir le sort de la Grèce, vous devriez répondre que si on sabre nos dépenses alors que l’économie est toujours en dépression, nous allons subir le sort de l’Europe. En fait, nous sommes déjà bien partis pour.

Paul Krugman

© 2011 New York Times News Service

© 2011 Rtbf.be

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17 réactions et commentaires

  • Marcel // 27.12.2011 à 07h11

    Il faut l’enfermer dans un coffre rempli de béton et jeter le coffre dans le fond d’un puits .
    Ce qu’il décrit est précisément ce qui détruit l’Amérique depuis une centaine d’année. Cela donne l’impression que c’est la bonne solution car les résultats sont visibles et rapides, mais on arrive à de la cavalerie financière qui impose à l’Etat d’aller faire la guerre en Irak et bientôt en Iran pour assurer ses approvisionnements en énergie et s’assurer des marchés de reconstruction.
    Le système capitaliste qui ne survit que par la croissance des marchés, est condamné à sa propre destruction si elle s’arrête parce que les emprunts ne peuvent plus être remboursés.
    Karl Marx l’a démontré il y a 100 ans environ.
    Que Paulo retourne à l’école.
    Faut vraiment être c.. pour continuer à croire que la croissance (a crédit il faut le rappeler) est la solution. C’est une vision court terme qui amplifie les désastres  financiers inéluctables à terme.
     

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    • Marcus // 27.12.2011 à 07h19

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    • AlexHanin // 27.12.2011 à 09h19

      Krugman ne promeut pas la croissance à crédit. Cette critique est régulièrement adressée aux (néo)keynésiens, comme si Keynes n’insistait pas sur le fait que les dépenses de relance devaient être compensées par des surplus budgétaires lors des périodes favorables.
       
      Cela dit, il est vrai que Krugman propose d’ajouter des dettes aux dettes (il avait dit dès 2009 que le plan de relance d’Obama était trop limité), ce qui vu les circonstances est effectivement discutable.

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    • yoananda // 27.12.2011 à 15h00

      Seul un économiste ou un fou peut croire a la croissance infinie dans un monde fini.
      En l’occurence, on a un pic pétrolier. Alors n’importe quelle politique monétaire qu’on utilise, il y aura de la casse. Après le tout est de savoir sur qui on tape et pourquoi, et comment on réparti la richesse et le travail … et a ce titre sa solution ne serait pas forcément si mal puisqu’elle euthanasierai un peu le capital, mais en contre coup, cela risquerait de neutraliser les investissements (si je ne m’abuse). L’inflation en période de boom énergétique est suivie de croissance, mais la, ce ne serait pas le cas, donc …
      Pas de solution idéale de toute manière.
      Mais il est navrant de voir ces prix nobel vivre dans leur monde de statistiques déconnectés de la réalité.

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  • Milou // 27.12.2011 à 07h51

    Du même avis que Marcel. Il n’y a qu’à voir le résultat des QE de B.B

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  • AlexHanin // 27.12.2011 à 09h11

    @Olivier : je comprends ce que tu veux dire quand tu dis que « tu ne partages pas tout » :-), mais je trouve remarquable que tu publies malgré tout le billet.
     
    Un peu dans la même idée, j’ai trouvé cet article (http://www.bbc.co.uk/news/business-16290598) excellent. (Si tu as besoin de quelqu’un pour le traduire, je me porte volontaire.)

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  • Wilmotte Karim // 27.12.2011 à 21h15

    Vous croyez à une paupérisation massive des peuples sans risques politiques et sociaux graves?

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    • Marcus // 27.12.2011 à 21h42

      Chaque pays, chaque peuple a sa propre histoire et il est très difficile de savoir quel sera la réaction d’un peuple précis.
      Par contre, pour mon pays la France que je connais bien, la France de la Révolution, la France de coupeurs de têtes, la France dont le mot égalité raisonne plus que dans d’autres pays, une paupérisation massive ne pourrait aboutir qu’à un soulèvement populaire.
      A++
      Marc

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      • Wilmotte Karim // 28.12.2011 à 12h51

        Et après 1929 en Allemagne (et l’austérité de Brunning), il y a eu Hitler.
        Les réponses des peuples dépendront des facteurs nationaux.
        Mais dire que le plonger des peuples dans la misère ne provoquera aucun problème…

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  • Chazam // 29.12.2011 à 16h15

     » Il ne voit pas que la montée des nationalismes est dû à l’immigration de peuplement de masse, dont il est un partisan,  »
     
    Ce n’est sûrement pas le seul facteur, ni même le facteur essentiel. La montée des nationalismes vient d’abord du sentiment de déclassement social, économique et culturel.
     
    Si nous avions de belles perspectives de croissance et l’espoir raisonnable d’en tirer profit rapidement, il est évident que les partis dis nationalistes auraient nettement moins le vent en poupe.
     
    L’immigration là dedans sert d’abord d’exutoire et d’épouvantail commode (elle n’est ni la cause des problèmes actuels, ni la source d’une solution à ces derniers).

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  • Patrick-Louis Vincent // 29.12.2011 à 16h22

    « L’immigration là dedans sert d’abord d’exutoire et d’épouvantail commode (elle n’est ni la cause des problèmes actuels, ni la source d’une solution à ces derniers). »

    Elle n’est pas la cause de nos problèmes économiques, c’est certain, mais reste un problème majeur d’ordre culturel, identitaire et religieux.

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    • Chazam // 02.01.2012 à 17h37

      Je ne mettrais pas le mot « majeur » pour ma part, en parlant des problèmes d’ordre culturel, identitaire et religieux liés à une immigration importante, mais là, nous entrons dans des appréciations idéologiques. 😉
       

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    • bizbee // 03.01.2012 à 08h50

      Elle n’est pas la cause de nos problèmes économiques, c’est certain, mais reste un problème majeur d’ordre culturel, identitaire et religieux.

      C’est clair que l’on ne peut pas nier ça.
      Mais avant de donner des « solutions finales », faudrait ptètre réfléchir démocratiquement au pays que l’on veut laisser nos petits-enfants; et si l’on s’en fout, bah faut pas se prononcer.
      Rien ne prouve aujourd’hui que l’une au l’autre des idéologies « le protectionnisme endurcit » vs. « libre circulation des personnes » soit meilleures pour le long terme. Encore une fois, des siècles d’histoires nous montre comment les différentes vagues de migrations ont :
      – soit été assimilées et ont enrichit la culture d’un peuple (romains en gaule, arabe en andalousie,…).
      – soit rien apportées d’autre que destruction et brassage génétique (c’est toujours ça!) (tatar en pologne, vandales en france,…).

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  • Patrick-Louis Vincent // 03.01.2012 à 11h13

    « soit été assimilées et ont enrichit la culture d’un peuple (romains en gaule, arabe en andalousie »

    Pour les Romains, il n’y a pas eu d’immigration de peuplement. Comme pour la colonisation des pays africains par les européens, ce fut, surtout, un apport culturel et législatif (exception faite de l’Afrique du Sud où il y eut immigration de peuplement, mais sans assimilation, bien au contraire, puisqu’il y eut longtemps apartheid.
    Pour les arabes en Andalousie, l’on ne peut pas parler d’assimilation. Ce serait oublier les 700 ans de Reconquista, qui fut une guerre intérieure de rejet.

    L’époque nous nous vivons est tout à fait particulière. Jadis, les migrations étaient surtout faites de conquêtes militaires, donc faites uniquement par des hommes, qui, s’ils engrossaient de force durant leurs avancées, ne faisaient que passer. Aujourd’hui, nous vivons de véritables transferts de population, souvent pour des raisons économiques, avec femmes et enfants, emmenant avec eux leurs us et coutumes et leurs religions, et n’ayant nulle envie de s’assimiler, bien au contraire quand il s’agit de personnes de confession musulmane, religion dont le but est de s’étendre sur tous les continents, en se substituant, y compris par la force, aux autres religions. L’exemple type est la conquête, par les arabes, de vastes territoires, comprenant Sumer et l’ancienne Perse, l’Egypte et le Maghreb, où les religions locales furent progressivement erradiquées, phénomène qui perdure de nos jours (persécution des chrétiens coptes en Egypte, chrétiens en Irak et au Liban). 

    Dans cette affaire, il convient, plus que dans d’autres domaines, de ne pas faire d’angélisme, et d’être conscients de la situation et de son évolution.

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    • bizbee // 03.01.2012 à 13h02

      Pour les romains, ou même les grecs, vous devriez étudié l’histoire de l’immigration Marseillaise et Narbonnaise.
      Je vous conseille aussi un ptit séjour en andalousie et de potasser qq bouquins sur le sujet. Parce que si il est vrai qu’une majorité d’arabe ne s’étant pas mêlé aux ibères (qui déjà résultaient d’un gros mix génétique et culturel) fut expulsé, l’apport culturel est indéniable. D’ailleurs, comme vous semblez avoir une dent contre la religion musulman (j’approuve bien sur les arguments que vous avez avancé), regardez aussi comment les rois catholiques d’y sont pris pour « nettoyer » l’Espagne. Ce que ni les Maure, ni les Berbères n’avaient fait avant eux…

      Dans cette affaire, il convient, plus que dans d’autres domaines, de ne pas faire d’angélisme, et d’être conscients de la situation et de son évolution.

      Tout à fait mais j’insiste qd mm:
      Dans cette affaire, il convient, plus que dans d’autres domaines, de ne pas faire de diabolisation, et d’être conscients de la situation et de son évolution.

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  • Patrick-Louis nVincent // 03.01.2012 à 13h49

    Mais qui parle de diabolisation ? Pas moi en tout cas. Mais j’ouvre les yeux. [Modéré]

    Pourquoi croyez-vous que l’homme a inventé les frontières ? Pour pouvoir vivre en paix entre personnes de même culture, souvent de même langue et de même religion. Je vous renvoie à l’excellent livre de Régis Debray « Eloge des frontières », écrit, qui plus est, dans une langue magnifique.

    Le monde sans frontière est une utopie. Cela ne veut pas dire que cela ne sera jamais. Mais, quand cela sera, cela voudra dire qu’une religion universelle avec des valeurs communes à tous les humains sera en place. Ce n’est pas pour demain.

    [Modéré]

    Cher Bizbee, puisque vous me parlez de bonnes lectures, je vous recommande celle du livre de Philippe Conrad, paru dans la collection Que Sais-je, et intitulé Histoire de la Reconquista.

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