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1.mai.20231.5.2023 // Les Crises

Les dérives politiques de Netanyahou sont inquiétantes mais les violations du droit international par Israël le sont plus encore

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Lorsque Netanyahou a proposé une réforme permettant au Parlement de contourner la Cour suprême israélienne, les libéraux ont craint la fin de l’État de droit en Israël. Mais Israël n’a jamais respecté l’état de droit, et les libéraux du pays s’en sont assurés.

Source : Jacobin Mag, Jacob Batinga
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Un soldat israélien en train de viser pendant que d’autres font du shopping dans la vile de Hawara, au sud de Naplouse, en Cisjordanie. 25 mars 2023. (Nasser Ishtayeh / SOPA Images / LightRocket via Getty Images)

La tentative du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, de réduire profondément le pouvoir de la cour suprême israélienne, rendue possible par le soutien des partis d’extrême droite Likoud et Otzma Yehudit, a déclenché une des plus importantes vagues de protestation dans l’histoire du pays. Plusieurs centaines de milliers d’Israéliens continuent de manifester contre cette proposition de loi, qui permettrait à la Knesset de contourner les décisions de la cour suprême avec un vote à la majorité et de saper l’indépendance de la justice du pays.

Aux Etats-Unis la tentative d’affaiblir la cour a suscité de vives critiques aussi bien des détracteurs que des soutiens d’Israël. Dans une lettre au président Biden, plus de 90 Démocrates ont déclaré être « profondément inquiets » de la tentative de réforme judiciaire tentée par Netanyahu et l’éditorialiste du New York Times, Thomas Friedman, a déclaré : « Netanyahou est en train de diviser la société israélienne. » La critique d’Israël n’est pas un fait nouveau au sein de la gauche américaine qui considère depuis longtemps que Netanyahou est un paria.

Derrière les craintes de la fin de l’Israël libéral se cache l’accord général, dans ce qui est comiquement appelé la démocratie la plus réussie du Moyen-Orient, sur la nécessité de violer systématiquement les droits humains des Palestiniens. Les violations du droit international par Israël – notamment l’occupation, soutenue et subventionnée par les États-Unis, de la Cisjordanie, du plateau du Golan et de la bande de Gaza, ainsi que les attaques régulières contre les nations voisines – sont des points sur lesquels les partis de l’ensemble du spectre politique sont d’accord.

Ehud Olmert et Tzipi Livni, qui ont présidé « le gouvernement le plus à gauche », selon Avigdor Lieberman, ont durci le blocus de Gaza, étendu les colonies en Cisjordanie et lancé l’assaut le plus mortel de l’histoire d’Israël.

Les libéraux, qui s’inquiètent que l’extrême droite israélienne mette un terme à l’Etat de droit, ont souvent été incapables de voir des analogies entre la politique intérieure et étrangère du pays. Le taux d’expansion des colonies en Cisjordanie démontre le large consensus entre les politiciens israéliens pour lesquels Israël n’a pas besoin de se plier au droit international. Alors qu’il est évident qu’on viole le 4e amendement de la Convention de Genève en déplaçant des populations civiles dans des territoires occupés, Israël a constamment augmenté le nombre de colons en Cisjordanie durant les quatre dernières décennies, que le gouvernement en place soit considéré de droite, de gauche ou centriste.

Cela reste vrai aujourd’hui, même parmi les politiciens les plus clairement anti-Netanyahou. Comme Peter Beinart l’a récemment remarqué dans le New York Times, l’ancien Premier ministre Yair Lapid – l’opposant politique le plus en vue de Netanyahou – est profondément critique des essais du gouvernement actuel pour entamer le pouvoir judiciaire. Lapid est jugé comme un politicien « centriste », et considéré par l’Atlantic comme « l’homme qui pourrait mettre fin à l’ère Netanyahou ». Pourtant, en tant que Premier ministre, non seulement Lapid a coordonné une vaste attaque de Gaza, mais il s’est aussi engagé à annexer de larges parcelles de colonies en Cisjordanie, y compris Jérusalem comme faisant partie de la capitale indivisible d’Israël, et se réservant le droit d’envahir « à volonté » les vestiges d’un futur Etat palestinien.

Beinart a également remarqué que Benny Gantz, un autre « personnage majeur du mouvement anti-Netanyahou », a lui-même supervisé la désignation de « six organisations humanitaires palestiniennes comme groupes terroristes », lorsqu’il était ministre de la Défense. Gantz a d’ailleurs récemment soutenu la proposition d’annexion de larges zones de la Cisjordanie et, en 2014, il a dirigé l’assaut sur Gaza qui a tué plus de 2200 Palestiniens, y compris 500 enfants. Il s’est par la suite vanté que cette opération avait relégué des zones de Gaza à « l’âge de pierre. »

Le soutien politique aux violations du droit international s’étend même aux ultra libéraux (sans compter les partis arabes de la Knesset tels que le Ra’am, soutenu par les Palestiniens, qui a siégé sans résultat dans l’éphémère gouvernement entre juin 2021 et décembre 2022). L’ancien Premier ministre Ehud Olmert et l’ancienne ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni, qui ont présidé « le gouvernement le plus à gauche » selon Avigdor Lieberman, ont renforcé le blocus de Gaza, étendu les colonies en Cisjordanie et lancé l’un des assauts les plus meurtriers contre Gaza de l’histoire d’Israël.

Les violations du droit international par Israël sont directement aidées et subventionnées par le gouvernement américain. Les États-Unis versent chaque année à Israël 3,3 milliards de dollars en financement militaire étranger, soit plus que pour tous les autres états réunis. Cette aide militaire finance les importations d’armes israéliennes en provenance des États-Unis et subventionne de manière significative la production nationale d’armes d’Israël. L’aide militaire américaine représente environ 16 % de l’ensemble du budget de défense d’Israël.

Résultat : l’aide militaire américaine sert directement à financer Israël. L’aide militaire américaine sert directement à financer les attaques régulières d’Israël contre ses voisins, ainsi que son occupation des territoires palestiniens, qui a été condamnée comme une violation éhontée du droit international par la Cour internationale de justice, le Conseil de sécurité des Nations unies et des dizaines de résolutions de l’Assemblée générale. Selon Human Rights Watch, les activités israéliennes soutenues par les États-Unis dans les territoires palestiniens occupés constituent des « crimes contre l’humanité qui comptent parmi les crimes les plus odieux du droit international. »

Le soutien américain aux violations du droit international par Israël ne se limite pas à l’aide militaire. Malgré la récente recrudescence de la violence des colons en Cisjordanie et l’expansion prévue des colonies israéliennes, l’administration Biden a fait pression sur l’Autorité palestinienne pour qu’elle retire une résolution du Conseil de sécurité appelant Israël à geler l’expansion des colonies. En 2019, l’administration Trump a déclaré que les États-Unis reconnaissaient la souveraineté israélienne sur le plateau syrien du Golan, en violation flagrante des résolutions du Conseil de sécurité. Le secrétaire général des Nations unies, l’Union européenne, la Ligue arabe et de multiples résolutions de l’Assemblée générale ont condamné cette démarche comme une violation du droit international. Mais plutôt que de revenir sur la reconnaissance par l’ère Trump du Golan comme territoire israélien, l’administration Biden l’a confirmée.

C’est sur le soutien et le financement par les États-Unis des violations du droit international par Israël que la gauche américaine devrait concentrer son attention et son plaidoyer. Il est vrai que Netanyahou et le virage général à droite de la politique israélienne sont préoccupants, et que le cabinet de Netanyahou est truffé de nationalistes et de bigots d’ultra-droite. Cependant, pour de nombreux libéraux éminents du Congrès, la condamnation de Netanyahou est présentée comme un éloge de son opposition, même si leurs positions sur le droit international sont remarquablement similaires.

La gauche ne doit pas tomber dans ce piège. Se concentrer sur le radicalisme de droite de Netanyahou ne doit pas faire oublier que ses opposants libéraux sont également responsables du renforcement de l’occupation de la Palestine, de l’expansion des colonies et de la violation systématique du droit international. La politique intérieure d’Israël, aussi préoccupante soit-elle, ne doit pas détourner l’attention de la gauche sur la nécessité de se concentrer sur le financement américain des crimes soutenus par l’ensemble de la classe politique israélienne.

Contributeur :

Jacob Batinga est écrivain, militant des droits humains et doctorant à la faculté de droit de l’université de Berkeley, Californie. Il se consacre aux questions liées à la coercition économique, au commerce des armes et au droit international.

Source : Jacobin Mag, Jacob Batinga, 26-03-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Dominique65 // 01.05.2023 à 09h20

« l’administration Trump a déclaré que les États-Unis reconnaissaient la souveraineté israélienne sur le plateau syrien du Golan, en violation flagrante des résolutions du Conseil de sécurité »
Aussitôt une vollée de sanctions internationales s’est abattue sur les USA et Israel. On leur a interdit tout commerce, on les a sorti du réseau Swift. on a détruit leur économie et on en a fait des parias.

5 réactions et commentaires

  • Dominique65 // 01.05.2023 à 09h20

    « l’administration Trump a déclaré que les États-Unis reconnaissaient la souveraineté israélienne sur le plateau syrien du Golan, en violation flagrante des résolutions du Conseil de sécurité »
    Aussitôt une vollée de sanctions internationales s’est abattue sur les USA et Israel. On leur a interdit tout commerce, on les a sorti du réseau Swift. on a détruit leur économie et on en a fait des parias.

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  • Lt Briggs // 01.05.2023 à 10h38

    L’équation est relativement simple quand on regarde à bonne distance. Depuis 1967 et la guerre des six jours, Israël occupe une terre habitée par une autre population, à savoir la Cisjordanie et Gaza, d’où une légitime résistance de ses habitants. La conséquence de l’occupation fut un développement sans fin d’un appareil sécuritaire global : quadrillage des territoires, inflation de services d’espionnage et de contre-espionnage qui se complètent et se concurrencent, armement de la population civile, immunité sinon dans le droit du moins dans les faits pour les soldats et policiers, ce qui permet à ces derniers de déclencher des « actions » dans les zones urbaines sans se soucier des victimes collatérales, etc. Aujourd’hui, c’est la fin d’une fiction. Les « radicaux » veulent poursuivre cette politique mais cette fois au grand jour, tandis que les « modérés » restent très attachés aux slogans qu’ils ont forgés : Israël seule démocratie de la région, Tsahal armée la plus humaine qui soit, etc. C’est un débat intense sur la forme, mais celui sur le fond n’a pas commencé. Quelles frontières pour Israël, quelle place et quel statut pour les Palestiniens ?

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    • Lev // 01.05.2023 à 15h17

      Tout à fait d’accord avec vous mais cela date de 1948, dès la création de l’Etat d’Israel sous l’égide de l’ONU. À partir de 1967, la situation s’est clarifiée et amplifiée.

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      • Lt Briggs // 01.05.2023 à 16h24

        « mais cela date de 1948, dès la création de l’Etat d’Israel sous l’égide de l’ONU »

        La guerre de 1948-49 est un épisode important mais j’évoquais pour ma part l’occupation qui est le sujet de l’article de Jacobin Mag. L’occupation proprement dite d’un peuple par un autre commence en 1967. Avant cette date, la bande de Gaza est administrée par l’Égypte et la Cisjordanie par la Jordanie. Ce n’est qu’en 1967 qu’Israël conquiert, annexe et occupe ces territoires. Conséquence, Yasser Arafat réclamait le retour aux frontières de 1967 et non à celles de 1948, puisqu’à cette date il n’y avait pas de Palestiniens mais des ressortissants égyptiens ou jordaniens.

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  • Selim // 01.05.2023 à 11h07

    Israël est entouré des pays qui cherchent à la faire disparaitre. Ils sont entrain de se préparer pour se venger. Et elle ne veut pas entendre parler de la paix. On verra avec le temps.

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