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21.mars.202321.3.2023 // Les Crises

Guerre en Irak : David Kay, 1er responsable US avoir admis les mensonges du gouvernement

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Le 28 janvier 2004, David Kay s’est assis seul à une table bien cirée dans une salle d’audition de la commission des forces armées du Sénat et a admis publiquement ce qu’aucun responsable américain n’avait dit auparavant, à savoir que l’Amérique était entrée en guerre en Irak sur la base de renseignements manifestement faux.

Source : Washington Post, Bob Drogin
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

David Kay témoigne devant la Commission des forces armées du Sénat au Capitole en janvier 2004. (Susan Biddle/The Washington Post)

Bob Drogin, ancien journaliste et rédacteur en chef spécialisé dans la sécurité nationale au Los Angeles Times, est l’auteur de « Curveball : Spies, Lies, and the Con Man Who Caused a War ».

« Laissez-moi commencer par dire que nous avions presque tous tort, a commencé Kay. Et je me compte tout à fait parmi ceux-ci… Avant la guerre, selon moi les meilleures preuves que j’avais vues étaient que l’Irak avait effectivement des armes de destruction massive. Il s’avère que nous avions tous tort, probablement, à mon sens. Et c’est très troublant ».

Ce Texan tranquille et sans prétention a ainsi directement mis à mal les affirmations du président George W. Bush selon lesquelles les vastes arsenaux d’armes chimiques, biologiques et peut-être nucléaires de Saddam Hussein constituaient une menace directe pour les États-Unis et leurs alliés, ce qui, bien entendu, avait été la principale justification de l’administration pour faire entrer la nation en guerre avec l’Irak en mars 2003.

J’étais dans la salle d’audition du Sénat ce jour-là et si Kay était soulagé, cela ne se voyait pas sur son visage. Mais c’était un aveu stupéfiant. Personne à la Maison Blanche, ni dans la communauté du renseignement américain, n’avait auparavant admis qu’il y avait eu des erreurs en Irak.

Le témoignage de Kay, basé sur son travail à la tête de l’Iraq Survey Group dirigé par la CIA, a fait de lui un paria dans le Washington officiel. La CIA et la Maison Blanche ne lui ont jamais pardonné cette sortie publique — ou peut-être simplement d’avoir eu raison alors qu’eux avaient tort. Il a appris à ses dépens que le fait de dire la vérité aux dirigeants, une supposée vertu américaine, est rarement récompensé.

Kay a tellement disparu des radars que les organismes de presse ont mis plus d’une semaine pour faire connaître son décès le 13 août, à l’âge de 82 ans, des suites d’un cancer.

Pour moi, l’universitaire effacé de la petite ville de Winona, au Texas, était un héros américain. Il méritait bien plus que l’ignominie qu’il a endurée pour avoir révélé la vérité. Il a perdu tout travail à Washington, et il m’a dit qu’à un moment donné, il prenait des photos de mariage pendant sa retraite forcée.

Les responsables directs de la tragédie des États-Unis en Irak s’en sont bien mieux sortis. George Tenet, qui a dirigé la CIA pendant les attentats du 11 septembre et la préparation de la guerre en Irak — les pires échecs en matière de renseignement de l’histoire de la CIA — a reçu la médaille présidentielle de la liberté. Paul Wolfowitz, ancien vice-secrétaire à la défense et faucon avoué en ce qui concerne l’Irak, a ensuite dirigé la Banque mondiale jusqu’à ce qu’il soit terrassé par un scandale. D’autres néoconservateurs qui ont encouragé la guerre sont simplement passés à autre chose.

J’ai rencontré Kay pour la première fois après la guerre du Golfe de 1991, alors qu’il dirigeait l’une des équipes des Nations unies chargées de rechercher des armes nucléaires, biologiques ou chimiques dans l’Irak d’après-guerre. Têtu, il a un jour refusé, malgré une confrontation de quatre jours avec les troupes irakiennes, de rapporter des preuves d’activités nucléaires illicites.

Après cela, il est devenu une « barbe grise » de Washington, un groupe de réflexion sur la prolifération des armes vers lequel la communauté du renseignement se tournait de temps en temps pour l’aider à comprendre ce que les ennemis des États-Unis préparaient.

Après que l’invasion de l’Irak en mars 2003 n’a pas permis de trouver des armes de destruction massive ou des programmes pour les produire, Bush a donné l’ordre à la CIA de reprendre la quête. Tenet nomme rapidement Kay — un collaborateur l’avait vu dans une interview à la télévision — à la tête du nouveau groupe d’enquête sur l’Irak, avec pour mission de trouver les armes de destruction massive manquantes.

Mais Kay était un politologue, pas un espion. Il n’avait jamais servi dans l’armée ou été formé à l’espionnage. Il n’aimait pas utiliser le nom de code que lui avait attribué la CIA, « Buford S. Vincent ». Et il a refusé la demande du Pentagone de porter un treillis militaire.

Au cours des mois suivants, Kay et son équipe de scientifiques, de soldats et d’espions à Bagdad ont enquêté quant aux allégations de prétendues armes non conventionnelles, pour constater que les « renseignements » étaient en fait fondés sur des suppositions et des déductions, et non sur des faits. Il a été consterné de réaliser que les États-Unis étaient entrés en guerre sur la base d’erreurs de jugement et de mensonges purs et simples.

Fin 2003, Kay est retourné à Washington pour confronter Tenet et d’autres à la dure vérité. Après le 11 septembre, disait-on, la CIA et d’autres agences de sécurité nationale n’avaient pas réussi à établir de liens. En Irak, m’a dit Kay, ils ont inventé les liens.

On l’a accueilli comme un hérétique, un paria. Lors de ses précédentes visites au siège de la CIA, il avait obtenu un bureau au 7e étage, au bout du couloir où était celui de Tenet. Maintenant, il est exilé dans une aile en construction, où son bureau sans fenêtre ne disposait ni d’ordinateur confidentiel ni de téléphone sécurisé. Le chef des traqueurs d’armes américains a entendu parler de réunions sur les armes de l’Irak après coup, voire pas du tout. Les gens l’évitaient dans les couloirs. « J’étais pestiféré, comme Typhoid Mary », m’a-t-il raconté. [Mary Mallon, également connue sous le surnom de Mary Typhoïde, fut la première personne aux États-Unis identifiée comme porteur sain de la fièvre typhoïde, NdT].

Un mois plus tars, il a démissionné. La CIA lui a proposé de rester au sein du personnel en tant que conseiller principal. Kay m’a dit qu’ils essayaient d’acheter son silence mais qu’il était plus important de révéler les faits. Après qu’il ait rendu son témoignage public, l’un des assistants de Tenet, avec amertume, m’a dit que Kay était un « traître » parce qu’il avait humilié la CIA.

Alors que la nation est aux prises avec les mensonges de l’ancien président Donald Trump concernant l’élection de 2020, il convient de saluer David Kay pour avoir dit une vérité qui dérangeait — quel qu’en soit le coût.

https://www.washingtonpost.com/opinions/2022/08/23/david-kay-iraq-truthteller-dies/

Source : Washington Post, Bob Drogin, 23-08-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Commentaire recommandé

Urko // 21.03.2023 à 09h13

La CIA est comme toutes les institutions : elle austracise ceux qui ne protègent pas ses intérêts immédiats et qu’importe qu’ils aient agi ainsi par souci éthique. Ne vous croyez pas différents : votre employeur, l’administration, l’école, les associations, les clubs sportifs, la famille, votre culte, votre syndicat… tous fonctionnent sur ce modèle. On a tôt fait de juger que le lanceur d’alerte tient d’abord d’une « balance ». Du reste, les révélations de M. Kay ont elles réfréné les ardeurs de la CIA et des néoconservateurs ? Pas sûr… La révélation du mensonge sur les armes de destruction massive, et les centaines de milliers de morts qu’il a causées, a toutefois permis d’ouvrir les yeux à de nombreuses personnes dans le monde quant aux calculs derrière tous les conflits que les états unis engagent à intervalles réguliers sur la planète. L’Empire du bien fait le Mal. Parfois sciemment. Et depuis 2003, à part quelques naïfs et ceux qui ne veulent pas le voir, plus personne ne l’ignore vraiment.

12 réactions et commentaires

  • Urko // 21.03.2023 à 09h13

    La CIA est comme toutes les institutions : elle austracise ceux qui ne protègent pas ses intérêts immédiats et qu’importe qu’ils aient agi ainsi par souci éthique. Ne vous croyez pas différents : votre employeur, l’administration, l’école, les associations, les clubs sportifs, la famille, votre culte, votre syndicat… tous fonctionnent sur ce modèle. On a tôt fait de juger que le lanceur d’alerte tient d’abord d’une « balance ». Du reste, les révélations de M. Kay ont elles réfréné les ardeurs de la CIA et des néoconservateurs ? Pas sûr… La révélation du mensonge sur les armes de destruction massive, et les centaines de milliers de morts qu’il a causées, a toutefois permis d’ouvrir les yeux à de nombreuses personnes dans le monde quant aux calculs derrière tous les conflits que les états unis engagent à intervalles réguliers sur la planète. L’Empire du bien fait le Mal. Parfois sciemment. Et depuis 2003, à part quelques naïfs et ceux qui ne veulent pas le voir, plus personne ne l’ignore vraiment.

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    • ouvrierpcf // 21.03.2023 à 13h56

      non la CIA n’est pas une institution C’est un appareil de contrôle de surveillance de renseignements La CIA n’est pas autonome elle est au service des intérêts de la suprématie américaine il n’y a aucune autre CIA dans le monde avec ces intérêts sauf sauf pour Israël Mais Israël est un des intérêts majeurs de la suprématie américaine Quand a comparer les syndicats a part les. Syndicats patronaux ou de commerce ou autonome de la justice française pour démystifier leur rôle c’est oui mélanger les cartes Ou non car comme aux cartes il n’y a qu’un atout pour et en atout on reste maître la CIA c’est le 21 c’est le Valet d atout ils sont imprenables les syndicats les cultes voire même l’administration sont au service du peuple ou les représentent agissent en leur nom mais restent tributaires des cotisants des fidèles des lois ou décrets d’application.

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      • Urko // 22.03.2023 à 07h27

        C’est bien entendu une institution. Une hiérarchie, un statut, des budgets, des objectifs, une institution quoi. Avec, comme toute institution, une tendance à adopter pour principal but sa propre survie, quitte à ce qu’il prime ses missions initiales

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      • Oulisse // 24.03.2023 à 08h10

        C’est un détail mais ve4ifie justement ce qu’est une institution. Bonne ou mauvaise, efficace ou non, une institution est une institution. Et la CIA est un très bonne exemple d.institution.

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  • Auguste Vannier // 21.03.2023 à 09h22

    « Alors que la nation est aux prises avec les mensonges de l’ancien président Donald Trump concernant l’élection de 2020, il convient de saluer David Kay pour avoir dit une vérité qui dérangeait — quel qu’en soit le coût. »
    Jusqu’au jour ou le WP sortira un article pour affirmer qu’en réalité D.Trump avait raison, que Biden et son administration se sont trompés sur l’Ukraine, etc…
    Le WP à de nombreux articles devant lui,, tant il ya de matière à « debunker » dans « L’empire du mensonge ».

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  • Savonarole // 21.03.2023 à 14h11

    Ce que ne dit pas l’article c’est qu’il y avait un autre inspecteur général au désarmement de l’Irak avant Kay et qu’il a été démissionné de son mandat Onusien PAR l’agence pour avoir refusé de mentir sur les mêmes faits (ce qui est encore plus dur pour un militaire) : le gouvernement de Saddam avait bien suivi les recommandations des nations unies et s’étaient très majoritairement débarassé de leurs capacités NBC… en dépit des dénégations des vendus du capitole. Kay etait « déjà » le deuxième.
    Pour le coup, la résultante de la bavure fut une guerre d’agression brutale et illégitime qui a résulté sur l’occupation totale d’un état souverain , un massacre de sa population à coups d’impunité pour les PMCs « joueurs » et de sanctions et le pillage en règle des ressources naturelles de ce pays. 0 plaintes instruites à la CPI… le fait que le siège de la CPI soit à 200 mètres de celui de l’OTAN n’y est pour rien qu’on nous a dit. Mais c’est comme pour les ADM ; nous non plus on est pas obligé de le croire :p.

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  • Rafio // 21.03.2023 à 17h02

    Il y a une expression dans ce texte qui m’a sauté au visage. J’ai pensé que ça devait être une mauvaise traduction, alors je suis allé regarder le texte original en anglais. Et c’est bien ça qui était écrit : « … the United States’ tragedy in Iraq… ». La tragédie des Etats-Unis en Irak. La tragédie déclenchée, provoquée par les Etats-Unis ? Non non. La tragédie des Etats-Unis. Tout est dit.

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  • Lt Briggs // 21.03.2023 à 17h28

    « l’universitaire effacé de la petite ville de Winona, au Texas, était un héros américain. »

    Héros, le mot est tout de même un peu fort. Courageux oui, dans le sens où il faut forcément du courage pour remettre en cause la ligne officielle de son propre pays. Mais il l’a fait a posteriori, comme précisé sur sa page wikipédia. Avant le conflit, il faisait partie des faucons et a activement participé à la justification de la guerre : « In September 2002, Kay told U.S. News & World Report that « Iraq stands in clear violation of international orders to rid itself of these weapons. » His credibility as a former U.N. weapons inspector convinced many observers ».
    D’autre part, même après s’être rendu compte qu’il n’y avait pas plus d’armes de destruction massive en Irak que de pâté en croûte, il a maintenu que la guerre était juste et devait être menée car Saddam Hussein était dangereux. Le bonhomme n’était pas un subversif né, mais c’était déjà beaucoup trop pour l’establishment.

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  • La Mola // 21.03.2023 à 21h38

    en attendant, mieux vaut avoir évolué dans ce sens que dans l’autre et en avoir subi les conséquences : on peut au moins lui reconnaître ça !
    quant à l’incroyable « consensus » actuel sur le Bien personnifié par l’OTAN…

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  • Auguste Vannier // 22.03.2023 à 15h02

    Les ADM de l’Irak c’est sans aucun doute le « mensonge » le plus spectaculairement médiatisé du siècle, et cela, si on me passe la métaphore, « les yeux dans les yeux » des Nations Unies.
    Mais le record risque bien d’être battu par les « hénaurmes » mensonges en continue sur la Covid 19, et les « mediamensonges » occidentaux sur l’Ukraine.
    Le dernier n° de Manière de voir (édité par Le Monde Diplomatique ») : Ukraine, jusqu’où l’escalade? est particulièrement éclairant sur la complexité historique et les enjeux de cette région. Il y a manifestement beaucoup de documents et de sources pour se faire une opinion nettement moins « simpliste » que celles diffusées par des media (et des journalistes) particulièrement paresseux, propagandistes , ou manipulateurs…

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