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7.avril.20237.4.2023 // Les Crises

La politique iranienne de Joe Biden n’a aucun sens

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Déclarer que les négociations nucléaires ne reprendront pas tant que Téhéran aidera la Russie en Ukraine, c’est plus que de l’autodéfense, c’est de l’inconscience.

Source : Responsible Statecraft, Daniel Larison
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le président américain Joe Biden s’exprime lors de sa rencontre avec le président israélien Isaac Herzog, à Jérusalem, le 14 juillet 2022. REUTERS/Evelyn Hockstein

S’exprimant lors d’un événement en Israël la semaine dernière, l’ambassadeur américain en Israël, Tom Nides, a de nouveau fait parler de lui en semblant exclure toute négociation avec l’Iran tant que son gouvernement poursuivrait la répression contre les manifestants et continuerait à fournir une assistance militaire à la Russie.

Comme l’a rapporté Henry Rome, membre du Washington Institute for Near East Policy, Nides a déclaré : « Ne vous y trompez pas, nous aimerions une résolution diplomatique. Mais tant que les Iraniens feront ce qu’ils font – non seulement pour leur peuple en Iran, mais aussi pour produire de la technologie de drones et l’envoyer à la Russie pour qu’elle attaque à l’Ukraine – nous ne pourrons pas avoir de négociations durant ces périodes. »

Si les commentaires de l’ambassadeur reflètent la position de l’administration, ce qui est vraisemblablement le cas, cela signifie que les États-Unis ont absolument renoncé à négocier avec l’Iran dans un avenir prévisible. En liant les négociations à d’autres questions qui n’ont rien à voir avec le programme nucléaire, les États-Unis établissent une norme pratiquement impossible à respecter pour la reprise des négociations. Il y aura toujours des comportements d’autres États que notre gouvernement jugera inacceptables. S’il faut pour cela refuser de négocier sur d’autres questions, il n’y aura aucune chance réelle de progresser diplomatiquement sur quoi que ce soit.

Aussi justifiées que puissent être les objections de Washington au comportement du gouvernement iranien dans d’autres domaines, il est absurde de subordonner les négociations nucléaires à ce comportement. Si l’administration Obama avait appliqué la même norme, il n’y aurait pas eu d’accord nucléaire.

En effet, l’un des principaux objectifs des saboteurs de l’accord nucléaire au cours des huit dernières années a été de lier la question nucléaire à des questions sans rapport afin de faire échouer l’accord. Plus il y a de questions liées entre elles, plus il est probable que l’une d’entre elles faisse échouer le processus. C’est pourquoi les négociations nucléaires initiales qui ont abouti au plan d’action global conjoint (JCPOA) étaient si étroitement axées sur la question nucléaire et rien d’autre, car les autres questions seraient devenues des prétextes pour quitter les pourparlers.

Il y a toujours des partisans de la ligne dure d’un coté ou de l’autre, désireux de trouver des raisons d’abandonner la diplomatie, et la position exposée par l’ambassadeur est un cadeau pour les partisans de la ligne dure en Iran. Si les partisans de la ligne dure iranienne ne veulent pas que les négociations se poursuivent, tout ce qu’ils ont à faire, c’est de se déchaîner d’une autre manière que Washington pourra utiliser comme excuse pour ne pas discuter. Ce qui est étrange, c’est que l’administration Biden a passé la majeure partie des deux dernières années à insister sur le fait qu’aucune question « étrangère » ne devait être introduite dans les pourparlers. Elle a rejeté à plusieurs reprises les demandes iraniennes qu’elle jugeait sans rapport avec la question nucléaire. Maintenant que les pourparlers sont pratiquement caduques, il semble que l’administration soit heureuse d’évoquer des questions étrangères comme excuse pour renoncer à la poursuite des négociations.

Les questions importantes devront souvent être séparées du reste de la relation si deux gouvernements qui se méfient l’un de l’autre veulent trouver un compromis qui satisfasse les deux parties. Certaines relations interétatiques sont tellement toxiques que progresser sur un seul point est une tâche herculéenne. Si cette question n’est pas isolée du reste de la relation, toute discussion raisonnable sera écrasée par l’hostilité pure et simple entre les deux gouvernements. La percée que les États-Unis et l’Iran ont réalisée sur la question nucléaire entre 2013 et 2015 s’explique en partie par le fait que les deux gouvernements ont choisi de ne pas se laisser piéger par des décennies d’animosité et ont refusé de laisser d’autres désaccords majeurs influencer leur flexibilité sur cette question.

Nous voyons actuellement, avec la Russie et le contrôle des armements, ce qui peut se produire lorsque l’une des parties d’un traité, en l’occurrence la Russie, choisit de lier la destinée d’un accord fructueux à un agenda distinct. La survie de New START est très importante pour les États-Unis et la Russie, mais la Russie est manifestement prête à risquer son échec pour tenter d’obtenir ce qu’elle veut sur d’autres questions. Les États-Unis jouent un jeu dangereux similaire avec le sort du JCPOA en paraissant lier les négociations à d’autres questions.

Les commentaires de Nides sur les négociations sont survenus quelques instants seulement après qu’il ait une fois de plus rassuré le public israélien sur le fait que les États-Unis ne « lieraient pas les mains d’Israël » en ce qui concerne l’Iran et qu’ils « soutiendraient Israël ». L’ambassadeur a réitéré son soutien pratiquement inconditionnel à toute action décidée par le gouvernement israélien, avant de déclarer dans la foulée que les négociations avec l’Iran étaient enterrées et de fixer des conditions irréalistes pour leur reprise.

Il était déjà inquiétant de constater que les États-Unis semblaient donner le feu vert à une éventuelle action militaire israélienne lorsque l’ambassadeur a tenu des propos similaires le mois dernier. Comme l’écrivait alors Trita Parsi, de l’Institut Quincy : « Il semble pourtant que ce soit la direction prise par l’équipe Biden – peut-être par inadvertance – en cédant à la position de longue date d’Israël de traiter le programme nucléaire iranien par la voie militaire plutôt que par la voie diplomatique. » L’administration n’a rien dit dans les semaines qui ont suivi pour contredire cette interprétation de ce qu’elle fait.

Maintenant que Nides a réaffirmé publiquement sa position, il semble clair que l’administration ne fait pratiquement rien pour décourager le gouvernement israélien d’entreprendre une action militaire. L’administration ne fait rien non plus pour relancer les négociations alors qu’une diplomatie renouvelée est la seule qui ait une chance de résoudre le problème nucléaire. Si l’ambassadeur est en free-lance et que ses propos ne sont pas représentatifs de la position de l’administration, la Maison Blanche et le Département d’Etat devraient le faire savoir dès maintenant.

Le souci de l’administration Biden de « rassurer » ses clients du Moyen-Orient a été l’un des aspects les plus visibles et les moins bien accueillis de son approche de « retour aux fondamentaux » dans la région. Dans le cas présent, rassurer constamment le gouvernement israélien sur le fait que les États-Unis le soutiennent jusqu’au bout a été excessif et a encouragé le type de « conduite inconsciente» de la part des clients qui a créé tant de problèmes pour les États-Unis dans le passé. Il serait plus prudent et plus responsable de signaler au gouvernement israélien, tant en privé qu’en public, que Washington ne soutient pas le recours à la force dans cette affaire. Signaler que les négociations sont enterrées est exactement ce qu’il ne faut pas faire.

Si Washington ne parvient pas à trouver un équilibre entre un engagement diplomatique constructif sur des questions spécifiques et les critiques et l’opposition sur d’autres, cela augure mal de la capacité de notre gouvernement à gérer les relations avec de multiples États adversaires dans les années à venir. L’administration Biden soutient que la concurrence avec la Chine dans certains domaines n’exclut pas la coopération dans d’autres, mais dans la pratique, la première tend à évincer la seconde. Si les États-Unis ne sont pas capables d’être multitâches dans leurs relations avec l’Iran, quelles sont leurs chances d’y parvenir avec la Chine ?

L’administration Biden affirme vouloir une résolution diplomatique de la question nucléaire, mais le problème récurrent de ces deux dernières années est qu’elle s’est montrée réticente à prendre le moindre risque politique pour obtenir la résolution qu’elle prétend vouloir. Si les États-Unis veulent réussir à défendre leurs intérêts dans les décennies à venir, ils devront réapprendre à mener une diplomatie complexe avec des gouvernements hostiles.

À en juger par la manière dont les États-Unis ont géré les négociations avec l’Iran au cours des deux dernières années, ils ont encore un long chemin à parcourir.

Source : Responsible Statecraft, Daniel Larison, 07-03-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Samuel // 07.04.2023 à 16h23

Bruno Bertez l explique tres bien dans son blog : Le dollar…..
Les banques européennes ont prêté des dollars qu elles n avaient pas ….les pays européens et la Suisse sont pieds et poings liés à la FED…..Comme la Suisse, manque plus que la France abandonne le Rafale pour acheter des F-35…..car tout est liés : la FED et le complexe militaro industriel…..La Finlande a aussi choisi le F-35…l Allemagne, qui fait parti du consortium Eurofighter a acheté 35 f-35 pour des missions d´attaque au sols , alors que le Rafale est un expert en la matiere…les pays européens n´existent plus…ceux sont des protectorats comme le Maroc avec la France avsnt 1956…

11 réactions et commentaires

  • J // 07.04.2023 à 08h15

    L’article semble considérer comme accessoire, secondaire, la question d’une éventuelle accession de l’Iran à l’arme nucléaire. Cette accession nous rapprocherait encore plus du moment où elle servira réellement, où une ville entière explosera sans qu’on sache forcément d’où ça vient (pas besoin de missile soit dit en passant).

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    • Linder // 08.04.2023 à 08h06

      A quoi servent les armes nucléaires ? Non pas à détruire le territoire adversaire mais à sanctuariser le sien.
      Est-ce que cela marche ? Oui. Nous le savons par les plans de guerres soviétiques du temps de la guerre froide, qui ont été déclassifiés: dans ces plans, il était prévu de pouvoir détruire des troupes françaises se trouvant sur le sol allemand mais il était formellement exclu de détruire des troupes françaises se trouvant sur le sol français.
      Pourquoi la Corée du Nord a-t-elle l’arme nucléaire ? Pour vitrifier New York ? Non. Mais pour que le coût à payer par les Etats-Unis d’une agression contre la Corée du Nord soit exorbitant et donc dissuasif.
      L’Iran est-il un pays menacé ? Oui. Il veut donc rendre le coût d’une agression dont il serait victime exorbitant pour ses agresseurs.

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  • John V. Doe // 07.04.2023 à 09h23

    Contrairement au titre de l’article, il est légitime de croire que si la politique des USA est insensée ou plutôt folle, elle a un sens bien précis : celui de l’enrichissement du complexe militaro-industriel. Ce dernier est un des clients ou plutôt un des sponsors du parti Démocrate en général et de Biden en particulier. Ce politicien a toujours voté en faveur des guerres, toutes les guerres, depuis une quarantaine d’années qu’il sévit dans la politique US.

    Ce que je trouve étonnant, c’est que des commentateurs expérimentés soient étonnés ou n’y voient pas un sens pourtant évident qui est probablement la raison pour que Les Crises ait choisi de publier cet article. N’est-ce pas Olivier ?

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    • Commentateur curieux // 07.04.2023 à 10h23

      Le compexe militaro-industriel est un sponsor massif des deux partis (d’où les largesses qui leur sont accordées en termes de commandes). Les républicains sont des anti-iraniens acharnés, on l’a vu avec Trump et son entourage. Leur politique ne serait pas différente d’un iota.

      Ce sont les républicains qui ont pourri toute détente avec l’Iran en 2018.

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    • JEAN DUCHENE // 07.04.2023 à 12h00

      L’enrichissement du complexe militaro-industriel est certes une motivation réelle et puissante, mais ce n’est pas la raison fondamentale de l’administration américaine (républicaine ou démocrate). Le gouvernement américain ne défend pas seulement les intérêts du lobby militaire mais ceux de l’ensemble de la classe capitaliste américaine. La question principale est celle d’une stratégie géo-politique en vue d’une préparation à la guerre contre la Chine, en vue d’un nouveau partage du monde. Les Etats Unis s’en prennent à l’Iran parce qu’elle fournit une aide à la Russie. C’est suffisant.

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  • Lt Briggs // 07.04.2023 à 09h27

    Joe Biden ou la politique des postures. Ce héraut du camp du Bien qui a décidé ostensiblement d’ostraciser le saoudien Mohammed Ben Salmane, de faire plier l’Iran des mollahs ou encore la Russie de Poutine, est en train d’échouer complètement. Il ne s’est jamais donné les moyens d’atteindre ces objectifs autrement qu’en fournissant toujours plus d’armes aux pays « amis », trahissant ainsi ses véritables desseins, c’est-à-dire conserver la mainmise américaine dans ces régions. C’est l’échec. En plus d’une baisse de l’influence américaine comme on peut le constater, je ne vois pas beaucoup l’autoritarisme reculer dans ces régions… En Israël c’est même le contraire. La diplomatie chinoise, en faisant baisser la tension entre l’Iran et l’Arabie saoudite, a rehaussé son image de pays porteur de paix. Ce que les Etats-Unis ont de plus en plus de mal à faire.

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  • max // 07.04.2023 à 10h25

    Perso, même si je n’apprécie pas le régime Iranien mais un accord sur le nucléaire engage l’Iran a ne pas avoir l’arme atomique alors que Israël en a des centaines.
    De plus depuis le conflit en Ukraine, la Russie est redevable à l’Iran et a/aura de plus en plus de difficulté a continuer a bloquer son programme d’enrichissement et même de faire la bombe.
    Depuis les accords de Minsk, on sait que ces discussions interminables ne sont qu’un jeu de poker menteur pour les occidentaux auquel les interlocuteurs de ces mêmes occidentaux n’attachent plus vraiment de valeur.

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    • Dominique65 // 11.04.2023 à 12h21

      « Depuis les accords de Minsk, on sait que ces discussions interminables ne sont qu’un jeu de poker »
      Plus précisément depuis que ceux du camp occidental qui les ont signés ont fait savoir que ce n’était qu’un subterfuge pour militariser l’Ukraine.

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  • Savonarole // 07.04.2023 à 12h07

    Au final, l’Iran fait ses trucs dans son coin en en ayant plus rien à cirer de la position des yankees et associés , la question Nucleaire va se résoudre par la methode DPKR et la Chine va ramasser le business dans la région.
    Encore une réussite totale de la diplomatie US. :/

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  • Koui // 07.04.2023 à 14h19

    Les élites américaines sont de plus en plus autistes. Ils discutent entre eux et avec les dirigeants étrangers de leur bande. Il n’y a pas de compromis possibles avec ceux qui ne partagent pas leurs croyances. Chercher un accord avec le « Mal » est vu sous la métaphore des accords de Munich. Or le modèle pour l’Occident, c’est Churchill (celui qui affamait les indiens https://www.monde-diplomatique.fr/2015/11/DESQUESNES/54219 et qui refusait tout compromis avec les nazis).

    Macron ose dire quelques vérités de temps en temps, mais comme tous les politiciens de sa génération, il fini par se rallier à la pensée de groupe de l’UE et de L’OTAN. On dirait qu’il est sous leur emprise mais que de temps en temps, il oublie de prendre son médicament.

    Très peu de pays approuvent l’invasion de l’Ukraine mais beaucoup refusent de boycotter la Russie. Ils ont sans doute plus peur d’un Monde dominé par des USA impériaux et autistes, que du danger russe, chinois, nordcoreen ou iranien.

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    • Samuel // 07.04.2023 à 16h23

      Bruno Bertez l explique tres bien dans son blog : Le dollar…..
      Les banques européennes ont prêté des dollars qu elles n avaient pas ….les pays européens et la Suisse sont pieds et poings liés à la FED…..Comme la Suisse, manque plus que la France abandonne le Rafale pour acheter des F-35…..car tout est liés : la FED et le complexe militaro industriel…..La Finlande a aussi choisi le F-35…l Allemagne, qui fait parti du consortium Eurofighter a acheté 35 f-35 pour des missions d´attaque au sols , alors que le Rafale est un expert en la matiere…les pays européens n´existent plus…ceux sont des protectorats comme le Maroc avec la France avsnt 1956…

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