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16.mai.202316.5.2023 // Les Crises

Englué dans une crise, Netanyahou va-t-il déclarer la guerre pour sauver sa peau ?

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Le Premier ministre a autant à perdre qu’à gagner s’il y avait des hostilités. Mais dans la mesure où son agenda est dicté par des extrémistes religieux, il pourrait avoir du mal à ne pas mettre la région à feu et à sang.

Source : Middle East Eye, Jonathan Cook
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

L’une des tactiques favorites des Premiers ministres israéliens lorsqu’ils sont en difficulté consiste à provoquer une confrontation, ou du moins à réagir de manière excessive pour assurer qu’une de celles-ci se produise, pour ensuite envoyer l’armée.

On peut espérer des guerres qu’elles rassemblent les Israéliens derrière un gouvernement défaillant et qu’elles réduisent l’opposition au silence, tout en obtenant un soutien inconditionnel des Juifs de l’étranger et la sympathie instinctive des pays occidentaux.

Au cours des 15 dernières années, Gaza a joué ce rôle à plusieurs reprises. En 2006, Ehud Olmert a tristement choisi d’utiliser le Liban – une arène beaucoup plus délicate sur le plan militaire – pour essayer de prouver sa valeur afin de rallier la population israélienne à son fragile gouvernement. Cela ne lui a pas réussi.

En tant que dirigeant israélien, Benjamin Netanyahou est en proie à des difficultés – tant personnelles que politiques – bien plus importantes que celles de ses prédécesseurs.

Il est en plein milieu d’un procès pour corruption qui ne tourne pas en sa faveur. Il a désespérément besoin de se maintenir au pouvoir et d’adopter une législation visant à affaiblir les tribunaux s’il ne veut pas risquer de finir en prison.

Mais sa soi-disant « réforme judiciaire » qui visait à donner à ses alliés extrémistes religieux un contrôle effectif sur les tribunaux, a déclenché des manifestations sans précédent dans tout le pays. Les sondages concernant Netanyahou se sont effondrés. S’il y avait des élections aujourd’hui, il est presque certain qu’il les perdrait.

Dans le même temps, il est confronté à une quasi-mutinerie sans précédent au sein des sections d’élite de l’armée, notamment les pilotes et les réservistes expérimentés, qui s’opposent à son ingérence dans le système judiciaire, en partie pour des raisons personnelles. Le prétendu « contrôle » de leurs crimes de guerre par la Cour suprême israélienne est le principal obstacle à leur comparution devant la Cour pénale internationale.

Les pyromanes ministériels

Mais la rébellion que Netanyahou a provoquée dans les rangs est également perçue de plus en plus comme une atteinte à la dissuasion tant prisée d’Israël dans une région « hostile. »

Comme si cela ne suffisait pas, Netanyahou doit sans cesse se plier aux exigences de ses partenaires fascistes et colons religieux de la coalition, faute de quoi son gouvernement tombera presque à coup sûr.

Mais les ministres d’extrême droite qui contrôlent la police mais aussi l’administration militaire qui régit la vie des Palestiniens, ne sont guère plus que des pyromanes, déterminés à mettre le feu aux territoires occupés. Le prétexte sera alors tout trouvé pour que les colons et les forces armées précipitent le processus d’expulsion des Palestiniens de leurs terres et leur regroupement dans une poignée de ghettos urbains.

En conséquence, pour la première fois, le vigoureux lobby pro-israélien, en particulier aux États-Unis, trouve des raisons de douter de la légitimité du gouvernement israélien. Les défenseurs d’Israël ont été frappés par deux coups durs : tout d’abord Netanyahou a invité des partis fascistes ouvertement religieux à faire partie de sa coalition, et ensuite il a cherché à leur donner le contrôle des tribunaux.

Le lobby pro israélien s’était déjà attelé à la tâche difficile de salir la communauté internationale des droits humains parce que celle-ci avait estimé qu’Israël pouvait être qualifié d’État d’apartheid. Aujourd’hui, ce lobby renâcle à la tâche de devoir défendre les efforts de Netanyahou pour transformer Israël en une dictature théocratique.

Et en filigrane, l’administration Biden est mécontente du fait que Netanyahou donne d’Israël un image tellement antidémocratique que les sermons de Washington sur les « valeurs partagées » et les « liens éternels » sonnent plus que creux.

Quand on allume des feux

Jongler avec tous ces problèmes met l’ingéniosité à rude épreuve, même quand il s’agit de Netanyahou, premier ministre ayant eu le plus long mandat et homme politique habituellement crédité d’un talent quasi-mythique pour s’accrocher au pouvoir.

Dans ces conditions, la perspective d’une guerre dans les prochaines semaines pourrait sembler alléchante – un danger qui n’est pas passé inaperçu aux yeux des commentateurs israéliens. Le gouvernement de Netanyahou a déjà allumé des feux sur les fronts palestinien, libanais et syrien.

La semaine dernière, avec pour objectif de créer une étincelle, Israël a, à deux reprises, dépêché ses forces de police à l’intérieur même de la mosquée Al-Aqsa, dans la partie occupée de Jérusalem, pour tabasser et humilier des fidèles pacifiques pendant le mois saint du jeûne du Ramadan. La profanation par un État juif autoproclamé d’Al-Aqsa, un lieu saint d’une importance capitale non seulement pour les Palestiniens mais aussi pour tous les musulmans, était un moyen infaillible de faire affront au monde arabe.

Presque immédiatement, les attaques de « loups solitaires » palestiniens ont repris. En Cisjordanie occupée, des Palestiniens ont tiré sur une voiture, tuant trois Juifs israéliens – une mère et ses deux filles qui avaient quitté la Grande-Bretagne pour vivre dans une colonie illégale. Et un membre de la très malmenée minorité palestinienne vivant à l’intérieur d’Israël, a été abattu après avoir foncé sur des passants sur le front de mer de Tel Aviv, tuant ainsi un touriste italien.

Sur un plan plus général, une pluie de roquettes a été tirée depuis Gaza, le Liban et la Syrie, ce qui a incité Israël à lancer des frappes aériennes limitées contre ses voisins.

Toutefois, malgré les tensions accrues, toutes les parties – y compris Israël – ont semblé désireuses de s’éloigner du bord du gouffre.

Mutinerie à bas bruit

Les choses se sont calmées pour le moment, sur l’insistance de Netanyahou semble-t-il. Il aurait en effet désavoué son ministre de la police d’extrême droite, Itamar Ben-Gvir, et interdit à des colons juifs de se rendre à Al-Aqsa pendant les derniers jours du ramadan, sans doute pour éviter que ne se reproduisent les scènes de violence policière de la semaine dernière.

Toutefois, la question demeure : Netanyahou pourrait-il décider, dans les semaines à venir, qu’il est dans son intérêt d’attiser à nouveau les tensions ?

Les mêmes pressions pèsent sur lui. Il doit mener à bien sa réforme judiciaire, à la fois pour sauver sa peau mais aussi celle de son gouvernement. Cette semaine, il s’est engagé à poursuivre ce qu’il a appelé un « mandat clair pour réparer le système judiciaire. »

Mais le noyau dur du mouvement de protestation, depuis les classes moyennes laïques d’Israël jusqu’aux réservistes, ne recule pas. Les manifestants continuent de se masser dans les rues pour stopper Netanyahou.

Il pourrait être tentant d’entraîner Israël dans une confrontation avec les Palestiniens ou dans une guerre avec le Liban voisin. Cela forcerait l’armée israélienne à abandonner ses velléités de mutinerie et à rentrer dans le rang, même si c’est à contrecœur.

Cela aurait aussi pour avantage de semer la division au sein du mouvement de protestation, certaines parties exigeant l’unité en cette période de crise nationale. Le lobby israélien de l’étranger serait également contraint de revenir à sa soumission habituelle.

Étant donné que les éléments clés de la réforme judiciaire de Netanyahou pourraient être adoptés dès le retour du parlement israélien après la Pâque, fin avril, Netanyahou pourrait essayer de faire adopter les changements sous couvert de la guerre.

C’est peut-être la raison pour laquelle des sources gouvernementales ont déclaré aux médias israéliens, au cours du week-end, qu’après les vacances du ramadan et de la Pâque, Israël serait contraint de lancer une opération militaire de grande envergure.

Netanyahou a donné une idée de quelles pouvaient être ses propres justifications pour d’éventuelles hostilités futures. Dans des discours récents, il a affirmé que le gouvernement précédent, dirigé par Yair Lapid, avait sapé la dissuasion régionale israélienne en signant ce qui selon lui est un « accord de reddition » avec le Hezbollah. Celui-ci fixait des frontières maritimes avec le Liban susceptibles de livrer des réserves de gaz « à l’ennemi sans rien recevoir en retour. »

Il a également dirigé ses tirs contre les réservistes rebelles, les accusant de porter atteinte à la sécurité israélienne. « Lorsque nos ennemis voient cet appel à s’opposer, ils l’interprètent comme une faiblesse de notre capacité de résistance nationale. » Il a prévenu que les ennemis d’Israël pourraient prendre cela comme une invitation à frapper.

Semblant indiquer qu’il pourrait anticiper une attaque arabe, Netanyahou a ajouté : « Nous rétablirons la dissuasion. Cela prendra du temps, mais cela se fera. J’avais dit au gouvernement précédent de ne pas tout gâcher, sachant que nous allions devoir tout remettre en ordre. »

Une dissuasion en perte de vitesse

Mais si attiser la guerre semble simple sur le papier, la mise en œuvre d’un tel plan pourrait s’avérer bien plus délicate.

Il est vrai que les réservistes israéliens ne resteraient probablement pas chez eux en cas de mobilisation. L’esprit de révolte, en revanche, perdurerait et reviendrait certainement en force dès qu’une confrontation inutile aurait atteint son terme.

En outre, les généraux israéliens à la retraite compliqueraient la tâche du gouvernement en ce qui concerne l’explication de la situation. Ils ne manqueraient pas de faire la une des journaux pendant les combats, laissant entendre que la crise militaire aurait été provoqué par Netanyahou pour résoudre ses problèmes intérieurs.

Moshe Ya’alon, ancien ministre de la Défense de Netanyahou et ancien chef de l’armée, a déclaré à des manifestants à Tel-Aviv le week-end dernier : « J’ai servi dans l’armée pendant des décennies et je n’ai jamais vu un comportement aussi irresponsable que celui de l’accusé Netanyahou aujourd’hui. »

En cas d’hostilités, le blâme retomberait directement sur les épaules de Netanyahou. Il est déjà accusé d’affaiblir la position d’Israël aux yeux de ses voisins en raison des divisions internes qu’il a attisées avec ses projets de réforme judiciaire. Ya’alon a insisté sur ce point. Il a déclaré à propos de Netanyahou : « Son obsession à vouloir renverser la démocratie israélienne représente une menace immédiate pour la sécurité d’Israël. […] Nos ennemis nous observent et notre force de dissuasion s’affaiblit. »

Les dirigeants arabes ont publiquement avancé le même argument. Cette semaine, Saleh al-Arouri, chef adjoint de la branche politique du Hamas, a fait observer qu’Israël traversait une « crise sans précédent » et était confronté à une «désintégration interne ». Arouri, qui faisait partie d’une délégation du Hamas ayant rencontré le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, pour discuter des récents échanges de tirs, a ajouté : « L’axe de la résistance prend de l’ampleur, et la situation dans la région joue en sa faveur. »

Netanyahou pourrait raisonnablement s’attendre à ce que les retombées d’une confrontation militaire de son cru soient bien pires que celles auxquelles Olmert a dû faire face après son désastreux face-à-face de 34 jours avec le Hezbollah en 2006.

Un zèle belliciste

Si on peut s’attendre à ce que Netanyahou ait du mal à convaincre les Israéliens de faire preuve de leur ardeur habituelle pour la guerre, il devra également faire face à une région qui est inhabituellement soudée – dans son opposition contre lui.

Netanyahou aime se vanter d’avoir réussi à faire signer les accords d’Abraham de 2020, une déclaration officielle de normalisation entre Israël et les États du Golfe tels les Émirats arabes unis et le Bahreïn. Son ultime espoir était de faire d’Israël un membre honoraire du groupe « sunnite », en incitant l’Arabie saoudite à signer également les accords et à intensifier ainsi la coordination régionale contre l’Iran.

Mais ces derniers jours, l’Arabie saoudite, moteur du monde arabe sunnite, s’est, de façon inattendue, montrée disposée à faire des ouvertures de paix en direction de ses rivaux historiques dirigés par les chiites, en particulier l’Iran et la Syrie, les principaux adversaires d’Israël dans la région.

Riyad est à la tête d’une initiative visant à réintégrer la Syrie au sein de la Ligue arabe et a signé, malgré l’opposition des États-Unis, un accord enterrant la hache de guerre avec l’Iran. Une déclaration commune, publiée à Pékin, indique que les deux pays agiront de concert au profit de la sécurité dans la région.

Le resserrement des liens entre Riyad et Téhéran pourrait encore réduire la marge de manœuvre de l’armée israélienne au Liban, là où l’Iran est présent et a aidé le Hezbollah à renforcer sa puissance militaire pour dissuader une attaque israélienne. Cela pourrait également compliquer l’approche d’Israël concernant la bande de Gaza, qui bénéficie également de l’aide de l’Iran pour le Hamas.

Et comme, concernant l’emploi de ses forces, le protecteur américain d’Israël donne la priorité à « l’affaiblissement » de la Russie en Ukraine et à la lutte contre la Chine, Israël a de bonnes raisons de se sentir plus isolé que jamais dans la région.

Selon toute évaluation rationnelle, il est peu probable qu’Israël provoque une guerre. Mais il se peut que ce ne soit pas le bon sens qui serve de guide, surtout lorsque Netanyahou s’acoquine avec des extrémistes religieux militants comme son ministre de la police, Itamar Ben-Gvir, et le ministre des Finances (et de l’occupation illégale), Bezalel Smotrich.

Ces deux pyromanes veulent une conflagration avec les Palestiniens afin de galvaniser l’opinion publique israélienne en faveur de l’annexion des territoires occupés. Ils ont les moyens et les mobiles pour continuer à enflammer la scène palestinienne, courant ainsi le risque permanent que toute confrontation s’étende à d’autres fronts en attisant les tensions à Al-Aqsa.

Il se pourrait alors que Netanyahou en tire la conclusion qu’il a plus à perdre qu’à gagner en déclenchant une guerre. Mais il pourrait bien s’y retrouver de toute façon.

Source : Middle East Eye, Jonathan Cook, 14-04-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crise

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Commentaire recommandé

Tzevtkoff // 16.05.2023 à 10h11

Il n’y pas que Bibi qui va déclarer la guerre. L’Angleterre aussi est capable de le faire au vu de sa crise économique. Sinon j’attends des sanctions économiques, le boycott des sportifs Israéliens, des « experts » qui tournent en boucle sur les toutes les chaînes de (dés) informations occidentales, de l’aide à la Palestine en argent et en armes ect ect ect. Je crois que nos chères Zélites ont du mal à comprendre à quel point ils n’ont plus de crédit ou ils le savent et commencent à réfléchir à une solution « finale ». Qu’ils sont dans une bulle qui commence à se rétrécir et que malheureusement à la fin, il se pourrait qu’il n’y a pas que Bibi ni L’Angleterre qui vont déclencher la guerre. La guerre c’est peut être aussi une façon de calmer une population qui commence à bouillir un peu trop et qui devient un danger pour leurs privilèges. J’espère me tromper mais je pense qu’ils finiront par rentrer en guerre mais pas pour sauver les gentils Ukrainiens des méchants Russes.

4 réactions et commentaires

  • Photomen // 16.05.2023 à 09h12

    Quoi ! Israël occupe les territoires d’un voisin ? Netanyahu serait-il devenu fou. Ne voit-il pas que l’opinion internationale ne tolère pas ce viol. Il est a craindre que les alliés occidentaux lui infligent le même sort que celui qu’ils ont réservé, à juste titre, à la Russie pour protéger l’Ukraine agressée.

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    • John V. Doe // 16.05.2023 à 14h04

      Ne rêvons pas : depuis 1945, l’occupation et l’annexion de territoires ne sont pas des crimes si elles sont réalisées dans l’intérêt direct ou indirect des USA. Tant qu’il reste dans le cycle de corruption habituel, Israël n’a rien à craindre d’aucun occidental.

        +6

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  • Tzevtkoff // 16.05.2023 à 10h11

    Il n’y pas que Bibi qui va déclarer la guerre. L’Angleterre aussi est capable de le faire au vu de sa crise économique. Sinon j’attends des sanctions économiques, le boycott des sportifs Israéliens, des « experts » qui tournent en boucle sur les toutes les chaînes de (dés) informations occidentales, de l’aide à la Palestine en argent et en armes ect ect ect. Je crois que nos chères Zélites ont du mal à comprendre à quel point ils n’ont plus de crédit ou ils le savent et commencent à réfléchir à une solution « finale ». Qu’ils sont dans une bulle qui commence à se rétrécir et que malheureusement à la fin, il se pourrait qu’il n’y a pas que Bibi ni L’Angleterre qui vont déclencher la guerre. La guerre c’est peut être aussi une façon de calmer une population qui commence à bouillir un peu trop et qui devient un danger pour leurs privilèges. J’espère me tromper mais je pense qu’ils finiront par rentrer en guerre mais pas pour sauver les gentils Ukrainiens des méchants Russes.

      +21

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  • jammrek // 16.05.2023 à 10h38

    « les efforts de Netanyahou pour transformer Israël en une dictature théocratique. »
    Cette phrase est fautive car Israël est depuis le premier jour une dictature théocratique pour les non juifs. Il aurait fallu écrire que le but de Netanyahou est d’étendre la dictature théocratique aux juifs.

      +19

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